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 Le venin du crotale

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Arnec le Chenu

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MessageSujet: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeVen 16 Oct - 13:19


63ème jour de Printemps,
Matinée, petit crachin,
En plein Boglachòmar.

Le venin du crotale N4nx
Gurvan le Serpent, eorl de Fearnóga

L’air était vicié, chargé de miasmes et de légions de moustiques. Partout où le regard se posait, des nuées d’insectes et des bourbiers suintant. Un paysage de géhenne, une terre maudite. Mais aussi terre de cocagne pour ceux qui la revendiquaient chèrement comme la leur.

C’est au travers de ces inextricables marécages du pays broín que pataugeait notre équipée sauvage. Une troupe comptant douze des plus furieux ambactes du roi Arvel, et menés par son plus féroce eorl : Gurvan le Serpent. Loin d’être la bête de guerre que contait les légendes, Gurvan compensait son manque de stature par une fourberie confinant au génie. C’était d’ailleurs sa finesse de renom qui avait permis la capture de celui qu’ils escortaient à travers bogs et trous d’eau poisseux. Ils étaient guidés à travers la canopée par le guide Janig, l’un de ces forbans écumant les marais, connaisseur des chemins ancestraux, par lesquels les voleurs de bétail venus de la frontière perdaient les Cléirigh dépouillés. Janig était grand, efflanqué, maigre comme une anguille. Mais il avait du flair, pis qu’un bon limier : car même à travers l’eau de pluie, son tarin le portait encore loin.

Les guerriers couraient, entraînés depuis leurs plus jeunes années à user leurs jarrets plus sûrement que les montures des Aonghusa. Dans le marais, on ne chevauche pas : seuls les fous et les imbéciles risquent la perte du cheval et du cavalier dans un environnement capable d’avaler les deux dans une vilaine tourbière. Les Spiors gardaient ainsi le peuple des paluds des invasions, ralentissant leurs ennemis, noyant les plus faibles. Ici pourtant, le plus faible devait survivre. Même s’il était enchaîné, traîné, secoué, le prisonnier ne pouvait mourir. Arvel avait été clair avec Gurvan : le Cléirigh devait arriver devant le roi Arnec vivant. Un exercice d’autant plus difficile que le pauvre hère devait combiner la rudesse de sa condition à la course endiablée lancée par ses geôliers retors.

En le voyant tituber pour la énième fois et s’écraser dans la boue d’un mauvais bourbier, Gurvan leva la main et aboya à la halte. Les guerriers broíns s’arrêtèrent, reprenant leur souffle en portant déjà la main à leurs gourdes. Janig, lui, semblait légèrement déçu de s’arrêter en si bon chemin, alors que ses jambes le portaient bien plus facilement que les lourds ambactes du roi. Sur lui, nul bijou, nul torque, et à peine une courte épée ceinte à son flanc. Il dénotait parmi les porteurs de bouclier, lanciers casqués et emmaillotés de fer.

Gurvan se tourna vers le prisonnier pataugeant dans la boue, les lippes tordues dans un sourire torve. Il fit signe à ses deux compagnons qui, de part et d’autres du captif, tenaient fermement les chaînes de métal entravant son cou et ses poignets. Ceux-ci usèrent des maillons pour relever le Cléirigh, comptant sur la douleur de sa peau mise à vif et sur leur propre force pour remettre sur pied le pauvret. Puis Gurvan s’approcha de quelques pas, toisant la silhouette brisée et dépenaillée, presque nue, de son prisonnier.

« Alors, le Cléirigh, on s’éponge dans le lisier ? Ça te rappelle le ventre de ta mère ? »

L’ensemble de la troupe assénèrent un rire grinçant au trait de leur capitaine. Puis ce dernier, séchant une légère larme, prit sa propre gourde de corma pour la présenter à la bouche asséchée du captif.

« T’as de la chance que nos rois te trouvent une quelconque utilité, Attegiovanos. Ça ne tiendrait qu’à moi, je t’aurais déjà sacrifié aux Tuas. Ils aiment les courageux Cléirigh comme toi… »

Janig, s’impatientant, se rapprocha de Gurvan, montrant Attegiovanos du doigt.

« Pourquoi qu’on s’arrête pour qu’il souffle ? C’est l’ennemi ! »

Le Serpent se redressa pour toiser son guide, bien qu’il le fasse la tête relevée.

« Parce que le roi l’ordonne, grande perche. Maintenant tu noues ta langue, tu la rentres dans ton claque-merde et tu me laisses seul juge du pourquoi. »

Janig se le tint pour dit. Après tout, il ne voulait pas se frotter à l’un des plus grands guerriers de tout le pays. Il recula, tandis que Gurvan rebouchait sa gourde et lançait à la volée :

« On s’arrête, mais on reprend vite ! Alors flânez pas trop et faites un p’tit pissou ! On reprend dès que le Cléirigh arrête de respirer comme un bœuf en rut ! »

Nouvelle vague de rires chez les Broíns. Il faut dire que seule la ruse de Gurvan ayant permis la capture de ce précieux otage, il avait bien le droit de le chambrer tout au long du chemin. Voir un Cléirigh aux fers était déjà quelque chose, ces crétins préférant la mort à la capture. Le voir ensuite se faire insulter sans qu’il puisse réagir, voilà qui faisait salle plus comble qu’un concours bardique.


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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeSam 31 Oct - 18:17


Épuisé par les efforts et les brimades infligés par ses geôliers, Attegiovanos sentait vaciller la flamme qui le maintenait encore debout. En entamant cette marche forcée, il s'était promis de montrer à ses ravisseurs combien il savait être tenace. Tout entravé qu'il était, ils ne l'avaient pas vaincu ; ils avaient dû recourir à la ruse pour se saisir de lui, mais ne l'avaient pas brisé. Il ne geindrait pas sur son sort, il ne leur céderait rien ; pas question de leur faire cette satisfaction.

Las, cette promesse s'était enfuie en même temps que sa dignité à mesure que s'était prolongée leur marche dans l'air saturé des marais. Les insultes des Broin étaient peu de choses ; eux-mêmes s'en étaient rapidement lassés. L'atmosphère suffocante et le vrombissement continu de myriades de moustiques étaient autrement plus agaçants. Ces sales bestioles ne cessaient de se frotter à son visage, l'obligeant à secouer la tête, fermer la bouche et les yeux, souffler des narines, mais elles trouvaient quand même le moyen de s'engouffrer dans des endroits pas possibles pour lui pomper le sang. A l'inconfort s'ajoutait la fatigue, et au bout de plusieurs heures, chaque pas était devenu une nouvelle épreuve. Chaque fois qu'il se sentait chanceler, la tension douloureuse des chaînes sur son cou et ses poignets le ramenait à une réalité que son corps cherchait à fuir. Paradoxalement, la douleur lui donnait la force de continuer à mettre un pied devant l'autre. Elle lui rappelait aussi, cruellement, qu'il était toujours en vie.

Que n'était-il pas mort au combat, l'arme à la main, ainsi que le commande l'honneur du guerrier cléirigh ? En dépit de la défaite, il serait mort comme il avait vécu, et célébré par les siens comme un martyr. Mourir en guerrier, c'était mieux que de vivre en captif.
Il y avait pire, hélas, et ce pire pouvait encore se produire. Ses ravisseurs pouvaient lui infliger une mort infamante, une exécution au fond d'une geôle, sans lui faire l'honneur d'un dernier combat. Ce serait là la pire des géhennes. Tant qu'il était en vie, il pouvait encore espérer recouvrer sa liberté ; la mort, elle, le condamnerait à tout jamais. A tout prendre, mieux valait, pour l'heure, se contenter d'être vivant. Et de le rester.

Alors il marchait. En dépit des moqueries de ses adversaires, en dépit de tout ce que sa propre nature lui avait toujours commandé, il marchait sous les injonctions des Broin, grimaçant contre les chaînes qui lui sciaient la peau, soufflant pour éloigner une nouvelle attaque de moustiques, titubant pour ne pas échouer au fond d'une tourbière. Il marchait, parce que c'était cela ou mourir, et qu'il n'avait pas le droit de mourir.

Et puis il chuta dans la boue, et ce fut comme une délivrance. Comme son visage s'enfouissait dans la gadoue putride, la mort lui apparut soudainement comme une solution tout à fait acceptable. Cela ne dura qu'un temps, toutefois ; la tension de ses chaînes le rappela à sa prison de douleur, et ce fut comme si on lui arrachait des lambeaux de peau entiers. Il aurait hurlé, s'il n'avait pas la bouche pleine de terre humide. Il cracha, s'étouffa, puis cracha encore tandis qu'on l'obligeait à se relever. Le visage maculé de boue, les yeux révulsés, il lui semblait que son cœur était proche de le lâcher, à moins que l'essoufflement qui l'empêchait de respirer ne se charge d'abord de le tuer par asphyxie.

Le Serpent lui offrit sa gourde. Attegiovanos entendit à peine ce que son ravisseur lui baragouinait. Il but, et c'était si bon qu'il en aurait presque pleuré. Eut-il les idées claires, peut-être aurait-il refusé cette attention tout sauf miséricordieuse, mais en l'instant présent, il ressentait de la gratitude. Cela aussi, ne dura qu'un temps. Déjà, le Serpent reprenait sa gourde et, lançant ses ordres à la cantonade, laissait entendre que ce moment de répit serait bref.

Il a besoin de moi en vie, réalisa Attegiovanos. Bien sûr qu'ils avaient besoin de le garder en vie ; pourquoi se faire chier à le trimballer à travers les marais, dans le cas contraire ? Si évident que ce fut, il n'avait pas encore pris la peine de réfléchir à ce qu'impliquait cette vérité. Il y avait peut-être moyen d'en tirer parti pour fuir, si tant est que ses ravisseurs baissent leur garde et qu'il parvienne à se défaire de ces maudites chaînes. Et alors ce serait la faim, l'épuisement et les bestioles qui se chargeraient de lui donner la mort minable qu'il souhaitait ardemment éviter...
Non, pour l'heure, il n'y avait rien de bon à tirer de cette situation merdique. Et le fait qu'ils tiennent tant à le garder en vie n'avait probablement rien d'une bonne nouvelle. Cela suffisait, néanmoins, à redonner au Cléirigh une contenance, et assez de cran pour gratifier le chef ennemi d'une œillade menaçante.

« Enlève-moi ces chaînes, et on verra qui de nous deux souffle le plus fort. Je vais tellement te botter le cul, ça sentira les pieds chaque fois que t'ouvriras la bouche. »

Non, le Cléirigh n'était pas vaincu. Il n'accusait qu'un léger contretemps.
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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeVen 13 Nov - 18:18


A la grande surprise de tous, Gurvan accueillit la pique du Cléirigh avec son rire le plus cristallin. Museau relevé, il riait à gorge déployée. Visiblement, le Serpent avait le sens de l’humour… ou du moins, le sien propre. Car une fois cessés ses ricanements, l’eorl fila un méchant revers à son prisonnier, percutant l’une de ses pommettes de ses phalanges saillantes. Ce fut au tour des autres guerriers de se gausser de cette vile torgnole. Pour accompagner le geste à la parole, Gurvan ajouta sur le ton de la plaisanterie :

« Tu manques pas d’air et de cran, Attegiovanos, ça je te l’accorde. On verra si tu fanfaronnes toujours une fois devant notre roi ! »

La pause fut effectivement de courte durée. Le temps de vidanger quelques verges et de boire un ou deux coups de cervoise, et l’équipée reprenait sa course en direction des plages et des rades. Au loin, par-delà les bogs et les arbres rachitiques parsemant le chemin de traverse du Boglachòmar, après avoir passé le Mheur'mhòr, on pouvait apercevoir les lointains toits d’Arcasadrigun faire face à la mer tumultueuse. La destination n’était pas loin, et les fiers guerriers broíns forçaient le pas, au grand dam de leur invité forcé. Les dernières pauses furent sans doute salvatrices pour Attegiovanos, bien qu’elles furent trop rares. L’envie de revoir leurs femmes, de sentir à nouveau le sel de l’océan et de se poser devant un bon feu avait donné un regain d’énergie aux hommes de Gurvan. Ce dernier fit atteindre la cité sur pilotis en un temps record.

Une fois dans la ville, nombreux furent les hommes à reconnaître l’eorl de Nemodia. Des vétérans aux nombreuses cicatrices détournaient leurs faciès de leurs hameçons pour pointer des doigts crasseux et accusateurs sur sa silhouette dénudée. Bientôt, quelques femmes se réunirent pour cracher toute leur haine à la gueule de celui qui représentait en ces lieux tout le peuple des collines. Des veuves, des mères éplorées, des sœurs lançaient allègrement des poissons avariés dans sa direction, ce malgré les avertissements et les cris des guerriers autour. En vérité, la seule raison qui poussa les hommes de Gurvan à empêcher la vendetta était qu’ils ne voulaient pas paraître devant leur roi avec une odeur de poisson pourri. Le tumulte se résorba à mesure qu’ils parcouraient les nombreux caillebotis parsemant la fourmilière broín, et finit par s’éteindre aux portes du Bothanmòran. Là, alors que les guerriers se présentaient au portier du palais, seul restait un enfant maigrelet pour observer d’un œil coléreux Attegiovanos, et lui tendre un doigt accusateur avant de prononcer de sa voix juvénile :

« Tu as tué mon père… Prépare-toi à mourir ! »

Et sur ces paroles sibyllines, les chaînes d’Attegiovanos lui rappelèrent que le chemin n’était guère terminé. Il n’eut sans doute pas le loisir d’admirer les vieilles tapisseries moisies et les trophées pris de rouille ornant les murs du palais des deux rois, non plus que les serviteurs et guerriers gravitant autour des souverains. Cependant, lorsqu’il fut traîné jusqu’au centre de la salle des trônes, où force ambactes et mercenaires s’étaient réunis, il ne pouvait certainement manquer celui devant lequel il venait d’atterrir. Sur son vieux siège de bois aux entrelacs rongés et ternis, juste devant une espèce de gros mastodonte à l’air benêt, trônait le rachitique vestige d’une époque oubliée : Arnec le Chenu, en chair, mais surtout en os. Le vieillard à la peau tachetée de vieillesse et fatiguée de tant d’années penchait son mufle hideux en direction du prisonnier, sans piper mot. C’est Gurvan qui brisa le silence en faisant un pas en avant, et en récoltant ses lauriers tout en clamant :

« Arnec, mon roi, Arvel ton neveu t’envoie un prisonnier de choix ! Attegiovanos, fils d’Ascagnorix, seigneur de Nemodia. C’est grâce à la ruse que m’insuffla Cogadh que le Cléirigh est tombé dans nos rets, et le roi ton neveu a préféré t’offrir son sort. »

Arnec ne regarda pas tout de suite le fanfaronnant aristocrate, les yeux toujours plongés dans une étude silencieuse du prisonnier devant lui. C’est après un léger moment de flottement un peu gênant qu’il finit par relever la tête et sourire.

« Les Tuas te sourient, Gurvan, fils de Gurvan. Tu t’assiéras à ma droite ce soir au banquet, afin de me raconter avec de plus amples détails comment tu t’y es pris. Tu goûteras le premier à mon hydromel, et le premier morceau te reviendra. »

L’eorl se sentit gonfler, fier comme un paon. Autour, nombreux étaient les guerriers à regarder d’un œil mauvais le Cléirigh tout crasseux devant eux. Beaucoup d’entre eux avaient perdu pères, mères, frères et sœurs lors de la Guerre de la Brogue, et les blessures étaient trop récentes pour avoir cicatrisé. C’est Arnec qui empêcha tout esclandre en s’exprimant succinctement après une énorme quinte de toux.

« Comment trouves-tu mon palais, Attegiovanos ? »


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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeLun 23 Nov - 11:48


Son calvaire l'avait finalement conduit au cœur de la fosse à serpents. Agenouillé au beau milieu de la salle des trônes, ligoté de fer, Attegiovanos sentait peser sur lui le regard du souverain broin, comme ceux des nombreux hommes présents tout autour de lui. Chefs et héros devaient être présents en nombre dans la salle ; il y avait là l'élite la plus détestable d'un peuple détestable. Il avait déjà rencontré certains visages sur les champs de bataille, sans pouvoir tous les nommer, et en avait même affronté quelques-uns. Que ne pouvait-il défier chacun d'eux ici et maintenant ! Quitte à mourir, ce serait valeureusement, l'arme à la main, et il pourrait emporter dans la mort un ou deux de ces indésirables. Le monde en deviendrait un peu moins mauvais, et si Gurvan le Serpent pouvait être du lot, Attegiovanos n'hésiterait pas un seul instant. Ah, que ne pouvait-il donner la mort à tout ce qui vivait dans cette salle !
A commencer par le souverain broin, proche, si proche qu'il semblait si aisé de pouvoir le tuer. C'était un vieillard, tout sec, dur comme une vieille feuille, et pourtant, Attegiovanos ne soutint pas son regard. Tout le temps où Arnec le Chenu le considéra en silence, Attegiovanos ne daigna pas lever la tête, comme s'il craignait de perdre la face. Dans son malheur, il s'en sentait incapable. Incapable de fixer dans les yeux un vieillard. Était-il déjà tombé si bas ?

Arnec ne parut pas se soucier de cette occasion manquée. Le vieux roi fut saisi d'une violente quinte de toux ; nul dans la salle ne montrant de signe d'inquiétude, la chose devait être monnaie courante. Lorsqu'il reprit la parole, ce fut pour lui demander ce qu'il pensait de son palais, comme il eut posé la question à un banal invité. Étonnamment, la libération de sa parole rompit le charme qui maintenait le captif en respect. Attegiovanos releva la tête, et pointa enfin les yeux sur la trogne ridée du vieux roi. Il retrouvait sa faconde, dut-elle empirer sa situation. Entravé et cerné de toutes parts, le Cléirigh restait Cléirigh.

« Tu es bien installé, roi des Broin. Ton palais a connu de bons architectes. Je gage que les hivers les plus rudes deviennent doux quand on les passe entre ces murs, et tu restes même à l'abri des escarmouches printanières. Une retraite paisible pour tes vieux jours. N'importe quel paysan rêverait d'y mourir. »

Même un imbécile lirait l'insulte entre les lignes. Mais les Broin n'étaient-ils pas tous des imbéciles ? On les disait rusés, certes ; ils étaient surtout lâches et vicieux, et la viciosité n'impliquait pas une grande intelligence, seulement un peu de réussite et d'opportunisme.
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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeMar 24 Nov - 12:56


L’insulte à peine voilée du Cléirigh provoqua un tollé d’aboiements et d’ordures lâchés par les plus proches guerriers du vieil Arnec, certains venaient même cracher sur le prisonnier en lançant des malédictions, paumes levées vers le ciel pour prendre à témoin Ruigsin. Avec le temps, le Chenu était devenu une figure paternelle pour beaucoup de ces hommes, un symbole presque sacré, car il représentait quelque chose d’immuable et d’éternel. Tous ces chefs et ces guerriers ne pouvaient supporter que l’on en vienne à servir des quolibets au roi dans sa propre demeure.

Mais Arnec ne sembla pas s’en formaliser. Bien au contraire, le coassement rugueux qui sortit de sa gorge – et le fit tousser derechef – attira l’attention des seigneurs alentours, pendus aux lèvres de leur antique souverain. Gurvan lui-même semblait soulagé, lui qui souhaitait conserver son trophée entier, du moins pour l’heure. Alors, Arnec parla de nouveau :

« En voilà des manières qu’elles ne peuvent venir que d’un natif des collines ! Une grande gueule, et un moulin à vent derrière. Voilà tout ce qu’un Cléirigh peut offrir, une fois pieds et poings liés. Continue de faire le fier à bras Attegiovanos, fils d’Ascagnorix, j’aime vous voir vous remuer dans votre fange, toi et tes semblables. »

Il regarda en direction d’un grand échalas aux longues moustaches et au crâne barré d’une cicatrice.

« Gormal, va chercher ‘la Honte’ ».

Le grand type offrit à son souverain un sourire carnassier, avant de tourner les talons pour passer une porte dérobée, accompagné par deux autres guerriers. En attendant qu’il revienne, le vieil Arnec dit encore :

« Il est important que mon palais te plaise, car vois-tu, tu n’es sans doute pas prêt de le quitter. Je te connais, Attegiovanos, et mes eorls aussi te connaissent bien. Tu es dangereux, une fois détaché. Mais je sais comment arranger cela. Te souviens-tu de Uicongenomar le Franc ? »

Le nom devait sans doute lui être familier, et pour cause : le gaillard était un ancien eorl cléirigh, perdu il y a des années dans une escarmouche aux frontières du marais d’ambre. A l’époque, tout le monde avait conclu que Uicongenomar avait été emporté par les Broín pour servir de sacrifice, et plus aucun membre de son peuple n’avait plus jamais entendu parler de lui. Plus aucun, jusqu’à ce qu’Attegiovanos ne discerne des bruits venant de la porte par laquelle Gormal avait pris congé.

Les trois Broín revenaient en bien singulière compagnie : c’était un homme trapu, pauvrement vêtu, et dont l’odeur d’urine et de merde excédaient en intensité même les fosses les plus mal entretenues. Ses cheveux étaient hirsutes et striés de longues mèches blanches mais salies, et sa barbe toute emmêlée lui donnait des airs de sauvage sorti tout droit d’une forêt. Le pauvre hère suivait docilement les trois hommes, le regard vide et fixé sur le dos de Gormal. Et quand soudain il s’arrêta près d’Attegiovanos, il ne le regarda même pas.

« Uicongenomar, honte de ton peuple ! »

L’hirsute sembla se réveiller en entendant son nom prononcé par le vieux roi, et regarda en direction d’Arnec avec des yeux troublés.

« Oui, roi Arnec ! Regarde-moi, je danse ! »

Et sous les yeux amusés et les ricanements des chefs conviés, le prisonnier en si piteux état s’activa soudain à danser de manière gauche et pataude, comme un ours dressé ayant été bien trop drogué pour tenir le pas et l’allure. Il agitait ses mains avec lenteur, ondulait sa forme trapue, manquait se vautrer lorsqu’il faisait tournoyer son corps. Bientôt, les guerriers frappaient des mains, lui beuglant de continuer, lui ricanant quelque insulte. Malgré tout, Uicongenomar continuait, tournant sur lui-même jusqu’à son inévitable chute. C’est lorsqu’il fut tombé par terre que tous s’esclaffèrent de plus belle, se désintéressant soudainement de leur prise du jour. Arnec lança alors une petite boulette mystérieuse au danseur, qui se précipita dessus comme un affamé sur le dernier quignon de pain.

« Prends-le, ta danse m’a amusé. Mais dis-moi, Uicongenomar… que penses-tu des Cléirigh ? Dis-le donc à notre invité ici-présent. »

Le vieillard indiquait de son doigt sec et osseux la silhouette enferrée d’Attegiovanos. C’est là que l’eorl de Nemodia put enfin voir l’ancien héros déchu face à face. Il avait le visage troublé, et les yeux vides d’expression. Il mâchonnait frénétiquement la chose qu’Arnec lui avait lancée, tel un animal s’étant jeté sur une carcasse. La bouche pleine, il répondit :

« Les Cléirigh sont des idiots… oui, tous des idiots ! Même qu’ils tombent dans les pièges des Broín. C’est pour ça que je suis ici… et toi aussi. Tu es Cléirigh, pas vrai ? Alors tu es un idiot ! »

Ses yeux s’agrandirent tout de suite, et il hurla d’un timbre rempli d’effroi :

« Oui, tu es un idiot ! Tu es un idiot ! »

Et se tournant à la vitesse de l’éclair vers Arnec, manquant à nouveau tomber au sol, il se mit à genou devant le roi et tendit les mains en baissant la tête.

« Mon roi… j’ai dit juste, pas vrai ? Je peux en avoir encore ? »

Arnec coula un regard cruel à Attegiovanos, assorti de son sourire le plus carnassier, avant de laisser tomber une autre de ces boulettes par terre, pour que le vaillant héros de naguère, Uicongenomar, ne se précipite dessus en lâchant des bruits de goret. Arnec railla alors son autre prisonnier :

« J’ai mis des années à mater le Franc pour qu’il devienne la Honte. Je me demande combien de temps je mettrai à te faire plier, Cléirigh. Mais ne t’en fais guère : Ruigsin m’a béni d’une longue vie. J’aurai la patience nécessaire pour te briser. »


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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeMer 2 Déc - 10:43


Le regard horrifié d'Attegiovanos ne pouvait se détacher du héros déchu. Il connaissait Uicongenomar le Franc, bien sûr ; il n'en gardait pas de réel souvenir direct, mais c'était un nom que l'on prononçait fréquemment dans les cercles des héros cléiriges aujourd'hui encore. La première réaction de l'Eorl de Nemodia fut de croire à la duperie ; le souverain broin n'avait fait qu'extirper de quelque geôle un vieux fou pour lui faire jouer la comédie. C'était cela qu'il voulait croire, tant il était impensable que le Franc ait pu devenir cette chose immonde et honteuse. Attegiovanos frissonna, songeant combien de destins s'avéraient bien pires que la mort, et il frissonna plus encore à l'idée que le même sort pouvait lui être réservé. La cruauté des Broin, il n'en avait jamais douté, mais elle s'imposait aujourd'hui à ses yeux dans toute sa hideur. Car il ne doutait pas, en son for intérieur, de la sincérité d'Arnec ; il sentait, instinctivement, que le roi n'était pas en train de mentir, et cela se lisait dans le regard du vieux souverain, dans cette satisfaction perverse qui animait son regard. Eut-elle été la même, si tout ceci n'était que du foin ? Certainement pas.

L'Eorl de Nemodia fit glisser ses genoux sur le sol pour se rapprocher du roi, faisant cliqueter sa chaîne, rappelant du même coup sa présence à ceux des spectateurs qui, trop concentrés sur le Franc, l'avaient oublié.

« Aucun Cléirigh ne traite ses prisonniers avec tant de cruauté. Tu as brisé cet homme, Arnec, et suffisamment savouré ta victoire ; maintenant qu'il a vécu tant d'années dans la honte, que ne le laisses-tu pas mourir avec dignité ? S'il faut que je prenne sa place, alors accorde-moi au moins cette faveur : permets-moi de l'affronter et de lui donner la mort par ma main, dans un dernier combat, afin qu'il rejoigne les siens en guerrier. »
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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeSam 5 Déc - 12:27


La plupart des ambactes du roi accueillirent la proposition avec un rire discret. Arnec lui-même laissa filer un vilain hoquet entre ses dents garnies de fils métalliques. Les nobles présents se coulèrent de vilains regards matois, tandis qu’une flopée de murmures suggéraient à demi-mots la tenue de paris. C’est le roi qui fit taire ses clients d’un signe de la main, avant de reprendre pour Attegiovanos :

« Voir deux Cléirigh qui s’affrontent, voilà quelque chose de neuf et d’intéressant à regarder. Je suis sûr que toute ma cour saura apprécier un tel spectacle à sa juste valeur. »

Certains se regardèrent à nouveau entre eux, surpris cette fois. Mais les habitués du palais, eux, savaient qu’Arnec avait toujours quelque plan chafouin dans un recoin de sa tête. Il n’était pas le roi des marais pour rien.

« J’accepte donc que tu te mesures à Uicongenomar. Je fais de la Honte le champion des Broín, et tu seras le champion de ton propre peuple. A présent, battez-vous ! »

Là, les plus lents comprirent. Ils s’esclaffèrent derechef, lançant cette fois des cris d’encouragement, tandis que les lourds soldats tenant les chaînes du captif raffermissaient leurs prises sur elles et s’amusaient à secouer les maillons pour faire valdinguer Attegiovanos. Arnec était décidément le pire salaud respirant dans ces marécages : ce n’était pas un combat qu’il avait accordé à son prisonnier, mais une humiliation de plus. Uicongenomar regardait de ses yeux bovins la silhouette nue, enchaînée et malmenée de son compatriote. Une lueur passa un bref instant dans ses pupilles délavées. Elle fut brève, fugace, et à peine avait-elle disparu que sur l’ordre d’Arnec, la Honte se mit à cogner son adversaire impuissant. Les baignes collées par l’ancien eorl étaient étonnamment lourdes, comme si malgré les années de captivité, il n’avait rien perdu de sa force ni de son déhanché.

Car des droites bien senties, il en fit pleuvoir. A la tête, au torse, dans le ventre. Les bras entravés par ses chaînes, Attegiovanos ne pouvait que subir l’averse de traîtres coups, sous les huées et les cris de joie des spectateurs. Burú lui-même rigolait bêtement derrière son grand-oncle, ce dernier cachant son mauvais sourire dans l’ombre du géant. La peignée qu’il avait réservé à l’insoumis lui apportait une bien morbide satisfaction, mais pourquoi donc s’en priver ? Devant ses yeux légèrement voilés, il pouvait assister au plus navrant des spectacles : deux frères, l’un retourné et l’autre enchaîné, s’affrontant inégalement dans la halle de leur ennemi victorieux.

« Allons, la Honte, suffit ! »

Uicongenomar était sur le point d’envoyer une énième fois son poing droit sur le visage d’Attegiovanos, lorsqu’il s’arrêta soudain et recula, de deux pas, légèrement retrouvant son état second. Les détenteurs des chaînes usaient de leur force pour faire tenir debout le Cléirigh, tandis que leur roi reprenait la parole :

« Tu t’es bien battu, Attegiovanos, fils d’Ascagnorix. Mais tu n’es visiblement pas à la hauteur de mon champion. Un jour, tu pourras dire devant Ruigsin que tu as essayé. Mais ce jour sera lointain, je te le garantis. Qui plus est, je doute que Cogadh daigne poser le regard sur un guerrier aussi pitoyable que toi… Qu’on l’emmène ! Il partagera la cellule voisine à celle de Uicongenomar ! Qu’il voit à chaque heure du jour le sort que je réserve à mes prisonniers. »

Il s’avança légèrement vers l’avant, toisant l’eorl de Nemodia de son regard le plus haineux.

« Car ici, on ne traite pas les captifs comme les Cléirigh. Nous sommes Broín, et nous avons nos propres coutumes. »
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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeLun 21 Déc - 13:51


Je te tuerai, jurait l'Eorl de Nemodia en son for intérieur alors que la tension de ses geôliers sur ses chaînes l'empêchait de vaciller, par Ruigsin, je te tuerai. Mais les mots n'allèrent pas plus loin que sa pensée, car toute énergie l'avait quitté. Il ne daigna pas même relever les yeux pour affronter le regard haineux et narquois du souverain broin ; son œil gauche demeurait hermétiquement clos depuis qu'une méchante beigne du Franc lui avait éclaté l'arcade sourcilière, et le droit restait fixé vers le sol, projetant l'image floue de deux jambes flageolantes sur des dalles maculées de sang. Il n'eut pas même le temps de réfléchir à une dernière bravade à jeter à la figure de son ennemi, si tant est qu'il eut encore du courage, si tant est qu'il eut encore la force de parler. Ses geôliers l'entraînèrent sans ménagement dans les profondeurs du palais, loin des yeux moqueurs de la foule, mais l'intimité soudaine des lieux n'avait rien de rassurant.

On le jeta dans la pénombre d'un cachot, avant de refermer derrière lui une lourde porte de bois noueux, plongeant la pièce dans les ténèbres complètes. Il y flottait une entêtante odeur d'urine et de sueur, et tandis qu'il se laissait tomber dans un tas de paille malodorant, la douleur de ses blessures se fit lancinante. Alors, parce qu'il était seul et qu'il n'avait plus besoin de jouer les braves, il s'oublia complètement et gémit, gémit comme un gamin apeuré, comme un animal blessé. Et il pleura, même, parce qu'il avait honte, honte de l'humiliation vécue devant ses ennemis, honte d'avoir si peur de la mort, honte d'être si faible, honte de ce qu'il allait probablement devenir. Et tandis qu'il geignait comme un môme, il lui semblait deviner, dans le noir, le visage narquois d'Arnec le Chenu, moquant sa couardise. Alors, dans un sursaut d'orgueil, Attegiovanos se redressait, tentait d'attraper son ennemi et de laver l'affront dans une nouvelle passe de violence ; mais le vieux roi lui échappait chaque fois, et chaque tentative le récompensait d'une nouvelle vague de douleurs. Il finissait par tomber, mais le sol se dérobait sous ses pieds, et le monde s'évaporait dans les ténèbres tandis qu'il chutait dans le néant. L'épuisement eut raison de sa conscience, et il disparut dans un univers de rêves et de cauchemars, tous plus invraisemblables les uns que les autres. Il prêtait serment sous la lune à un nain en armure affublé d'une couronne ; un homme au teint blafard et aux cheveux pâles chevauchait un cheval squelettique et pointait vers lui un bras mécanique ; des légions de morts vivants déferlaient sur Dùnlodunum. Et comme le chaos et la destruction ravageaient le pays, les goules s'écartaient subitement, laissant apparaître Deirdre, belle comme le jour au milieu de la nuit. L'Eorl de Nemodia tombait à genoux, implorant son pardon, mais elle riait, riait tandis que les traits de son visage s'affaissaient ; et Attegiovanos hurlait, alors que des ridules grisâtres creusaient leurs sillons autour des paupières de son épouse disparue, et que sa peau prenait la texture du parchemin. L'éclat de ses cheveux blonds se ternit sous la lune pâle ; ils se raidirent, grisâtres, avant de tomber en lambeaux, et elle hurla elle aussi, d'un hurlement à vous glacer le sang, résonnant dans le vent, à mesure que se désagrégeait sa chair. Deux mains osseuses s'emparèrent de la gorge de l'Eorl, et comme se resserrait sur son cou leur étreinte mortelle, Attegiovanos n'essaya même pas de lutter ; eut-il pu opter pour une autre issue, la mort restait la plus séduisante des perspectives.

Combien de temps resta-t-il dans cet état de léthargie pitoyable ? Quelques minutes, quelques heures ou plusieurs semaines, difficile à dire. Il ouvrit les yeux, mais cela ne fit aucune différence ; tout n'était que ténèbres. Il mit plusieurs minutes à comprendre ce qui l'avait réveillé ; un bruit sourd trahissait une présence tout près. Dans le cachot, ou dans une pièce attenante, il n'eut su le dire ; mais il était certain qu'il y avait du mouvement.

Mû par un instinct de survie doublé d'une intuition curieuse, Attegiovanos ne réfléchit même pas. Il aurait pu appeler, demander qui allait là, ignorant si cette présence représentait un espoir ou une nouvelle menace. Mais comme il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il convenait de faire, il fit la première chose qui lui passa par la tête. Il chanta. Et quitte à improviser, la première chose qui lui vint fut une chanson qu'avaient entonné ses hommes lors de leur dernier banquet - une chanson qu'il n'appréciait guère, de surcroît, car il n'avait jamais été porté sur les grivoiseries, mais que lui restait-il aujourd'hui ?

« Il était une pute, une pute, une pute
Il était une pute,
Qu'aimait m'faire la turlute. »

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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeJeu 31 Déc - 9:26


Au début, Attegiovanos n’entendit rien d’autre que le froissement d’une étoffe contre le sol et quelques légers grattements. Il y avait une présence proche de lui, mais elle n’était pas à l’intérieur-même de la cellule. Dans le noir, cependant, difficile de distinguer quoi que ce soit. C’est quand il se mit à chanter que la présence commença à se manifester de manière plus vivace : elle se mit à reprendre le chant du prisonnier. Au timbre de voix, il était impossible pour Attegiovanos de ne pas le reconnaître, car il avait entendu cette même bouche servilement honorer son pire ennemi. Nul doute, l’homme qui reprenait ce vieux refrain grivois n’était autre que Uicongenomar.

A mesure que les yeux de l’eorl de Nemodia s’habituaient à l’obscurité ambiante, il put observer qu’une épaisse cloison le séparait de la Honte. Pourtant, sa voix ne résonnait pas comme étouffée, elle était pleinement audible, voire même un poil trop proche. En y regardant de plus près, on pouvait s’apercevoir qu’il y avait en réalité un gros trou dans ce pan de mur, assez pour laisser entrevoir la tête hirsute et les épaules larges de l’ancien guerrier cléirigh. Dans le noir, sa silhouette dépenaillée lui donnait un aspect de bête sauvage, comme un loup dont les poils se hérisseraient de méfiance. Pourtant, Uicongenomar était tout sauf aux abois. Il chantait l’air dépravé comme s’il se retrouvait à nouveau dans une grande salle, entouré de vaillants amis prêts à se saouler ensemble pour la postérité.

Avec un léger soupir, il s’arrêta de fredonner pour apostropher Attegiovanos :

« Je connais cet air… Voilà bien longtemps que mes oreilles n’ont pas eu la chance d’entendre les chansons les plus vicelardes de mon peuple. »

Il bougea, mais Attegiovanos ne put entendre aucune de ses chaînes cliqueter, car il n’en avait sûrement pas.

« Tu es le fils d’Ascagnorix, pas vrai ? J’ai bien connu ton père, nous avions fait quelques raids ensemble dans le Boglachòmar. Un fier guerrier… »

Ses derniers mots coulèrent d’étrange manière de la bouche de Uicongenomar. Comme atténués, embués. Les prémices des sanglots qui suivirent. Pour un Cléirigh, entendre l’un des anciens héros de son peuple pleurer était sans doute déjà assez perturbant, mais Attegiovanos l’avait déjà vu se couvrir de honte devant le roi des Broín.

« Il ne faut jamais se laisser capturer par ces tarés… Jamais ! Tu aurais dû t’ouvrir la gorge à la seconde où tu as senti que c’était la fin ! »

Il y avait bien plus de tristesse que de colère dans les paroles de l’eorl déchu. Ses sanglots continuèrent un long instant, envahissant la cellule sous le contrepoint des gouttes tombant du plafond et des grattements frénétiques de quelque rat famélique. Puis, entre deux reniflements sonores, Uicongenomar osa interroger son codétenu.

« Quelles nouvelles de mon pays ? Mon village ? Ma famille ? »

La tristesse avait laissé place au désespoir, dans sa voix.
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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeDim 10 Jan - 11:31


S'il l'avait reconnue sans peine, Attegiovanos n'était pas moins secoué d'entendre résonner la voix d'Uicongenomar. Devant l'assemblée des héros broin, le Franc était animé par la folie, débitant des propos incohérents comme un enfant bercé trop près du mur ; à présent, la même voix s'élevait distinctement, dépourvue de l'animalité qui l'habitait auparavant. Comme ses yeux s'habituaient à la pénombre, l'Eorl de Nemodia contemplait le triste portrait qu'offrait le héros déchu dans la cellule mitoyenne. En cet instant où le Franc semblait avoir recouvré quelque lucidité, il apparaissait plus pitoyable encore qu'au moment où il se donnait en spectacle à leurs ennemis.

Était-ce donc cela, le destin d'un héros ? La gloire était donc si éphémère ? En disparaissant, le Franc avait laissé aux Cléirigh une légende, un nom. A présent qu'il refaisait surface, exposant l'étendue de ses faiblesses humaines, tout cela semblait vain. C'était comme si la vérité révélée rendait vaines toutes les croyances de l'Eorl. Ce revirement de situation l'effrayait ; il n'avait pas envie d'affronter cette vérité cruelle. Aussi vrai, d'ailleurs, qu'il ne tenait pas à accabler le vieux héros d'autres vérités, tout aussi cruelles, sur ce qu'étaient devenus les siens depuis son départ. « Quelles nouvelles de mon pays ? Mon village ? Ma famille ? » lui demandait le Franc, avec une avidité compréhensible ; la présence de l'Eorl le ramenait, pour la première fois depuis des années sans doute, à ce qu'il avait été jadis. Hélas ! Ce qu'Attegiovanos savait ne serait pour lui d'aucun réconfort. Les hivers et le chagrin ont pris ta femme, tes fils et tes filles les uns après les autres, telle était la vérité que le Franc réclamait tant, mais probablement pas celle qu'il aurait envie d'entendre. Que Fitheach emporte la vérité, se renfrogna l'Eorl, excédé par tant d'injustice.

« Ta famille se porte bien », mentit Attegiovanos. « Ils ont longtemps pleuré ta mort, mais ils vivent dans le souvenir du héros que tu fus. Cela n'est pas plus mal, il me semble. »

Ce mensonge ne suffirait guère à redonner du poil de la bête au héros déchu, Attegiovanos le savait. Peut-être était-ce mieux ainsi ; si le Franc usait de ses dernières forces à s'extirper d'ici, la vérité qui l'attendrait chez lui le tuerait pour de bon. Il allait mourir là, à l'insu de tous ceux qui le connaissaient et vivaient encore ; mieux valait, dès lors, lui épargner cette peine supplémentaire.

« Comment est-ce arrivé, Uicongenomar... comment ont-ils réussi à t'avoir ? Comment ont-ils réussi à... à faire de toi ce que tu es devenu ? »

Jamais, au grand jamais, Attegiovanos ne supporterait pareil destin. Lors du banquet du roi Arnec, il avait voulu délivrer Uicongenomar de sa prison de honte, se sentant en mesure de lui offrir une mort de guerrier, une mort digne d'un Cléirigh. Las, le roi Arnec s'était montré retors ; il avait vu clair dans ses intentions et ne lui avait laissé aucune chance. Peut-être l'occasion se présenterait-elle de nouveau ; mais une fois Uicongenomar disparu, qui se chargerait de le libérer, lui ? N'entrevoyant aucun échappatoire, l'Eorl de Nemodia se sentait peu à peu ronger par le désespoir.
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MessageSujet: Re: Le venin du crotale   Le venin du crotale I_icon_minitimeMar 26 Jan - 21:35


La chevelure hirsute et la tête baissée de Uicongenomar suffirent à dissimuler son faciès résigné et pitoyable à Attegiovanos. Vaincu, même les Broín n’avaient pas daigné l’enchaîner. Il était abattu, plus seul encore que Ruigsin ne le fut à l’aube des temps. Le vieux guerrier resta silencieux devant la question de son codétenu. La vérité était bien trop cruelle, bien trop horrible à dire.

« Le roi Arnec est versé dans nombre d’arts occultes… En des temps immémoriaux, je crois qu’il fut chaman, du moins c’est ce qu’on dit. Oh, pourquoi t’es-tu laissé capturer ? »

Sa dernière phrase se timbrait d’une pointe de détresse. Uicongenomar avait relevé ses yeux brillants sur l’eorl de Nemodia. Il avança sa tête vers le soupirail improvisé, murmurant :

« Il sait s’arroger la soumission sans la menace… Je suis sûr qu’en cet instant précis, il nous observe ! Ou pis encore… il nous ensorcèle ! Tu la sens, cette sensation ? Cette envie dévorante de lui réclamer ta délivrance, ce besoin vital d’exécuter la moindre de ses volontés pour ses délicieuses… savoureuses boulettes magiques ? »

Uicongenomar en frissonna d’extase, avant de lâcher un couinement indigne. Puis il frappa violemment sa tête contre la cloison à plusieurs reprises.

« Je suis indigne ! Je suis indigne ! »

Lorsque sa tête réapparut par le trou dans le mur, de légères coupures rougissaient son front crasseux.

« Aide-moi, Attegiovanos. Aide-moi à ne pas être indigne... »

Soudain, du bruit descendit en direction de leurs geôles. Des braillements étouffés, devenant de plus en plus audibles. La lumière d’une torche vint courir sous le chambranle de l’épaisse porte en bois, avant que les silhouettes de leurs gardiens ne s’y étirent à leur tour. Puis les voix devinrent audibles, et le gémissement des tabourets rongés d’humidité indiqua que les geôliers prenaient leurs aises. L’un d’eux lança :

« … Et c’est là où ça part en couilles ! V’là qu’la péronnelle à Aodren mélange le jus de pomme avec le jus de myrtille ! »

« Sans déconner ! »

« Ouais, moi aussi j’ai poussé un juron. En fait pas que, puisque j’y ai mis un gros taquet dans la dinde, et du coup Aodren m’a frappé aussi. Il a sorti son surin, on s’est échangé quelques délicatesses, et il m’a filé la grosse balafre que tu vois. Bref, prochaine doléance, j’en parle au vieux roi. »

« Tout ça pour du jus quand même... »

« Hey, me lance pas là-dessus Kad’. Le jus de pomme c’est sacré ! »

Le silence commença à s’installer. Avant que soudainement, la première des deux voix ayant retenti s’amusa :

« Cette histoire m’a donné envie d’aller titiller un peu le nouveau prisonnier. Va chercher les bâtons, Kadvael. »

Ce dernier rit sous cape, faisant vibrer le bois de son tabouret, duquel il se levait probablement…
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