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 Laelia Antia Protera

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Laelia Antia Protera

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Laelia Antia Protera

Messages : 179
Date d'inscription : 01/03/2020

Personnage
Âge: 20
Métier: Patricienne
Statut: Citoyenne


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MessageSujet: Laelia Antia Protera   Laelia Antia Protera I_icon_minitimeDim 29 Mar - 21:33


   


   
Laelia Antia Protera

 











Nom/Prénom : Laelia Antia Protera

Âge/ Date de naissance : 20ème jour de la Tertia Aestas de l'an 379 ; soit 20 années avant aujourd'hui.
Sexe : Féminin
Faction : Oncmélia Minor
Liens notables : Epouse de Caïus Protero Feles,
Mère d'Octavia Protera
Nièce de l'Empereur Numerius Julius Paetus

Fonction : Domina de la maison Protero, épouse du procurator de la province d'Oncmélie mineure

Personnage
POSSESSIONS :

Il semble bien anodin de dresser une exacte liste de toutes les possessions du couple Protero tant par l’importance de son influence que le mariage de deux illustres familles patriciennes de la Ruvie. Caïus et Laelia jouissent conjointement d’une vie fastueuse, agrémentée par d’habiles marchés qui leur permettent de poursuivre un train de vie plus qu’élevé. Rien ne semble trop beau pour satisfaire celle qui jamais n’avait encore quitté la capitale de l’empire ; les plus belles pièces d’orfèvrerie, les plus beaux tissus, elle veillait à ce que les siens soient perçut à leur juste place. Elle aimait à s’entourer d’artistes, auprès desquels elle œuvrait tantôt comme mécène avisée tantôt comme muse ; si bien que chaque pièce de sa domus comme de ses villas se retrouvait richement agrémentée de statues de marbres, de mosaïques splendides, ou même de la marqueterie la plus raffinée. On lui concédait volontiers un goût sûr pour les choses. Connue et reconnue pour son sens critique, c’est ainsi qu’elle dirigeait les plus somptueuses demeures.

Et si contrainte et forcée de quitter sa ville natale, elle n’en oublie pas moins ses habitudes de ruvienne. Aussi la trépidante Edelmia – qui n’a su conquérir son cœur – se voit délaissée au profit d’endroits plus pittoresques qu’elle affectionne bien mieux. Laelia est certainement tombée amoureuse du Joyau de l’Oncmélie. Convainquant non sans mal son époux, ils firent l’acquisition dès leur arrivée d’une magnifique villa à l’extérieur de Valtaia, sur les contreforts de la falaise. La vue y est à couper le souffle et déroutante tant on ne sait où poser les yeux. Au-dessus l’Aedes Valtai se découpe, grandiose, tandis qu’en contrebas les flots se déchaînent sur la roche. A l’Est l’enceinte se dessine dans toute sa superbe alors que l’air iodé chasse la mauvaise odeur des fabriques et des marchés aux poissons. Sur la demande de la femme du Procurator, chaque tenture avait été teinte en bleu de Valta, tranchant avec les pierres blanches.

Enfin, l’armée d’esclaves la sert quotidiennement et l’épaule dans l’entretien et la gestion du capital Protero. Toujours ou presque accompagnée de sa magister, elle confie aux bons soins de ses gens l’éducation de la petite Octavia qu’elle suit avec attention. Sévère mais juste, elle dirige son monde avec l’habilité des gens de son rang offrant à sa famille un foyer prospère.


APPARENCE :

L’on raconte à Ruvia que la jeune Laelia a reçu la bénédiction d’Aïka dès sa naissance. Pourtant ce n’est qu’après la naissance de sa fille, Octavia, que sa beauté trouva le plein épanouissement. De taille moyenne, devenir mère lui permis d’acquérir des formes voluptueuses. Loin des corps parfaits de ces statues qu’elle aimât regarder, elle possédait des hanches arrondies que de petites poignées d’amour venaient souligner. Ses seins, ni trop gros ni trop petits forment deux monts outrageux sous l’enchevêtrement de tissus. Fine sans être gracile, elle était aux femmes ce que le soleil était au ciel. Elle aime d’ailleurs à s’entretenir par quelques suées et saignées, et une alimentation recommandée par les plus éminents esprits de l’empire.

Ses longs cheveux cascadent jusque sous ses omoplates dans de belles vagues régulières. Leur couleur brune prend une teinte plus chaude lorsque la lumière vint à les faire briller. Les pommettes hautes, le nez discret et les lèvres bien dessinées, elle porte un minois harmonieux sublimé par un regard vif. Les yeux gris de la belle ne manquent pas de transpercer le cœur de ceux qui bravent d’une œillade l’interdit.

Puis elle aime à parfaire son reflet des plus atours. Laelia veille à choisir elle-même les tissus qui habillent sa peau claire. Si le bleu lui sied, c’est certainement l’or qui souligne le mieux l’évident éclat de sa beauté. Ceignant sa taille et ses bras de pièces sublimes, ornées de pierreries, elle laisse pourtant son cou et ses oreilles nues. Consciente de son charme naturel, elle aime à jouer avec son apparence pour plaire.

PERSONNALITE :

S’il était un adage qu’aucun philosophe ne saurait par quelques rhétoriques démentir au sujet de la famille impériale, c’était que les chiens ne faisaient pas les chats. Aussi, peut-être au grand dam de son propre père, Laelia tira d’avantage du caractère de sa mère. Entêtée – sinon bornée -, elle aimait à avoir raison sans pour autant concéder la faute lorsqu’elle avait tort. Plutôt taciturne en public, elle dévoilait néanmoins un tout autre visage dans l’intimité. Maligne comme son oncle lui avait appris à l’être, elle aimait le Beau et l’Esprit. S’émerveillant encore comme une enfant de toute chose sachant attirer son œil ou son oreille suffisamment, elle passait de nombreuses journées à recevoir et encourager des artistes connus ou anonymes, offrant à chacun sa bienveillance dans une même mesure.

Sévère mais juste, elle œuvrait pour sa famille avec dévotion. Si elle ne suivait aveuglement toutes les attentes de son époux, elle lui présentait un amour sincère et un respect consensuel. Il avait su avec le temps quérir son cœur. Quoi qu’elle fût aussi taiseuse que lui sur la profondeur de ses sentiments, ils s’accordaient dans des discours muets sur ces choses-là. Pour autant son mauvais caractère et sa jalousie n’empêchait pas les crises de survenir au sein du foyer. Il n’était pas rare que le ton monte dans la domus Protero, mais ceux qui leur étaient proches savaient que la tempête s’essoufflait presque aussi rapidement qu’elle apparaissait pour un oui ou pour un non.

Car loin de la docilité que l’on accordait assez facilement comme un trait féminin, elle avait au fond des yeux cette impérieuse sauvagerie, cette flamme vacillante qui jamais ne laissait son interlocuteur totalement sûr de ce que ses lèvres pouvaient dire. Certains appréciaient à la voir comme un espèce de mystère cryptique, alors qu’il ne s’agissait sûrement que d’une jeune femme imprévisible. Peut-être finalement pouvait-on lui concéder d’être aussi féline que son mari ?


HISTOIRE

« Ils t’attendent, Tribun Antius ».

Le corps poisseux, l’homme jeta un dernier regard vers l’assemblée psalmodiante qui brûlait encore les herbes et l’encens. On avait posé sur sa tête une couronne de laurier à laquelle se mêlait quelques rameaux d’olivier. La toge qu’on lui avait fait enfiler s’imprégnait chaque minute un peu plus de l’huile avec laquelle on l’avait oint. Ses cheveux bruns bouclés avaient enfin cessé de goutter alors qu’il posait son regard azuré, infiniment las, sur le soldat à la fine bordure pourpre. Les traits de l’homme de guerre étaient tirés, presque mélancoliques. Ils étaient pourtant arrivés aux portes de Ruvia l’avant-veille, mais chacun dans la maudite citée s’était décidé à lui offrir audience, si bien qu’il avait laissé le compte des sénateurs et consuls de côté. Oui, tous se pressaient là pour le féliciter, la bouche pleine et les mains douces alors qu’il avait connu la faim et que ses doigts portaient encore les stigmates des longues heures de cheval. Tout cela lui paraissait grotesque ; une supercherie savamment orchestrée qui ne lui ferait guère oublier ce qu’il s’était passé là-bas, en Ascanie. Soupirant, sentant presque son corps s’affaisser, ses lèvres au drôle de goût se descellèrent pour la première fois depuis le Gallicinium où on l’avait fait mandé au grand temple de Soltar.

« Dois-je vraiment y aller, Dexius ? »
« J’ai vu les gens garnir les balcons de fleurs, la foule commencer à se masser sur le trajet. L’empire attend son héros ». La main du tribun augusticlave se posa avec respect sur l’épaule de son supérieur désemparé. Un geste qui, dans un autre temps, aurait valu un aboiement bien mérité de Lucilius mais pas aujourd’hui. Il n’en avait ni l’envie ni la force.
« Faire mourir des pères, des fils, des frères n’a jamais fait de l’homme un héros »
« Le faire pour en sauver des centaines d’autre, si ».

Le sourire engageant du soldat – qui devait peu ou prou avoir le même âge -, lui redonna un peu de force. Il n’était pas légitime, à cette place catapultée à laquelle on avait veillé à le placer. Le héros de l’empire, celui qui avait reçu la bénédiction de Soltar lui-même, comme Ruvios lui-même des siècles auparavant. Il était de la trempe des grands hommes aux yeux de tous alors qu’il n’avait fait que le devoir qu’on lui avait un jour demandé d’accomplir. Le cœur lourd de Lucilius Antius pouvait bien attendre la clameur qui s’apprêtait à envahir les rues de toute la capitale ; s’il ne le faisait pour lui, ses hommes le méritaient amplement. Des mois passés dans la fange de l’Ascanie, envoyés à des lieues de chez eux. Jamais une région ne lui avait paru plus inhospitalière. Le climat y était étrangement humide ; en vérité des sols au ciel, tout n’était qu’eau et pourtant il ne faisait pas froid. Perdue dans ces marécages sans fin, la légion avait dû faire face à l’ennemi qui usait leur patience et leur espoir à mesure que les jours s’égrainaient. Enfoncés jusqu’aux mollets dans la bouillasse, il aurait dû prévoir l’embuscade.

Grimpant sur le char, on l’installa dans sa chair alors que les chevaux déjà marquaient leur hâte par quelques hennissements impatients. Peut-être qu’eux aussi sentaient l’étrange air qui avait envahie la capitale ; car on préparait la liesse avec presque autant de dévotion qu’on allait au temple. C’était là l’honneur des victorieux : placés sous la glorieuse main de Soltar, il serait aujourd’hui moins homme que Dieu. Tous l’acclameraient, jetant des fleurs sur les pavés libérés de leur habituelle foule, tous scanderaient son nom comme s’il devait appartenir à chacun. Et avant que Meridies ne sonne, la légion se mit en branle. A sa tête, Lucius Antius observait les braves citoyens au sommet des insula, aux abords des rues, agitant les bras et saluant avec joie celui qui avait conquis l’Ascanie. Cela faisait à présent plusieurs années qu’il n’y avait plus eu de triomphe à Ruvia – d’ailleurs il ne se souvenait pas lui-même en avoir assisté à un seul. C’était son Pater Familias, le grand-père Antius et sénateur respectable qui lui racontait ces histoires. Alors avec amertume il se rappelait comment il décrivait les visages joyeux, les femmes en larmes, l’odeur mêlée de nourriture et d’encens partout dans chaque ruelle. L’enfant Lucius avait adulé ces grands hommes avec la ferveur des petits garçons ; si bien que sa voie avait été toute tracée au sein de la légion de l’empire. Mais aujourd’hui il comprenait le prix de la gloire.

Le visage sévère, pas l’ombre d’un sourire ne vint effleurer ses lèvres alors qu’il remontait le cœur battant de la Ruvie. Ce n’était pas à lui de parader de la sorte. Le procurateur était mort à quelques mètres de lui. La flèche entre les yeux avait signé sa promotion ; mais comment se réjouir de la mort d’un brave ? Là bien sûr qu’il avait toujours aspiré à grandir dans les rangs. Bien sûr qu’il s’était engagé en sachant que chaque pas ferait peut-être tombé les siens. Mais était-il seulement conscient de ce que cela impliquait vraiment ? Aussi attristante que cette embuscade avait été, ce qui l’avait le plus dégoûté c’était les mains grasses des patriciens qui, bien content que ce ne soient eux, s’en était venu les bras chargés. Comme on nourrissait la plus belle de ses bêtes, on l’avait flatté tant et tant qu’il était certainement le plus vertueux des hommes. Assez du moins pour parvenir jusqu’aux marches du palais. Sur le balcon, les Julius l’observaient en silence respectueux, tandis qu’en bas les sénateurs applaudissaient la somptueuse arrivée. Une réception était donnée par l’empereur lui-même.

Numerius Julius Paetius venait tout juste de succéder à son oncle Antonius Julius Silius. Adopté faute d’avoir su mettre au monde un fils, on s’interrogeait néanmoins sur les motivations du prédécesseur. Numerius était malingre, voûté, à la santé fragile. On lui prêtait volontiers selon les convivium un pied-beau ou six doigts à chaque main. Beaucoup à la Curie avait vu l’arrivée de cet être chétif d’un œil mauvais ; l’empereur devait être fort et renvoyer à toutes ses provinces l’image qui convenait. Il était difficile de croire que quiconque craindrait un jour ce Julius-ci. Lucius avait bien peu de considération pour ces ragots qui fleurissaient chaque printemps. L’empereur était l’empereur, et il le servirait avec la même application qu’il avait servi Antonius avant lui. Sa famille – l’une des plus anciennes patriciennes de la ville – avait toujours été fidèle à Ruvia, et le jeune homme ne comptait pas se dérogeait à cette règle devenue presque immuable.

La soldatesque se dissipa tandis qu’on recevait au porche les hommes gradés de la légion. Les salutations polies ne parvenaient à décoller les sourires somme toute politique des sénateurs. Le Tribun Antius descendit de son char et l’on se précipita presque pour être le premier à l’accueillir. Les courbettes s’enchaînaient dans un brouhaha indistinct. Et Lucius, plus embarrassé qu’autre chose, répondait succinctement à chacun. Il cherchait du regard l’aide d’un ami, d’un proche ou d’un parent. Son père se tenait en retrait alors qu’on venait lui aussi le féliciter pour la réussite du héros, visiblement aussi à l’aise que sa progéniture. Peut-être était-ce parce que les deux hommes ne s’étaient pas encore revus depuis son départ pour la conquête. Dexius, lui, semblait comme un poisson dans l’eau. Son rire éclatait çà et là, le casque sous le bras alors qu’il conversait déjà habilement. Pour sûr, il s’installerai dans l’administration sous peu. Sa famille n’était certes pas la plus influente, mais il avait assez de bagout pour se faire une place bien mérité.

Et Lucius, quant à lui, ne savait toujours pas ce qu’il ferait par la suite. Pas marié, sans enfant, il aspirait tout de même à une vie plus saine et calme mais ne parvenait encore à s’imaginer loin des camps. Non qu’il aimait particulièrement la rudesse des lits de campagne, ou la compagnie de tous ces hommes qu’il ne connaissait pour la plupart pas le moins du monde, mais c’était là son univers. Sûrement que son grand-père l’avait de trop bercé de ces histoires héroïques, nourrissant tant son esprit qu’il fut incapable à présent d’envisager un autre monde. Sûrement que son père aurait été plus rassuré de le savoir prêt à reprendre sa place au Sénat, mais Lucius était un homme humble et modeste qui ne connaissait rien aux rouages politiques. Bien qu’il était tout à fait capable d’apprendre, il ne serait certainement jamais aussi bon et utile que dans les campagnes qu’il avait menées. Avançant tant bien que mal parmi la foule, il tentait de rejoindre un visage familier. Tout poisseux d’huile, le corps commençait à le démanger et s’il n’ôtait pas rapidement ses frusques, il finirait bientôt avec des rougeurs sur chaque parcelle de sa peau.

« Ah voilà Préfets, notre héros ! »
Le grand sourire de Dexius le soulagea sûrement un peu, alors qu’il l’attirait après de deux préfets de la ville. Tout aussi joviaux que son camarade, ils le saluèrent avec respect. C’était cela que le ruvien lisait dans les mires de tous ceux avec qui il avait conversé jusqu’alors ; ils avaient tous une profonde admiration pour lui. Mais qu’adviendrait-il de cela lorsqu’enfin ils se rendraient compte que d’héros il ne portait que le titre ?
« Le conquérant ! Là Tribun Antius ! On raconte que ton nom fait maintenant trembler tous les barbares à nos frontières ! ». Le rire pris la petite troupe, mais Lucius ne trouva le cœur qu’à offrir un maigre sourire.
« Qu’ils tremblent Marcus, notre légion à désormais Lucius Antius Victor. Ce n’est pas tout le monde qui défile à la capitale ».
« Le dernier c’était quand même Marcus Julius Aetius. Un empereur, rien que ça ».
Visiblement gêné, il n’osa rien ajouter de plus. Ces mondanités le mettaient de plus en plus mal à l’aise, et bien qu’il donna le change par d’aimables sourires et quelques acquiescements. Donnant une tape amicale sur l’épaule du tribun augusticlave, il finit par décoincer ses mâchoires : « Veuillez m’excuser citoyens, mais le devoir m’appelle. Nous nous retrouverons sûrement plus tard ».

Un dernier sourire et il s’extirpa de l’attroupement. Les conversations allaient bon train, et s’il n’en écoutait aucune, les visages resplendissaient tous. C’était un jour de célébration où l’invité d’honneur ne parvenait à s’imprégnait de la liesse populaire. Les pieds sur le parvis de stuc, il s’était volontairement écarté, souhaitant presque disparaître à l’ombre d’une colonne. Ses doigts vinrent à labourer la peau de son torse et de ses bras. Poisseux de l’huile et des onguents, il tenta également de soulager son front ceint de la couronne des vainqueurs. C’était un magnifique hommage, mais était-il seulement digne de la charge qui reposait sur ses épaules ? L’élu de Soltar en ce monde ne pouvait faillir, jamais. Il regretta peut-être de n’avoir point prier d’avantage au matin. Car lorsque le cœur de l’homme ne trouve de réponse, seuls les Dieux savent montrer le chemin. Et là, il aurait bien besoin d’aide, tout suintant qu’il était, dans un monde auquel il préférait ne pas appartenir. Des bruits de pas hâtif résonnèrent derrière lui, lui faisant tourner la tête, assez pour distinguer la silhouette d’un esclave impérial qui s’approchait aussi discrètement que possible. S’approchant jusqu’à lui, Lucius arqua un sourcil alors que l’homme s’arrêta tout près.

« Mon maître me fait te chercher. Il a fait préparer de quoi te changer si tu le souhaites. Il aimerait s’entretenir avec toi avant le convivum ».
« Mène-moi ». Aucun doute possible sur l’homme qu’il s’apprêtait à rencontrer.

Les couloirs de la demeure impériale grouillaient de monde. On s’affairait ci et là, peaufinant la réception qui s’annonçait grandiose. Le début de l’été, et la clémence du ciel laissait entrevoir une charmante soirée dans les jardins, à la lueur de quelques flammes qui rendraient à coup sûr l’endroit plus magnifique encore. Il fallait avouer que Lucius n’avait eu l’honneur d’y être reçu, en compagnie de son père, qu’une fois ou deux. On disait l’empereur Antonius prudent ; et son successeur encore plus. Symbole de leur magnificence, le palais était l’objet sacré de leur réussite. Depuis sa création, l’empire ne s’était jamais mieux porté qu’entre les mains des Julius. Une famille à deux dynasties, ils avaient su s’imposer dans le temps comme des hommes de pouvoir habiles. Enfin c’était sûrement là la vision qu’on lui avait inculquée depuis sa jeunesse. Et quoiqu’il pouvait bien s’interroger sur la part de mythe, il n’avait jamais rien eu à reprocher aux empereurs qu’il avait servis, et qu’il servait encore. Et ses pas bientôt le menèrent à une petite pièce. Dénuée de toute décoration, ce vestibule ne possédait qu’un baquet d’eau et des vêtements propres, soigneusement pliés. Adonc c’était là tout ce que méritait un héros ! Ne pouvant s’empêcher de sourire face à l’ironie de la scène, il se surpris lui-même : c’était certainement la première fois qu’il s’amusait de bon cœur.

Les mains s’occupèrent de lui sans un mot. Et bien que cela ajoutait un brin de malaise – ce silence pesant à peine entrecoupé des flocs du linge humide avec lequel on le frottait -, cela ne lui déplut pas. Quand dans cette journée folle tout n’avait été que cris et hourras, il retrouvait dans l’intimité de ce lieu complètement inconnu un brin de sérénité. Détendu, on lui enlevait aussi bien l’huile que le poids des responsabilités. Alors ils pouvaient bien frotter encore et encore les esclaves de l’empereur ; aussi léger qu’une plume il serait libre de s’envoler où bon lui semblait. Peut-être d’ailleurs serait-il plus heureux ainsi. Lui qui ne connaissait presque rien à rien, il ferait bien quelque chose d’utile de sa vie. Mais les Dieux avaient bien d’autres plans dont il lui était impossible de se soustraire. Alors comme une fatalité, ses doigts calleux d’avoir trop serré la bride s’emparèrent avec lassitude de la couronne de laurier. Les feuilles lui paraissaient semblable à des ronces et pourtant il s’astreignit à la remettre sur son crâne. Il était Lucius Antius Victor, et aujourd’hui, le fils de Soltar.

Convenablement mis, il ajustait une dernière fois son pallium frais, anxieux. Quoique soulagé de ses démangeaisons, le tribun ne savait que faire de ses doigts. Alors il triturait comme un enfant le tissu de la meilleure qualité, noyant dans quelques réflexions absurdes son inquiétude. Dans un instant il ferait face à l’empereur lui-même. Qu’allait-il lui dire à propos de la mort du procurateur ? Et s’il louchait vraiment autant qu’on le racontait, quel œil était le bon ? Voilà qui faisait bien ses affaires ! Il eut été tenté de poser la question à l’esclave, mais se rétracta vite ; l’angoisse ne pouvait excuser la bêtise. Son guide s’arrêta après quelques mètres, lui indiquant de la main un aléa aux rideaux mi-clos. L’heure était venue. Inspirant un grand coup, il aurait volontiers troqué sa place contre un jour au camp, mais faute d’avoir les mêmes talents que les Dieux, il devrait se contenter d’assumer son destin. Déjà près à saluer son hôte, il s’avança déterminé avant de piler net à l’entrée. L’air s’échappa de ses lèvres avec la même promptitude qu’il était entré, et d’un coup il se sentit encore plus désarçonné encore.

"Ave Cordelia".
" Ave Tribun"

La divine mais néanmoins inattendue créature patientait sagement assise sur son confortable siège. Ses longues boucles qu’on n’aurait su distinguer du roux ou du brun cascadaient sur son épaule. Elle était jeunette et pourtant il n’aurait su dire quoi de son nom ou de sa présence l’impressionnait le plus. Il l’avait rencontré, elle aussi, brièvement. Ce n’était alors qu’une enfant au regard espiègle, qui avec le temps, n’avait rien perdu de sa lueur. La sœur de l’empereur, la plus jeune de la fratrie et que l’on disait volontiers être sa favorite, l’avait fait venir à elle. Outre l’audace que l’on prêterait sûrement à cet entretien, il s’interrogeait sur l’intérêt de ce dernier : que pouvait-il bien dire qui intéresse assez une femme ? Visiblement amusée de sa surprise, elle attendait patiemment que ses lèvres daignent s’ouvrir à nouveau. Voyant que très probablement il était incapable d’articuler la moindre phrase, elle vola à son secours de sa voix claire qui ne pouvait dissimuler sa moquerie.

« Je ne suis là que pour te faire patienter. Mon frère a été retenu ».

Et quoique ces mots le soulagèrent presque, il n’en resta pas moins méfiant. Les femmes étaient un poison duquel il s’était toujours tenu loin. D’ailleurs jamais il n’aurait eu le courage de répondre aux avances d’une jeune femme de son statut. Il trouverait bien une épouse le moment venu. Sa machoire se serra. Comment pouvait-il penser de telles choses de Cornelia Julia ? Etait-il devenu moitié sot durant la campagne d’Ascanie pour avoir des pensées aussi peu dignes du respectable citoyen qu’il aimât être. Chassant les dernières brides malsaines, il s’assit en face et s’efforça de lui offrir un sourire poli. La conversation était un art dont il était dépourvu mais l’étau sur ses tempes lui rappela bien vite ses obligations.

« J’aurais aimé être de meilleure compagnie », à défaut de verve, il avait de la dérision. Et la bouche de la nymphe s’étira en laissant échapper un ricanement.
« Peut-être ne l’as-tu pas encore remarqué, mais c’est toi que l’on célèbre partout dans la ville. Ta compagnie Tribun est la chose la plus demandée en ce jour ».
« Je crois que la demande n’est pas gage de qualité »
« Ah ça ! Crois-moi que le peuple implorerait pour du vin plutôt que de l’eau si c’était le cas ! ». Son regard mutin croisa ses prunelles une fraction de seconde à peine. « Et à vrai dire, je suis curieuse d’entendre moi aussi le récit du héros de la Ruvie ».
« Je ne suis pas vraiment un héros ».
« Est-ce moi qui porte les lauriers ? ».

Laelia Antia Protera Barre10

« Par Hedelma que fait-il ! »
« Nous l’avons fait quérir Domina mais… »
« Mais quoi ?! »

La main de Cordelia enserra le meuble avec tant de violence qu’on eut pu voir blanchir les jointures de ses doigts. L’autre patte portée à son ventre, elle le caressait comme pour tenter d’apaiser la bête qui y séjournait. Car là, sous le fatras de lin, on devinait poindre un giron bien plein. Voilà moins d’un an que Lucius avait eu la bénédiction de l’empereur lui-même pour épouser sa sœur ; et quoique tumultueuses furent leurs noces, on ne pouvait nier que les deux s’aimaient assez pour fonder une grande et heureuse famille. Ce n’était certes pas sans compter sans le caractère tempétueux de la belle. Cordelia Julia avait refusé à son mariage d’adopter le nom de son époux. Si la nouvelle avait secoué les bancs de l’ancienne école sénatoriale – et quelque peu vexé le brave Héros de la Ruvie -, cela n’avait qu’à peine tiré un sourire amusé au frère de cette dernière. Aussi revêche qu’une pouliche, elle n’aimait ni la bride ni la selle ; adonc pour apprécier sa compagnie il valait mieux ne point l’entraver. On avait traité Victor de fou d’avoir accepté pareille femme et pourtant jamais il n’aurait su en choisir une plus docile. Elle était le brasier, l’incendie qui menaçait chaque jour sa tranquillité.

Car loin de se contenter du confort d’une vie paisible, elle souhaitait plus que tout le pousser un peu plus. Le tribun devenu sénateur à la mort de son père, quelques mois plus tôt, apprenait encore les rouages d’un monde dans lequel elle avait baigné enfant. Alors elle lui prodiguait conseils avisés et folies ; il se devait ensuite de trier le bon grain de l’ivraie pour ne pas passer pour le sot qu’il était. Elle était certes plus jeune que lui, et pourtant il ne voyait dans ses yeux d’azurs que le reflet d’un enfant. Pour sûr ils faisaient un couple bien mal agencé. Et comme ils n’étaient jamais d’accord sur rien, ils s’étaient rapidement mis d’accord pour sortir tour à tour lors des conviviums. D’ailleurs c’était bien souvent la Julia qui s’y rendait de bonne grâce : les fêtes avaient toujours fait partie de son quotidien. Jouissant de son titre impérial, elle avait depuis toute jeune écumé les plus belles domus et les plus belles villas. Que n’avait-elle pas perdu en acceptant de s’unir à Lucius ! Et pourtant elle ne parvenait à le regretter tout à fait.

Cordelia était profondément entichée du sénateur Antius. Il avait su conquérir son cœur aussi bien qu’il l’eut fait pour une région barbare. Et si de prime abord ils avaient entretenus une amitié, ils avaient succombé l’un comme l’autre au sort d’Aïka. Et il n’eut été dans la capitale d’homme plus convenable que son époux : voyant les choses devenir plus sérieuses, il s’était refusé de la voir. C’était la sœur cadette de l’empereur, et l’on racontait un peu partout qu’elle avait toujours eu ses faveurs. Il était peu concevable pour Victor qu’il lui accorde un jour sa main. S’emmurant dans ses certitudes, il avait finalement mis fin à leur amourette. Les amants maudits étaient condamnés à se fréquenter sans pouvoir se parler. Pire encore, la jeune et volcanique Ruvienne c’était convaincue qu’il s’était joué d’elle. Alors s’en était suivit une longue période. Pas plus heureuse que lui, elle allait à chaque soirée, s’assurant d’apparaître au bras d’un soupirant assez crédible. Elle attendait sagement, croisant parfois le regard de Lucius pour mieux le foudroyer. Et le pauvre homme, blessé dans son amour et sa fierté, finissait par abdiquer et quittait les lieux sans un regard en arrière.

« Foutre-Uk… Si cette chose ne sort pas de suite, je m’en vais moi-même le déloger ! »

Les yeux clos, le visage crispé par la douleur, elle tentait tant bien que mal de souffler pour atténuer la lancinante souffrance. Pliée en deux et cette fois-ci vivement maintenue à la table, elle n’avait même plus la force d’invectiver ses esclaves. Elles n’étaient que deux à avoir eu l’accord de leur maîtresse pour rester, et seulement parce qu’elle n’avait presque jamais entendu le son de leur voix. S’il était une chose qu’elle aurait abhorré plus encore que de devoir attendre que cela se fasse, c’était qu’on vienne l’assommer de conversations inutiles. Alors les deux servantes un peu pantoises regardaient la Domina tourner en rond comme un lion au coliseum. Elle avait refusé de s’allonger quand bien même la plus vieille lui avait proposé deux fois. Non, la future mère se baladait dans la cubicula, furetant de meuble en meuble. Presque essoufflée de résister au mal qui lui déformait la panse, elle espérait encore tenir bon jusqu’à l’arrivée de Lucius. Si elle n’osa l’avouer malgré ses lèvres pâlottes et son teint blafard, elle était terrorisée. Tout s’était déroulé à merveille durant sa grossesse, à tel point que les prêtres eux-mêmes avaient attribué sa bien portance à Hedelma elle-même. Il était si rare pour un premier enfant d’atteindre le terme sans alitement ! Et maintenant que l’heure était venue, elle ne comptait pas plus s’allonger.

« Domina, je t’en prie, va t’allonger… »
« Le moment n’est pas encore venu ! »

Et il en avait toujours été ainsi. Cordelia Julia, surnommée très ironiquement la Douce par ses frères, avait toujours été pire qu’une mule. Peu importait la stupidité de ses actes, personne n’était en mesure de la défaire de son idée. Alors il n’y avait qu’à attendre sagement que le vent passe comme il était arrivé. Les braves esclaves, bien malheureuses de ne pouvoir offrir à leur maîtresse que du linge humide, tenaient bon, tentant par quelques vaines supplications de lui faire entendre raison. Aujourd’hui la Domina avait décidé de ne point accoucher sans la présence de son époux et l’enfant pouvait bien s’amorcer ente ses cuisses ; elle lutterait de toute son âme pour qu’il demeure en son giron encore un peu. Cette drôle d’obstination, le brave Lucius Antius en avait déjà fait les frais lorsque, en amont de la cérémonie, elle lui avait refusé de porter son nom. « Quand tu seras un homme ! », avait-elle dit dans l’emportement après avoir découvert que son éloignement n’était pas dû à quelques autres femmes, mais à la peur de ne pas la mériter. Adonc, plus fière qu’un paon, elle s’y était tenu au grand dam de Paetius. Peut-être n’avait-elle pas été assez corrigé étant enfant. Seule fille de la fratrie, elle s’était attirée les bonnes grâces de ses aînés comme de sa parentèle sans qu’aucun n’ait jamais rien eu à redire sur ses colères irraisonnées.

Ses doigts tremblants balayèrent le dessus de la commode. La force la quittait si bien qu’on eut cru ses jambes lâcher une fois ou deux. Les petites mains de ses servantes essuyaient la transpiration qui perlait à ses tempes. Elle n’avait pourtant ni chaud ni froid. Seulement son ventre se déformait à vue d’œil, comme habité par une créature mystique. Les lèvres blêmes, tordues des contractions qui irradiaient dans toute son échine, elle savait qu’elle ne pourrait se tenir encore bien longtemps. Mais n’était-il sentiment plus fort que la peur tenace, celle qui tenait les entrailles comme Kohta mêlait ses fils. Elle avait entendu tant de choses sur ce moment, tant de souffrances et de peine. Elle se souvenait de sa propre mère, morte sans avoir su expulser le bambin qu’elle couvait. Elle ne voulait pas mourir, pas sans avoir pu serrer une dernière fois la main de son dévoué époux. Ne lui avait-il promis que tout se passerait pour le mieux ? Alors pourquoi tardait-il ?! Une larme salée, amère, roula sur ses joues rosies par le supplice. Elle tourna la tête vers la plus jeune de ses domestiques, et dans un regard muet, abdiqua.

« Laisse-nous te supporter Domina ».

Et d’un geste délicat, elles se placèrent de part et d’autre et la conduisirent jusqu’à sa couche. Les draps avaient été changés, et tout sentait la lavande. Intriguée alors qu’on l’installait enfin, la Julia arqua un sourcil. La plus âgée à la peau dorée lui offrit un petit sourire de réconfort. Elle devait avoir son âge, peu ou prou, mais ses cheveux noirs épais et son nez percé d’un clou invitait quiconque posait les yeux sur elle à un voyage dans des contrées lointaines.

« De là où je viens, on sait que cela apaise les maux Domina ».
«Et d’où viens-tu ? »
« D’une province par-delà la grande mer ».

Elle parlait bien. Toujours d’humeur discrète, elle avait presque oublié qu’elle n’était qu’une enfant lorsqu’elle l’avait recueilli au palais. A l’époque ses petits doigts étaient utiles à la couture, et son efficacité lui avait permis de rester à son service même après son mariage. Naïra était une charmante jeune femme dont la présence lui faisait un peu oublier la terreur qui paralysait son corps. La cubicula semblait bien calme à présent, et tandis que l’autre s’activait à remplir un broc, elle invita l’intrigante à s’approcher un peu plus.

« Comment sais-tu ces choses ? Tu étais si jeune lorsque mon père t’a acheté ».
« Nous, les femmes de mon village, nous savons avant même de naître Domina ».
« C’est tout à fait grotesque ».
« Chez moi, l’on raconte que le bébé pousse dans le ventre de sa mère et qu’il se nourrit d’elle ». Cordelia ne la lâchait plus des yeux, observant un silence respectueux alors que l’esclave s’asseyait au rebord du lit. Peu lui importait les païennes croyances, la voix claire et chantante l’obnubilait presque.  « Les garçons nourrissent leurs muscles en premier, pour devenir forts et braves. Les filles, elles, nourrissent l’esprit et apprennent toutes les choses pour devenir sages.
Je sais que ma grand-mère était une grande sage, respectée de tout le village. Elle savait des choses sur le monde et sur la nature. Elle écoutait plus qu’elle ne parlait ».
« Alors tu lui ressembles Naïra ».
« Je ne sais pas Domina. Mais ma mère m’a donné dans son ventre toutes les choses qu’elle avait su de sa propre mère ».
« Tu es une sage donc ».
« Non Domina ». Avec précaution, elle posa une de ses mains sur le ventre de la maîtresse des lieux, cherchant dans ses yeux l’approbation. « On ne peut être sage que si l’on transmet ».

Les mots prononcés raisonnèrent un moment dans l’esprit de la future mère, laissant le mutisme en lieu et place de la précédente conversation. Plus aucune des demoiselles n’osa briser l’étrange air qui s’était mué dans la chambre, préférant de loin observer la même tranquillité morne. Quoiqu’elle ne comprit pas tout de l’histoire de son esclave, il n’en demeurait pas moins qu’elle partagea – ne serait-ce qu’un peu – son avis. La frivolité et l’emportement était des qualités d’enfant, non d’adulte, et la sagesse d’un cœur ne se mesurait qu’à la longueur de ses années. Sinon n’importe quel bambin pouvait bien se proclamer savant ! Platurque lui-même l’avait déclamé dans son œuvre morale, et elle n’eut connu d’homme plus brillant que celui-là. Certes elle aimait à lire et apprendre des auteurs anciens, mais les philosophes contemporains trouvaient un écho particulier en son cœur. Voyant ces derniers comme le vivier des connaissances nouvelles et futures, elle avait toujours pris grand soin de veiller sur eux, les invitant même à certaines réceptions où ils étaient libres de déclamer devant l’assemblée. Pour la plupart vu comme de fervents populares, elle s’était bien malgré elle attachée une étiquette politique vivace. Mais Victor, bien plus habile qu’elle ne l’aurait jamais été, veillait toujours au grain. Il lui avait d’abord interdit ces réunions de pensées, avant de s’en servir à son compte ; faisant venir tantôt l’avant-garde tantôt le traditionalisme, il aimât à satisfaire ses invités les plus obtus. Et pour lui, c’était un bon moyen d’y entendre tous les partis.

L’on toqua à la porte, rompant l’assourdissant silence avec autant de véhémence qu’on déclamait au Sénat. Les esclaves se reculèrent encore un peu tandis que l’encadrement laissa entrer quatre silhouettes. La première se précipita à son chevet, saisissant dans un geste empressé une main qu’il serra avec vigueur. L’œil grave, il avait pourtant un visage parfaitement serein alors que flottait à ses lèvres l’ombre d’un sourire. Lucius porta une œillade bienveillante à sa femme mais n’en toucha plus un mot. On l’avait très certainement averti que la Douce avait rabroué jusqu’alors toutes celles qui avait tenté de lui parler. Et même s’il savait lui imposer le respect, le sénateur Antius l’aimait de trop pour se courroucer dans un jour aussi particulier. Les trois autres formes, plus menues et aux tenues qui ne trompaient guère, firent un pas en avant. Leur palla épinglée sur leur crâne, elles saluèrent Cordelia brièvement. Voilà donc ce qu’il était allé faire ! Non content qu’une esclave soit partit prévenir la meilleure obstetrix de Ruvia, Victor s’était empressé d’en faire quérir deux autres afin d’être certain que tout se déroule au mieux. Un peu inquiète de voir tout de même autant d’agitation, elle glissa ses doigts entre ceux de Lucius qui lui offrit le plus tendre des baisers. Les contractions étaient douloureuses, mais au moins n’avait-elle plus à lutter pour tenir ses jambes. Plutôt elle laissait échapper des râles longs et suppliciés alors que déjà la nature, impérieuse, lui demandait de sortir la chose au plus preste.

Une sage-femme dressa au-dessus des jambes repliées un linge propre, afin que ni la mère ni le père ne puisse voir ce qu’il se tramait là. Elle-même n’y tenait pas vraiment. On racontait volontiers à quel point la délivrance était sale, et traumatisante. Elle se contenterait bien de ressentir les choses, c’était largement assez. Il régnait dans la domus une drôle d’ambiance, entre l’impatience et l’inquiétude. Tous n’attendaient plus que les cris stridents de l’enfant à naître. On fit apporter le broc d’eau, que l’on versa pour moitié dans un sceau. Deux des savantes sortirent quelques outils à l’allure peu engageante mais qui semblaient propres. Elle n’osa demander de quoi il retournait réellement. Les cheveux humides de sueur collaient à son front alors que la troisième inspectait avec rigueur ce qu’elle n’eut jamais de plus intime. A nue, fatiguée et peu sûre, elle aurait aimé avouer toute sa peur. Mais sa bouche demeura muette, à peine secouée par une nouvelle vague douloureuse.

« Nous sommes bien assez comme ça, sénateur Antius. Va attendre des nouvelles de ta femme au dehors, nous t’appellerons lorsqu’elle aura délivré ».
Jamais les petites mains de la Julia ne s’agrippèrent plus farouchement au bras du brave, qui ne lui accorda qu’un baiser réconfortant sur le front. « Vous avez toutes trois ma pleine confiance, et celle de l’Imperator. Si ma présence vous gêne, alors je m’en vais ». Il lui adressa un large sourire. « Sois forte, comme tu l’as toujours été ». Puis s’en retourna dans sa domus avec le calme qui le caractérisait. Pouvait-elle lui en vouloir, à lui, le héros qui avait vu la mort chez les barbares ? Et puis, à tout bien réfléchir, il s’agissait là de la plus belle preuve de son amour.
« Tu es prête, Cordelia Julia. Quand le mal t’éprend, pousse aussi fort que tu le peux ».

Jamais on n’eut entendu de cris plus déchirants dans la maison des Antii. Les murs vibraient sous les complaintes douloureuses de la femme alors que Lucius, lui, avait perdu de son calme. Arpentant les corridors de long en large, il ne pouvait s’empêcher de jeter des regards anxieux à la porte qui refusait de s’ouvrir. Parfois une esclave passait pour remplir le broc et alors il se saisissait de son épaule, perdant toute notion de la mesure de sa force. Il demandait des nouvelles, mais ni Naïra ni la plus jeune n’auraient pu être plus laconique. Il fallait avouer que cela durait depuis de longues minutes. On sous-entendait que la sœur de l’empereur aurait les hanches trop étroites, et le souffle trop court. Mais il refusait de prêter attention à ces allégations ; il ne pourrait croire qu’une obstetrix. Un nouveau hurlement vint écraser son cœur dans sa poitrine. Il prendrait volontiers à cet instant la place d’épouse si cela lui avait été donné, mais impuissant, il ne pouvait qu’être là, pantois dans sa propre demeure. L’on eut fait de l’histoire des hommes, pire châtiment que celui-ci. La confiance envolée, il n’aspirait plus qu’à retrouver sa tendre Cordelia sans que trop mal ne lui ait été fait. Qu’importait l’infant ! Il avait beau être de la lignée des Julius, il ne le connaissait pas encore alors que sa femme, elle, il l’aimait de tout son cœur.

Aussi cruelles furent ses pensées, il ne consentit à s’apaiser. Il se rendit, avec de grandes enjambées, dans le seul vestige de paix qu’il trouva assez près de la cubicula. L’hortus, joliment fleurissant à cette époque de l’année, resplendissait de ses charmes printaniers. Mais il n’eut aucune attirance pour les flagrances délicieuses, et se précipita tout au fond. Là, tout contre le mur, se tenait un petit autel richement orné. La statuette de Tuode, aux yeux vides, se tenait impérieuse sur sa stèle. L’homme tomba à genoux, les yeux clos et implora. Il implora la déesse du foyer sans trop savoir quoi ni pourquoi. Il psalmodiait quelques mots indistincts qu’il espérait toucher le cœur de la Flamme dans les Palais Céleste. N’avait-il jamais prouvé qu’il était un bon chef de famille ? N’avait-il pas fait preuve de patience avec son épouse et été juste avec les esclaves ? La vie dans la Legion lui paraissait si loin maintenant. Et si Soltar lui avait un jour donné sa bénédiction, n’était-ce pas qu’il méritait une vie riche et épanouie ?

« Dominus, la Domina… Les obstetrix te demandent ».

Jamais n’on eut vu un homme bondir aussi vite. Il ne regarda même pas Naïra et courut presque jusqu’à la couche. Le souffle court, le regard plus inquiet que jamais, il se jeta presque sur son épouse essoufflée et trempée. Mais en vie. Elle était saine et sauve. Il lui embrassa le front alors qu’enfin rappelé à la réalité, il se redressa sur ses jambes. Où se trouvait son enfant ? Il y avait du sang, et la pièce sentait terriblement mauvais. Enfin, dans des secondes qui parurent éternité, des pleurs se firent entendre, sortant d’une petite masse toute emmaillotée. L’obstetrix afficha un sourire respectueux alors qu’elle tendait le petit paquet au père.

« C’est un garçon, sénateur Antius ».
Prenant dans des bras mal assuré le poupon, les yeux brillants de fierté et de soulagement, on dit qu’une larme de joie lui échappa bien malgré lui.
« Tu seras Primus Antius Victor, mon fils ».
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MessageSujet: Re: Laelia Antia Protera   Laelia Antia Protera I_icon_minitimeSam 31 Oct - 22:36

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Les joues rosies par l’effort, la petite fille étouffait tant bien que mal son souffle irrégulier au travers de ses mains. Ainsi accroupie, cloitrée dans un recoin herbeux sombre, elle avait l’horrible impression d’entendre son cœur battre à ses oreilles. Elle tâchait – autant que faire ce peu – de dissimuler sa présence au reste du monde. Une épreuve bien complexe lorsque, du haut de ses six années, on ne souhaitait pour rien au monde perdre ; c’est pourquoi elle se risquait parfois à hisser la tête hors du buisson pour observer les alentours. Son chasseur rôdait, et chaque excursion hors de sa cachette rendait les choses plus intenses. De nombreuses fois elle avait perdu pour moins que cela, mais aujourd’hui elle en était convaincue : elle gagnerait. Les sourcils froncés dans une moue déterminée, et alors que son poult devenait plus régulier, elle jeta un œil en direction de la droite puis de la gauche. Il n’y avait à l’horizon aucun signe de celui qui la pourchassait. Elle observa plutôt les silhouettes cachées des esclaves et celle d’un homme paisiblement assis sur un banc. Il ne regardait pas dans sa direction, pourtant elle était presque sûre qu’il lui adressa un sourire avec un léger signe du doigt. Intriguée par ce message secret, elle plissa les yeux et redoubla de vigilance. Tout lui paraissait parfaitement calme, à peine perturbé par les conversations discrètes de quelques-uns.

« Je t’ai eu ! ».

Elle bondit dans un cri retentissant, sentant son sang se figer dans son corps. Ses grands yeux gris s’écarquillèrent sous la peur et il lui fallut plusieurs secondes pour se retourner, vexée. Elle n’avait pas entendu ses pas derrière elle. Le garçon la toisait d’un bonne tête, hilare. Il était dans la pleine croissance, et bientôt il lui faudrait plus que monter sur la pointe des pieds pour atteindre sa petite tête. Il avait les mêmes yeux qu’elle, et à dire vrai, Primus Antius portait les mêmes traits que sa cadette. Certes il commençait à devenir plus masculin ; leur père répétait que c’était normal et une bonne chose pour son âge. Mais au fond, Laelia Antia n’aimait pas qu’il change. Avant, il jouait bien plus avec elle. Maintenant il se lassait vite et souvent criait après elle pour avoir la paix ; tout cela bien sûr quand il avait la chance d’avoir du répit entre deux leçons. Car c’était tout bonnement de la torture : Primus enchainait les praeceptor qui lui apprenait toutes les choses qu’un homme devait savoir. Mais l’on n’apprenait pas à Primus à être un gentil grand frère, pour sûr ! D’ailleurs, toujours blessée de son mauvais coup – et du fou rire qui s’en suivait -, elle lui décocha un coup de pied dans le tibia. Aussitôt, il cessa de s’esclaffer en couinant et plutôt, la repoussa vivement dans les branchages.

« Aïe ! Pourquoi t’as fait ça ? »
« Tu n’as pas à me frapper ! »
« C’est parce que tu as triché, je suis sûre ! ».

Les éclats de leurs voix venaient abimer l’écrin de sérénité. Ce qui, quelques minutes plus tôt, semblait être un endroit paisible se transformait peu à peu en ludum en pleine activité. Le mauvais caractère de la petite fille n’aida en rien à apaiser les tensions, car plutôt que de s’en tenir à ses paroles, elle se redressa et lui fit face de toute sa hauteur. Elle ne porta même pas attention à l’accroc qu’une mauvaise branche avait laissé dans sa tunique. La colère donnait à son visage une teinte rougeâtre, tandis que ses yeux s’emplissaient de larmes qui refusaient de couler. Son frère lui, tout aussi blessé d’être ainsi accusé à tort, avait pris sa mine boudeuse et lui aurait bien mis un coup comme lorsqu’ils étaient plus jeunes. Mais à présent, il était trop grand pour se disputer de la sorte ; son père l’en avait défendu. Il craignait assez la correction qu’il allait recevoir s’il désobéissait pour ne pas s’y risquer. Et comme souvent, Laelia en profitait pour le pousser à bout. Il n’y pouvait rien si elle n’était pas bonne pour se cacher ! Ni à aucun autre jeu d’ailleurs. Elle lui demandait sans cesse de l’accompagner pour, au final, se plaindre dès qu’elle perdait. Cette propension qu’avait les filles à râler l’agaçait toujours, et Victor lui avait assuré que c’était bien pire lorsqu’elle grandissait. Aussi avait-il pris la décision de ne jamais fréquenté de fille, ni de près ni de loin. Il ne voulait pas d’une pleureuse lorsqu’il serait devenu un homme, et qu’il ferait honneur à son cognomen.

« Les enfants il suffit ! Approchez ! ».

La voix grave, que l’on pouvait entendre bienveillante, demeurait néanmoins impérieuse. Lorsque le son parvint à couvrir leur dispute, Laelia tourna vivement la tête avant de se précipiter hors du buisson. Ses jambes la portèrent aussi vite qu’elle le pouvait, alors que les grosses larmes contenues jusqu’alors se mirent à rouler sur ses joues. A sa suite, Primus accourut pour ne pas lui laisser la parole en premier. S’il faisait cela, il était sûr qu’elle mentirait encore et c’est lui qui se ferait gronder. Alors il redoubla d’effort pour tenter de la doubler, en vain. La distance entre la cachette et le banc était trop courte pour qu’il n’y parvienne avant elle. Aussi, lorsque la petite arriva près de l’homme – qui n’avait pas bougé depuis qu’elle avait guetté -, elle se jeta à sa taille. Ses petits bras essayèrent d’en faire le tour, alors qu’elle sanglotait dans sa toge. Il posa une main douce sur ses cheveux en signe de réconfort. Primus lui, avait toujours sa mine ombrageuse, et posa sur sa jeune sœur un regard noir.

« Allons, que s’est-il passé ? »
« Laelia m’a donné un coup de pied ici ! ». En grand blessé de guerre, fier soldat, il montra sa jambe à peine salie par le choc.
« Est-ce vrai Laelia ? ». Cette fois-ci, le ton employé était moins tendre, et la remontrance n’allait guère tarder – pire encore si elle ne disait pas toute la vérité.
« Oui, mais mon oncle, il m’a poussé dans les branches et…et… il a triché au jeu ! ». Elle leva vers Paetius ses grands yeux humides auxquels les Dieux eux-mêmes auraient offert leurs palais sans concession. Pour autant, l’homme mûr fronça les sourcils désapprobateurs. La pluie de larmes avait beau s’écouler, il lui en faudrait davantage pour s’émouvoir de sa bêtise.
« C’est même pas vrai ! J’ai pas triché mon oncle ! »
« Je le sais ». Il se releva, les genoux un peu rouillés d’avoir patienté là une bonne heure. « Laelia, agir ainsi n’est pas digne de toi et de notre famille. Surtout lorsque l’on perd à cause de sa propre bêtise. Maintenant, excuse toi auprès de Primus ».

Le garçon maîtrisait tant bien que mal sa jubilation lorsque les larmes cessèrent miraculeusement sur les joues de sa sœur et, qu’à contrecœur, elle formula de brèves excuses. L’Imperator aimait passer du temps avec les enfants de sa cadette, lui qui n’avait eu la chance d’en avoir lui-même. Les medicii impériaux blâmait sa faiblesse physique, mais il n’en était pas certain. Il avait toujours eu une épouse charmante, gentille et docile, dont il appréciait la compagnie et qui rendait certaine journée moins morne. Pour autant, il n’avait jamais réussi à l’aimer assez pour partager assez d’intimité afin qu’elle enfante. Au bout de trois ans de mariage, on lui avait même conseillé de lui faire l’amour chaque soir pendant neuf lunes et après un sacrifice. Mais il n’avait voulu astreindre sa compagne d’un tel fardeau. Pas plus qu’il n’avait accepté l’idée farfelue qu’un autre puisse faire la besogne à sa place. Il s’était toujours dit qu’il ne verrait jamais l’enfant autrement que comme son propre aveux d’impuissance. Alors, d’un commun accord avec Agrippine, ils s’étaient fait une raison. La pauvre femme était morte trois ans auparavant et le Julius n’avait pas eu l’envie de reprendre une épouse : le temps n’était pas le bon, et il préférait de loin entretenir ses romances hors des yeux perfides du Sénat. Il avait peut-être un batard quelque part, qui sait ?

« Et toi Primus, excuse toi auprès de Laelia pour ton mauvais geste ».

Surpris, le garçon tenta une négociation qui aboutit à la même finalité que sa sœur ; il bégaya un pardon tandis qu’elle l’observait avec fierté. Ah ! Il lui aurait volontiers tordu le cou à l’instant ! Les enfants de Cordelia Julia Antia venaient presque chaque décade au palais. Ils aimaient retrouver leur oncle et surtout, ils aimaient l’endroit. L’espace était splendide ; la bâtisse construite pour surplomber tout Ruvia était à l’image de la resplendissante dynastie. Nul en ce monde ne pouvait rivaliser tant le palais était beau et fastueux, sans pour autant être dans l’excès. Les Domina qui s’y étaient succédées avaient eu beaucoup de goût pour faire de lieu une véritable ode à la famille impériale. Mais leurs yeux d’enfants étaient peu intéréssés par ces choses-là. Ils avaient davantage de plaisir à jouer durant des heures à l’abris des regards, dans le dédalle de couloirs. Plus que tout, ils aimaient leur oncle qui veillait toujours à ce qu’ils ne manquent de rien. Cela les faisait souvent bien rire quand leur mère, contrariée des largesses de son propre frère, en venait à le sermonner. Mais Paetius était un homme patient et facétieux, qui ne manquait jamais d’un petit rire et d’une boutade.

Il était d’ailleurs l’aîné de la fratrie et avait veillé sur sa sœur à la mort du précédent empereur, leur géniteur et Pater Familias respecté. Il avait alors dû endosser un rôle bien ingrat ; celui de guide, mais surtout le poids de cette couronne de laurier que son corps – jugé trop faible – ne parvenait à supporter tout à fait. Au bien sûr, on lui accordait volontiers une habilité politique certaine, mais cela on pouvait aussi aisément le conférer à n’importe quelle bonne femme avec un peu d’esprit. Ce qui marquait la différence était bien souvent la capacité à lever son arme, chose qui hélas, lui était défendu. Longtemps ses propres parents s’étaient blâmés. L’héritier impuissant et misérable qu’ils avaient mis au monde semblait être une punition des Dieux eux-mêmes. Puis quelques philosophes éclairés avaient avancé des thèses plus farfelues. De là, un coup à la tête, d’ici un éternuement trop fort qui avait fait s’évaporer ses humeurs… De cela il ne pensait rien. Il accordait beaucoup de crédit aux savoirs illustres et nouveaux, mais dans une pareille situation, aussi censé pouvait-il être, il ne prêtait de considération qu’à lui-même. Aussi avait-il décrété un jour qu’il était « lui », et nul autre. Les humeurs pouvaient donc bien se balader aux vents, cela l’importait peu.

La seule chose qui ne l’avait jamais inquiété, c’était la sécurité et le bonheur de ses proches. D’abord de son épouse perdue, puis de sa sœur et de son mari, qu’il considérait comme un frère de sang. Enfin de ses neveux ; car il savait qu’un jour son pouvoir – si lourd soit-il – leur appartiendrait. Et plutôt que d’en faire un fardeau, il voulait le forger en héritage aussi prestigieux que leur nom. Alors il tâchait de les éveiller à toute chose, et que toute chose les éveille également. Ils parlaient nature, art, philosophie… Tout n’avait que pour limite leur âge et leur capacité de compréhension du monde qui les entourait.

« Mon oncle, est-ce vrai ce que l’on raconte sur l’Odélie ? »
« Tout dépend ce que tu as entendu, Primus »
« Le fils de Gambrinus a appris par le magister de son père que la province était agitée ». L’enfant fronça les sourcils, posant un doigt réfléchi sur son menton. « ça veut dire quoi ? »

La réflexion tira un petit rire de l’empereur qui se rassit bien confortablement, laissant la petite Laelia grimper sur ses genoux. Elle se perchait souvent là-haut, et ses mains toute crottées de terre auraient tôt fait de salir la toge prétexte du dirigeant. Si son magister, toujours tapis dans l’ombre, lui adressa un regard exaspéré, lui ne se fichait pas mal de cela. A quoi bon servaient les vêtements si ce n’était pas pour se prémunir la peau des tâches ? Mais il pouvait bien user de rhétorique, cela ne faisait que confirmer ses penchants excentriques. Il invita d’un geste le petit Victor à se joindre à eux, laissant quelques secondes de réflexion à celui qui avait initié la conversation.

« Tu diras au fils de Gambrinus qu’il n’est pas sage ni dans son intérêt d’écouter aux portes, comme le font les voleurs et les voyous ». Primus grimaça devant l’expression moralisatrice, mais se détendit presqu’aussitôt qu’il reprit : « Cependant il n’a pas tort.
L’empire, notre empire, est vaste. Si grand et si loin de Ruvia et de moi que parfois, les habitants se posent une question toute simple. Crois-tu savoir de quoi il s’agit ?
».
Le jeune garçon fronça un peu plus les sourcils, baissant son museau vers le sol en cherchant quelconque inspiration parmi les herbes fugaces qui poussaient contre la pierre. « Est-ce que tu existes ? ».
Il rit doucement et adressa un sourire espiègle à la petite fille. « Entre autre, surement. Et toi Laelia ? Que te dirais-tu si tu te retrouvais très très très loin d’ici ? ».
« Ah non ! ça n’arrivera jamais ! ». La petite avait ouvert ses grandes mires grises dans une moue affolée, tandis qu’elle s’accrocha avec force à son oncle. Elle n’avait guère l’intention de partir, et avec le même aplomb que sa mère, s’opposait fermement et catégoriquement à l’idée même. Il fallut que Paetius insiste encore un peu, pour qu’elle daigne, elle-aussi, réfléchir au problème énoncé. « Je crois que je me dirais que je ne peux pas avoir de punition là-bas, alors je ferais pleins de bêtises…. Mais des petites ! Des toutes petites… ».
Il s’esclaffa en caressant sa petite tête. « C’est exactement cela que ce sont dit les habitants d’Odelie. Ils ont décidé de faire des bêtises ; c’est cela une province agitée ».
« Mais il faut les punir sinon, ils vont continuer ! ».

Primus était assez grand à présent pour comprendre ces choses-là. Il avait appris l’arithmétique, l’écriture, et commençait à avoir de bonnes notions naturalistes et philosophiques pour son âge. Avec de telles bases, il allait pouvoir commencer un nouvel enseignement, qui lui serait utile plus tôt que tard : la géopolitique. C’était là une façon bien simplette d’aborder une matière si épineuse, mais au moins pourrait-il se targuer d’avoir déjà compris le fondement même de son existence : à tout pouvoir il existe l’exact opposé. Une réalité qui aurait bien évidemment allégé la tâche de l’empereur, à qui le Sénat Optimate montrait de plus en plus de défiance. Le petit, dans quelques années, nagerait dans les mêmes eaux troubles et il devait être prêt le moment venu.

« C’est pour cela que le Procurator d’Odélie va agir dans les plus bref délai ».
« Il va utiliser la Legio ? »
« Oui »
« Eh bien moi, je serais Procurateur quand je serais grande ! »

Laelia avait levé son poing en sautillant sur la cuisse qui la supportait, un sourire triomphant sur le visage. Elle était vraiment déterminée à devenir Procurator. Le Julius, attendri, n’osa rétorquer quoique ce soit. Après tout, c’était lui qui avait initié la conversation ; et si Primus pouvait comprendre les enjeux et les limites de ces choses-là, la petite Laelia Antia n’en était pas encore capable. Elle avait du mal à s’imaginer qu’il y avait autre chose que Ruvia, autre chose que sa propre vie. Il ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas entendre les problématiques qui étaient si loin, qu’à l’heure même où ils parlaient, les choses avaient déjà dû se régler d’elles-mêmes. Si lui avait gardé le silence, son neveu ne parvint à retenir son hilarité, laissant les éclats de sa voix résonner dans l’enceinte protégée.

« Pffffff… N’importe quoi ! Tu peux pas, t’es une fille ! »
« Et alors ?! J’ai le droit ! »
« Malheureusement non, Laelia. Ces choses-là sont réservés aux hommes ».

Fâchée, et très vexée d’être une fois encore moquée par son aîné, elle croisa les bras sur sa poitrine et pris sa plus belle tête boudeuse. Cette fois, elle ne se força même pas pour que les larmes viennent baigner ses yeux. Elle était profondément déçue de voir ce rêve – même très bref -, s’envoler. En vérité, il lui tenait plus à cœur de servir son oncle adoré. Il l’avait dit lui-même : il avait besoin de quelqu’un qui pouvait punir les bêtises pour lui. Et si elle pouvait tirer une légère, mais compréhensible, satisfaction à sévir, c’était surtout l’approbation de ce deuxième père qu’elle chercha surtout. Être ainsi coupée nette dans sa volonté lui provoquait un énorme sentiment de frustration qu’elle ne savait encore exprimer encore autrement que par quelques bouderies d’enfant gâtée.

« Pourquoi ? »
« Les lois sont ainsi faites. Et puis, une fille comme toi est trop précieuse pour être confrontée aux batailles, et pire ! A des garçons qui ne se lavent pas ! ».
La boutade lui redonna un peu de baume au cœur, tandis qu’elle tirait la langue en signe de dégoût. « Alors je changerai les lois ! »
« Ah oui, et comment t’y prendras-tu ? »
« Je deviendrai Imperator».

Laelia Antia Protera Barre10

L’aube n’avait pas encore pointé son nez que Laelia était déjà debout. Le sommeil l’avait quitté bien vite cette nuit-là, si tant est qu’elle ne l’ait jamais trouvé. Dans la pénombre de sa cubicula, elle observait son annulaire gauche. Il était serti d’un anneau d’or au tressage fin. Elle l’avait toujours trouvé de très bon goût, mais aujourd’hui, une peur intestine l’empêchait de lui trouver une quelconque beauté. Inquiète, elle gardait le silence alors qu’une larme s’écoula sur sa joue sans qu’elle n’eut réellement envie de pleurer. Des pas discrets s’approchèrent d’elle, et d’un revers de la main, elle écrasa la perle saline qui abimait son visage déjà assez tiré par la fatigue. Sa mère portait encore ses habits de nuit lorsqu’elle s’assit à son côté, poussa d’une main délicate quelques coussins. Elle portait pour sa jeune enfant un regard tendre et aimant, mais elle ne parvenait à dissimuler la petite lueur de tristesse au fond de ses yeux bleus. Elles restèrent là, ainsi plongée dans le noir et le silence, durant de longues secondes. Aucune d’elle n’était prête à briser le mutisme réconfortant de la pièce, alors qu’au dehors le premier chant du coq retentissait enfin. Finalement Cordélia Julia Antia posa sa main sur celle dont sa fille ne parvenait à détacher le regard, hébétée.

« J’avais peur moi aussi ».
La phrase, à peine chuchotée, avait sorti Laelia de sa torpeur. Elle leva son visage enfantin vers la sœur de l’Empereur, les yeux toujours humides. Pourtant elle ne voulait pas pleurer. Elle se l’interdisait même ; c’était un jour heureux.
« Je… je… »
« Je sais ». Dans un mouvement maternel, elle caressa la frimousse fatiguée de sa fille. Elle, qui l’avait porté et mis au monde, ne pouvait que sentir la déchirure dans son cœur. Elle la quitterait bientôt. Elle deviendrait une femme. C’était trop tôt, bien trop pour cette mère qui ne demandait qu’à chérir encore quelques années la dernière de ses enfants. « Ça va aller ».

L’on ne sut jamais si elle avait prononcé ses mots pour elle-même ou pour la brave petite qui, paniquée, se jeta dans les bras ouverts de la matrone. Elles passèrent ainsi de longues minutes, Cordélia caressant les cheveux ondulés de Laelia, et cette dernière pleurant à chaudes larmes. Elle ne lui en voulait pas. C’était une chose normale que de craindre la suite ; son univers si familier allait être bouleversé, et ce soir elle abandonnerait définitivement ses confortables habitudes dans la demeure des Antii. Les fiançailles avaient été célébrées des mois plus tôt, et jusqu’à ce matin, tout lui avait semblé si irréel. Pour sûr, elle était promise au meilleur parti de tout Ruvia, attisant quelques jalousies au passage. Elle avait largement loué sa chance auprès de ses amis comme de ses proches, faisant le ravissement de Paetius. Le vieil oncle avait d’abord craint que la jeune fille ne rejette complètement l’idée de se marier, mais c’était finalement confronté à un quelques sauts de joie et des flatteries d’enfant. Fière comme un paon, elle avait paradé dans tout le palais, montrant à qui le voulait bien l’anneau de la promesse. Elle serait bientôt une vraie femme, et rien ne semblait plus combler l’Antia à ce moment-là. Mais avait-elle seulement mesuré ce que cela voulait dire ? Il était difficile d’exiger d’une jeune fille de comprendre ces choses-là. Maintenant, au bord du précipice, elle ressentait enfin tout ce qu’elle avait balayé d’un doigt, passé sous silence, durant cette attente interminable.

Lorsque l’heure fût enfin venue, on s’assura que le Nœud d’Hercule n’avait pas été dénoué. Seul Caïus Protero Feles, son futur époux, aurait la chance et la primauté de délier la corde qui ceignait sa taille gracile. Laelia appréhendait ce moment plus que tout autre ; elle trouvait le Héros de Ruvia fort charmant, mais âgée d’à peine quinze année, elle ne connaissait rien de ce qu’était l’amour entre adultes. On disait d’ailleurs de l’homme qu’il avait déjà voué son cœur à une autre. C’était là le lieu des moqueries stupides de quelques vipères patriciennes, bien déçue de ne pas avoir été choisies. L’anxiété se rajoutait au reste, créant chez la jeune Antia une boule dans ses entrailles qui grossissait à mesure que l’on s’affairait autour d’elle. On tressa ses cheveux à la manière des Tuodiales, puis on déposa sur sa tête une palla ocre. Symbole ultime du mariage, la soie avait été importée et offerte par son oncle. Il avait pris la liberté de faire ajouter un liseré brodé aux fils d’argent, rendant l’enfant plus belle qu’à l’accoutumé. La future mariée resplendissait. Une couronne de fleurs blanches finit d’agrémenter sa tenue alors que déjà on la pressait de se rendre devant l’autel domestique.

Le jardin des Antii était magnifique en cette saison. Toutes les plantes exhibaient leurs plus belles fleurs, laissant dans le sillage des passants des effluves agréables. Pourtant, les yeux rivés sur ses pieds chaussés de sandales, Laelia n’en goûta guère la beauté. On l’attendait au bout du chemin. Son père, son frère et sa mère avait été rejoints par l’Empereur lui-même, et un prêtre d’Hedelma. Victor s’était rendu à l’aube chez l’oracle, qui, en échange de deux paniers d’offrandes, lui avait lu les augures. Le large sourire qu’il affichait rassura un peu la petite ; les Dieux étaient avec elle en ce jour si particulier. Afin de s’assurer toute la clémence des Palais Célestes, le prêtre se saisit d’un coq bien gras et de la meilleure poule pondeuse de la famille. Mettant à genoux Laelia, ils récitèrent en cœur quelques prières aux Dieux Majeurs, avant de sacrifier dans un bol les volailles que l’on ferait porter à la domus du marié. Exsangues, les pauvres créatures avaient perdu quelques plumes en se débattant des mains expertes, avant de rejoindre le monde des Morts. De son index, la flamine appliqua le sang encore chaud sur le front et la gorge de toute la famille.

Il était presque le milieu de la journée lorsqu’enfin, les portes de la domus s’ouvrirent. Au dehors on entendait déjà les hourras d’une foule en liesse, alors que l’ensemble des descendants Julii se préparaient à descendre vers le grand temple d’Hedelma. Toute la ville s’était préparé à l’événement le plus grandiose de toute l’année. L’Empereur mariait sa nièce. D’aucun savait l’amour que portait Paetius à l’enfant de sa jeune sœur. On disait d’ailleurs que cette dernière avait hérité de plus d’un trait des Julius. Aussi n’était-il pas étonnant que l’habile politicien l’ait offert à celui qui était désormais pressenti pour devenir son fils. Il assurerait ainsi la prospérité de sa lignée, et offrirait par la même une vie confortable à l’Antia. Pourtant, alors que tous n’attendaient plus qu’elle sur le parvis de marbre, elle fût incapable de monter les quelques marches. Ses jambes ne lui obéissaient plus et son cœur semblait prêt à exploser au fond de sa poitrine. Elle était terrifiée. Devenue blême, elle se sentit presque défaillir quand une main douce vint se saisir de la sienne. L’univers qui s’était mis à tanguer autour d’elle retrouva sa place, et battant un peu des paupières, elle lança un regard vers celui qui avait su voir sa détresse. Sans son armure, Primus lui semblait bien différent. Drapé de bleu, il offrit à sa cadette un sourire réconfortant.

« Je suis là ».
Ses lèvres peinèrent à s’ouvrir, mais elle parvint tout de même à lâcher, dans un souffle, « merci ».
Alors qu’elle s’apprétait à enfin faire l’ascension vers son destin, il resserra un peu sa prise. S’arrêtant net, elle lui lança un regard interrogateur. Lui avait perdu son sourire, et ses mêmes yeux gris étaient redevenus sérieux. « Je serais toujours là ».

Même la promesse d’amour de Caïus, lorsque la cérémonie battait son plein, ne put rivaliser avec celle de son aîné. Ces quelques mots, elle avait souhaité les entendre, encore et encore. Ils étaient un bouclier puissant, un espoir auquel se raccrochait si jamais cela tournait mal. Se sentant enfin en sécurité, la jeune fille sentit son cœur s’apaiser. Les choses allaient si vite, qu’elle ne voyait même plus le temps passer. Il y avait bien le Feles à sa gauche, droit et digne, et ses proches ainsi que tous les dignitaires de la ville. Tous avaient fait le déplacement pour eux, pour voir de leurs yeux l’union entre les familles Protero et Antius. On acclama les nouveaux époux lorsqu’enfin les serments furent noués. Les mains droites des époux étaient reliées par une corde de lin, jointe par Cordélia elle-même qui avait pris à témoin toute l’assemblée. A l’instant où le nœud fut rompu, ils étaient officiellement mariés devant les Dieux et les hommes. Soulagée, Laelia poussa un petit soupir avant d’offrir au Chat un sourire timide. N’avait-elle pas rêvé de ce jour-là ? Lui, beau et fort, était à présent son seul avenir. Ils quittèrent le temple main dans la main sous les applaudissements des convives, alors que la plèbe se massait de plus en plus pour tenter d’apercevoir le Héros de Ruvia et la nièce de l’Empereur.

L’avant du cortège était, comme le voulait la tradition, guidé par un ami de Caïus tenant une torche d’aubépine. La flamme vive apportait bonne fortune au couple, tandis qu’on lançait aux enfants dans la foule des noix. Naïra et une autre esclave suivait de près Laelia, portant une quenouille et un fuseau. Ces instruments dont n’auraient jamais à se servir la patricienne représentaient à eux deux les vertus domestiques que l’on attendait d’une épouse. Peu à peu, elle se laissa gagner par l’exaltation, souriant en observant ces visages inconnus qui défilaient. Elle saisit même une fleur qu’on lui tendait, humant enfin le parfum du renouveau. Aujourd’hui commençait le début de sa vie de femme. Elle jetait quelques œillades au Protero, tentant de déceler sur son visage détendu quelques signes sans toutefois y parvenir. Il était un mystère pour elle, et sûrement qu’elle était tout aussi cryptique pour lui. Ils auraient bien le temps de s’apprivoiser. Devant sa nouvelle domus, tous s’arrêtèrent alors que le jeune marié s’éclipsa avec son père à l’intérieur. Un peu perdue, elle avait d’abord tenté de le suivre avant que sa nourrice ne l’arrête en chuchotant à son oreille.

« Tu dois rester ici Domina ».

Un peu interloquée, elle se plia à la règle non sans perdre patience. La voilà bloquée à l’extérieur de sa nouvelle maison ! Et Feles n’avait même pas jugé bon de l’en avertir. Ah ça, il avait sûrement plus l’habitude de ces choses qu’elle, puisqu’il en était déjà à son second mariage ! Mordant sa langue pour ne pas proférer des vilénies qu’elle aurait de suite regretté, elle souffla son mécontentement. Lorsqu’enfin il fut de retour, il tenait dans ses mains un bol de graisse qui flambait et un autre d’eau. On l’invita à s’approcher, lui faisant ôter sa couronne de fleurs pour la deposer au seuil de la porte. Ensuite, un homme la porta pour passer le palier avant que Caïus, de son regard sérieux mais attentionné, ne l’invite à se purger dans la flamme et dans l’eau. Laelia fronça les sourcils mais s’exécuta dans le silence relatif de l’assemblée. Elle secoua la main trois fois au-dessus de la flamme, ramenant à elle quelques volutes de fumée, puis plongea les doigts dans l’eau tiède. C’est alors que s’écria de nouveau le cortège. Elle avait suivi avec attention toutes les prérogatives pour devenir une bonne épouse, et ils pouvaient profiter enfin de leur soirée.

Les invités se succédaient pour féliciter les époux. Chacun apportait avec lui un petit présent, qu’il faisait emmené par les esclaves. Manius, le pater familias des Proterii, n’avait pas été pingre. L’on aurait pu nourrir toute la cité avec le somptueux banquet offert. A croire qu’ici, rien n’était trop beau. Laelia riait parfois avec ses amis, donnant le change lors des brèves conversations qu’ils entretenaient. Elle était si demandée qu’il lui était difficile de contenter tout le monde plus de quelques minutes. Ses yeux brillaient de la joie retrouvée, profitant du faste de la soirée. Jamais l’on n’avait fait plus belle réception à Ruvia, et l’on se souviendrait longtemps encore de ces noces dispendieuses. La musique habillait le jardin qui accueillait les invités. Elle laissa ses yeux vagabonder çà et là, recueillant les sourires et les compliments des gens comme l’aurait fait une vraie domina. Dès le lendemain, ce serait à elle de tenir ce rôle. Elle ne pouvait décevoir sa nouvelle famille. Bientôt, l’on annonça la lutte des gladiateurs, loués spécialement pour l’occasion. Impatiente, la jeune fille fût tirée de sa liesse par le boitillement familier de son oncle.

Paetius les félicita encore une fois, déposant sur la joue de sa nièce favorite un tendre baiser comme il en avait l’habitude. Pourtant, cette démonstration d’affection tourna vite aigre, alors qu’ils échangeaient discrètement avec Caïus. Plus la conversation se prolongeait, et plus les sangs lui montait au visage. Outrée, en colère, elle se détacha de son mari pour faire face aux deux sots qui se trouvaient devant elle. Avaient-ils réellement comploté pour exécuter un des plans de l’Empereur le jour même de son mariage ? Tout cela n’était-il donc qu’un prétexte ? Elle fulminait de rage, blessée dans son égo et se sentant déjà trahie par le Chat. C’était donc cela qu’imposait le mariage ; une longue succession de trahisons orchestrées par l’homme qu’elle respectait le plus au monde. Résignée à ce que serait finalement sa vie, elle tourna les talons sans plus un mot, et rejoint la foule qui entourait les lutteurs. Les muscles saillants des combattants ne laissaient aucun doute à la rigueur de leurs entrainements. Le sénateur Protero avait sûrement dépensé une petite fortune pour faire venir les meilleurs du ludus. Mais même si ses mires fixaient avec attention les mouvements, elle ne cessait de repenser aux mots échangés un peu plus tôt. Elle ne parvenait pas à se calmer, préférant dès lors garder le silence. Naïra lui avait souvent dit que son tempérament été héritée de sa mère et qu’il serait bon de calmer ses ardeurs ; il était rare de trouver un homme qui accepte ces égarements.

Pourtant, aussi sûrement qu’elle descendait de Soltar lui-même, elle n’était pas prête à sacrifier cette partie d’elle-même. Et si cela déplaisait à Caïus et bien soit ! Elle se fichait bien de son avis. Après tout, il ne l’aimerait jamais, tout cela n’était qu’affaire de politique. Et si c’était ainsi qu’il voyait les choses, alors elle serait une épouse politique. Il ne devait pas attendre d’elle plus que cela. Elle donnerait le change lors des réceptions, serait à ses côtés lorsqu’il aurait envie de l’exhiber, mais ne deviendrait jamais une créature docile. Il avait ruiné ses noces, et par la même, ses espoirs d’être un jour comblée. Au moins elle se consolait avec le luxe dans lequel elle vivrait. Elle n’avait guère perdu en prestige en scellant cette alliance, et veillerait à occuper ses journées par ses passions. Laelia deviendrait un mécène respecté à la capitale et dans l’Empire. Elle trouverait alors du réconfort dans le savoir absolu et immuable des plus grandes écoles de philosophie et s’abreuverait de connaissances pour pouvoir rivaliser avec n’importe lequel de ces hommes vendus, qui préféraient aux moments sacrés d’allégresses les complots les plus vils.

Lorsque Caïus réapparut, elle ne lui adressa qu’un bref regard désapprobateur. Elle rageait toujours, une boule nouant tant sa gorge qu’elle n’avait même pas su profiter du bon vin qu’on lui avait servi. Le reste de la soirée se passa dans le calme, et les derniers convives s’éclipsèrent à l’aube. Exténuée, mais ravie, elle soupira de soulagement lorsqu’enfin le jardin retrouva sa tranquillité. Le brouhaha avait cessé pour laisser place aux gazouillements des oiseaux les plus matinaux et elle apprécia l’air plus frais de l’aurore. Elle ferma les yeux, inspirant profondément cet air pur. Personne ne vint la déranger. Rien ne perturba cet instant de communion parfait. Elle se sentait bien. La colère s’était apaisée, et bien qu’elle gardait rancœur, elle n’avait plus envie de se chamailler. Longtemps elle avait repassé les paroles de son oncle. Bien sûr qu’elle comprenait les raisons de tout ceci, mais était-ce réellement un mal nécessaire ? Quoiqu’elle ne partageait pas tout à fait l’opinion du Chat et de son maître, elle savait qu’ils avaient fait au mieux pour leur famille. Et les Dieux veillaient.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, le Héros de Ruvia se tenait paisible à quelques pas de là. Il l’observait avec douceur. Il était gentil avec elle malgré tout. Peut-être qu’il ne l’aimerait jamais comme il avait aimé sa première femme, mais au moins il faisait l’effort. Alors, elle s’imaginait peut-être être heureuse comme ça. Ils feraient un mariage de convenance, mais en tireraient chacun des bénéfices. Elle n’avait pas besoin de son amour pour lui être fidèle, et sûrement lui n’attendait pas le sien non plus. Sa mère lui avait dit que ces choses-là prenaient du temps ; elle ne perdait pas espoir de connaitre un jour ce sentiment si fort, mais elle se contenterait de son sort. Après tout, il demeurait le meilleur parti de Ruvia. Au fond d’elle, elle gardait toujours la prière naïve de lui plaire sincèrement. Les choses n’avaient pas commencé du mieux qu’elle le pouvait, mais elle était encore à temps de se rattraper. Le rose lui monta aux joues, alors qu’il lui tendait la main pour la récupérer à son bras. L’heure de se coucher était venu. Elle était affolée, impressionnée par cet homme plus âgé, plus mûr. Elle adressa une prière muette à Tuodé, alors qu’ils s’engouffraient vers leur cubicula pour la première, ignorant qu’il deviendrait bientôt le père de ses enfants et celui qu’elle chérissait le plus au monde.
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