Rien ne lave le sang et la trahison (PV Caecilia)

10e jour de Tertio Seminare
An 399

Dix jours. Il n'avait voulu passer qu'une décade auprès de sa femme et de ses enfants. Une décade loin du tumulte d'Edelmia. Une décade sur les hauteurs de Valtaia, face à une mer reflétant l'incandescence d'Aurin et sans avoir besoin de rencontrer chaque jour des magistrats et des administrés, pendant de longs entretiens pas toujours intéressants et souvent éprouvant mentalement. Une décade pour serrer Alelia contre lui le matin et voir son fils s'éveiller au monde. Une décade où il pouvait emmener Octavia au temple pour lui apprendre les rites pour honorer Valta. Une décade de paix, c'est tout ce qu'il avait demandé.

Et puis les nouvelles de Ruvia étaient arrivés. Avec elles, les troubles qui frappaient l'Empire tout entier et la famille de son épouse plus particulièrement. Cet enfant de putain de Pavinius s'était fait couronné Imperator, confirmant les soupçons qui avaient pesés sur lui pendant des années. Les Antii avaient ouvertement déboutés la décision du Sénat et dorénavant, ils étaient des rebelles, opposants farouches à ce nouvel Empereur de pacotille et clamant la succession légitime du vieux Paetius. Au moins, les nouvelles avaient rassurés laelia sur la survie de son père et son frère, mais pour combien de temps encore ? Lentement, l'Empire plongeait dans le chaos de la guerre civile et Caïus ne doutait pas qu'on continuerait à lui attribuer les maux que causeraient sa belle-famille.

Il avait quitté la villa de Valtaia dans l'heure qui avait suivi, chevauchant à bride abattue jusqu'à la capitale provinciale, entouré d'une poignée de licteurs et de son fidèle Pesca. Il avait laissé derrière lui sa famille, promettant à sa bien-aimée d'être prudent et de tout faire pour dissiper les contestations qui naîtraient pendant son absence. Les rumeurs étaient le vent qui attisaient le feu de la sédition et il devait à tout prix l'éteindre avant que la province entière ne s'embrasa et le jugea à son tour, ennemi de Ruvia. Le neuvième jour de Tertio Seminare, il avait rejoint Edelmia. Il avait lu les rapports et répondus aux missives des tribuns angusticlaves de chaque castrum jusque tard dans la nuit. Que les rues doutaient de lui, il pouvait l'accepter et s'employer à les rassurer, mais il devait s'assurer du soutien inconditionnel de ses légionnaires.

La nuit avait été courte et peu reposante. Dormir dans son lit sans la présence de Laelia était une expérience qu'il n'appréciait guère et trop de sujets tournaient dans son esprit pour que le sommeil fut réparateur. Aux premières lueurs du jour, il quitta la domus pour se diriger vers les thermes. Malgré la fatigue qui lui tiraillait le visage et le cerveau, il avait encore fort à faire et il se devait de se sentir au moins propre pour affronter les défiances du jour.

Flanqués d'un quatuor de licteurs, il entra dans le tepidarium. Il ne passa que quelques instants dans la salle tiède avant de se diriger vers les étuves. Il s'assit sur un banc et posa les coudes sur ses genoux en respirant lentement par la bouche. La vapeur du sudatorium ne tarda guère à faire naître une multitude de gouttes sur l'ensemble de son corps.  Les licteurs prirent leur place de part et d'autre de la salle qui baignait dans la chaleur moite, assurant la protection de leur maître. La vapeur d'eau et la chaleur presque étouffante du sudatorium firent fermer les yeux au Procurator qui se laissait bercer par le ronronnement de l'hypocauste sous les dalles du sol. Il ressassait sans cesse les mots du Paecto de Valtaia. Lucilius et Primus Antius étaient désormais à Khel Bur, si loin et pourtant si proche. Il cherchait un moyen d'en savoir plus, ne souhaitant pas attendre pour être tenu au courant de ce qui se tramait si loin de lui.

Après un long moment, Caïus se leva, toujours suivi par ses hommes et s'empara d'un strigile en entrant dans le caldarium, où quelques citoyens achevaient leur toilette. Il râcla la sueur qui perlait sur son bras droit avant de s'asseoir et de regarder un peu autour de lui. Sur sa droite, il aperçut un jeune homme au visage familier. Il l'avait aperçu et remarqué lors de la grande session à la Curie du mois dernier. Le Procurator chercha à croiser le regard du patricien avant de lui adresser un petit signe de tête en guise de salut. Il passa le strigile sur son épaule lorsqu'il donna l'ordre silencieux à un de ses licteurs d'aller chercher l'individu. Le grand gaillard aux cheveux coupés ras se leva pour s'approcher du jeune homme.

Ave, citoyen Lubanius. Le Procurator t'invite à le rejoindre.

Le crochet métallique glissait sur son épaule lentement pour ôter les perles salées qui constellaient sa peau. Le Feles se perdait dans la contemplation de la grande fresque aux teintes flamboyantes qui trônait au-dessus du bassin d'eau chaude où quelques citoyens accoudés sur le bord dévisaient. Sur le mur peint d'orange et de rouge, Loïmu abattait son lourd marteau sur son enclume. Le Dieu-Forgeron, le visage dissimulé sous un masque sans bouche qui cachait sa laideur, travaillait sur un trident, entouré de ses serviteurs métalliques qui portaient amphores, outils et mets appétissants. Caïus n'était pas un amateur d'art, mais la représentation du Dieu du Feu possédait un charisme certain et chaque détail avait été représenté avec une précision qui forçait le respect. Une voix grave le sortit de son observation profane.

Ave, citoyen Protero. On dit que tu souhaite me voir.

Il secoua vivement le strigile qui siffla en fouettant l'air pour chasser la sueur qui s'y était accumulé. Il crispa légèrement ses mâchoires en entendant l'appelation citoyen à son égard. Depuis des années, on l'avait appelé par son titre, tantôt Préfet, puis Procurator, et même si l'appelation n'était pas une insulte, il dut reconnaître que d'être appeler comme le premier venu sonnait de façon désagréable à ses oreilles. Il se contenta de hocher la tête avant de jeter un regard à la place libre à ses côtés, l'invitant silencieusement à le rejoindre, alors que le jeune curiate reprenait la parole.

C'est une bonne chose que la Curie approuve la construction du nouveau castrum. Sache que tu peux compter sur moi si je peux t'être utile à quelque chose...

Il fit passer le strigile d'une main à l'autre et commença à le faire glisser sur l'autre bras. Il tourna enfin son regard vers Lubanius, le gratifiant d'un petit sourire aimable.

En vérité, tu m'as déjà été utile en soutenant ma motion.

Le crochet remonta le long de l'avant-bras et commença son ascencion le long du biceps du Feles. Il fouetta l'air une fois de plus avant de reprendre son geste pour essuyer la sueur qui perlait. Il reprit.

En soutenant toutes les motions qui m'ont concernés directement, devrais-je dire. Un soutien fort apprécié !

Le strigile épousa l'arrondi de son épaule et longea sa clavicule du Procurator qui continuait de sourire doucement.

Mais s'il y a une chose que je sais, c'est qu'en politique, il n'y a ni générosité, ni gratuité. Et tu as tout fait pour attirer mon attention, allant même jusqu'à proposer un voyage vers Ruvia, à des décades d'ici ... Pourquoi ?

Il ponctua sa question par un nouveau mouvement sec qui fit virevolter la sueur vers le sol marbré. Il toisait son interlocuteur sans ciller, scrutant la moindre inflexion sur son visage pour juger de la sincérité de ses dires.

Le jeune curiate se laissa aller à la contemplation de la mosaïque qui ornait le mur qui faisait face aux clients du caldarium.

Tu te souviens de moi,je dois t'avouer que cela m'étonne. Je ne fais pas partie des gens dont on se souvient.

Un peu de fausse modestie était de bon ton en politique, même lors d'une rencontre qui pouvait sembler très informelle au milieu des thermes. Visiblement, l'interlocuteur semblait impressionné ou du moins le feignait-il, flattant un peu plus l'ego d'un Feles qui n'en avait pas vraiment besoin. Etait-ce l'atmosphère lourde des vapeurs chaudes ou le manque d'assurance que ressentait Lubanius, mais il prit une grande inspiration avant de reprendre la parole.

C'est justement pour ça que je me suis porté volontaire pour aller à Ruvia. Je veux me rendre utile. Ma famille a toujours été respectée mais mon père nous a quitté trop tôt ma sœur et moi, et je suis encore jeune et sans expérience... Je veux juste qu'on me donne ma chance de faire quelque chose pour la Curie.

Un petit sourire naquit sur le visage sévère de Protero qui continuait à faire glisser le strigile sur sa peau pour en chasser la sueur qui perlait à grosses gouttes. Il n'était pas des gens dont on se souvenait mais il brûlait de le devenir. Le Feles répondit calmement en laissant son regard vagabonder autour de lui.

Faire quelque chose pour la Curie ou pour que la Curie parle de toi ? La nuance est subtile, mais la finalité n'est pas la même, Citoyen.

Il se redressa un peu plus avant de revenir planter ses yeux dans ceux du curiate. Le sourire qu'il arborait s'était déjà élargi.

Aller à Ruvia et en revenir prendrait deux mois plein. Si on considère qu'il te faudra plusieurs jours pour être reçu au Sénat et rencontrer les bonnes personnes. Si tu pars demain, tu ne seras de retour qu'à la fin d'Aestas et avec des nouvelles datant d'un mois après ton départ. Trois mois d'un périple à la capitale en ces temps troublés, je ne suis pas convaincu de son utilité envers la Curie, ni la province.

Et encore moins de la sienne, même s'il ne prit pas la peine de formuler ce dernier point. Lentement, ses lèvres s'étiraient et son sourire devenait de plus en plus franc. Le Feles poursuivit.

Nous sommes isolés et nous n'avons pas vraiment la main, ni notre mot à dire sur les évènements qui secouent l'Empire. De plus, tu as du entendre parler de cette sombre affaire d'enlèvement chez le Préteur Sicinius. D'après les bruits de couloirs et de rues, il soupçonne son éternel rival, Galba, d'être à l'origine de ce rapt abject. Je ne sais pas s'il a des preuves ou si ce ne sont que des rumeurs infondées, mais tu réalises bien qu'en trois mois, tu pourrais retrouver une vndetta sanglante en plein milieu d'Edelmia.

Amener la conversation sur les troubles qui secouaient la capitale d'Oncmélie était une bonne façon de passer outre des justifications pénibles qu'ils auraient à fournir pour se dédouaner une nouvelle fois de connivence avec sa belle-famille, désormais ouvertement en opposition envers l'Imperator auto-proclamé. Le Procurator haussa les épaules, le regard toujours fiché dans celui de son compagnon.

Ceci dit, je ne peux t'empêcher de voyager où tu en as envie. Libre à toi d'aller où bon te semble. Et puis tu as peut-être des raisons importantes qui m'échappent et qui serviraient notre province, pour vouloir aller jusqu'à Ruvia. N'hésite pas à m'en faire part si c'est le cas.

Le strigile fouetta l'air pour évacuer une fois encore la sueur qui s'y était accumulé. Le Procurator avait mis les pieds dans le plat mais il attendait de voir ce qu'avait à dire le jeune curiate avant d'aller plus avant dans la conversation. Il était important de juger si Lubanius était de ceux dont le cerveau débordait d'idées et de verbes ou s'il était comme ces enfants voulant jouer aux adultes, qui vociféraient pour attirer l'attention avec pour seule ambition de laisser les autres le guider. Avant d'être utile à la province, le Feles attendait de voir s'il pouvait s'être utile à lui-même.

J'entends bien ô Procurator, tu penses que je devrais rester ici, je ne vais pas te contredire. Je pensais que je pourrais être utile mais je te fais confiance.

Le Feles ne put s'empêcher de grigner des sourcils en entendant les paroles de son jeune confrère. Il s'attendait à un peu plus de pugnacité de la part du curiate et s'étonnait un peu du manque d'argument que ce dernier opposait aux doutes qu'il avait soulevé. Lubanius était-il de cette race qui ne proposait des choses que pour être bien vu mais sans vrai volonté dans la tête ? Une pointe de déception amère vint se manifester sur sa langue, peut-être avait-il méjugé le jeune patricien lors de la séance à la Curie, lui prêtant plus qu'il n'était réellement. Le sujet dériva bien vite sur l'enlèvement qui secouait Edelmia et menaçait de déclencher des heurts bien moins rhétoriques qu'à l'accoutumée. Le jeune homme questionna Protero en se passant une main dans les cheveux.

J'ai entendu parler comme tout le monde de la sombre affaire d'enlèvement. Même si j'ignore qui dit la vérité. Il va de soi que cette histoire offre une piètre image de nous autres patriciens. Tu ne crains pas que ce conflit s'envenime ? Quelle est ta position sur ce sujet ?

Le sifflement du strigile fut la première réponse que reçu Lubanius. Le Feles poursuivit sa toilette en faisant glisser le crochet sur sa peau alors que ses mâchoires se serraient un peu. Il garda son regard posé sur la tige de métal qui râclait sa sueur tandis qu'il répondait.

Je crois que le conflit s'est déjà envenimé, mon jeune ami. Il est déjà de notoriété publique que Sicinii et Sevinii se détestent cordialement et cet enlèvement ne fait que jeter de l'huile sur le feu. Pourtant ...

Le Feles redressa la tête, plantant un regard froid dans celui de son interlocuteur.

Je peine à imaginer le censeur Galba se mettre dans une telle panade et de manière aussi évidente. Lui, l'homme d'affaires, l'orateur talentueux, le débateur accompli qui aime tant se mesurer à la verve traditionnaliste de son adversaire, j'ai bien du mal à l'imaginer s'abaisser à faire enlever les enfants de Scorpa en laissant milles indices de sa culpabilité.

Le Procurator posa le strigile à côté de lui avant de poser ses coudes sur ses genoux, pensif. Il passa sa langue entre ses lèvres rapidement avant de diriger son regard une fois de plus vers le curiate, les sourcils froncés.

Il se pourrait bien que ce soit un coup monté pour causer du tort aux deux familles. La détresse d'un père inquiet pour ses enfants peut conduire à milles folies et Galba à les armes et les fonds pour se défendre, et pas uniquement devant un tribunal. À qui profiterait un tel crime ? Parfois en politique, tous les coups sont permis pour éloigner ses adversaires et les monter les uns contre les autres restent un coup aussi fourbe qu'efficace.

Le Procurator se redressa, posa son dos contre les assises du niveau supérieur avant de poursuivre son raisonnement en haussant les épaules.

Un homme ambitieux avec des moyens pourrait tout à fait orchestrer cette mascarade et attendre dans son coin de voir les familles s'entredéchirer. Il n'aurait plus qu'à se baisser pour ramasser les miettes et asseoir sa domination à la Curie, voir même dans la province toute entière. Ce ne sont que des conjectures et peut-être que la vérité est bien plus simple que je le pense, mais s'il y a bien une chose que je sais, c'est qu'il ne faut pas s'arrêter aux premières rumeurs qui entourent un tel sujet. J'espère pouvoir rencontrer les deux pater familias avant que toute cette affaire n'aille trop loin.

Un petit sourire réapparut sur le visage de Caïus qui conclut.

Et toi ? Qu'en penses-tu ? Nous ne sommes ni préfet, ni avocat, certes, mais tu dois bien avoir un avis là-dessus. Un suspect, peut-être ?

Lubanius hochait la tête en entendant les réserves du Procurator au sujet de l'enlèvement de la jeune Honoria Sicinia. Il se remémorrait sa rencontre avec la fille du Préteur, sur le forum devant un marchand d'esclaves. Il lui avait même soufflé Tindu sous le nez. Plus intéressant que cet exploit ridicule, l'échange qu'ils avaient eu au sujet de la province et de sa politique avait été riche d'enseignements. Elle, la fille du chef de file Optimate, avait étalé des affinités progressistes et sociales, qu'un Galba n'aurait pas rechigné à prononcer pour faire grincer des dents Scorpa. Le jeune curiate sauta sur l'aubaine qu'offra le Procurator de donner son avis pour le faire.

Je pense comme toi que la vérité est plus compliquée qu'elle n'y paraît. Mais comment identifier un suspect ? Ils sont si nombreux. Peut-être un homme ambitieux qui voudrait se débarrasser de deux Curiates respectés pour prendre leur place. Je connais des hommes qui n'hésiteraient pas à saisir une telle occasion, tels l'avocat Primus Cassius Murena. Ça ne m'étonnerait pas que cet homme soit mêlé à cette affaire. Méfie-toi de lui, c'est un homme dangereux, il a de l'influence et il souhaite en gagner davantage. Et sa belle-sœur Harmonia est très proche de Marius Tullius Barbatus... Je peux m'arranger pour en savoir plus si tu veux.

Un petit rire quitta la gorge du Feles. Il posa ses coudes sur le rebord contre lequel il s'était adossé un peu plus tôt. Il secoua légèrement la tête avant de replonger son regard dans celui de son interlocuteur.

Murena ? Je ne sais pas. Après sa démonstration digne de la plus appliquée des fellatrix à faire luire de salive le chibre du Préteur lors de la dernière séance à la Curie, je l'imagine mal s'en prendre à lui ... Il ne m'a pas semblé être un homme très subtil, que ce soit dans son opposition farouche à toutes les propositions que j'ai faite ou son accrochage avec Galba que le Censeur a bien vite gagné. Pour le paraphraser, il jappe beaucoup mais ne semble pas être un chien qui a beaucoup de mordant.

Ses traits s'étrécirent bien vite lorsqu'il s'attarda sur le cas du Questeur. La révélation du patricien sur la proximité de ce dernier, fiancé à la fille de Scorpa aux dernières nouvelles,avec la matrone Iustia était bien plus curieuse.

Barbatus proche de la belle-soeur de Murena ? Elle est veuve, n'est-ce pas ? Hum ...

Le Feles se gratta le menton entre le pouce et l'index en fronçant légèrement les sourcils. Il se mordilla l'intérieur de la joue dans un tic nerveux alors qu'il réfléchissait puis brisa le silence qui s'était installé entre lui et Lubanius.

Promis à la fille du Préteur et pourtant déjà frivole. Il s'est rangé recemment dans les rangs des optimates mais lors de l'échange que j'ai pu avoir avec lui, son discours penchait ostensiblement vers l'autre côté de l'hémicycle. Le bougre semble vouloir jouer sur tous les tableaux en demeurant discret lors des débats. On le dit riche, payer quelques ravisseurs ne serait pas un obstacle pour lui.

Les yeux du Procurator se mirent à pétiller d'une certaine malice, presque malveillante. Il poursuivit.

Si tu es prêt à me jurer que ce que tu m'as dit ici, aujourd'hui, est vrai, nous tenons peut-être notre coupable. Et s'il s'est joué de Scorpa, je ne donne pas cher de sa peau. Et puisque tu le proposes, je veux bien que tu "t'arranges pour en savoir plus".

Les lèvres du Procurator s'étirèrent un brin, lorsqu'il sonda le regard de son jeune compagnon. Il conclut.

Mais rien n'est gratuit en politique. Quel serait ton prix ?

Après avoir écouté respectueusement l'avis du Feles, le jeune patricien sembla se détendre quelque peu en risquant un sourire entre deux respirations. Lubanius ne semblait pas tout à fait convaincu et bientôt, les mots qui quittèrent sa gorge soutinrent cette impression.

Tu es sûrement mieux renseigné que moi, je t'avoue que je ne suis pas convaincu qu'il soit mêlé à cette histoire.

Pendant une seconde, peut-être deux, les deux hommes se jaugèrent en silence, échangeant un regard poli et courtois. Le Procurator toisait son jeune interlocuteur, tentant de deviner si derrière ces quelques mots, le curiate savait déjà des choses ou s'il se contentait de livrer un avis innocent. Le jeune homme surenchérit, brisant le mutisme qui flotté entre les deux patriciens.

Néanmoins je suis prêt à rassembler toutes les preuves. Si mon enquête prouve son innocence cela permettra tout de même d'éliminer un suspect. Concernant mon prix, je compte me présenter aux prochaines élections. Si je découvre le véritable coupable, j'aimerais ton appui pour lancer ma carrière.

Caïus haussa les épaules puis passa une main dans les boucles brunes qui trônaient au sommet de son crâne. Un petit rire le prit de nouveau, s'amusant encore une fois d'être vu comme un manipulateur politique aux espions savants et sachant tout et son contraire. Son regard se perdit un bref instant sur la mosaïque divine de Loïmu et ses serviteurs de métal. Il enviait presque le Dieu-Forgeron qui n'avait qu'à ordonner à ses mannequins pour être exaucés. Le Feles, lui, devait composer avec la nature humaine et les volontés de chacun. Il replongea son regard dans celui de Lubanius, le sourire toujours accroché aux lèvres.

Je ne fais qu'émettre une hypothèse. L'on est innocent à part égal de ce que l'on est coupable, jusqu'à preuve du contraire, comme dit l'adage. Mais après tout, je ne suis pas juge et je n'ai rien d'un grand enquêteur

Pour qui le connaissait et savait les origines de son cognomen, cette affirmation aurait fait grincer des dents. Seulement, ici, en Oncmélie, les autochtones ne voyaient qu'en lui l'homme politique, proche d'un empereur déchu, arrogant et sévère, et non pas son passé à traquer les comploteurs et à les faire tomber un à un. Un chat est fait pour chasser la vermine et il s'était délecté de moults rats qui polluaient la capitale de l'Empire. Il poursuivit, gardant un ton aimable mais perdant lentement son sourire.

Et pour tout te dire ... Les innocents ne m'intéressent guère, je préfère connaître les coupables. Surtout lorsqu'ils menaçent la paix du peuple dont j'ai la charge.

Le regard se faisait plus insistant et moins aimable. Un nouveau sourire se dessinait sur le visage du Feles, mais celui-ci avait des relans de dangerosité. Une pointe d'ironie se fit entendre lorsqu'il lança sa pique.

Et donc tu brigues un poste de magistrat ? Lequel ? Si tu viens à me répondre Préteur, je pourrais en venir à te considérer comme un suspect à qui profiterait le trouble.

Caïus se pencha lentement vers Lubanius, les yeux toujours rivés dans ceux du jeune homme.

Mon meilleur conseil avant de briguer un poste d'importance est de bien choisir tes amis et de ne jamais te contenter de la médiocrité d'un pair. Donne-moi le nom du responsable de l'enlèvement de la fille de Scorpa et il se pourrait bien que je fasse de toi un magistrat aussi respecté que jalousé dans toute la province.

Le Procurator s'adossa de nouveau contre le marbre, posant ses bras sur le rebord de l'étage suivant. Son visage avait perdu ses traits carnassiers et il affichait une attitude des plus détendues. Si Lubanius avait assez de perspicacité, il aurait bien compris que Protero n'attendait pas vraiment une preuve irréfutable qui ferait pencher la décision d'un juge, il voulait juste un coupable qui paierait pour l'agitation qui régnait dans la cité. Au jeune de curiate dorénavant de dire si le marché lui convenait.

Lubanius répondit à la remarque ironique du Procurator avec un peu de premier degré de bon aloi.

Le poste de Préteur ne m'intéresse pas, je souhaite plutôt devenir le nouvel Edile.

Un petit sourire étira de nouveau les lèvres du Feles qui échangea un regard amusé avec son interlocuteur. Il avait enfin verbalisé son ambition. Ainsi donc l'édilat était son objectif. Il ne serait guère difficile de faire mieux que l'Edile Firmius, remarquable et remarqué par son absence et son manque d'engagement pour sa charge, malgré une bonne réputation dans les couloirs de la Curie. L'homme semblait avoir abandonné toute verve depuis son éléection et il brillait par sa transparence depuis plusieurs décades. Il ne serait probablement pas réélu, même si l'année était loin d'être terminée.

Je te donnerai le coupable. Et rassure-toi, je sais qui sont mes amis et qui sont ceux à éviter. Laisse moi quelques jours et je te promet de trouver toutes les preuves.

Le jeune homme se leva après un dernier regard au Procurator qui avait hoché de la tête à son encontre. Ce dernier glissa une dernière recommandation avant de se séparer de son compagnon.

Un bon entraînement pour un futur édile, n'est-ce pas ? À toi de montrer que tu as de la ressource et de la pugnacité. Je chercherai de mon côté également et je ne doute pas que plusieurs de tes pairs ont déjà commencés à se pencher sur le problème. C'est un peu une course.

Un petit rire vint ponctuer la remarque puis Caïus surenchérit en haussant les épaules.

Le vainqueur a tout à gagner. Renommée, soutien, importance au sein de la Curie et sympathie des puissants. Et je pense qu'être dans les petits papiers d'un Censeur, du Préteur et du Procurateur vaut bien plus que n'importe quelle autre alliance, ici, à Edelmia. Jusqu'au revoir, Lubainus.

Il leva la main droite vers le jeune homme, le laissant songer à ses dires et à la façon dont il trouverait le coupable de cette sombre affaire.