Le bout du chemin

79e jour du printemps
Année impériale 399

La route avait été longue depuis les confins des plaines Aonghusa. Guidé par la danse d'Ana, le Voyageur avait arpenté les chemins qui menaient à la province ruvienne avec célérité. Mhrag semblait s'être penché sur lui en bénissant son voyage par la rencontre d'une petite caravane de marchands descendus des contreforts du Fumhaireantìr, les chariots remplis du précieux fer que les ruviens consommaient avec avidité. À bord de ce moyen de locomotion aussi inattendu que bienvenu, le voyage fut bien plus rapide et bien moins solitaire que Gaukka ne l'avait escompté.

Bientôt, les reflets argentés du Sruth luirent sous le timide soleil printannier et la province ruvienne dessinait ses contours à l'horizon. Le vieux druide quitta ses compagnons de route avant de s'enfoncer dans les futaies de la forêt Volisfodia afin d'éviter les postes frontières où les légionnaires s'acquittaient de leurs droits de douane avec bien souvent un peu trop de zèle. Deux jours dans la forêt puis trois autres à longer la route qui menait à la première cité de la province. Telioprate, douloureux souvenir pour les deux côtés ; théâtre de la plus grande victoire des peuples libres sur les ruviens, vestige d'un conflit sanglant, voulu par la simple volonté de Wulrrek, aïeul de la reine Morgana et dernier Roi des Rois, la ville semblait toujours porter les stigmates des combats qui l'avaient ravagés alors que Gaukka n'était pas né.

La grande silhouette encapuchonnée s'avança d'un pas rapide sur le large pont qui enjambait la Valis. Difficile pour le Voyageur de passer inaperçu au milieu de la foule d'autochtones qu'il dépassait d'une bonne tête. Les regards aussi interrogatifs que désapprobateur des plébéiens pesaient sur la carcasse légèrement voûtée par le temps du druide. Ana poursuivait sa danse vers l'Ouest, emmenant Gaukka vers le forum. Il avait beau être amoureux de la beauté naturelle que Ruigsin avait créé pour les Hommes, il n'en demeurait pas moins impressionné par la capacité qu'avaient les impériaux à dompter la pierre pour ériger de grandes colonnes et de fantastiques statues en l'honneur de leurs héros et leurs dieux. Au milieu des habitations grisâtres et du mur d'enceinte noircie par la pluie, l'esplanade resplendissait de faste, comme une perle au milieu du limon.

Il devait poursuivre son voyage. Il adressa une prière silencieuse à Neart pour lui donner la force de continuer son périple et une seconde à tehach pour le guider jusqu'à sa destination. L'Eadar lui avait livré une vision et les voisins conquérants des Peuples Libres étaient peut-être la clef pour survivre à la horde venant du Levant. Pour les convaincre, il devait s'entretenir avec le chef de la province et de la légion, le Procurateur d'Oncmélie. Un petit sourire étira ses lèvres à demi-brûlées, alors qu'il savourait l'ironie de la situation. Lui, le druide vagabond, connu parmi les siens mais simple étranger dans les terres de Ruvia, devait rencontré un des personnages les plus puissants et les plus influents de la contrée, si ce n'était de l'Empire tout entier. Une quête qui pouvait paraître folle et illusoire, mais comment renoncer lorsque la vie de tout un peuple était en jeu ? Plus important pour les impériaux, une fois ses frères vaincus, ce serait à leur tour de subir le courroux implacable des Ghotaï. Il devait réussir, le choix n'était pas permis, de même que l'échec.