Le coeur perçoit ce que l'oeil ne voit pas (PV Riga)

81e jour du Printemps
Année impériale 399
Òmargleann

Dans l'épaisse longère qui trônait au sommet du village, Wylan patientait devant l'âtre où crépitait un feu tout juste réanimé. L'aube avait éclaté une heure plus tôt et l'eorl avait fait mander trois de ses plus fidèles guerriers. Dorman, Eredios et Silgird se présentèrent en cognant contre la lourde porte. Le Borgne garda son regard rivé sur les flammes qui dansaient et s'écria.

Entrez !

Silgird poussa l'huis et pénétra le premier, suivi par ses deux compères et ils se placèrent autour de la table. Wylan se tourna vers ses hommes, les toisant de son oeil unique, les traits serrés, témoins de sa profonde réflexion. Il mit ses mains à plat sur la table avant de prendre appui pour se lever, légèrement penché vers ses hommes.

Si je vous ai demandé de venir ce matin, c'est pour une mission de la plus haute importance. Je sais que, comme moi, vous avez eu vent des nouvelles que colporte le Voyageur.
Tu y crois, Eorl ?
Quel intérêt aurait le druide à mentir ?

Le Vairon haussa les épaules en secouant la tête avant de répondre.

J'sais pas ! C'est pas un druide normal, à vagabonder tout le temps. Il parait qu'il va chez les ruviens des fois.
Il parcourt le monde et nos voisins du Sud en occupent une bonne partie. Qui peut juger la volonté des druides, Dorman ?
Ouais ... Mais bon ...
Peu importe ton avis. Le Voyageur continuera de voyager, même si tu désapprouves. Toujours est-il, qu'une puissante armée s'apprête à déferler sur nous et qu'il a demandé aux Rois de s'unir et a convoqué le Coinmeanh Righrean.

Les trois guerriers se penchèrent un peu plus vers l'eorl alors qu'ils se rendaient compte de la gravité du moment. Le Borgne poursuivait en saisissant un pichet en terre cuite qui attendait au centre de la table. Il remplit les gobelets qui avaient été disposés à l'avance devant les tabourets où s'étaient assis les guerriers. La bière dorée fut bientôt coiffée de sa chevelure blanche et mousseuse.

Seulement, en l'état, je crains que cette idée soit une réelle impasse. Notre Roi ne voudra jamais s'asseoir aux côtés des Rois Broìn.

À l'évocation des souverains des rivaux des marais, les guerriers lâchèrent un glaviot sur le côté. Eredios frappa du poing sur la table avant de vociférer.

Il a raison ! Ces fils de pute risquent de charrier des saloperies venus de leurs marécages.
Et la dernière fois que Magetobrigos a refusé de parlementer avec les fangeux, Lochran lui-même a du se manifester sur le champ de bataille pour mettre un terme à ce qui ressemblait plus à un carnage qu'à un combat honorable.

Le douloureux souvenir de cet engagement épique et sanglant fit s'assombrir les faciès des quatre Cléirigh. Wylan y avait perdu un oeil, mais chaque guerrier présent y avait versé son sang. Silgird y avait même perdu un fils. Le Borgne prit une gorgée de bière avant de poursuivre.

Depuis des années, le Sanglier prouve sa médiocrité. Et même si je conchie allégrement ces bouseux des marais, il semble qu'il faille mettre de côté nos rancoeurs pendant un temps. Quelle importance de nous quereller avec ces bâtards si notre pays se fait envahir et réduire en bouillie par les Feareich de l'Est ?
Et tu proposes quoi ?

La moue désapprobatrice de Silgird souligna le regard torve qu'il adrssait à son eorl. La porte s'ouvrit au même instant, dévoilant une silhouette fine aux cheveux incandescents, dont le regard transperçaient l'ombre dans lequel son visage était plongé.

La silhouette avance, révélant peu à peu à la lueur de l’âtre une chevelure semblable à ces flammes qui crèvent la surface des bûches, soigneusement tressée vers l’arrière, tout autant qu’une robe simple, d’un vert semblable à celui des forêts, uniquement ceinturée d’un lien de cuir à laquelle est suspendue une petite dague courte rangée dans son petit fourreau. On peut presque la confondre avec la silhouette d’une gamine si ce n’est le regard, direct et sans détour, affirmé, qui se pose présentement sur les quatre comparses attablés autour d’une bière. D’un geste habile de son pied, elle ferme la porte, avant d’avancer en traînant derrière elle un sac qu’elle dépose ensuite dans un coin, le visage fermé. Sa voix douce aura la tendresse d’un fouet quand elle s’élèvera, pour dire, occupée à se servir un gobelet d’eau fraîche, l’air de rien :

- Si votre objectif était d’être discrets, c’est loupé. On entend Eredios beugler depuis bien avant notre porte.

Elle apaise sa soif d’une longue gorgée avant de déposer le gobelet et de les regarder tous, s’attardant spécialement sur Eredios qui, non content de malmener les meubles en frappant dessus, se permet de gueuler comme un putois des paroles qui auraient tout intérêt à n’être entendues de personne. Un regard à Wylan et il saura. Il saura qu’elle a tout perçu de la fin de cette conversation, tranquillement en train d’écouter à la porte des paroles prononcées d’une voix forte. Elle s’est assurée que personne n’ait rien entendu, évidemment, avant de rentrer chez elle et d’instaurer une sorte de silence un peu gênant, par son intervention.

- Sans compter que Gorlan dort encore.

La rouquine les contourne tous les quatre avant de s’arrêter derrière son époux, posant une main légère sur son épaule. La moue désapprobatrice de Silgird ne s’est pas dissipée, on dirait même qu’elle s’est accentuée, ce qui n’échappe pas à la rouquine, qui sourit légèrement en disant :

- Silgird t’a posé une question, Wylan. Alors ? Que proposes-tu exactement ?

En quelques instants, elle a intégré la conversation, de l’air le plus tranquille et le plus naturel du monde. Il est bien entendu qu’elle ne compte pas s’en aller. En plus d’être chez elle, cela la concerne directement. L’infâme roi des Broin n’avait-il pas envoyé dans leur maison, il y a de cela quelques nuits, un de ses crapauds répandre sa bave et son odeur de vase dans leur propre chambre, leur propre lit ? Les murs de la pièce tremblent encore de la fureur de la rouquine, fulminant de ne pas avoir été là au bon moment. Depuis, elle refuse d’ailleurs de laisser la pièce dans le noir absolu, maugréant sur son manque de vigilance. L’on peut être certain qu’un tel incident ne pourra pas se reproduire sous son toit. Elle veille. Sur lui. Sur eux. Sur tout.

La petite silhouette à la tignasse rousse soigneusement tressée referam la porte d'un coup de pied leste.

Si votre objectif était d’être discrets, c’est loupé. On entend Eredios beugler depuis bien avant notre porte.

Riga approcha de la table, après s'être délesté d'un sac en toile de jute, et en fit le tour pour se placer à la gauche du Borgne. Elle se saisit du gobelet de son époux en toisant Eredios d'un oeil accusateur avant de boire une bonne rasade de la cervoise. Elle claqua le verre à moitié vidé sur la table avant de rappeler à tous son instinct maternel.

Sans compter que Gorlan dort encore.

Elle poursuivit sa course, passant dans le dos de Wylan qui croisa son regard farouche et déterminé. L'eorl profita du bref instant où elle était dans son dos pour lever son oeil vers le ciel avant qu'elle renchérisse.

Silgird t’a posé une question, Wylan. Alors ? Que proposes-tu exactement ?

C'était désormais quatre pairs d'yeux qui se tournaient vers le Borgne, tous plus attentifs les uns que les autres. Wylan aurait souhaité congédier Riga, autant pour ne pas entendre ses réserves que pour la préserver de toute inquiétude. Autant pisser dans une cornemuse que de perdre son temps à tenter de raisonner la jeune femme. Il préférait économiser sa voix et ses neurones et ne pas s'engager dans une dispute devant des spectateurs. Elle resterait là. De toute manière, elle savait déjà tout de l'intrusion du Mhàgachfir et en avait fulminé pendant la moitié de la nuit. Le Borgne observa ses guerriers tour à tour avant de lâcher un soupir et de reprendre.

Je propose de prendre la place de ce nain qui se prend pour Neart.

Eredios eut un hoquet de surprise, Silgird se renfrogna en s'enfonçant un peu plus dans sa chaise. Seul Dorman opina du chef sans un mot. Wylan leva une main pour tempérer les réactions et couper court aux questions qu'ils pourraient émettre.

Je pense avoir trouvé un moyen de faire d'une pierre, deux coups. Nous débarasser du Sanglier et donner les moyens au Conseil des Rois de se tenir dans de bonnes conditions.

L'eorl déglutit en lançant un bref regard vers son épouse. Même s'il était convaincu d'avoir élaborer un plan solide, ce qu'il s'apprêtait à dire lui semblait bien plus difficile à prononcer qu'il ne l'avait anticipé.

Mais pour cela ... Je dois rencontrer l'émissaire du Chenu.
Quoi ?!
Que Tàirne me foudroie !

Silgrid en renversa sa chope sur la table. Les mâchoires serrées et ses sourcils broussailleux froncés, le guerrier s'était levé d'un bond. Le Borgne le toisa de son oeil mort et fut pris d'un petit tic nerveux qui qui faisait trésaillir ses cicatrices. Ses doigts se recroquevillèrent dans sa paume qu'il finit par abattre sur la table pour faire taire les protestations, faisant trembler la vaisselle qui s'y trouvait.

Il est temps de m'écouter et de cesser de s'enorgueillir de cette rivalité de merde qui nous scélrose ! Guerrier, assis !

Malgré son âge et sa largeur d'épaule, Silgrid fut cueilli par l'envolé verbeuse de son eorl. Il eut le regard d'un enfant qu'on venait de prendre la main dans le pot de miel. Il se maurigéna et se rassit en silence. Une petite voix retentit dans le dos du Borgne.

Père ? Pourquoi tu cries ? Mère ?

Wylan lança un regard par-dessus son épaule. Son fils, partageant la couleur de cheveux de son épouse, se frottait des yeux encroûtés de sommeil en titubant vers eux. L'eorl lança un regard vers sa femme, comme pour l'inviter silencieusement à s'occuper de l'intrus. Qu'elle assiste à cette petite réunion était une chose, mais Gorlan était, lui, bien trop jeune pour participer à ce genre de complot.

Elle croise son regard et opine légèrement de la tête. Sa main ne quitte pas un instant l’épaule de son époux, y compris à l’énoncé de cette proposition qui agite sensiblement deux des trois autres guerriers et quand il abat son poing fermé sur la table, faisant trembler la vaisselle un bref instant. La réaction des hommes ne la surprend aucunement. Ce qui la surprend par contre, c’est la fugace hésitation qu’elle a vu dans le regard de son époux, précédant une annonce qui la fait inspirer et expirer de façon prononcée. Les lèvres serrées, elle écoute son époux remettre ses guerriers à leur place jusqu’à ce qu’elle entende la petite voix d’un bambin qui vient d’être tiré du monde des rêves, arrivant dans la pièce en se frottant les yeux.

Wylan n’a pas besoin de lui demander, même silencieusement, de s’en occuper. Riga s’empare de la main de l’enfant et le reconduit à son lit, demeurant un bref instant à ses côtés, pour s’assurer qu’il s’apaise et s’endorme.

- Tu es fâchée, Mère ?
- Non. Pourquoi me demandes-tu cela ?
- Parce que tes sourcils, on dirait la pointe d’une tes flèches…

Riga penche la tête, une ébauche de sourire au coin des lèvres, et observe son enfant couché dans son lit, avant de dire, en remontant la couverture de laine jusqu’à son menton.

- Reste ici, rendors-toi. Et si tu entends crier, ne sors pas. Je viendrai te chercher.

Elle dépose un baiser sur son front et sort, fermant la porte avec soin, rejoignant la tablée non pas en se tenant debout aux côtés de son époux mais en s’emparant cette fois d’un tabouret qu’elle place auprès de Wylan. Elle a un regard pour chacun des quatre hommes, pas impressionnée ni intimidée par leur taille ou leurs éclats de voix.

- Le prochain qui gueule, je le fous dehors, c’est compris ? Gorlan n’a pas à entendre vos cris, ni même ce qu’il se passe ici. Pas plus que le reste du village.

Elle inspire profondément à nouveau, plaçant ses mains jointes sur la table, le dos droit, avant de parler à nouveau, d’une voix douce et posée, à Wylan :

- Où et quand comptes-tu rencontrer cet émissaire ?

Le ton est calme. Très calme. Trop…en fait. Wylan connait bien son épouse. Et cela n’annonce jamais rien de bon, cette apparente placidité et cette ostentatoire nonchalance.

Un silence s'abattit comme une chape de plomb dans le hall où avait lieu la discussion. Tous les regards se rivèrent sur le fils de Wylan, comme si chacun réalisait qu'il avait dépassé les bornes en faisant sortir de son lit le petit garçon. Riga s'éloigna de son époux et disparut un bref instant dans la pièce attenante. Le Borgne tourna son oeil vers ses guerriers en faisant une grimace désapprobatrice, anticipant déjà le retour de sa moitié. Les guerriers s'étaient renfrognés au-dessus de leur chopine qu'ils s'appliquèrent à vider sans un mot. La petite rouquine les rejoignit aussitôt et prit un tabouret pour s'installer aux côtés de son époux. Elle toisa chaque homme qui l'entourait avant de se fendre d'une inévitable réprimande.

Le prochain qui gueule, je le fous dehors, c’est compris ? Gorlan n’a pas à entendre vos cris, ni même ce qu’il se passe ici. Pas plus que le reste du village.

Riga joignit les mains et, semblant retrouvé sa sérénité -une façade que Wylan connaissait bien- elle relança la conversation.

Où et quand comptes-tu rencontrer cet émissaire ?

Le regard qu'elle lui lança ne souffrait d'aucune contestation sur le fait qu'après avoir congédié ses guerriers, le Borgne devrait engager des négociations tendues avec sa Fourbe d'épouse. Il opina du chef, feignant devant l'auditoire de ne pas avoir remarqué la menace sourde qui pesait dans l'attitude de Riga et redressa la tête pour faire face à ses hommes.

Dans deux jours, après le crépuscule sur la presqu'île du Chaseileann dans le Boglachòmar.

Les guerriers se mirent à se tortiller sur leurs tabourets, signifiant par leurs corps plus que par les mots, leur désaccord. Wylan poursuivit, avançant ses arguments pour convaincre les trois hommes. Il savait d'avance qu'avec Riga, il devrait attendre d'être dans l'intimité.

Eredios ! Hier encore tu pestais contre ta jambe qui te faisait un mal de chien à chaque averse. Dorman a du cesser la chasse depuis que ses côtes se sont mal ressoudées. Et toi Silgrid ... Je ne te ferai pas l'affront de rappeler ici ce que tu as perdu dans ces marais putrides. Moi-même c'est la moitié de mon visage qui est resté dans ce limon infâme. Et tout ça pour quoi ? Combien de fois ai-je dit de ne pas nous battre dans les tourbières ? N'ai-je pas averti notre Righ et les autres chefs de clan de faire sortir les Broìn de leurs vases pour qu'il n'est pas l'avantage du terrain ? Mais non. "Le jeune Wylan ne sait pas de quoi il parle", "il en va de l'honneur des Cléirigh". Est-ce de l'honneur de tendre le bâton pour se faire battre comme plâtre ? Le Sanglier clamait sa vengeance et il n'a récoltait que plus de haine entre nos peuples. Parce que ses conseillers et lui sont un troupeau de butors incapable de réfléchir cinq secondes !

L'auditoire semblait happé par le réquisitoire du Borgne. Une goutte de sueur roula le long de la balafre qui traversait son oeil laiteux. Il l'essuya d'un geste vif avant de continuer en tapotant son index tendu sur la table.

Moi aussi j'ai une vengeance à accomplir, mais je refuse de jouer le jeu selon les règles que nos aïeux ont établis. Je jouerai selon mes règles.

Il se rassit, prenant une gorgée de bière pour se tempérer quelque peu. Il conclut d'un ton moins vindicatif que jusqu'alors.

Je ne vous demande pas d'aimer ces fumiers, ni de leur tendre la croupe pour qu'ils se soulagent ailleurs que dans des chèvres. Je vous demande juste de m'accompagner et de parler quelques instants avec eux. À la première tentative d'entourloupe, on les égorge et on met les bouts.

Une nouvelle fois, le silence s'installa autour de la table. Les guerriers échangèrent des regards incrédules et lancèrent quelques oeillades vers Riga pour jauger sa réaction. Wylan, lui, préférait ne pas croiser le regard émeraude de la jeune guerrière, même s'il se doutait qu'il était rivé sur lui avec des étincelles de fureur qui brillaient à l'intérieur.

Dans deux jours, dit-il. Deux petits jours. Elle est déjà en train de calculer, de prévoir, les armes, les victuailles, le déplacement, les armes à nouveau…Encore les armes. Ses flèches, son arc, sa lance. Faire en sorte que Gorlan soit pris en charge. Toujours les armes, se rappelant que la corde de boyau mériterait sans doute un entretien avant le départ. Les pointes de ses flèches devraient être de nouveau effilées sur la pierre plate à l’arrière de la maison. Et pourtant tout cela n’est visible de personne, toutes ces pensées qui l’assaillent, alors qu’elle a un regard direct pour Wylan qui ne semble pas désireux de le lui rendre.

Les choses prennent une toute autre tournure quand elle s’aperçoit qu’il évoque les guerriers à sa table et aucunement son épouse. Elle inspire profondément, en levant la tête et en regardant soudainement ailleurs, ses doigts croisés s’agitant un temps, sur la table du hall qui recueillait la détermination et les projets de Wylan. Il parle bien. Il a toujours su motiver les autres, les convaincre et trouver les mots justes. Sauf que là…là…La partie est loin d’être gagnée. Elle le sent aux regards incrédules que lancent les hommes en sa direction. Tous les hommes, sauf le sien, probablement conscient de l’énormité de ce qu’il est en train de dire. Et de faire.

- Dans deux jours. A quatre hommes, dans un endroit éloigné, coupé de tout et de tout le monde, pour rencontrer des Broins ? Pour « discuter » ? D’un arrangement ?

Elle a parlé d’une voix douce, comme toujours, le regard posé sur l’espace compris entre deux guerriers, avant de hocher la tête, acquiesçant moqueusement à la pire idée qui ait jamais fleuri dans cette caboche-là.

- T’es conscient tout de même que si ça tourne mal, la chèvre, ce sera toi ? Nous tous ?

Elle tourne la tête vers son époux cette fois, les yeux luisant d’une fureur qu’elle a beaucoup – beaucoup – de mal à contenir mais qu’elle contient tout de même, gardant les explications pour après. Quand les autres seront sortis. Et que Gorlan aura été envoyé cueillir des champignons afin de l’éloigner de la tempête qui s’annonce.

- Vous tous là, qui vous tortillez sur vos tabourets, vous soutenez cette idée-là ?

Elle regarde Eredios, Dorman et enfin Silgrid, s’attardant spécifiquement sur ce dernier.

- Toi qui as perdu un fils, tu laisserais un père agir de cette façon, en sachant qu’il pourrait ne jamais revenir ? En sachant qu’en face, ils n’attendent que cela ?

Elle croise les bras sur son ventre, les lèvres pincées. C’est beaucoup plus difficile que prévu, mais elle se contient encore un peu. Pour la forme. Même si elle sait très bien qu’en face d’elle, les trois hommes devinent parfaitement bien sa colère, son agacement…et une furieuse envie de distribuer des claques.

Dans deux jours. A quatre hommes, dans un endroit éloigné, coupé de tout et de tout le monde, pour rencontrer des Broins ? Pour « discuter » ? D’un arrangement ? T’es conscient tout de même que si ça tourne mal, la chèvre, ce sera toi ? Nous tous ? Vous tous là, qui vous tortillez sur vos tabourets, vous soutenez cette idée-là ?

Wylan tourna son visage lacéré vers Riga avec une lueur de colère dans l'oeil. Bien évidemment qu'elle allait se manifester et émettre des doutes, mais il avait parié secrètement qu'elle garderait ses remarques pour le moment où ils n'auraient été qu'à deux. Seulement, la jeune femme avait le tempérament de Lochran, à l'image de la chevelure, et ç'aurait été bien être naïf que de miser sur sa tempérance. A-t-on jamais vu un volcan se taire face aux commandements d'un mortel ? Les trois guerriers se turent, baissant la tête vers leur chope, cherchant quelques réponses dans les fines bulles qui crevaient la surface de la mousse. Peu réceptive au silence qu'on lui offrait en réponse, Riga renchérit en croisant les bras, presque boudeuse.

Toi qui as perdu un fils, tu laisserais un père agir de cette façon, en sachant qu’il pourrait ne jamais revenir ? En sachant qu’en face, ils n’attendent que cela ?

Un long soupir rempli d'exaspération s'échappa des lèvres du Borgne, qui se redressa et se mit à faire les cent pas. Il se mit à pester, faisant blanchir les cicatrices qui couraient sur sa joue.

Par Fàis ! Peux-tu arrêter de me prendre pour un imbécile ? N'ai-je pas déjà prouver cent fois que je réfléchis avant d'agir ?

Aussi vrai que Riga était faite de feu, Wylan était plus proche de Tuinn ; calme, réfléchi, presque tranquille, mais aussi traître et implacable. Il s'accouda contre un des poteaux qui soutenaient la toiture avant de poursuivre.

Chaseileann est en territoire contesté, ni chez eux, ni chez nous. C'est probablement ce qui se rapproche le plus d'un terrain neutre pour entamer des palabres. Et oui "quatre hommes", ce sont les termes de l'accord. Même si je me doute bien que les vaseux vont très probablement bafouer l'entente, j'ai déjà réfléchi à la manière de jouer le jeu sans le subir.

L'oeil unique de Wylan passa de Silgird, qui se ratatinait sur son céans, à Riga, toisant son épouse avec une détermination franche. Les lueurs mordorées du feu qui brûlait dans l'âtre projetaient des ombres sinistres sur la trogne couturée de l'eorl.

Et c'est précisément parce que je suis un père que je fais tout ça. Combien de guerriers ont vus leur fils crever pour rien ? Pour des querelles ancestrales et des rancoeurs de Righ ? Il faut que cela cesse. Et si je peux être celui qui les fera cesser, je jure, par Beinn, que je le ferai. Mais pour cela, il faut les rencontrer.

Dorman fut celui qui se manifesta le premier. Ses yeux dépareillés restèrent mi-clos alors qu'il brisaient le mutisme dans lequel il s'était muré jusque là.

Je t'accompagnerai, Eorl.

Le Borgne hocha la tête à l'attention de son guerrier. Les deux autres guerriers observèrent leur camarade, puis Eredios parla à son tour.

J'aime pas l'idée, j'aime pas ces connards, mais je serais à tes côtés pour assurer ta protection.

Restait Silgird qui resta prostré pendant quelques instants qui paraissaient interminables. Il avala le reste de sa bière avant de se lever et de se diriger vers la porte.

D'accord.

Il ne dit rien d'autre, n'adressa aucun regard à ses compagnons et sortit en rentrant légèrement la tête dans ses épaules. Le Borgne ressentit un poids s'ôter de son torse et il congédia les deux autres guerriers d'un hochement de tête reconnaissant. Ils sortirent après avoir vidé leurs verres. La première étape avait été franchi, il fallait ensuite mener une seconde conversation qui s'annonçait tout aussi tendue si ce n'était plus.

La colère de Wylan ne lui fait ni chaud ni froid, elle soutient son regard, y ajoutant une lueur de défi, le menton haut. Cependant elle ne dit rien, ils ont tous entendu sa nette désapprobation et ce qui ressemble à un veto catégorique. Elle le laisse palabrer, un instant, un long instant, avant de se lever de table et quitter la pièce, sans saluer les guerriers qui de toute façon, elle le sait, finiront par se ranger à l’avis de leur Eorl. C’est ainsi. Wylan a ce magnétisme, ce charisme qui fait fléchir les protestataires, qui pousse à le suivre, quel que soit la destination. Cela marche aussi sur Riga, la plupart du temps, mais pas là, non. Là, elle préfère sortir plutôt que d’entendre la fin de cette entrevue secrète.

Wylan, lui, entendra au loin que Riga est en train d’habiller Gorlan et de lui donner à manger en silence, alors que les guerriers viennent de s’en aller. Le petit garçon parle tout seul, babillant comme seuls les enfants peuvent le faire, à propos de tout et n’importe quoi, depuis la mouche qui se pose sur le morceau de pain à la mine fermée de sa mère qui toujours ne répond rien, vaquant à ses tâches en un silence lourd.

Elle quitte un instant la pièce pour revenir dans le hall, passe devant son époux pour s’emparer du sac de jute qu’elle a laissé dans l’entrée, et repasse devant lui, toujours sans dire un mot, ne lui adressant pas le moindre regard. La jeune rouquine reprend sa place, près de son fils qui finit par se taire, ouvrant le sac et faisant rouler d’énormes navets sur la table. Le petit garçon observe à présent sa mère avec inquiétude. Ce n’est pas son genre de ne rien dire du tout. Ce n’est pas son habitude de ne rien répondre. D’ordinaire, elle l’embrasse, elle le prend dans ses bras, brièvement, pour le saluer, avant de l’envoyer dehors, pour qu’il exécute ses tâches ou qu’il s’entraîne à manier ses petites armes avec son père.

Mais pas là, non.

Là, Riga se saisit d’un petit panier, qu’elle dépose devant lui et dit enfin :

- Va chercher des champignons. Et ne reviens pas avant que le panier soit rempli.
- Mais mère, j’aime pas les champignons.
- Fais ce que je te dis.

Le petit garçon aux cheveux de feu plisse les yeux et les lèvres, prend son panier et sort de la pièce, avant de voir son père et de venir enserrer ses jambes en silence pour le saluer. Il ne dira rien, il se contente de cela et sort, le panier à la main, la mine renfrognée. C’est qu’il déteste vraiment les champignons, voyez-vous…De l’autre côté, Riga, elle, est en train d’éplucher un navet à l’aide d’une petite lame, les yeux rivés sur la pelure qui glisse, rapide, entre ses doigts agiles. Les mouvements sont vifs, brutaux et nerveux, tandis qu’en son ventre bout une rage immense, qu’elle n’exprime pas encore. Elle sait quelles proportions peuvent atteindre ses colères, elle se contrôle donc. Au moins le temps que Gorlan soit assez loin pour ne rien entendre.

L'oeil rivé sur l'huis par lequel sortait ses guerriers, Wylan ne se laissa pas distraire par le départ de son épouse vers le fond de la longère. L'eorl sentait son coeur battre rapidement en écho dans ses tempes et sa tunique était poisseuse de sueur. Il resta un long moment dans un silence uniquement chahuté par le crépitement du bois qui se faisait lentement dévorer par les flammes. La présence aussi pesante de sa frêle épouse lui avait compliqué la tâche. Ses regards et ses remarques avaient semés le doute dans l'esprit de ses guerriers et il avait dû s'employer plus que de coutume pour leur arracher une réponse positive. Déjà que l'idée de côtoyer des représentants du peuple honni était une affaire compliquée, elle n'avait fait que la rendre plus difficile.

Des bruits de pas rapides retentirent derrière lui et il eut à peine le temps d'apercevoir une petite bouille ronde constellée de son qu'il fut pris dans une accolade franche. Wylan laissa sa main caleuse rencontrer brièvement la toison de feu de son fils avant que ce dernier ne sorte en traînant légèrement les pieds, armé d'un panier. La porte claqua derrière le garçonnet et le Borgne se dirigea vers l'arrière de sa demeure.

Riga était attablé, épluchant des navets dont la peau violette tombait en copeaux mal dégrossis sur le bois noueux. Tout dans l'attitude de la jeune femme trahissait l'agacement. La lame qui entrait brutalement dans la chair ferme, sa façon de poser la lame en la claquant et les petits soubresauts que faisaient ses épaules à chaque geste. Il leva son oeil vers le ciel avant de se mordre les lèvres, sachant d'avance que cette discussion serait pénible. Il fit le tour de la table et s'assit, sans un mot, à la place qu'occupait un peu plus tôt Gorlan. Le Borgne observa son épouse martyriser le pauvre navet qui n'avait rien demandé et puisqu'elle semblait plus à même de passer ses nerfs sur l'épluchage que d'entamer la conversation, il se résolut à la lancer.

Je t'écoute.

L'oeil laiteux de Wylan était fixé sur le visage de Riga et sans s'en rendre compte, l'eorl serra les dents pour encaisser la tempête qui s'annonçait.

L’épaisseur du navet se réduit comme peau de chagrin, métamorphosant le légume en un vague panais étrange, sculpté au couteau par une Riga qui ne regarde aucunement Wylan. Elle se concentre sur sa tâche, faute sans doute de pouvoir éplucher cette caboche qui lui fait face et qu’elle chérit pourtant, en dépit des apparences.

- Ah ? Maintenant que les hommes ne sont plus là, tu m’écoutes ? C’est trop d’honneur.

Elle balance le navet-panais dans une marmite grossière, enchaînant son ouvrage, sur le même rythme, la même cadence, les mêmes gestes saccadés. La tension vient de monter d’un cran. Comme la première goutte qui entraîne toutes les autres dans sa chute, les paroles arrivent, mal gérées à cause de l’émotion, de la colère dissimulant une inquiétude atroce que rien ne pourra, selon toute vraisemblance, apaiser. Elle relève soudainement son visage vers le sien et pointe le couteau dans sa direction, l’œil étincelant d’une lueur inquiétante.

- Tu dois sans doute avoir perdu la tête, je n’ai pas d’autre explication. C’est la venue de ce fangeux dans NOTRE lit qui t’a donné des idées, une envie de découverte ?

Elle fiche le couteau dans la table, serrant sa main sur le navet.

- Parce que tu auras ton content de découvertes, si tu es capturé. Donc…un de ces ignobles Broins tapine en douce dans notre village, se faufile comme un scélérat jusqu’à NOTRE maison, Wylan ! NOTRE MAISON ! et tu réponds à son invitation, la bouche en cœur, en embarquant trois hommes ? Mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi ?

Elle le regarde toujours.

- Je refuse que tu y ailles. Je n’ai AUCUNE confiance en eux.

Elle se lève, balançant le navet dans un coin, rageuse, avant de faire les cent pas.

- Il doit y avoir un autre moyen, une autre solution. Mais ça…ça je ne peux pas. Tu n’iras pas. Je t'en empêcherai.

Ah ? Maintenant que les hommes ne sont plus là, tu m’écoutes ? C’est trop d’honneur.

Le vestige de navet, tailladé grossièrement comme s'il avait s'agit du corps d'un brigand voulant s'en prendre à leur fils, heurta le fond de la marmite avant que Riga ne se saisisse du suivant pour lui faire subir le même sort. Joignant le geste à la parole, la jeune femme se laissa emporter par sa fureur.

Tu dois sans doute avoir perdu la tête, je n’ai pas d’autre explication. C’est la venue de ce fangeux dans NOTRE lit qui t’a donné des idées, une envie de découverte ? Parce que tu auras ton content de découvertes, si tu es capturé. Donc…un de ces ignobles Broins tapine en douce dans notre village, se faufile comme un scélérat jusqu’à NOTRE maison, Wylan ! NOTRE MAISON ! et tu réponds à son invitation, la bouche en cœur, en embarquant trois hommes ? Mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi ?

Et la lame de continuer à massacrer ce pauvre navet qui n'avait rien demandé. Le Borgne semblait hypnotisé par la chair balnche qui se faisait poignarder allègrement sous les assauts de son épouse. Elle n'en avait pas terminé, il le savait, aussi se tut-il encore quelques instants, la laissant exhaler toute sa colère.

Je refuse que tu y ailles. Je n’ai AUCUNE confiance en eux. Il doit y avoir un autre moyen, une autre solution. Mais ça…ça je ne peux pas. Tu n’iras pas. Je t'en empêcherai.

Wylan prit une grande inspiration en regardant le navet qui roulait sur le sol avant que Riga ne se mit à tourner en rond dans la pièce. Il dirigea son oeil vers la rouquine fulminante et déclara calmement.

Tu as fini ? Je peux en placer une maintenant ?

Il tapota du bout des doigts sur la table, un sourire narquois accroché aux lèvres. Sa remarque ne manquerait pas de faire sortir tout le venin qui avait macéré en elle pendant toute la discussion qu'il avait eu avec ses guerriers. Il tendit la main vers le banc avant de dire sur le même ton tranquille.

Tu veux bien t'asseoir, tu me donnes le tournis.

Elle ne cesse d’arpenter la pièce, les bras croisés sur son ventre, affichant la mine d’un chat fâché, grommelant des paroles incompréhensibles entre ses dents. Il y a tant de choses à dire, à faire, mais elle est tellement furieuse qu’elle ne sait pas par où commencer et c’est probablement une des choses qui l’agace le plus.

Parce que la situation est délicate et grave et qu’il a l’air de prendre ça à la légère.

Parce qu’il a choisi d’emmener ses hommes et qu’il laisse son épouse hors de la manœuvre alors qu’elle estime que sa place est à ses côtés, en temps lieux et en tout temps.

Parce qu’elle a peur pour lui, compte tenu de ce qu’il prévoit, et à juste titre.

Parce qu’elle sait qu’il finira par la convaincre en dépit de toutes ses préventions et de tout ce qu’elle lui dira. Et c’est ce dernier point qui l’horripile plus que tout.

Elle continue d’arpenter les lieux, remuant parfois un bras pour ponctuer une pensée particulièrement virulente… jusqu’à ce qu’elle l’entende. Et qu’elle le voit. Il sourit. Le fumier. Il sourit de cet air absolument insupportable qui a le don de la mettre hors d’elle en moins d’un quart de seconde. La réaction sera à la hauteur de l’affront. Un navet énorme est envoyé directement à la face de Wylan, tandis qu’elle vocifère, hors d’elle :

- ARRETE DE TE FOUTRE DE MOI !

Elle en saisit un second et joue un instant avec lui, avant d’ajouter, les joues toutes rouges de colère :

- CA TE FAIT MARRER ?

Et le second navet est lancé de toutes ses forces vers lui, sans discernement. Elle en attrape un troisième.

- ET SI TU MEURS ? T’AS PENSÉ A GORLAN ? OU MÊME A MOI ?? BEN NON !!! TU NE PENSES QU’A TOI !

Le troisième suivra le même chemin avant qu’elle ne pose les deux mains à plat sur la table, le crâne vrillé par une violente douleur, le souffle court. Elle ne dit plus rien, le cœur au bord de ses lèvres serrées d’avoir trop crié. Une fois de plus.

Son oeif vif et son oeil mort toisait le petit brin de femme qui tournait en rond, piétinait et revenait insassiablement sur ses pas. Il savait très bien que ses paroles allaient la piquer au vif, mais ce sourire de défi ne put rester cacher sur son visage estropié. Trois, deux, un. La réaction ne se fit pas attendre.

ARRETE DE TE FOUTRE DE MOI ! CA TE FAIT MARRER ?

Un navet fila droit sur lui et il dut se pencher vers la droite pour éviter de le prendre en pleine figure. Un deuxième projectile vint lui heurter l'épaule, lui provoquant un petit tréssaillement qui lui arracha un petit éclat de rire nerveux.

ET SI TU MEURS ? T’AS PENSÉ A GORLAN ? OU MÊME A MOI ?? BEN NON !!! TU NE PENSES QU’A TOI !

Jamais deux sans trois, disait le vieil adage. Comme pour donner raison au proverbe, Riga lança un troisième navet qu'il parvint à esquiver de justesse. Elle s'appuyait désormais contre la table, la face rougie par l'exaspération et le souffle court. Enfin l'accalmie qui lui permettrait de pouvoir s'expliquer sans risquer de se faire interrompre ou pire, se prendre un navet dans son dernier oeil valide.

C'est justement parce que je pense à Gorlan et à toi que je dois y aller. Et pour ta gouverne, ce n'est pas moi qui réponds à leur invitation, mais eux qui ont répondu à la mienne.

Après avoir longtemps évité le regard furibond de la petite rouquine, il le cherchait désormais en fixant Riga avec intensité. Il poursuivit sans ciller.

Et rassure-toi, je n'ai ni l'intention de me faire tuer, ni de me faire capturer par les fangeux. J'ai déjà réfléchi à la façon dont je peux m'en assurer et les Broìn ont bien trop l'habitude de l'attitude intrépide de nos frères pour vraiment se méfier. C'est pour ça que j'ai demandé à Dorman et les autres de me suivre.

Il tendit la main vers celle de Riga sans la saisir. Il la tourna, paume vers le haut, laissant la furie la prendre lorsqu'elle le jugerait opportun. Un geste tout à fait symbolique mais qui serait gage de la confiance qu'elle avait en lui. Le sourire était toujours accroché à son visage, mais il s'était fait plus doux, à l'image de sa voix.

As-tu si peu foi en moi que tu me penses si ... téméraire ?

Débile ! Il avait pensé "débile". En général, lorsqu'il utilisait ce mot ou "intrépide", "va-t-en guerre" ou tout autre adjectif qui faisait l'orgueil du commun des Cléirigh, il y avait une connotation sarcastique qui se tapissait derrière. Il resta en silence, la main tendue vers elle, espérant qu'elle aurait au moins entendu ce qu'il avait à dire et que leur discussion puisse se poursuivre sous un ciel moins orageux.

- Ne joue pas sur les mots, Wylan, tu sais très bien que le résultat sera le même, peu importe qui invite l’autre.

Elle parle à voix basse maintenant, reprenant peu à peu ses esprits, au fur et à mesure que l’Eorl s’exprime, de cette voix douce et égale qui lui est propre. Les deux mains sur la table, elle détourne un instant le visage, les lèvres plissées. Cet homme-là est le seul à savoir lui parler quand elle entre en éruption. Elle le sait, il le sait aussi, et mine de rien, Riga a son petit orgueil. Enfin petit…

- ça va mal finir, parce qu’il ne peut en être autrement avec ces créatures. Et tu le sais.

Elle reporte son attention vers lui cette fois. Il n’y a, dans ce regard gris de tempête, qu’une légitime inquiétude et une visible déception.

- Tu dis qu’ils seront surpris parce qu’ils ont l’habitude de nous voir foncer dans le tas sans réfléchir. As-tu seulement songé que l’inverse est tout aussi valable en ce qui les concerne ? Qu’ils peuvent te surprendre et te prendre au dépourvu ? Et dans ce cas-là, que feras-tu entouré de trois hommes qui ont des faiblesses physiques et mentales ?

Elle plisse les yeux et baisse la tête vers cette main tendue, posée tranquillement sur la table.

- Un guerrier dont la jambe est mal assurée ne te sera d’aucun secours. Un autre qui ne sait plus se mouvoir avec souplesse et qui ne pourra jamais encaisser des coups sur ses côtes. Et un autre enfin qui a perdu son fils à cause d’eux et qui risque, si à tout hasard cette rencontre se passe bien, de partir en vrille et de foncer dans le tas tout seul…Tu pars la fleur au bec avec une bande d’estropiés, Wylan. Si vous êtes attaqués, vous partez avec un net désavantage…

Elle a du respect pour ces guerriers, mais elle a aussi une vision plus pragmatique de la chose. Se rendre là bas uniquement avec ces trois là, c’est du suicide. Et Riga compte bien lui ouvrir les yeux sur ce dernier point. Et elle ne pourra le faire qu’en lui donnant des arguments valables. Alors elle se saisit de cette main et la serre fort.

- J’ai toujours eu foi en toi. C’est en eux que je n’ai aucune confiance.

Riga inspire et expire longuement avant de reprendre.

- Comment comptes-tu t’y prendre ?

Ne joue pas sur les mots, Wylan, tu sais très bien que le résultat sera le même, peu importe qui invite l’autre, ça va mal finir, parce qu’il ne peut en être autrement avec ces créatures. Et tu le sais.

Enfin l'ouragan semblait perdre en intensité, mais la vigilance était de mise, le Borgne se trouvait peut-être encore dans l'oeil du cyclone. Tant qu'elle n'avait pas pris sa main, il savait très bien que tornades et tonnerre pouvaient ressurgir à tout instant. Elle tourna son regard vers lui et il lui rendit avec un doux sourire, même si sa trogne difforme modelait une triste grimace à la place.

Tu dis qu’ils seront surpris parce qu’ils ont l’habitude de nous voir foncer dans le tas sans réfléchir. As-tu seulement songé que l’inverse est tout aussi valable en ce qui les concerne ? Qu’ils peuvent te surprendre et te prendre au dépourvu ? Et dans ce cas-là, que feras-tu entouré de trois hommes qui ont des faiblesses physiques et mentales ? Un guerrier dont la jambe est mal assurée ne te sera d’aucun secours. Un autre qui ne sait plus se mouvoir avec souplesse et qui ne pourra jamais encaisser des coups sur ses côtes. Et un autre enfin qui a perdu son fils à cause d’eux et qui risque, si à tout hasard cette rencontre se passe bien, de partir en vrille et de foncer dans le tas tout seul…Tu pars la fleur au bec avec une bande d’estropiés, Wylan. Si vous êtes attaqués, vous partez avec un net désavantage…

Il ne répondit rien, pas tout de suite. Elle avait encore besoin de lâcher tout ce qu'elle avait sur le coeur et gardé pendant les trop longues minutes de cette entrevue avec les guerriers. La tête de nouveau basse, elle lorgna un instant sur la main tendue vers elle avant de la saisir. La partie n'était pas encore gagnée, mais au moins ils pourraient dorénavant discuter plus calmement. Riga était comme ces bêtes sauvages qu'il fallait appréhender avec délicatesse, même si son incorrigible opiniâtreté et son tempérament de feu avait le don d'en irriter plus d'un. Heureusement pour Wylan, lui aussi était têtu et loin d'être à court d'arguments. Il savait d'avance qu'il ne parviendrait pas à la rassurer totalement, encore moins à la rallier aveuglément à un plan qu'elle jugeait bancal, mais il voulait qu'elle comprenne, au moins. Ses doigts fins se ressérèrent autour de la paluche caleuse de l'eorl.

J’ai toujours eu foi en toi. C’est en eux que je n’ai aucune confiance. Comment comptes-tu t’y prendre ?

Son autre main vint recouvrir celle de sa jeune épouse. Dans cette alcôve tendre, il glissa une tendre caresse sur le dessus de la main de Riga avant de lui répondre, un brin de légèreté dans la voix.

Ils ne sont plus tout vert, mais ce sont eux qui sauront le mieux m'aider. Ils ont toutes les raisons de se méfier des Broìn et tant mieux. Même avec les bras en moins, Silgrid pourrait arracher à coups de dents la gorge du premier fangeux qui se montrera trop zélé.

Il se plia vers l'avant, soulevant doucement la main de Riga pour déposer un petit baiser sur le bout de ses doigts. Son oeil valide plongea dans le regard argenté de son épouse alors que l'oeil mort restait irrémédiablement fixe.

Je ferai ce que j'ai toujours prôné : ne pas rencontrer ces bâtards dans les marais. La presqu'île s'enfonce dans une des rivières qui coulent entre les tourbières. Je les ferai venir sur la rive Cléirigh, en les forçant à respecter les termes de l'accord. Quatre hommes pas un de plus. S'ils refusent et persistent à jouer le jeu selon leurs règles, je partirai.

Ses traits se durcirent alors qu'il poursuivait, la voix plus insistante.

Je dois les rencontrer, Riga. Sinon, la prochaine fois, parce qu'il y aura une prochaine fois, il y a toujours une prochaine fois ... Qui mettra un terme à la guerre ? Les druides encore ? Après que Tuinn aura noyé la moitié de nos guerriers ? Et une fois que la vengeance du Righ sera accomplie ? Quelques années de paix pour y retourner comme des gorets et voir mourir nos frères et soeurs ... Nos enfants ?

Il secoua la tête en serrant un peu plus la main de sa femme. De sombres visions de la bataille lui revinrent en mémoire, faisant remonter un goût de cendres depuis le fond de sa gorge.

Je refuse de voir Gorlan périr dans les marécages. Je refuse de TE voir mourir là-bas. Et je n'ai pas l'intention d'y crever non plus. Si personne ne fait quelque chose, c'est ce qui finira par arriver. Alors, j'ai décidé de faire quelque chose plutôt que d'attendre qu'il soit trop tard. Entre les Feareich qu'a annoncé le Voyaeur à l'Est et les fangeux à l'Ouest, nous devons tout faire pour ne pas être pris en étau.

Il déssera son emprise et lâcha la main de Riga avant de se redresser, les mains à plat sur la table.

Même si ce sont des tarés de consanguins, j'ai plus confiance dans le fait de pouvoir raisonner les Broin que les orientaux. Je suis sûr que tu me comprends.

Il regardait la rouquine avec insistance, cherchant son approbation, même silencieuse.

Une caresse et un tout petit baiser pour amadouer l’animal…Une recette qui fonctionne d’ordinaire assez bien pour apaiser le petit fauve qu’elle est.

- Je sais ce que tu fais, hein…

Pourtant, elle lui laisse sa main, elle ne la lui reprend pas parce que, quand il s’agit de son époux, la tigresse en furie se mue doucement en petit chat inoffensif. Juste avec lui. Rien qu’avec lui. Elle grommelle d’ailleurs sa faiblesse, alors qu’elle ressent les callosités de la main de l’Eorl sur la sienne. Et par-dessus tout, elle l’écoute. Elle écoute chaque petit mot, chaque phrase, sans l’interrompre, tout comme il l’a laissée s’exprimer, à sa manière, un peu plus tôt. Elle sent toute la conviction de son époux, à chacune de ses paroles, elle sait qu’il est fermement convaincu de la logique de ses projets. Il est même persuadé d’y parvenir alors qu’être confronté aux Broins c’est être confronté à quatre-vingt-dix-neuf incertitudes pour une seule certitude : celle que ça va chier.

- Je ne sais pas, Wylan. Moi non plus je ne veux plus voir les nôtres mourir de cette façon-là. Seulement…

Elle le regarde franchement cette fois, tout à fait apaisée mais rongée par une inquiétude tout à fait visible. Elle lâche sa main et secoue la tête, avant de reprendre.

- …Raisonner des Broins…Il n’y a que toi pour proférer de telles paroles…Autant essayer de raisonner des bûches.

Elle se détourne de lui et s’empare de deux morceaux de bois secs qu’elle jette dans les flammes pour les ranimer, près de la grande marmite qui devait recevoir leur repas du jour.

- Cela étant je te comprends. Nous connaissons les Crapauds, il sera peut-être – je dis bien peut-être – plus facile de les convaincre.

Elle se tourne vers lui, les bras croisés, le front plissé.

- Je te comprends, mais cela ne veut pas dire que j’approuve ! Très loin de là même ! Mais bon, tu connais mon opinion, et je sais aussi que tu n’en feras de toute façon qu’à ta tête. Si au moins je pouvais t’accompagner…Tu sais que je peux estropier ou tuer à chacun de mes tirs. Je serais utile. Tu n’aurais plus rien à craindre. Et je serais discrète.

Sur ce dernier point, rien n’est moins sûr. Si l’un de ces Fangeux se comporte mal vis-à-vis de lui, ne serait-ce que verbalement, elle risque de perdre son sang-froid. Elle ne tolèrera pas qu’on manque de respect à son époux, elle qui n’a pas pourtant pas hésité à le caillasser à coups de navets il n’y a pas cinq minutes.

- Ne me laisse pas ici, dans l’incertitude et l’attente, Wylan.

Je sais ce que tu fais, hein…

Elle avait beau le savoir, elle le laissait faire. Pas convaincue, mais apaisée, la tempétueuse jeune femme semblait se montrer plus amène. Une moue inquiète fronça le nez et le front de Riga alors qu'elle surenchérissait.

Je ne sais pas, Wylan. Moi non plus je ne veux plus voir les nôtres mourir de cette façon-là. Seulement... Raisonner des Broins… Il n’y a que toi pour proférer de telles paroles…Autant essayer de raisonner des bûches.

Les à priori avaient la vie dure, surtout lorsqu'il s'agissait des fangeux. Bien sûr, elle n'avait pas tort, mais l'eorl était déterminé à tordre le cou à ces clichés. Parlant de bûches, elle en lança deux petites dans l'âtre pour alimenter le feu avant de poursuivre.

Cela étant je te comprends. Nous connaissons les Crapauds, il sera peut-être – je dis bien peut-être – plus facile de les convaincre.

Elle se tourna vers lui, croisant les bras comme pour souligner l'inquiétude dans sa voix.

Je te comprends, mais cela ne veut pas dire que j’approuve ! Très loin de là même ! Mais bon, tu connais mon opinion, et je sais aussi que tu n’en feras de toute façon qu’à ta tête. Si au moins je pouvais t’accompagner…Tu sais que je peux estropier ou tuer à chacun de mes tirs. Je serais utile. Tu n’aurais plus rien à craindre. Et je serais discrète. Ne me laisse pas ici, dans l’incertitude et l’attente, Wylan.

On abordait dorénavant la partie la plus complexe de la discussion. Elle ne pouvait l'accompagner et il devait trouver les bons arguments pour la convaincre, une fois encore, pour qu'elle restât dans le vallon.

Tu serais discrète, mortelle et féroce, je n'en doute pas. Mais il faut que tu restes ici, Riga.

Il se leva pour s'approcher de son épouse. Il planta son oeil vif dans le regard de la rouquine, afin qu'elle puisse lire l'inquiétude que lui aussi resentait envers elle.

Qui va diriger l'Òmargleann si nous partons tous les deux ? Où irait Gorlan pendant notre absence ? Cette rencontre doit rester secrète, comment le cacher si nous partons ensemble ?

Il se passa une main sur la nuque, tordant ses lèvres en une moue sceptique.

Et puis ... Il y a toujours un risque, même en prenant toutes les précautions. Imagine s'ils me font prisonnier ... Ou pire ...

Il ne voulait pas évoquer la mort directement. Riga était déjà rongée par l'inquiétude, prononcer le mot honni n'aurait fait qu'en rajouter une couche. Il continuait pourtant.

Qui veillera sur et éduquera notre fils ?

Il secoua la tête, parlant toujours d'une voix douce mais ferme, ne laissant que peu de doute sur le côté implacable de ce qu'il annonçait.

Je serai prudent, que les Tuas m'en soient témoins. Mais j'ai besoin de toi ici car je sais que tu es la seule qui saura diriger le clan comme il se doit.

Elle sait qu’elle peut être d’une aide précieuse. Elle sait qu’elle est discrète comme un chat, longeant les murs et les endroits sombres pour trouver le meilleur angle de tir, à l’abri du danger, elle est d’ailleurs en cela bien plus rusée que les autres qui foncent toujours dans le tas tête baissée. Elle est mortelle, oui, car dès qu’elle a une cible, elle ne la lâche pas. Elle tire jusqu’elle s’écroule et si, par malchance, la cible se révèle récalcitrante, elle l’achève d’un coup de lance en travers de la gorge, sans pitié. Elle est féroce, oui. Ceux qui l’ont déjà vue au combat savent qu’elle peut être un remarquable atout. Cependant, Wylan ne désire pas qu’il l’accompagne et la déception de la rouquine est terrible.

- Tu me demandes de te laisser aller là-bas…C’est beaucoup me demander…Vraiment beaucoup.

Elle soutient le regard de son époux, venu la rejoindre pour appuyer ses arguments d’un regard décidé. Il a une tête de plus qu’elle, petite brindille rousse, et pourtant elle ne le craint pas. Elle ne l’a jamais craint, pas plus que les autres. A l’évocation de ce risque qu’elle redoute tant, elle regarde ailleurs, le front plissé.

Il a raison. Elle est bien obligée de l’admettre. Lui mort, elle disparue, Gorlan serait une proie de choix, l'Òmargleann tomberait, disputé par les Eorls voisins, et leur fils mourrait sans aucun doute assassiné pour permettre à un autre de faire main basse sur leurs terres. Or, si Riga aime son époux de tout son cœur, elle voue le même amour de louve à son fils, qui est un des deux êtres les plus précieux au monde, à ses yeux. S’ils meurent tous les deux, il sera seul, livré à lui-même. Et l’idée même que cela puisse potentiellement se produire lui fend le cœur en deux même si elle ne le montre absolument pas. Elle se contente d’inspirer et de soupirer longuement avant de dire, du bout des lèvres, sans grande conviction :

- Je veillerai sur le clan durant ton absence. Néanmoins, que les choses soient claires.

Elle fiche son petit index effilé sur le torse de son époux, tout en le regardant droit dans les yeux, pour dire ce qui suit :

- Aussi vrai que je suis ton épouse, si tu ne reviens pas à la date prévue, je vais te chercher moi-même, quitte à emmener la moitié du village et à fouiller le territoire Broin en personne. Donc si tu ne veux pas qu’on se déplace, débrouille-toi pour rentrer sain et sauf.

Même si le visage de son épouse se tordait en une grimace réprobatrice, le Borgne commençait à voir son regard, bien que déterminé, qui vacillait légèrement, comme une bougie allumait trop près d'une porte.

Tu me demandes de te laisser aller là-bas…C’est beaucoup me demander…Vraiment beaucoup.

Auprès de la rouquine, Wylan s'approchait doucement d'elle pour la prendre dans une étreinte qui scellerait la fin de la négociation. Chaque argument était accompagné d'un petit pas vers l'avant, de quelques pouces en moins qui les séparaient. L'espace entre le mari et l'épouse s'était réduit à peau de chagrin, lorsque riga souffla doucement et rendit les armes.

Je veillerai sur le clan durant ton absence. Néanmoins, que les choses soient claires.

Le doigt fin mais inquisiteur de Riga s'abattit avec vindicte sur le torse du Borgne, appuyant un regard farouche et rempli d'une détermination toujours intacte.

Aussi vrai que je suis ton épouse, si tu ne reviens pas à la date prévue, je vais te chercher moi-même, quitte à emmener la moitié du village et à fouiller le territoire Broin en personne. Donc si tu ne veux pas qu’on se déplace, débrouille-toi pour rentrer sain et sauf.

Un sourire illumina la face couturée de Wylan qui ne put s'empêcher de prendre la rouquine dans ses bras et coller doucement sa crinière flamboyante sous son cou. Comme souvent, sa chevelure charriait ce curieux mélange de lilas et cendres fraîches. Il laissa sa main glisser le long des mèches orange en déclarant à mi-voix, un brin espiègle.

Et je suis sûr qu'ils feront tous dans leur froc si jamais ils venaient à savoir que tu avais franchi la frontière.

Il releva la tête, déposant un petit baiser sur le haut du front de Riga avant de plonger son oeil dans le regard gris de sa pas si tendre épouse.

Et que Beinn m'en soit témoin, je serai de retour comme promis et fort d'une entente qui pourrait faire de toi la prochaine reine du Cnuiclarann.

Elle marmonne quelque chose contre son torse, pestant sans doute contre sa propre faiblesse. Alors qu’elle est intraitable et inflexible avec tous les autres, y compris elle-même, Wylan parvient toujours à la calmer et à obtenir ce qu’il veut. C’est exaspérant mais...cela fait partie de son charme et de ses aptitudes. Puis il faut bien qu’il existe en ce bas monde une personne capable de la raisonner, après tout, d’une manière ou d’une autre.

- Si tu le dis.

Elle le laisse déposer un baiser sur son front et soupire, avant de s’éloigner de lui et de reprendre sa place à table, recommençant à éplucher ses navets, de façon moins brutale peut-être.

- Tu as une expédition à préparer, va t’en occuper, les tâches ne m’attendent pas.

Pourtant, entre deux coups de couteaux sur le légume, elle a un sourire. Furtif. Si discret qu’on pourrait presque douter qu’il a existé et pourtant le visage de Riga s’est brièvement éclairé d’une étincelle de tendresse.