L'oeil tourné vers l'avenir (pv Riga)

84e jour de Printemps
Année impériale 399
Début d'après-midi

Flanqué de son trio de fidèles guerriers, Wylan arriva en vue de son fief depuis la crête qui surplombait le vallon d'Òmargleann. Quelques fumées lézardaient vers le ciel en s'échappant des cheminées qui crevaient les toitures des longères de son clan. Une petite voile entraîanit une barque vers la jetée où les membres de son clan amarraient les frêles esquifs qui servaient à pêcher dans le lac qui trônait majestueusement au centre du val. À mesure que les quatres hommes descendaient le chemin vers le village, le Borgne remarqua une certaine émulation qui semblait agité les quelques silhouettes noires qu'il devinait au loin. Un martèlement métallique retentissait en écho et se faisait de plus en plus insitant à mesure que l'eorl rejoignait ses pénates. On aurait dit que des forgerons malhabiles fracassaient du métal sur du métal.

Soit le vieux Garimios avait perdu l'esprit et s'était mis à casser toutes les lames et mailles qu'il avait conçu pendant les mois précédents, soit une cérémonie guerrière était donné en son absence. Il pressa l'allure et fit trotter son cheval jusqu'à l'intérieur du village où les fracas retentissaient de plus bel. Lui qui pensait qu'il aurait été salué par quelques enfants en train de courir entre les masures et une ou deux lingères qui revenaient de leur lessive, ne trouva que habitations vides de toute vie. Le son entêtant provenait des hauteurs du village, au-delà de sa propre maison. Le Borgne se tourna vers Dorman, Eredios et Silgird et annonça, les sourcils froncés.

Le nemeton !

Le quatuor démonta avant de se précipiter sur le flanc du vallon pour rejoindre la petite cuvette en pierre qui surplombait le village. En son centre, il aperçut la crinière flamboyante de Riga qui se tenait fièrement aux côtés de Midios, le druide. Le vieux prêtre psalmodiait quelques litanies avant de fracasser une dague sur la pierre noircie qui s'érigeait face à lui. Passant les pouces derrière sa ceinture, Wylan fendit la foule pour prendre sa place auprès de son épouse, le visage recouvert de guède comme le voulait la tradition. En son absence, elle avait pris en charge la cérémonie souhaitée par le druide. Deux guerriers portant des tartans au couleur du Sanglier observaient l'air grave la cérémonie aux côtés du barde qui frappait son tambourin avec impériosité. Le Borgne adressa quelques sourires pincés aux membres de son clan qui chuchotaient quelques bienvenus à son encontre, puis se pencha doucement vers sa femme pour lui souffler discrètement.

Qu'est-ce qui se passe ? Tu m'expliques.

Les guerriers envoyés par le Sanglier ne laissent aucune place au doute, quelque chose d'important est le point de se produire, quelque chose de grave, qui concerne tout le monde. Ils sont là, non loin, à observer la cérémonie, tout en glissant leurs regards sur l’assemblée et particulièrement sur la flamboyante rousse, plus petite que tous les autres mais qui se tient fièrement aux côtés de Midios. L’épouse de l’Eorl les a reçus comme il se doit, évidemment, donnant une fallacieuse explication à l’absence de Wylan. Seule, elle n’avait pas manqué de pester copieusement, dans le cloisonnement de leur chambre isolée de toute oreille qui traîne. Bien entendu, il fallait que ces émissaires du Sanglier arrivent pile poil quand le Borgne est loin, à négocier en secret avec l’ennemi de toujours…A peu près aussi aimable qu’un tas de pierres, Riga a donc reçu les guerriers comme elle reçoit tout le monde. Peu loquace, comme à son ordinaire, elle s’est limitée au strict essentiel dans ses conversations avec eux, veillant toutefois à ce qu’ils ne manquent de rien.

Au cours de la cérémonie, elle est à la semblance de tous ceux qui y assistent : pieusement concentrée, même si elle ne peut s’empêcher de noter l’insistance avec laquelle ces deux hommes, qu’elle ne connait pas, l’observent. Passablement agacée par ces manières, elle finit par soutenir le regard de ces guerriers, sans ciller, jusqu’à ce que ce soit eux qui détournent la tête. Ce petit duel muet prend fin lorsqu’un mouvement de foule annonce le retour de Wylan, se frayant un chemin parmi les présents pour prendre sa place. Riga a un regard lourd de sens pour son époux. C’est bien lui, de se pointer comme ça, comme une fleur, et à en plus poser des questions alors que, forcément, tout le monde le regarde. Elle attendra que la sensation de ce retour s’estompe pour répondre, à voix basse :

- Pas maintenant.

Il faudra attendre de longs, très longs moments, que la cérémonie s’achève afin que Riga puisse prendre, rapidement, son époux à part pour lui souffler, au milieu d’une fiévreuse agitation collective :

- Le roi fait répandre la nouvelle, les Feareichs arrivent.

La jeune femme se saisit prestement de la main de son époux et murmure :

- La guerre s’annonce. Il faut nous préparer.

Pas le temps ni l’opportunité de manifester une quelconque joie de le revoir en vie même si elle en est profondément heureuse. Le simple fait qu’elle s’empare de sa main, dans un geste d’affection publique, montrera à Wylan qu’elle est soulagée et apaisée, au moins quelques secondes. Cependant, cela ne dure pas. Déjà, elle libère ses doigts de sa fugace emprise. Les effusions et tout le reste, c’est pour le privé. Elle a un regard pour les guerriers envoyés par le roi et ajoute, en grommelant :

- Je n’aime pas ces hommes, toujours à fureter et à regarder partout.

Elle salue d’un signe de tête une ou deux personnes avant de reporter son attention sur son époux. Ses yeux d’émeraude brillent d’un éclat particulier. L’éclat de ceux qui savent que les combats approchent et que les choses sont sur le point de profondément changer. Nulle peur, nulle crainte, dans son attitude, juste…un éclat supplémentaire sur un visage jeune qui ne sourit que peu.

- Que souhaites-tu que nous préparions en premier ?

Pas maintenant.

Le ton soulignait la dureté du visage de Riga. Devant le clan rassemblé et les émissaires royaux, la petite rouquine donnait le change à merveille et suivant les consignes -plutôt l'ordre- de son épouse, Wylan se tût et croisa les bras pour attendre la fin de la cérémonie.À chaque lame qui se faisait briser par le druide, le barde accélérait le tambourinement et les coeurs des guerriers semblaient battre à l'unisson.

Lorsque la célébration prit fin, la rouquine se tourna enfin vers son époux pour répondre à la question laissé en suspens depuis l'arrivée du Borgne. Tout autour, le clan s'agitait dans un enthousiasme propre au peuple des Collines. On frappait l'épaule des fils et fille qui allaient combattre pour le première fois. On se voyait déjà sur le champ de bataille, embrochant les ennemis au bout des piques ou les criblant de flèches. Wylan ne put s'empêcher de maudire ces idioties va-t-en guerre. Il revenait d'un rendez-vous qui visait précisément à changer cette mentalité stupide, prôné par des traditions archaïques et un Righ qui ne jurait que par elle.

Le roi fait répandre la nouvelle, les Feareichs arrivent. La guerre s’annonce. Il faut nous préparer.

Les paupières autour de l'oeil vif de Wylan s'ouvrirent en grand. Feareich. Les dires du Voyageur étaient désormais une certitude. Il s'était attendu à entendre un énième appel aux armes pour combattre les fangeux, mais pas aux légendaires hommes-chevaux qui vivaient loin à l'Est. L'espace d'un instant, le brouhaha qui l'entourait s'estompa, le chant des oiseaux s'interrompit et ce qu'il pensait, au début, être le barde qui avait repris son tambourin, n'était en réalité que les battements de son coeur. La voix de Riga le tira de son état à demi-éveillé.

Je n’aime pas ces hommes, toujours à fureter et à regarder partout.

Il cligna des yeux, revenant à la réalité en suivant le regard de Riga qui dévisageait les envoyés du Righ, se pavanant fièrement dans leurs tartans aux couleurs du Sanglier parmi les habitants de l'Òmargleann. Wylan marmonna entre ses dents, just assez fort pour que sa femme l'entendit.

Il veille à ce que la tradition soit respectée. Ils ont posés des questions sur moi ?

Les questions se chevauchèrent alors que Riga posait la sienne en simultanée.

Que souhaites-tu que nous préparions en premier ?

Le Borgne toisait de son oeil unique les guerriers en provenance de Dunlodunum. Lui qui se targuait d'avoir toujours un coup d'avance et de la répartie, se surprit à être pris de court. Il passa rapidement sa langue entre ses lèvres rendues sèches par la surprise. Il tourna la tête vers Riga, fronçant les sourcils.

Il va falloir reforger les épées et réparer les armures ... Et nous allons devoir nous rendre à la capitale pour renouveler notre allégeance au Sanglier.

Les derniers mots lui firent l'effet de réouvrir les cicatrices qui couraient sur son visage. Il saisit la main de Riga, qui put sentir qu'elles étaient moites et que sa poigne était plus ferme qu'à l'accoutumée. Les Dias et les Tuas semblaient avoir envie de s'amuser des plans que le Borgne avaient fait jusque là. Puis il entraina Riga en direction des envoyés royaux.

- Bien sûr qu’ils ont posé des questions.

Elle ne peut s’empêcher de soupirer avec une certaine impatience. Même si elle sait mentir avec aplomb et conviction, ce n’est pas un exercice qu’elle affectionne particulièrement. Mentir n’est pas tellement dans sa nature et elle est plutôt du genre à frapper d’abord pour parler ensuite. Sauf que ces deux hommes sont les envoyés du Roi. Les frapper était exclu. Elle a donc toléré leur intrusion, leurs regards fouineurs, et leurs questions insistantes à propos de Wylan jusqu’à ce qu’elle leur rappelle vertement que c’est elle qui dirige quand son époux n’est pas là, ce qui a eu le mérite de leur rabattre le caquet une bonne fois pour toute.

- J’ai dit que des affaires réclamaient toute ton attention ailleurs, et que tu étais probablement sur le chemin du retour.

Une demi-vérité, un demi-mensonge.

- Comme s’ils avaient besoin de vérifier que nous respectons les traditions…Nous les avons toujours respectées, que je sache.

Elle renifle une fois de plus avec dédain. Non, elle n’aime pas tellement cela, cette attitude, cette ostentatoire surveillance qui les abaisse au rang d’enfants à tenir à l’oeil, pour s’assurer qu’ils ne font pas de bêtises. Sa main dans celle de Wylan, elle observe alors son époux et note la franche humidité qui règne sur sa paume. Il est inquiet. Nerveux, lui semble-t-il. Lorsqu’il l’entraîne vers les deux messagers du Sanglier, elle ne dit rien, elle sait que cela ne servira de toute façon à rien de lui montrer l’évidence. Cela étant, elle a hâte que ces deux hommes s’en aillent, qu’elle puisse enfin retrouver son époux dans la chaleur de leur foyer et qu’il lui raconte ce qu’il s’est passé là-bas.

Arrivés devant eux, elle demande, toujours aussi directe :

- Vous avez vu que nous respectons la tradition. Nous répondrons à l’appel du Roi, donc vous n’avez pas à vous inquiéter de ce qui sera fait ou non.

Riga a un regard pour son époux et, enfin, un sourire. Tout petit, mais bien là, rien que pour lui.

- Quand devons-nous nous mettre en route ?

Plutôt exaspéré par la question à la réponse évidente de son époux, Riga ne cacha pas le regard noir qu'elle lançait aux émissaires de Dunlodunum.

Bien sûr qu’ils ont posé des questions. J’ai dit que des affaires réclamaient toute ton attention ailleurs, et que tu étais probablement sur le chemin du retour. Comme s’ils avaient besoin de vérifier que nous respectons les traditions…Nous les avons toujours respectées, que je sache.

Wylan marmonna dans sa barbe éparse en emmenant la rouquine vers les guerriers portant les couleurs du Righ. Il était inutile de lui faire un rappel des traditions, que ces deux bonhommes devraient faire un rapport exact des offrandes faite dans les nemetons et que leur venue faisait écho à des volontés de Magetobrigos et du Seanadh Cléirigh. Tout ceci, elle s'en serait moqué comme de sa première paire de bottes, alors il préféra se maurigéner en avançant vers les émissaires. Pourtant, une fois planté devant eux, ce ne fut pas Wylan qui prit la parole, mais bien Riga, toujours irritée et vindicative.

Vous avez vu que nous respectons la tradition. Nous répondrons à l’appel du Roi, donc vous n’avez pas à vous inquiéter de ce qui sera fait ou non.

Les deux gaillards haussèrent un sourcil pour lancer un regard sceptique vers le petit fauve à la toison flamboyante qui leur sifflé dessus. Elle se tourna sans attendre vers son époux et lança enfin un petit sourire pour conclure.

Quand devons-nous nous mettre en route ?
Attends, attends.

Il serra légèrement plus fort la main de Riga dans la sienne avant de se tourner vers les deux guerriers.

Excusez mon absence, j'avais à gérer quelques affaires commerciales au Nord comme vous l'a dit ma femme. Nous répondons à l'appel du Righ. Si vous voulez vous restaurer avant de gagner le vallon suivant, ma maison vous ai ouverte, Guerriers.
Merci, Eorl, nous devons atteindre le Sud des Beag avant la nuit, nous allons partir sur-le-champ.
Dès votre départ, nous prendrons la route pour Dunlodunum. Òmargleann répond à l'appel du Righ.

Wylan empoigna l'avant-bras de chaque guerrier puis ils prirent congés de leurs hôtes. Le Borgne se tourna vers Riga, avalant sa salive. Il planta son oeil unique dans le reagrd émeuraude de la rouquine.

Prépare quelques affaires et préviens Gorlan. Nous partons demain, à l'aube. Je ferais venir le chaman ce soir. J'espère que les augures me seront favorables.

Il déposa un petit baiser sur la joue de Riga et en profita pour lui glisser à loreille.

Et je te raconterai ce qui ressort de l'entrevue avec les Broìn.

Il se redressa et déclara, plus fort, pour être de nouveau entendu par la foule qui s'agitait autour d'eux.

Va ! Je dois parler avec les Athair du clan.

Il lâcha la main de Riga et se détourna pour disparaître entre les villageois. Il la retrouverait dans peu de temps.

L’impatience de Riga est contre balancée par la prudence de Wylan. C’est cet équilibre là qui fait que Riga est directe mais moins brutale qu’avant. La rouquine bout à l’intérieur, depuis toujours, toujours en colère, toujours énervée, il n’y a que lui qui parvient à l’apaiser. Les regards torves de ces hommes, cela lui a déplu. Elle serait tout à fait capable d’en découdre avec eux, mais cela desservirait Wylan, le clan tout entier. Alors même si c’est difficile, elle se contient. Par contre, elle ne les oubliera pas, c’est une certitude. Riga n’oublie jamais quand on lui a déplu et a la rancune tenace.

Elle laisse donc son époux prendre la parole, se justifier en toute décontraction en rappelant les propos de sa femme, et le regarde ensuite saluer les guerriers qui s’en vont déjà, refusant de se joindre à eux, en leur maison.  A la bonne heure. Ils ont de toute façon des choses urgentes à régler, des choses importantes à débattre, un voyage à préparer. Elle sourit brièvement sous ce rapide baiser qu’il donne, en même temps que ses recommandations et ses souhaits. La petite rouquine opine de la tête, en silence, avant de regarder l’effervescence générale et de s’éloigner de lui. Il a à discuter avec les Athair. Elle, elle s’en va en sa demeure, le cœur battant au même rythme que les tambours qui ont résonné pendant toute la cérémonie.

Chez eux, la petite rouquine s’active, comme toujours, en silence. Gorlan, leur fils unique, aide sa mère, en silence lui aussi. Il a pourtant compris de quoi il s’agit, il sait très bien ce que signifie cette cérémonie et pourtant il ne dit rien. Il regarde sa mère, d’un air soucieux, avant de reporter son attention sur le petit paquet qu’il ficelle de son mieux. Riga, elle, même si elle n’en a pas l’air, l’observe. Elle finit par le rejoindre, prenant place à ses côtés, posant sa main fine sur les petits nœuds qu’effectue son fils.

- Parle. Pourquoi ne dis-tu rien ?

Le petit garçon ne répond pas, il ne bouge plus.

- Gorlan ?
- Tu promets de pas te mettre en colère ?

Le meilleur moyen de mettre une personne comme elle en colère, c’est précisément en lui demandant de ne pas s’énerver. Elle lève les yeux au ciel et soupire avant de dire, d’une voix posée et calme, pour une fois :

- Je promets. Alors ? Que se passe-t-il ?
- J’ai pas envie de partir là-bas. J’ai pas envie que vous y alliez. Si vous mourez, je n’aurai plus de famille, je serai tout seul.
- …

Riga inspire et fronce un peu les sourcils avant de prendre le visage de son fils entre ses petits doigts pour l’obliger à la regarder. L’échange dure quelques secondes et pas un instant l’enfant a cherché à s’enfuir. Et pourtant, elle n’a pas l’air aimable du tout. Très loin de là. Cela étant, même si elle a l’air revêche et vindicative, brutale dans ses gestes comme dans ses mots, Riga aime son fils, tout comme elle aime son époux. Un sourire léger s’épanouit sur les lèvres de la mère avant qu’elle n’attire son fils contre elle, pour un moment de partage. Elle passe même une main tranquille dans cette chevelure de feu, si semblable à la sienne, en murmurant à son oreille :

- Crois-tu que je laisserais quiconque s’en prendre à ton père ? A toi ? Ou à moi ? Non, Gorlan. Je ne le tolèrerai jamais.

Elle prend le visage de son fils entre ses mains et dépose un baiser sur son front, étonnamment tendre et douce, avant de replacer une boucle rebelle derrière l’oreille du petit garçon.

- Va chercher du bois, tu veux ? Ton père va rentrer.

Elle laisse le gamin s’en aller et sortir, de son petit pas trainant, avant de reporter son attention sur le paquetage ficelé par son fils. Elle continue l’ouvrage, concentrée sur sa tâche, jusqu’à ce que la porte s’ouvre, cédant le passage à Wylan. La rouquine a un regard lumineux pour son époux et le rejoint, fermant lentement la porte derrière lui, avant de nouer ses bras autour de sa taille, les yeux fermés, pour une étreinte de bienvenue.

- J’ai prié tous les jours. Bon retour chez toi, Wylan.

Alors que les sabots des montures des émissaires royaux s'éloignaient du village, tambourinant la terre comme le tonnerre qui grondait au loin, le Borgne réunit les chefs de famille aux abords du nemeton. Les lames brisées s'entassaient au centre de la cuvette de pierre. L'oeil de Wylan toisait d'un air absent le petit monticule d'acier brisé alors que les Athair se rassemblaient autour de lui. Tous les doyens de la caste guerrière de son clan étaient là, mais aussi quelques-uns de la caste productrice, le visage encore sale de leur dernière visite au fond de la mine. Dans le dos de l'eorl, le druide approcha la tête haute, fixant, les sourcils froncés, le petit groupe d'hommes qui entouraient le chef de clan. Midios posa une main sur l'épaule de Wylan qui sortit de sa contemplation silencieuse pour se tourner vers ses ouailles, le visage fermé.

Je ne doute pas que chacun d'entre vous sait ce que je vais dire, mais il est de mon devoir de vous donner mes ordres. Le Righ appelle à la guerre et cette fois, ce ne sera paspour predre le contrôle du Boglachòmar ou pour venger un nouvel affront des fangeux. Comme l'a annoncé le Voyageur, il y a des jours de cela, les Feareich arrivent. Ils ne viennent pas pour guerroyer, ni pour tester la valeur de nos guerriers. Ils viennent détruire, massacrer et conquérir. Ce sera de tout le clan dont nous aurons besoin, car nul n'est à l'abri. Il n'y aura pas de paix, pas de prisonniers. Que les forges brûlent jour et nuit, que chacun s'entraîne avant tout le reste. Nous avons besoin d'épées, de haches, de boucliers, de cotte de mailles et de flèches. Je dois me rendre à Dunlodunum pour répondre à la convocation du Sanglier. Il est de votre devoir que le clan soit prêt à mon retour. Midios supervisera pendant mon absence mais il est de votre devoir, à chacun de préparer votre famille à la guerre qui nous attend. Compris ?

Les Athair répondirent en choeur par l'affirmative et le Borgne les fit se disperser d'un geste de la main. Au fil de son petit discours, il avait vu les visages se durcir et les mâchoires se crisper. Ils avaient tous conscience de la gravité de la situation et se montreraient à la hauteur de la tache, Wylan n'en doutait pas un instant. Il se dirigea vers sa demeure après un dernier échange de regard avec le druide du clan. Il ouvrit la porte en grand, sentant la douceur du feu qui se consumait dans l'âtre. Riga referma la porte derrière lui et l'enlaça avec ferveur.

J’ai prié tous les jours. Bon retour chez toi, Wylan.

L'étreinte chaleureuse lui arracha un sourire même si c'était la dernière de ses envies. Son oeil vif balaya la pièce vide à lexception des petits paquetages qu'avaient préparés Gorlan et sa mère. Il posa ses mains sur celle de son épouse. Ses lèvres retombèrent bien vite alors que les traits du Borgne reprenaient le masque austère qu'il affichait depuis son retour au coeur de son vallon natal. Elle avait prié et Wylan en connaissait la cause. Il préféra dissiper les questions qu'elle ne manquait pas de se poser depuis le jour où elle avait appris qu'il devait partir rencontrer des envoyés du Chenu.

Ils sont d'accord.

Quelques mots simples et prononcés d'un ton calme et égal. Le silence s'installa quelques instants dans la longère. L'eorl ajouta finalement.

Le Coinmeanh Righrean sera une bonne occasion de passer à l'action. En attendant, il va falloir que je gagne la confiance du Righ. Nous partons à l'aube.

D'une poigne tendre mais ferme, il se dégagea de l'enlacement de Riga et avança vers la table au milieu de laquelle trônait une cruche remplie d'eau. Il se servit un gobelet et le vida d'une traite. Le verre claqua contre le bois avant que le Borgne ne posa une question.

Où est Gorlan ?

Quelques mots simples pour un éternel recommencement. « Ils sont d’accord ». A la bonne heure. Et après ? Il se défait de son étreinte, elle ne le retient pas, elle le laisse rejoindre la petite table et se servir un gobelet d’eau. Attentive, la rouquine le suit du regard, bien sûr, avant de le rejoindre et de reprendre sa place à table, pour terminer de ficeler un petit paquetage en silence. Un silence de courte durée.

- Gorlan est parti chercher du bois. Il ne devrait pas tarder à revenir.

Elle réfléchit à la suite des événements. Partir à l’aube, rejoindre le Righ, lui prêter allégeance…Emmener Gorlan là-bas. Elle tire sur une ficelle, de manière un peu plus brutale, un bref instant.

- Je vois que tu as encore tous tes membres. J’en déduis donc que cette rencontre s’est bien passée.

Elle repousse le petit paquet au milieu de la table, correctement noué, et regarde son époux.

- J’ai le droit de savoir comment les choses sont prévues ou ce sont à nouveau des événements dont je serai exclue, Wylan ?

Compte-tenu du ton employé, il est bien évident qu’il ne saurait en être question. Il a mis Riga de côté une fois, elle ne laissera pas agir de la sorte une seconde fois. D’autant plus que Gorlan sera présent.

- Ton fils ne veut pas nous accompagner. Il ne veut pas se rendre là-bas. Et il ne veut pas que nous combattions. Il a peur de nous perdre. Cela me laisse à chaque fois en miettes, quand il parle de cette façon. Je lui ai dit que je ne laisserai jamais personne vous faire du mal, à lui et à toi, mais je crains que cela ne soit pas suffisant.

Riga croise les bras sur sa poitrine et regarde ailleurs.

- Tu devrais parler à ton fils. Je ne parviens pas à le rassurer.

Un soupir.

- J’y arrive de moins en moins, d’ailleurs. Souvent je le vois trainer les pieds, les sourcils froncés, comme s’il était toujours en train de contester en silence tout ce qu’il se passe ici. Après…je peux me tromper. Je ne suis pas une experte quand il s’agit de parler aux gens et de les comprendre, tu le sais…

Gorlan est parti chercher du bois. Il ne devrait pas tarder à revenir.

Elle acheva de nouer son paquetage avant de se tourner vers Wylan, le regard déterminé. Elle semblait ne toujours pas avoir digéré sa petite escapade dans le Boglachòmar, et surtout le fait qu'elle fut laissé à l'écart pour cette fois.

Je vois que tu as encore tous tes membres. J’en déduis donc que cette rencontre s’est bien passée. J’ai le droit de savoir comment les choses sont prévues ou ce sont à nouveau des événements dont je serai exclue, Wylan ?

La bouche du Borgne se tordit en une moue étrange, de celle qu'on fait lorsqu'on goûte un plat trop acide. La rouquine était rancunière et opiniâtre et les quelques mots qu'elle venait de prononcer d'un ton passif-agressif en étaient des témoins supplémentaires au cas où Wylan s'était mis à douter. Il expira longuement et répondit d'un air désabusé.

Je t'ai expliqué pourquoi je devais y aller seul pour cette fois. On ne va pas y revenir encore une fois. La suite se jouera à la capitale et nous aurons chacun notre rôle à jouer.

Il se servit un nouveau verre, toisant Riga de son oeil vif, l'autre irrémédiablement fixé sur la table. Les bras croisés devant sa petite poitrine ronde, Riga jaugea son mari avec une certaine sévérité avant de répliquer.

Ton fils ne veut pas nous accompagner. Il ne veut pas se rendre là-bas. Et il ne veut pas que nous combattions. Il a peur de nous perdre. Cela me laisse à chaque fois en miettes, quand il parle de cette façon. Je lui ai dit que je ne laisserai jamais personne vous faire du mal, à lui et à toi, mais je crains que cela ne soit pas suffisant. Tu devrais parler à ton fils. Je ne parviens pas à le rassurer. J’y arrive de moins en moins, d’ailleurs. Souvent je le vois trainer les pieds, les sourcils froncés, comme s’il était toujours en train de contester en silence tout ce qu’il se passe ici. Après…je peux me tromper. Je ne suis pas une experte quand il s’agit de parler aux gens et de les comprendre, tu le sais…

Wylan dodelina du chef, serrant les mâchoires après avoir vidé son gobelet d'une traite. Alors que la mère déplorait de voir leur fils s'éloignait d'elle, le père voyait, lui, une fâcheuse tendance pour le garçon à se terrer dans ses jupons et à manquer de caractère. Le Borgne haussa les épaules avant de répondre.

Il n'aura pas le choix. Il est plus que temps qu'il comprenne les devoirs d'un eorl, un jour ce sera à lui de les remplir. Je lui parlerai, il faut qu'il arrête de se dégonfler en permanence.

L'oeil vif de Wylan était fixé sur le visage de son épouse et le ton se fit un brin accusateur alors qu'il poursuivait.

Peut-être qu'en jouant moins la poule avec son petit poussin, il serait plus dégourdi.

La porte dans le dos de l'eorl s'ouvrit, révélant la petite silhouette rousse de Gorlan, qui jeta un bref regard à son père avant de baisser les yeux et de venir lentement entourer la taille de son père d'une étreinte timide. Wylan ébouriffa la tignasse épaisse de son fils du plat de la main et dit, alors que le gamin se plaçait aux côtés de Riga.

Ta mère m'a dit que tu as peur ... Pourquoi ?

Rancunière ? Oui. Opiniâtre ? Toujours. Et oui, même si elle a compris l’importance d’être restée au village, il n’en demeure pas moins qu’il l’a mise de côté, pour d’excellentes raisons, certes, mais qui n’empêchent pas la rouquine de pester, encore et encore.

- Je suis ravie de le savoir. Au moins aurai-je quelque chose à faire là-bas.

La vérité est que Riga ne sait pas du tout s’exprimer. Elle ne sait pas dire les choses, elle sait juste les montrer. Elle a vécu des heures d’angoisse terrible, à le savoir là-bas, même si elle n’en dira jamais rien à personne, pas même à lui. Et demeurer à l’arrière, alors qu’elle estimait devoir l’accompagner, ça a été une épreuve difficile, chose qu’il ne semble même pas comprendre, lui qui est pourtant son époux depuis longtemps. Le fait qu’elle le prenne directement dans ses bras alors qu’il venait de passer la porte était déjà, en soi, un petit événement, quelque chose de rare. Elle regarde ailleurs, pensive, les bas croisés sur sa poitrine, avant que son époux ne se décide, à son tour, de se montrer un tantinet plus piquant. La pique est encaissée, la réaction est immédiate, fusant à la vitesse de ces flèches qu’elle décoche et visant pile là où ça fait mal.

- Peut-être aurais-je moins cet instinct-là si j’avais plus de poussins à couver, comme tu le dis.

C’est dit d’une voix blanche. Elle est blême de colère, une colère qu’elle n’exprime pas parce que Gorlan vient de franchir le pas de la porte. Et même si la rouquine a le sang vif et chaud, elle se contient toujours face à son fils. Même si c’est difficile. Riga n’a rien d’une mère poule, au contraire. Elle s’efforce d’endurcir son petit à chaque occasion, chaque jour qui passe. Les rares gestes de tendresse qu’elle a pour lui sont réservés à des occasions spéciales. Autant dire que cela n’arrive pas souvent.

Gorlan est son seul enfant. Leur union n’a été bénie qu’une seule fois. Et cela aussi pèse beaucoup sur le cœur cadenassé de Riga. Et pourtant elle prie, afin que d’autres enfants viennent agrandir leur famille, mais une telle prière ne peut être efficace qu’assortie d’une certaine pratique, toujours reportée pour une raison ou une autre. Le petit garçon est donc, pour l’instant, l’unique réceptacle de l’attention de sa mère. Une attention uniquement dédiée au respect des traditions, au respect de sa famille et de son père, au maniement des armes, à l’apprentissage de la vie. Cela laisse extrêmement peu de temps pour les mièvreries.

Le gamin, lui, a bien senti la tension et file directement près de sa mère, qui ne décroise pas les bras, le visage totalement fermé. A la question de son père, il triture ses doigts, bien conscient qu’il est sur la sellette et qu’il ne doit attendre aucun secours de sa mère qu’il imagine totalement fâchée parce qu’il lui a avoué ses craintes. Pourtant, le petit garçon parle, en relevant la tête vers son père, avant de baisser tout de suite le regard :

- Parce que si vous mourez, je suis tout seul. Et que je veux pas être tout seul.

Il se dandine sur ses pieds, mal à l’aise.

- Y aura plus personne pour prendre soin de moi. S’il te plaît…Père…N’y va pas…

Riga inspire profondément. Même avec un cœur cadenassé comme le sien, entendre une supplique pareille est difficile. Elle évite de regarder son époux, troublée.

- Est-ce mal…de vouloir que vous soyez toujours près de moi… ? Mère ? Père ? C’est pour ça que vous êtes fâchés ?

Je suis ravie de le savoir. Au moins aurai-je quelque chose à faire là-bas.

Ainsi donc, ce serait ainsi. Après la douce étrainte de retour, un léger sourire et une voix douce, les choses allaient vite devenir plus acides. Une pique succéda à l'autre et bientôt, Riga en lança une nouvelle, en réponse à la saillie du Borgne.

Peut-être aurais-je moins cet instinct-là si j’avais plus de poussins à couver, comme tu le dis.

L'oeil vif de Wylan s'ouvrit en grand et il sentit une bouffée d'énervement lui monter au nez depuis le tréfond de son estomac. Comment pouvait-elle dire cela ? Elle osait sous-entendre que c'était de sa faute. Elle qui était la matrice, dont le rôle premier était de porter leur descendance et qui n'avait su lui donner qu'un seul enfant. Il était prêt à explosé de rage lorsque Gorlan poussa la porte dans son dos et il parvint à ravaler sa morgue pour lui demander les raisons de sa peur. La réponse du petit rouquin fusa, maladroite et peu assuré.

Parce que si vous mourez, je suis tout seul. Et que je veux pas être tout seul. Y aura plus personne pour prendre soin de moi. S’il te plaît… Père… N’y va pas… Est-ce mal…de vouloir que vous soyez toujours près de moi… ? Mère ? Père ? C’est pour ça que vous êtes fâchés ?

Les poings de Wylan se serrèrent, faisant blanchir les plis dans sa paume. Il avait beau être un enfant, il manquait cruellement de courage. L'envie de rugir l'envahit et il tourna son oeil vers son épouse qui jaugeait leur fils avec une moue désabusée. L'heure de la rouquine viendriat, pour le moment, c'était à Gorlan qu'il devait remettre les idées en place. L'eorl renifla avant de s'asseoir et de désigner le banc qui lui faisait face du plat de la main. Le petit garçon répondit à l'invitation de son père sans un mot et se hissa sur l'assise. Le Borgne prit une grande inspiration pour se contenir et brisa enfin le silence qui flottait autour de la table.

Ni ta mère, ni moi ne serons toujours près de toi.

Le ton était froid et implacable, comme l'acier d'une épée qui tintait en sortant de son fourreau. Son oeil vif rivé sur le visage de Gorlan, Wylan ne sourcillait pas et lui parlait comme à un adulte.

Ainsi est la volonté de Ruigsin. Il ne nous permet que d'être de passage dans le Daonn et un jour, il reprendra le don de vie qu'il nous a accordé. C'est à nous de savoir user de ce temps qu'il nous prête pour avoir un impact sur le monde. Et c'est précisément pour ça que nous devons aller à Dunlodunum.

Wylan croisa les bras sur sa poitrine en fronçant légèrement les sourcils, adoptant un air sévère qui masquait le bouillonement de colère qui se cachait en lui.

Un jour, ce sera toi l'eorl d'Òmargleann. Peut-être plus encore si tu le désires. Mais ce n'est pas en fuyant tes devoirs et tes responsabilités que tu y parviendras.

Le Borgne se redressa, faisant trembler le gobelet vide sur la table, il fit le tour de celle-ci pour venir se planter devant son fils et se pencher vers lui.

Et il est normal d'avoir peur Gorlan. Si tu as peur c'est que tu es vivant. Ne rejette jamais la peur, mais ne la laisse pas te dominer. Tant que tu la ressens, tu peux apprendre à la dompter, à l'apprivoiser et en faire ton alliée. Tu comprends ?
Je ... Je crois ...
Bien, alors maintenant que tu connais la peur, tu dois apprendre à en devenir maître.
Je vais essayer.
N'essaye pas ...
Je ...
Fais !
D'accord.
Bon garçon ... Maintenant, va profiter un peu dehors. Demain, tu nous accompagnes.

Gorlan bondit du banc et entoura le cou de Wylan de ses petits bras dodus. Il était à chaque fois désarmé par ses effusions de sentiments, lui qui n'avait connu que des coups de la part de son propre père. Il s'effroçait d'en être un meilleur pour son fils, mais il ne pouvait faire qu'improviser en espérant agir correctement. Le petit rouquin sortit en trottinant, visiblement plus serein que lors de son entrée. La porte claqua derrière lui et Wylan releva ses yeux vers Riga. S'il s'était effrocé de s'adoucir pour parler à leur fils, le vague sourire qui s'était esquissé sur sa trogne s'évanouit bien vite lorsqu'il toisa la jeune femme aux cheveux de feu.

À ton tour, maintenant.

Il avança d'un pas vif vers son épouse, son oeil dardant le visage avec une colère froide. La remarque de Riga avait tourné sous son crâne tatoué pendant toute la petite conversation avec leur fils. Il passa un main dans son dos et la colla vivement contre lui. Leurs visages étaient proches, si proches que leurs souffles s'entrechoquaient. Si elle voulait d'autres enfants et le jugeait responsable de l'absence de fratrie pour Gorlan, il allait y remédier. Il retourna Riga et entreprit de la plaquer sur la table en retroussant sa tunique. Elle allait voir ce qu'il en coûtait de remettre en cause sa virilité.

Touché. Riga a rendu coup pour coup. Non pas qu’elle apprécie particulièrement d’en arriver là avec Wylan mais elle ne s’est jamais laissé faire et ce n’est pas aujourd’hui que cela commencera. L’œil de l’Eorl s’ouvre bien grand. Il est en colère, elle le sait, elle le voit à ce regard qu’il lui lance et qu’elle soutient sans ciller. A quoi s’attendait-il, au juste ? Il la provoque, elle répond. Cela ne va pas tellement plus loin que cela. Quoiqu’il en soit, aussi furieux qu’il soit, il reste calme face à Gorlan qui lui explique ses petites craintes d’enfant. Elle n’a aucune crainte à ce propos. Wylan aime son fils et n’a jamais porté la main sur lui, il est d’ailleurs probable qu’il ne le fera jamais, compte tenu de ce qu’il a vécu dans sa propre enfance. Elle écoute les deux hommes de sa vie sans dire un mot, laissant le père expliquer des points essentiels à son garçon, une leçon de vie comme seul un parent peut en donner.

Gorlan semble quelque peu perdu. Inquiet. Et pourtant, il écoute, jusqu’au bout, obéissant à son père qui lui explique les choses de façon directe et sans détour. Riga écoute, évidemment, approuvant les paroles prononcées d’un bref hochement de la tête, les bras toujours croisés sur sa poitrine. Même si la leçon est rude, le gamin ne peut s’empêcher de nouer ses bras autour du coup de son père pour lui témoigner son affection. Et c’est bien toute la force de Gorlan…Admettre sa peur, écouter ses parents, assimiler la leçon pour ce qu’elle est et tout de même réussir à montrer un tant soit peu de tendresse, toute discrète, lui qui n’en reçoit pas souvent. Riga fronce les sourcils un bref instant, alors qu’une pensée lui traverse l’esprit. Et si son enfant était comme ça ? Sensible ? Gentil ? Compatissant et doux ? Peut-être est-ce là sa vraie nature, toujours contrariée par les enseignements brutaux auquel il est soumis depuis sa naissance…Mais non. C’est impossible. Elle regarde ailleurs, perturbée par cette pensée qu’elle chasse d’un soupir. Gorlan est leur unique enfant. La synthèse de deux guerriers. Il ne peut devenir autre chose qu’un guerrier. Impossible.

L’enfant envoyé dehors, le silence revient dans la pièce, un silence soudainement perturbé par quatre mots qui lui font hausser un sourcil. Comment ça, « à son tour » ?

- Pardon ?

Il avance, elle se lève, aussitôt sur ses gardes. Ce regard-là, cette attitude-là, elle les connaît bien. Visiblement, elle l’a fâché bien plus profondément que prévu.

- Tu ne comptes pas sérieusement me faire la morale, Wylan ?

Déjà il la retient contre lui d’une main dans le dos. Non. Il ne s’agit pas de morale. Il s’agit d’un orgueil mâle blessé. Et il ne s’agit pas de faire la morale mais plutôt de tenter de donner une leçon. Le souffle de son époux mêlé au sien, silencieux, est le seul bruit audible dans toute cette atmosphère étrange, pleine de tension. Elle allait prononcer une parole mais il la devance par les gestes. Il est bien plus fort et bien plus grand qu’elle, des éléments qui jouent en sa défaveur alors qu’il la retourne et la plaque contre la table, soulevant la tunique dans une intention on ne peut plus claire.

Sauf que Riga ne l’entend pas de cette oreille. Les deux poings serrés sur la table, elle murmure :

- Et tu crois peut-être que je vais te laisser faire ça, comme ça ?

Elle est petite certes, mais elle n’en est pas moins une guerrière, elle aussi. Elle se tasse en pliant les genoux et d’un mouvement rapide, se balance brutalement en arrière de manière à heurter le visage de son époux à l’aide de l’arrière de sa tête, sans ménagement. Elle se retourne, l’œil flambant d’une lueur étrange à son tour, pour lui faire face.

- Tu me prends pour qui ? Je suis ton épouse. Pas une chienne.

Un vague sourire s’affiche sur le visage de la rouquine qui avise son époux de la tête aux pieds. Sa volonté est probablement aussi forte que celle de son époux. Et là, il est hors de question de céder de cette manière-là, c’est une certitude.

Elle s'était redressé alors qu'il avançait vers elle. Elle était aux aguets, comme une biche ayant flairé l'odeur d'un chasseur embusqué. Elle tenta de protester alors qu'il avançait comme un prédateur, l'oeil rivé sur elle.

Pardon ? Tu ne comptes pas sérieusement me faire la morale, Wylan ?

Une colère sourde battait dans ses tempes, il aurait pu la tuer s'il avait voulu. Pourtant, se mêlant à son orgueil de male blessé, une autre forme de bouillonement naquit dans ses entrailles, une forme de chaleur qui au lieu de lui monter au nez, prenait plutôt la direction inverse. Ce sentiment s'intensifia alors qu'il la ramenait contre lui. Elle était si menue, si petite, on aurait presque dit une poupée de chiffon entre ses mains caleuses. Littéralement nez à nez, la colère toujours luisante au fond de son oeil vif, il resta pendant une seconde nez à nez avec Riga, laissant son souffle embrasser celui de la roquine, puis d'un geste sec, il la fit se retourner et commença à vouloir la trousser sans ménagement. Seulement, elle n'était pas de ce genre de femme qui laissait leur homme se vider en elle comme des animaux en rut. Riga était de celle qui voulait plus, et surtout qui voulait lorsqu'elle décidait de céder. Elle se tortilla sur elle-même avant d'envoyer un coup de tête en arrière au moment ou Wylan se battait avec le cordon qui nouait le haut de ses braies.

Il sentit sa lèvre s'ouvrir à l'impact et dut faire deux pas en arrière. Riga se tourna vers lui avec un sourire narquois avant de s'écrier.

Tu me prends pour qui ? Je suis ton épouse. Pas une chienne.

Le Borgne passa le dos de sa main sur la plaie qui fendait sa lèvre inférieure, essuyant le sang qui perlait. La fureur l'envahissait de nouveau, même si l'excitation de devoir dompter cette furie aux cheveux de feu lui procurait restait présente. Il ne put retenir un grognement furieux avant d'exploser.

N'est-ce pas ce que tu veux ? D'autres enfants à porter et à élever ?!

Il avança vers elle en baissant sa main. Une grosse goutte pourpre se mit à couler sur son menton. Son regard était planté dans celui de Riga. Elle le connaissait bien, et surement pouvait-elle déjà lire que cette colère n'était qu'un masque pour dissimuler son désir pour elle en cet instant. Un désir violent et intense, pour elle, si farouche, si forte ... Si belle. Les cordons de ses braies pendaient, à moitié dénoués, son souffle s'accélérait et déjà il revenait à la charge en attrapant les deux poignets de son épouse. Il força à peine pour la palquer au mur et coller ses lèvres contre les siennes. Il lui donnerait un nouvel enfant ... Aujourd'hui.

Elle l’a blessé. Appuyée contre le bord de cette table de malheur, le souffle quelque peu raccourci, elle le voit essuyer sa lèvre du revers de sa main. Il n’est pas exceptionnel qu’ils se disputent, cela arrive même assez souvent mais il est rare que le sang coule. Pourtant, Riga n’a aucun regret, aucun remord. Juste…cette sensation, ce sentiment fort d’avoir rappelé que même lui ne peut pas faire n’importe quoi si elle n’en a pas envie.

Il est furieux à présent. Son unique œil brille de colère, il est blême, et pourtant elle décèle autre chose, de bien plus sauvage qu’une rage passagère. Il aurait pu répliquer et il ne l’a pas fait. Il la dévisage, avant d’exploser, grondant des paroles qui lui font froncer les sourcils, alors même qu’il revient à la charge, sa lèvre fendue saignant sans discontinuer. La vue de cette brillance vermeille roulant sur son menton jusqu’à son cou lui plaît, étrangement.

- Oui, c’est ce que je veux ! Des fils et des filles qui nous ressemblent !!!

Elle hoche la tête, adressant un sourire triomphant à son époux qui se saisit d’elle pour la maintenir conte le mur, ses poignets entravés par les grandes mains calleuses du guerrier. Une fois de plus, la tension est grande, brûlante, une tension qui demande un apaisement immédiat, un apaisement que vient chercher le borgne en donnant à son épouse un baiser au goût de fer et de sel. Riga ne se dérobe pas. Au contraire. Elle apporte sa propre fougue à l’échange brutal qui les unit, se fichant éperdument de ce gout de rouille qui roule dans sa gorge, happant même la lèvre du guerrier entre ses dents, dans un immense sourire narquois, le souffle court.

- C’est mieux comme ça, non ?

Peut-être aura-t-il le sentiment d’avoir été manipulé. Peut-être s’apercevra-t-il que, in fine, c’est précisément ce qu’elle voulait, menant le sang chaud de son époux à un point d’ébullition si intense, si difficile à contrôler qu’il ne soit plus capable de songer à autre chose qu’à ces braies à moitié défaites, cette tunique malmenée, ce corps qu’il désire ardemment. Peut-être…Personne n’en saura jamais rien, pas même lui. Cela étant, la fourbe rouquine, souple comme un roseau, parvient à se dégager de l’entrave de son époux pour nouer ses bras autour de son cou et bondir sur lui, accrochant ses jambes autour de sa taille. Un baiser ardent vient sceller les lèvres de Wylan afin de restreindre toute éventuelle protestation. Il lui fera un enfant…aujourd’hui. Elle y compte bien.

Le baiser était aussi passionné que brutal, sans concession, sans équivoque. Il la désirait, ici et maintenant, farouche et insoumise, fourbe comme le disait son surnom. Elle ne le repoussa plus. Ni violemment, ni tendrement, elle rendit son baiser au Borgne qui pressait son corps contre elle en même temps que ses lèvres. Elle en profita pour attraper entre ses dents la lèvre ouverte de Wylan, et raviver la douleur qui venait de s'anesthésier pendant le baiser. Elle abandonna son petit jeu entre excitation et douleur pour observait son époux intensément.

C’est mieux comme ça, non ?

Elle avait bondi sur lui, l'enlaçant et entourant sa taille de ses petites jambes. Elle était légère comme une plume et l'eorl n'eut aucun effort à faire pour soutenir la fougue qu'elle déployait pour lui rendre ses baisers. Il glissa ses mains sous les fesses de la rouquine alors que ses braies, plus retenues par les cordons lâches qu'il avait tant eu de mal à dénouer quelques instants plus tôt, glissèrent le long de ses cuisses, dévoilant sa virilité déjà prête à être offerte à Riga. Du bout des doigts, sans quitter l'étreinte et leur souffle qui fusionnaient, il retroussa la tunique de son épouse pour qu'ils puissent enfin unir leur corps et faire cet enfant promis et désiré. Bientôt, il sentit la chaleur qui brûlait la peau de Riga contre la sienne et la promesse moite de sa matrice coiffé du même feu qui colorait sa chevelure. Dans leur corps-à-corps, ils s'étaient légèrement déplacés et il la colla une nouvelle fois contre le mur avant d'enfin trouver son chemin en elle dans un souffle grave, sonnant presque comme une prière pour que Ruigsin leur offrit dans Sa grande bienveillance un enfant à naître.

Le bruit des braies qui glissent et tombent au sol.

Le souffle de son époux, raccourci.

La brûlure de ces baisers qu’ils échangent.

La plainte légère qu’elle émet, en écho à son souffle rauque, alors qu’ils ne font plus qu’un, unis contre le mur qui accueille leurs ébats.

Tout cela achève d’apaiser Riga, tout cela dissipe sa colère, cette fureur qui l’habite constamment et avec laquelle elle est en lutte permanente. Il n’y a que Wylan, lui et rien que lui, qui puisse diminuer l’intensité de cette flamme meurtrière qui ronge son cœur. Parce qu’elle l’aime, son époux. Elle l’aime à sa façon, brutale et intense, fougueuse rouquine qui le laisse prendre le contrôle de leur union sacrée.  Elle l’aime depuis longtemps, fort, sans concession. Possessive, même dans ces moments-là, elle le garde contre elle, de toute la force de ses petits bras noués autour de son cou, tressautant contre le mur, les yeux clos, à chaque mouvement initié par le guerrier.

Un sourire flotte un instant sur les lèvres de la jeune femme. De tous ses vœux silencieux elle appelle la bénédiction de leur union, priant afin de pouvoir donner à son époux un autre héritier.

En rouvrant les yeux, elle capte le regard de Wylan. Il n’y verra qu’un regard clair, comblé, traversé par tout cet amour qu’elle exprime peu. En cet instant, elle a même l’air presque fragile et délicate, une vision éphémère puis que déjà elle étouffe un gémissement contre ses lèvres, impatiente, en demande de plus, de plus fort.

L'union des corps s'accopagnaient de souffles et de râles, tantôt au diapason, tantôt disonnant. Au coeur de l'étreinte charnelle, Wylan plongea son regard dans celui de sa femme, se rendant témoin de son plaisir et lui offrant le sien en retour. Chaque son que Riga libérait était un encouragement pour le Borgne a recommencé ses coups de bassin. Leurs lèvres ne se quittaient que pour méler leurs souffles un peu plus avant de se rejoindre une fois de plus, comme le symbole de mots d'amour qu'ils ne s'échangeaient jamais. L'acte n'était pas vraiment doux, ni romantique, mais il y avait dans cette bestialité commune plus de tendresse qu'on aurait pu le penser.

Les jambes légèrement fléchies, les mains soutenant les cuisses de son épouse, Wylan partait à l'assaut de Riga sans s'économiser, laissant échapper des soupirs de plus en plus profonds en réponse à ceux de la rouquine qui souriait de plaisir. La longère toute entière semblait trembler sous les va-et-vient qu'il faisait entre les jambes de sa dulcinée. Quelques gouttes de sueur commençaient à perler sur son front et à rouler le long de son dos, alors que la chaleur du désir embrasait son corps tout entier.

Dans un ultime effort, alors que son souffle devenait du plus en plus court et que ses muscles se tendaient comme un arc, il crispa ses mains sur la peau douce et incandescente de Riga pour gagner en intensité, voulant arracher un cri de jouissance à sa femme. Lui même sentait le plaisir qui l'envahissait comme une vague incontrôlable. Un frisson lui parcourut le corps et il sentit frémir celui de Riga à l'unisson, lui donnant un nouvel élan pour qu'ils atteignirent ensemble le point culminant de leur ébat. Le frisson lui remonta l'échine avant de se diffuser dans tout son corps et dans un grondement grave, son corps se crispa tandis qu'il s'abandonnait entre les cuisses fines de Riga, qui lui rendit un soupir aïgu en réponse.

Elle lui donnerait un enfant, un fils, fort et vaillant ou une fille, belle et intelligente, ou l'inverse. peu importait, si l'enfant était à l'image de leur plaisir, il serait merveilleux. Il resta un instant, le front posé dans le creu du cou de Riga, cherchant à retrouver son souffle et ses forces, tremblant encore un peu d'extase.

Ces moments-là sont rares et précieux. Ce sont les seuls moments où ils s’expriment tous les deux sans dire un seul mot. Il serait de toute façon inutile, leurs gestes sont assez révélateurs des sentiments qu’ils ont l’un pour l’autre. De féroce et agressive, Riga est devenue, au fil des secondes, attentive, passionnée, brûlant d’un amour ardent qui se manifeste par ses baisers, toutes ses attentions pour Wylan.

La danse se fait plus rapide, plus intense, plus profonde, contre ce mur, tant et si bien qu’elle ne peut plus vraiment résister au plaisir qu’il lui procure et qu’il partage en des râles se joignant de concert aux siens. Ils atteignent alors tous les deux le plaisir ultime, simultanément, avant de s’apaiser mutuellement, toujours debout contre ce mur. Wylan a posé sa tête dans son cou, reprenant son souffle, tandis qu’elle serre ses bras autour de son cou, avant de passer une main douce sur ses cheveux, dans un geste d’une incroyable tendresse. Elle est impulsive, directe et brutale, mais elle peut être aussi douce et aimante. Jamais elle n’a remis leur amour en question, jamais. Et elle sait qu’il en est de même pour lui-même s’ils se disputent souvent.

Rouvrant les yeux, un vague sourire heureux flottant sur ses lèvres fines, elle dit alors, la gorge encore enrouée par le bonheur :

- Qu’un fils nous soit accordé…

Un petit rire lui échappe.

- ou une fille…Peu importe.

Elle murmure alors à son oreille :

- Il ou elle sera de toute façon à notre image. Magnifique. Laisse-moi descendre à présent, veux-tu ? Je vais aller faire bouillir de l’eau pour que tu puisses te laver…Tu en as besoin après ces jours à cheval et…ce que nous venons de faire.

Un autre rire espiègle et gentil lui échappe. Dehors, sur les marches, juste derrière la porte, le petit Gorlan est assis, la tête dans une main, jouant de l’autre avec un bout de ficelle, l’air totalement désabusé. Il a tout entendu. Il attend juste de pouvoir rentrer.