Dùnlodunum une nouvelle fois accueillit Ulter et Arzhura, dans la suite de leur père : il avait décidé que la politique du moment s'avérait particulièrement sérieuses et qu'il serait de bon ton que les jumeaux, eux aussi, fréquentent de près le fonctionnement des affaires et de la capitale. Quand bien même Lochan, leur aîné, hériterait de la fonction d'Eorl, autant assurer à toute la famille la solide connaissance de ce qui se jouait. Seule Fiona était jugée trop jeune. Mais surtout, Ulter émettait l'hypothèse que leur père misait sur d'éventuels oracles susceptibles de venir à l'apprentie chamane. Savait-on jamais. Les rêves d'Arzhura ne tarissaient pas et, d'après Oonagh, se révélaient souvent riches de sens. Alors, qui savait – se pourrait-il qu'il lui en vienne par la contemplation du Loch Sacré, depuis les hauteurs de Ceàrnagdun ? Lui, il serait une rassurante présence en cas de vision.
Comme lors de leur première venue, Ulter laissa son esprit vagabonder le long des flancs abrupts bordant Gleann'an'Rìgh – altière vallée aux pierres plissées comme le peau des ancêtres. La brume parfois venait y rouler ses volutes, chargée de froid et de mystère. Sous un soleil pâle, les sabots de Storm raisonnèrent sur le pont qui les introduisit au plateau clairsemé de prestigieuses demeures de pierre et de plus humbles en bois, entourant quelques marchés faisaint l'animation de Dùnlodunum. On disait que Magetobrigos, malgré l'humeur ténébreuse qui depuis des années était la plupart du temps sienne, laissait toujours voir une pointe d'enthousiasme à chaque fois qu'il passait les portes de sa capitale. Fier homme-menhir au milieu des maisons de roc. D'instinct Ulter se forgea des vers.
Sur ces faces froissées, dolmens de nos combats
Le ciel penche sa brume, en barque des gisants...
En selle tous deux sur Barrique, les jumeaux partageaient l'énergique rythme du fjord. Épaules et bassin du jeune hommes roulaient à sa cadence, sa canne maintenue en travers entre ses jambes son bras droit. Il donnait des yeux à sa gauche, à sa droite, appréciant de voir s'animer une cité bien plus peuplée que leur tranquille val. L'apprenti barde espérait que, comme lors de leur premier voyage à Dùnlodunum, l'atmosphère des lieux et les discours entrecroisés de tous ces gens se broderaient en son esprit pour lui inspirer de nouveaux textes à soumettre à Wandus, exigeant professeur.
Pour l'heure, Arzhura et lui échangeaient des commentaires au sujet de ce qui défilait autour d'eux et de leurs espoirs ou craintes pour ce voyage. Il approuva son souhait, souriant. Puisse l'Eadar en effet la laisser en paix. Ulter n'avait pas oublié la semaison de cadavres ni les tresses de sang à avoir hanté sa sœur lors de leur première venue à la capitale.
« Je peux toujours, au pire, te réciter le soir des leçons tellement assommantes que tu t'endormiras net et que les ombres n'oseront pas venir de peur de s'ennuyer aussi ! » plaisanta-t-il à voix basse, faisant allusion aux tablatures de iambes, de rimes et accords qui formaient la partie la plus rébarbative de son apprentissage passionnant par ailleurs. Frère et sœur avaient coutume de se partager le meilleur et le pire de leurs formations respectives. De s'en amuser gentiment parfois, comme chaque élève aime à décortiquer son maître et ses pratiques. Plaisanteries adolescentes de bonne guerre. Ulter n'en avait pas moins le plus grand respect pour Wandus et Oonagh. Là-dessus, Gwyngad leur renouvela son interdiction à dormir ensemble. Le fils acquiesça. Pourvu, dans ce cas, que les nuits de sa jumelle soient tranquilles. Le barde en devenir préféra changer de sujet plutôt que de rester sur cet ordre paternel et, entre autres confidences gémellaires, promit :
« S'il me vient un nouveau texte je le soumettrai à ma première et plus sévère critique ! » Partager ses trouvailles à Arzhura le rassurait toujours avant d'essuyer les critiques du maître. Tous deux tentaient de meubler... Leur géniteur était si peu causant.
Gwingad ne le fut guère davantage le lendemain. D'autant que cette nuit... ils avaient désobéi. Ulter avait accueilli dans son lit sa moitié, de nouveau assaillie per de mordantes terreurs. Comme de coutume, il s'était aussitôt consacré à l'enlacer, à lui chanter quelques-unes de ses ballades, à aligner diverses plaisanteries pour la faire s'esclaffer - jusqu'à ce que le géniteur les cueille au réveil.
Gwyngad n'avait rien dit, néanmoins Ulter comprit qu'après leur rencontre avec le roi, cela allait barder. En attendant, le père ne leur adressa pas un mot. Pas même sur Concile de Cocagne au cours duquel avaient pourtant dû se dire moult choses de prime importance. Peut-être estimait-il que les jumeaux étaient en âge et en mesure de les entendre eux-mêmes, de la bouche du roi en personne – leur offrant par la même occasion de commencer à assumer directement leur posture d'adultes et enfants d'eorl en présence du Sanglier. Ulter en fut nerveux. Serait-il à la hauteur ? Le Righ s'intéresserait sans doute surtout au don de sa sœur. Quant à lui, il ferait tout pour intervenir au mieux, pour être utile aussi bien qu'il le pourrait dans la conversation si cela devait se présenter. Le jeune homme n'avait de cesse de consolider ses connaissances culturelles et politiques : ne commettre nul impair... Ulter avait même tenté d'interroger quelques personnes, la veille après le Concile, afin de chercher à comprendre ce qui avait pu s'y jouer. Tout juste avait-il appris ainsi qu'il fut question d'écouter les informations apportés par Gaukka le Voyageur, druide itinérant de renom, sur une possible nouvelle menace susceptible d'amener les peuples Libres à travailler ensemble, à rebattre certaines cartes... Bientôt, ils allaient en apprendre davantage par la bouche de le roi.
Ulter mit ses bijoux, se peigna. Il s'était choisi une tunique rousse, brodée d'ondulations évoquant aussi bien des vagues de brume que de vieux plis de rocher. Fidèle aux us prises avec sa sœur, il la coiffa d'un fin maillage de nattes lui serpentant au crâne, lui cascadant au dos. Puis ils partirent à grimper la pointe rocheuse qui les mena au sommet de Cnuiclarann, d'où ils verraient les flots sacrés.
« Oh ça ne m'étonnerait pas que la demande vienne de Père. Je suppose qu'il attend que nous puissions ici tisser connaissances politiques et relations. » répondit-il à Arzhura, qui s'interrogeait quant à l'origine de la décision. Une pointe de tension perçait dans sa voix pourtant douce. Appuyé sur sa canne – dont par nervosité, le long de l'ascension, ses ongles venaient gratter par moments les riches motifs sculptés – il approcha sur la terrasse en même temps que sa sœur. De son pas boiteux, qu'il chercha comme de coutume à rendre le plus discret et élégant possible, tandis que ses bottes épaisses se chargeaient déjà de dissimuler l'arc-boutant de sa jambe gauche, il avança.
Magetobrigos était là, taiseux. L'allure du fils de Magatos avait déjà marqué Ulter la première fois qu'il l'avait vu – mais pas d'aussi près. Petit mais puissant, solide homme-menhir à la barbe noire qui tranchait avec le luisant de ses fibules. Mariage de ténèbre et de lumière que l'apprenti barde trouva assorti au Sanglier. Tenace au cœur de ses souffrances, closes entre ses lèvres comme par le silence des pierres. La mort de sa femme Venica et de son fils Magusatios avait choqué tout un chacun. Il y avait de quoi comprendre le mutisme de Magetobrigos devant le voyage des brumes au-dessus de l'eau. Noirceur... et splendeur : celle de la fierté du peuple Cleirigh qu'il incarnait. Ulter connaissait ses faits de guerre dans les Marais d'Ambre, ce crâne-trophée qu'il avait arboré, ses positions à la fin de la Guerre des Brogues. L'infirme se sentit bien petit en présence du Sanglier.
Miroir l'un de l'autre, Arzhura et Ulter s'inclinèrent de concert. Le visage du jeune homme afficha une expression de tranquille déférence, sans gravité exagérée mais sans joie non plus. Neutralité de l'attente.
« Ô Righ. » déclarera-t-il quand Magetobrigos les découvrira devant lui, quoiqu'encore en léger retrait de respect.