Personnage Âge: 34 ans Métier: Chamane néophyte Statut: Broín
Sujet: Bronach la Noyeuse Sam 2 Mai - 19:11
Bronach la Noyeuse
Bronach
Âge/ Date de naissance : 34 ans, née au huitième jour de l'hiver 365 Sexe : Féminin Faction : Tribus barbares Liens notables : Arnec le Chenu, son grand-père
Fonction :Apprentie chamane
HISTOIRE
"C'est à l'eau que tout commence, c'est à elle que tout finit."
Les yeux te fixent, ils découpent leurs miroirs dans la pénombre où le feu trace des lueurs dansantes. L'eau gît au fond des prunelles, et elle renferme autant de profondeurs, autant de secrets : bien plus, sans doute, que n'en dira jamais la bouche qui s'entrouvre pour conter.
"Ainsi est notre pays : le sel, les joncs, la vase, tout change, tout se meut, et on ne peut être sûrs de rien."
Elle se tait, elle réfléchit un instant.
"Peut-être faut-il commencer par le lignage, puisque le sang importe tant. Je suis un infime rameau de la vaste futaie chenue qui sert de descendance au roi Arnec, mon grand-père. Au milieu de tous ceux dont il a fait ses filles et ses fils, je suis la dernière née de quatre enfants et puisque ma mère me mit au monde dans la souffrance, c'est d'elle que je porte le nom."
Son sourire fend ses joues comme une grimace au couteau.
"Il faut croire que le destin avait déjà rendu son verdict à mon sujet, sitôt mon premier cri poussé en ce monde. Quoi qu'il en soit, j'ai grandi à Arcasadrigun, au milieu de ce vivier de murènes qui fraye dans l'ombre du vieux souverain, et comme il en va souvent des derniers-nés, il fut décidé que je suivrai l'enseignement de la chamane Saoirse qui cherchait une apprentie. En attendant mes quatorze ans révolus, j'ai vécu comme le font les petits de cet âge : des rivalités juvéniles avec ceux de ma parentèle, et de brèves alliances au milieu des jeux d'enfants qui sont des prélude aux dissensions des adultes, quand ceux-ci ne se servaient pas tout simplement de nous comme de pions dans leurs jeux de pouvoir. J'ai ignoré tout cela, par déni ou par idiotie, je n'ai jamais vraiment su, et je préférais bien souvent la compagnie des oiseaux et du silence à celle des miens."
Disant cela, elle se berce, rêveuse, de ses propres souvenirs. Peut-être qu'elle a été heureuse, en ce temps-là, quand les douceurs de l'enfance tenaient encore à distance les cruautés futures, et que l'ignorance faisait rempart aux cauchemars.
"Et puis je suis entrée dans l'âge de femme, et j'ai suivi Saoirse sur le sentier qui serpente entre les mondes. J'ai appris d'elle avec application : j'étais une bonne élève, tu sais, j'étais attentive et sage, et j'ai toujours eu de la curiosité pour cet enseignement-là. Il y a tant de secrets qui gisent dans le cœur des choses, pour celui qui sait voir, et tant de voix qui s'élèvent, pour qui sait entendre. C'était ma voie et je m'y suis plue. Saoirse a été comme une seconde mère qui m'a extraite de ce monde pour m'ouvrir à un autre, peut-être moins retors que les intrigues de ceux qui ne veulent que le pouvoir, mais non moins dur et cruel. J'ai appris, en ce temps, et j'ai appris d'elle ce que c'est d'occuper cette place. Ce fut pour moi le temps de l'éclosion. Tu sais ce que c'est : le moment où l'on s'éveille enfin au monde, où notre sang se mue en rivières de feu et tout est plus intense, tout est plus profond, tout est plus fort que jamais. Tout semble décuplé, tout ce qu'on ressent, tout ce que l'on pense, tout ce que l'on fait."
Bronach parle, et ses yeux s'enflamment d'un vieil éclat qui lui demeure tapi au fond des prunelles. Tu sens qu'elle n'est pas loin, la jouvencelle qui courait dans les roselières et qui dansait autour des feux, tu sens qu'il en reste toujours quelque chose, comme un vestige qui surnage, le reflet d'un printemps sur les eaux mortes.
"Sur ses pas, j'ai soigné, j'ai guéri, j'ai accompli les rites qui tissent et refont la trame de ce qui tient le monde en place et honore les Spiors. Ils ne sont que l'émergence tangible de tout ce qui n'est pas perceptible. Je ne pourrais te dire, même si je le voulais, les secrets de tout cela : il faut l'avoir dans le sang, il faut avoir percé le voile, il faut avoir entendu les astres tourner sur leur orbite, la musique du monde, le rythme lent du pouls de la terre quand il bat dans tes veines et que tu danses autour des flammes qu'habitent les esprits attirés par ton chant."
Ses yeux s'animent, et ils te fixent. Ils ressemblent à des puits, profonds, sans âge, où la lumière se reflète seulement en surface, sans en jamais atteindre les tréfonds. Elle semble plus vieille, un instant : étrange, lointaine, comme si elle n'était pas de ton sang, comme si elle n'était pas de ton espèce, comme si ses racines plongeaient bien plus profond, et allaient boire à la source originelle de toute vie, au soupçon primitif des premiers jours du monde.
"Et puis, tout s'est rompu."
Avec ses mots, sa voix se brise, ses prunelles te happent soudain et le gouffre s'ouvre.
"J'avais presque dix-sept ans, quand j'ai tué mon frère. Ou peut-être est-il mort seulement par ma faute, ou peut-être qu'il n'y a pas de fautif qu'il faut blâmer : cela, même moi je ne saurais dire. Je me souviens juste du matin qui s'est levé, avec ses brumes et ses chants : j'étais revenue à Arcasadrigun avec Saoirse où le devoir nous avait appelées, et en souvenir des échappées secrètes de notre enfance, j'étais partie avec Cathan pour piéger les passereaux qui nichent sur la grève à cette saison. Nous aimions aller chasser, avant, et rester des heures durant à écouter le monde s'ébattre autour de nous : il était le plus habile d'entre nous pour débusquer les échassiers et les courlis, je le déplore, parce que j'avais eu autrefois la fierté de lui faire concurrence. La rivalité qui était la nôtre n'était un secret pour personne, mais par-delà les rodomontades adolescentes, que puis-je dire, sinon qu'il était mon frère, et que je l'aimais ?"
Elle est froide, la voix qui s'exprime, et elle file, blanche, absente, parce que ce qu'elle évoque a le goût de l'irréel tant tout semble flou à la mémoire qui retourne encore ses flots saumâtres pour faire remonter les choses à la surface.
"Mais je l'ai tué quand même. Par défi, par jeu, par orgueil, nous avons cherché à nous confronter et dans l'ivresse du danger, peut-être que lui et moi avons cru brièvement être invincibles. Après tout, nous étions fils et fille des rois de ce pays, et il est nôtre, et a toujours été notre terrain de jeu. Mais voici : Cathan s'est enhardi jusqu'à négliger la prudence. J'étais à quelques pas de lui quand le sol s'est dérobé sous lui et qu'il s'est pris dans une fondrière en pistant notre proie, parce qu'il voulait me distancer et l'atteindre en premier."
Bronach se tait. Elle cherche ses mots, elle hésite : comment dire la violence des choses ? Tout semble loin, brouillé, indécis.
"Je n'ai rien fait. Tu sais comme les heures qui suivent l'aube paraissent irréelles, quand la lumière flâne au-dessus des herbes longues ; tu sais combien tout semble incertain, tout s'emmêle, et ce matin-là, j'ai perdu pied. Je n'ai rien fait et je l'ai regardé alors qu'il s'enfonçait jusqu'aux genoux, puis jusqu'à la taille, qu'il m'appelait, et que sa voix semblait s'étouffer dans le brouillard qui mangeait tous les sons. C'est une mort lente et horrible parce qu'on a le temps de savoir qu'il est vain de lutter, quand la terre te dévore tout vif et t'avale avec patience jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Quand il a cessé de crier, c'était comme s'il n'avait jamais existé, tout s'est refermé sur lui, plus rien n'a bougé. Moi, je n'ai pas pleuré, je n'ai rien dit, et quand les hommes sont venus, alertés par le bruit, je n'ai rien trouvé à répondre."
Elle parle, abruptement, comme on jette des mots à la face du néant. La voix grave et mélodieuse, si chaude à l'oreille, s'est faite hachée et brutale, quand elle reprend.
"Je suis restée longtemps sans une parole, sans une larme, sans un pleur ni un son. Le silence qui avait suivi la mort de Cathan m'avait emporté avec lui et depuis, depuis c'est comme si un peu de la blancheur froide de ce matin-là s'était infiltrée jusque dans mes os. Il n'en est jamais reparti. Il était encore là, dans ma tête, dans ma bouche, quand on m'a pressée de questions, quand on m'a jeté à la figure la colère de mon père et le chagrin de ma mère, quand on a tourné contre moi des mots cruels qui me disaient que c'était moi qui l'avais poussé, parce qu'on savait que j'étais jalouse de lui. Peu à peu le poison s'est répandu, et la parole avec, et tout le monde s'est rangé à cette idée : le meurtre n'est pas rare dans ma famille, mais moi, j'avais eu le mauvais goût de m'y prendre sans manières et sans discrétion. Il ne devient un atout que lorsqu'il est tu, ou bien lorsqu'on a assez de pouvoir pour se le permettre."
Bronach renifle un rire sans joie, disant cela. L'amertume fissure chaque mot, et la dureté avec, comme un roc qui se brise et qui tranche.
"J'aurais dû mourir, pour ce que j'ai fait, mais je ne sais si c'est vraiment la pitié qui a guidé la voix de mon grand-père. C'est lui qui a décidé : qu'on m'épargne, mais que l'on fasse de moi une paria, une exilée, et que plus jamais je ne reparaisse parmi eux. C'est ainsi que j'ai été chassée de chez moi, et je crois bien que de la merci, il n'y en a pas eue une once dans cette décision, parce que peut-être que la mort aurait été un plus grand soulagement que de m'en aller dans le dénuement. Ces jours-là ont été sombres, et j'ai marché seule dans le noir, avec le doute dans le cœur : peut-être qu'ils avaient raison, avec leur colère et leurs reproches amers, peut-être que je méritais tout cela. J'ai tué ? Eh bien soit. Il y en a qui tirent leur gloire du sang qu'ils ont sur les mains, pourquoi aurais-je du m'en priver ?"
Un sinistre sourire lui étire les traits alors qu'elle oscille du chef et que les rets de la chevelure s'enroulent comme des serpents le long de sa gorge. Il n'y a plus de lumière, là, et les yeux sont de silex quand elle raconte le temps de l'obscurité et de l'exil, le long chemin dans le noir qui l'a emmenée consumer ce qu'il restait d'elle dans les fondrières où dansent les follets de Lochran.
"On m'a conduite dans l'est, à Boglachòmar, chez ceux qui font leur demeure dans le secret de ces lieux désolés. Oh, tu sais qui ils sont, tu sais comment on les nomme, les Mhàgachfir, les Hommes Crapauds. Après tout, que me restait-il ? J'ai pris la route la plus obscure, celle qui s'ouvrait devant moi. De ces années, je ne te dirai rien, parce qu'il n'y a rien que tu doives en connaître : j'ai vécu parmi les parias, les vauriens, les meurtriers, je me suis fait une meute d'exil où j'ai péri à mon tour. Tu sais, je crois bien que quelque chose est mort, pendant ces années-là qui ont semblé durer toute une vie. Je suis allée les yeux fermés, j'ai sombré profondément et j'en suis ressortie plus forte, mais sans doute dépouillée de tout."
Bronach ferme lentement les yeux, et elle étend les mains devant elle. Ses paumes sont celles d'une travailleuse, les ongles incrustés de terre et d'encre, les doigts marqués par le maniement des serpes et des outils de son labeur, noueuses, pleines d'une force rentrée qui s'ébauche dans le contour ligneux de phalanges comme des racines croches.
"Tu vois ces mains ? Elles ont appris à soigner, à guérir, à réparer. Maintenant, elles tuent."
Le poing se ferme comme une pierre.
"Et un jour, elles ont refusé de servir. Il faut croire que j'avais encore une once de pitié, une once d'honneur, quand un jour j'ai refusé de tuer. Peut-être qu'il restait quelque chose qui se raccrochait à la lumière, quelque chose à sauver ? Ce n'était pas l'avis des chefs, mais je n'ai pas eu le temps d'avoir le dernier mot de ceci : peu après, quelqu'un est venu porter la parole du roi jusqu'à Boglachòmar. Je n'étais pas graciée, je n'étais pas pardonnée, mais voilà qu'Arnec me délivrait de mon exil et me permettait de revenir à Arcasadrigun. J'ai hésité, longuement, et puis j'ai accepté : je crois que c'est ce jour-là que j'ai recommencé à respirer, à rouvrir les yeux et à me dire qu'enfin, j'étais jeune encore et que tout n'était pas perdu. Beaucoup de choses s'étaient rompues pour toujours, mais que restait-il à réparer ?"
Quelque chose vibre, dans sa gorge, comme un oiseau qui frémit dans la cage. Fièvre, soif, quelque chose brûle dans les prunelles, quelque chose qui veut vivre encore et respirer, mais le collet serre toujours plus étroitement, et Bronach le sait.
"Je n'étais pas plus libre pour autant, car ce n'est une fois de plus pas la bonté qui a guidé la volonté de mon grand-père. Ma vie ne dépend que d'un mot de lui, alors pour vivre, il me faut servir. Je sais que mes scrupules lui font horreur, je sais qu'il me travaille comme on aiguise une lame pour lui ôter toutes ses aspérités et affiner son tranchant, comme on martèle le fer impur pour le défaire de ses scories. Il martèle, il martèle, et peut-être qu'un jour, il aura raison de moi."
Ils sont de pierre encore, les yeux qui te contemplent. Ils disent ce que taisent les mots qu'elle prononce : la haine très noire que l'oiseau captif voue à celui qui la tient sous son joug se dispute à la loyauté du chien de guerre. La souffrance qu'il engendre nourrit la dureté, chaque blessure, chaque once d'amertume achève de la dépouiller de ce qui lui reste d'humain. Mais tout n'est pas terminé : l'œuvre finale voulue par le roi des marais ébauche encore d'autres formes contraires, comme si deux artisans s'affrontaient pour modeler la même argile.
"Nous avons fait secret sur cela. Arnec m'a dit qu'il savait, lui, la vérité sur l'aube fatale qui avait mangé Cathan : il m'a dit que c'était à ce fil-là que tenait ma vie, et que peut-être un jour, quand tout serait achevé, peut-être qu'il m'en ferait la confidence. Personne d'autre n'en sait rien et nul ne soupçonne, je crois, la véritable raison de ma présence ici. Je fais profil bas, j'ai recherché ma place auprès de Saoirse qui m'a accueillie à contrecœur. Comment lui en vouloir ? Elle a regardé partir une apprentie prometteuse, au printemps de sa vie, et elle a vu revenir une femme qui avait tout perdu de ce qu'elle était autrefois. Elle a vu tout ce que mes années d'exil ont flétri et tué dans la graine, mais je crois, hélas pour elle, qu'au fond elle n'a pas perdu espoir de faire de moi autre chose que l'arme que je suis devenue. Je sais qu'elle y travaille, même lorsque ses yeux et sa bouche ne disent que la dureté de sa déception : beaucoup de choses se sont rompues, beaucoup de choses ne pourront jamais être réparées, mais elle essaie, avec ses pauvres mains, avec sa patience très humaine, de me rappeler qu'il y a encore du bon à faire en ce monde."
L'ombre et la lumière. L'une ne va jamais sans l'autre, et tu sens combien elle oscille, combien elle vacille, prise entre deux feux. De nouveau, elle étend ses paumes vers toi. La lueur de la lampe s'y loge, docile, quand elle referme ses doigts.
"Tu vois ces mains ? Elles ont soigné autant qu'elles ont tué. Je suis le remède et je suis le poison, comme ces choses qui guérissent et qui font périr, qui sont sur le fil, quelque part entre la bonté et le meurtre."
Une pause, et puis quelque chose se faufile dans l'éclat du regard.
"Si l'eau me rendait un jour mon frère, tu sais, peut-être qu'il pourrait enfin parler. Peut-être qu'il ouvrirait sa bouche pleine de vase pour dire la vérité qu'il a emportée dans sa tombe, cette vérité que moi-même j'ignore, parce que tout s'est brouillé. J'aimerais savoir, vraiment. Une certitude cruelle vaut mieux qu'une vie entière de doute, mais hélas, les morts se taisent, les tourbières ne rendent rien à la lumière, et seuls les dieux savent ce qu'il en est de lui."
Un silence.
"Peut-être qu'ils disent vrai," et sa voix se fait toute douce, toute basse, toute rêveuse, parce que même les pires vérités ont leur part de soulagement. "Peut-être que je l'ai vraiment tué, et que c'était de ma faute. Peut-être que j'ai mérité tout ce qui est arrivé ensuite et qu'il me faut me laisser sombrer comme lui, cesser de lutter pour garder la tête hors de l'eau. C'est peut-être ma punition : tomber, tomber tout au fond, avec lui, là où reposent les noirceurs les plus impénétrables, jusqu'au cœur du monde."
Elle te regarde. Le feu se reflète dans ses yeux, et ils font comme les mares et les eaux qui gisent, sans bruit, aux creux des roselières. Tu sais que quelque chose l'entraîne vers le fond, un poids indicible, mais qu'elle lutte encore. Et dans le pli de ses lèvres, dans la sévérité des traits minces, tu sais, confusément, qu'elle continuera ainsi jusqu'à ce que toutes ses forces lui soient ôtées.
Dernière édition par Bronach la Noyeuse le Jeu 7 Mai - 20:30, édité 2 fois
Arnec le Chenu
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