Une curie de magistrat

4e jour de Primo Seminare de l'an 399

Le procurator avait souhaité la présence de la curie au grand complet afin de donner quelques conseils avant son départ pour les limes. Certains pouvaient voir dans les discours de simples pertes de temps, mais Servius était d'un tout autre avis. Un discours avait plusieurs vocations tout aussi importantes les unes que les autres. Que ce soit pour convaincre, imposer, motiver ou encore rendre hommage. Il y avait de nombreux interêts à un discours, et la performance de l'orateur pouvait grandement influer sur sa vie politique ainsi que sur celle de l'empire, ou d'un province selon l'orateur.

C'est pourquoi l'Edile resta concentré tout au long de la séance, il s'agissait de ne manquer aucune information, aucun changement de ton dans la voix du procurator qui pouvait lui indiquer ses orientations politiques. Tout détail serait important quand les tractations politiques commenceraient. En effet le procurator dirigeait la province mais ne pouvait le faire sans le traditionnel relais que sont les patriciens. Se les mettre à dos voulait dire moins d'informations, moins d'aide pour ses projets voir même des blocages. Sans oublier que les patriciens avaient des relais à travers l'empire grâce à leurs familles et leurs fortunes, ils pouvaient ainsi facilement faire valoir leurs droits à Ruvia. Le procurator  n'était pas ici le roi, mais l'homme chargé de mener des hommes libres pouvant défendre leur bon droit. Un mauvais procurator pouvait ainsi se trouver vite remplacé si il n'arrivait pas à s'attirer les bonnes grâces des locaux. A contrario une bonne entente pouvait être profitable à tous... Même si ce procurator là était lié à la famille impériale et disposait donc de solides soutiens.

A la fin du discours du procurator Servius , à l'instar de l'assemblée, salua la performance. Après les politesses d'usage, l'Edle rejoint quelques soutiens à l'extérieur de la curie. Les dicussions portèrent bien évidement sur le procurator, même si aucun avis tranché ne fût exprimé. Il s'agissait d'une bien modeste précaution contre des oreilles indiscrètes, et ce même si la majorité des patriciens faisaient comme eux.  

Après quelques minutes d'intense discussions Servius annonça son intention de prendre congé afin de se rendre à la caserne des cohortes urbaines. Mais un léger mouvement de tête d'un patrcien lui fît comprendre de se retourner. Curieux, l'édile s'éxécuta tout en prenant soin de ne pas salir sa toge prétexte. Servius remercia d'un geste son allié car en effet ce n'était autre que le procurator qui se dirigeait vers eux.

Deux jours après son arrivée en Oncmelia Minor et une réception chez le Tribun Consulaire qui avait révélé quelques personnalités chez les Curiates, Caïus passait son premier vrai test face à ses pairs. Une prémière élocution face aux patriciens de la province qui le toisait d'un oeil critique, prêt à le juger sur le moindre mot qui sortirait de sa bouche. Les gradins étaient combles. Aucun n'avaient souhaités manquer la première prise de parole officielle du nouveau Procurator. Depuis son siège curule, au centre du sénacle, il avait pu observer les partisans des deux courants de pensées qui s'opposaient dans les tribunes de la Curie. Sur sa gauche, les Populares avec en chef de file le censeur Lucius Sevinius Galba, au cognommen cohérent lorsqu'on découvrait la silhouette arrondie et adipeuse du bonhomme. Sur sa droite, les conservateurs Optimates, suivant le Préteur Sicinius à l'oeil fou et au visage austère. Le Feles ne souhaitait pas faire de vagues pour le moment et se contentant de quelques banalités dans son discours, ménageant la chèvre et le choux pour ne s'attirer aucune antipathie de quelques Curiates que ce soit.

Il se leva de son siège et fit quelques pas sous les yeux de ses pairs, levant la main droite dans un pose de rhétoricien avant de prendre la parole.

Chers Curiates, je profite de cet instant solennel pour une fois encore vous remercier. Remercier tout d'abord le Tribun Publius Acilius Ravilla qui m'a accueilli avec bienveillance et a su, dès les premiers instants dans cette belle cité, me prodiguer de sages conseils.

Quelques applaudissements ponctuèrent ces quelques mots et le Tribun hocha la tête avec humilité, un sourire tranquille ourlant ses lèvres. Le Procurator poursuivit.

Je souhaite également vous remercier, vous, patriciens d'Oncmélie, d'être venu nombreux en ce jour qui m'honore devant les Dieux. J'ai bien conscience que certains d'entre me jugeront dès les premiers instants, d'autres prendront le temps de voir ce dont je suis capable et certains autres se sont probablement déjà fait un avis sur moi. Quoi de plus normal ? Je débarque de Ruvia et connaît mal encore, je le confesse, les rouages d'Edelmia et de la province.

Quelques murmures parcoururent l'assemblée, commentant tout bas les paroles du Procurator. Un petit sourire naquit sur le visage de Caïus qui ne se laissa pas troubler.

Cependant, chers confrères, je n'en reste pas moins déterminé à agir pour le bien de la province en travaillant main dans la main avec mon Diumvir et avec chacun des membres de la Curie. La charge que m'a confié le Sénat au nom de l'Imperator Numerius Julius Paetius est lourde et exigeante et je suis convaincu que je ne peux l'accomplir seul. Lorsque je fus nommé Procurator d'Oncmelia Minor, le Sénat m'a dit que la province avait besoin de moi. J'étais, dès lors, et je suis toujours persuadé aujourd'hui, que c'est moi qui ai besoin de chacun d'entre vous. C'est ensemble que nous pourrons gouverner cette province et faire rejaillir la gloire de tout l'Empire, jusque dans ses confins. Nous sommes ruviens ! Nous sommes le peuple béni par Soltar en personne. Nous sommes la lumière de ce monde !

Les murmures s'accentuèrent tandis qu'une certaine émulation faisait s'ébrouer les tribunes de la Curie.

Ensemble nous pouvons ... Non, nous devons collaborer pour que chacun en Oncmelie puisse vivre en paix. J'ai hâte de travailler et d'échanger avec chacun d'entre vous, afin que nous fassions de cette belle province ... Bien qu'un peu pluvieuse ...

Quelques gloussements amusés s'échappèrent des tribunes blanches et pourpres, tandis que le Procurator souriait doucement.

... Un endroit où il fait bon vivre et qui fera la fierté de ses habitants comme de la capitale. Je compte sur vous pour m'aider à réaliser ce projet.

Les applaudissements vinrent saluer la fin du discours du Procurator qui regagna son siège. Pendant la reste de la séance, il fut porter à la connaissance de la Curie que le Procurator ferait le tour des castrae du Limes afin de rencontrer la légion et d'étudier les éventuels besoins des braves légionnaires de la province. L'assessuer frappa de son grand bâton sur le sol pour annoncer la fin de séance et les curiates sortirent par petits groupes, selon leurs penchants politiques. Caïus avait prononcé son discours afin de flatter les égos de ses pairs mais il savait qu'il devait rencontrer chaque chef de file et les magistrats en poste afin de prouver que ses mots étaient teintés de vérité.

Alors que les licteurs l'entouraient et qu'il descendait les larges marches de la Curie vers le forum, il remarqua un petit groupe d'Optimate qui devisait à quelques pas. La crinière blanche de l'Edile de la cité attira l'oeil du Feles. La grisaille habituelle d'Edelmia avait en ce jour laissé la place à un ciel nuageux, certes, mais troué de bleu qui laissait Aurin amener un peu de douceur dans l'air. Un temps parfait pour prendre de le temps de rencontrer quelques curiates avant de rentrer auprès de son épouse et d'échanger quelques amabilités avec l'Edile Tuccius. Ce dernier se tourna vers lui alors qu'il s'approchait du petit groupe.

Ave Curiates. Ave Edile. Les Dieux nous offrent une belle journée, n'est-ce pas ?

Il entra dans le cercle que les patriciens avaient formés, ses licteurs restant deux pas en retrait du Feles. Il tourna le regard vers Tuccius et l'interrogea avec une certaine nonchalance.

Comment se passe votre mandat, Edile ? Comment se porte la cité ?

Servius fût flatté, même si il n'en laissa rien paraitre, que le procurator s'adresse à lui en priorité. C'était là reconnaitre son statut plus élevé que les autres optimates présents autour de lui. Par sa fortune et son noble héritage Servius se sentait digne de diriger la noble artistocratie de cette ville. Il lui restait encore à avancer dans son cursus honorum pour s'imposer définitvement mais cela n'était qu'une question de temps.

Le procurator commença la conversation avec quelques interrogations. Deux questions à l'apparence si simple mais dont la réponse pouvait influer sur la premiere impression que pouvait laisser l'Edile. Certes Servius et Caïus s'étaient déjà croisé mais ils n'avaient encore jamais conversé. La première question semblait anodine mais pouvait irriter nombre d'onclemeliens qui en avaient assez de voir leur territoire décrit uniquement comme pluvieux. La deuxième était encore plus délicate, l'Edile pouvait commencer à faire connaitre ses ambitions ou bien se contenter d'une réponse sans intérêt. Après un instant de reflexion, l'Edile se lança avec un petit sourire:


Ave Procurator, permets moi de te faire savoir qu'il s'agit d'un grand honneur de recevoir un personnage aussi important dans notre province. Il est bon de savoir que l'empire nous estime au point de t'envoyer à nous.

C'est en effet une bien belle journée dans notre province qui n'est pas que pluvieuse. Notre territoire est en effet plus humide que Ruvia mais vous verrez que ce n'est pas désagréable et en véritié il est loin de pleuvoir autant que le pensent les nouveaux arrivants. Sans cela nos récoltes seraient désastreuses, et ne parlons pas de nos vignobles. Même si pour ces derniers il ne s'agit que de répondre à une demande local, rares sont nos vins qui s'exportent. Ceux qui font référence à des grands vins dans cette région sont de bien fieffés menteurs. Mais cela nous rappelle nos origines et nous permet d'apporter une touche ruvienne à cette région.

Quelques sourires vinrent ponctuer ces propos, et après un courte pause l'Edile répondis à la deuxieme interrogation du procurator:

La ville se porte bien et ne cesse de prospérer. Mais de futurs problèmes peuvent apparraitre avec l'accroissement de la population. Je ne vais m'exprimer que sur les sujets qui touchent à ma fonction. Je pense qu'un aqueduc peut être une solution à l'approvisionnement en eau pure, les montagnes ne sont pas très loin et les coûts peuvent donc être maitrisés.

Et concernant la sécurité de notre coté, la cohorte urbaine est plus que capable. Cependant je pense que quelques vigiles peuvent nous être utiles afin d'éviter les départs de feu et assurer la sécurité la nuit dans les rues les plus mal famées.

Servius avait préféré exposer clairement ses objectifs en tant qu'Edile. Il ne souhaitait pas faire trop de louvoiement sur des sujets aussi sérieux. C'était aussi un bon moyen d'exposer devant témoin à quel point il tenait au bien de la cité.

Les visages des patriciens se tournèrent vers Caïus de concert et chacun y alla de sa petite salutation en réajustant sa toge prétexte ou en fuyant le regard du Procurator. Peu importait les réactions de chacun, c'était à l'Edile d'Edelmia qu'il voulait parler. On disait l'homme assez influent parmi les Optimates et c'était le genre de personnage qu'il fallait connaître dès les premiers jours afin de savoir entre les mains de qui avait été confié la capitale de la province. L'homme à la toison blanche sourit avec amabilité avant de répondre aux quelques questions banales qui lançaient la conversation.

Ave Procurator, permets moi de te faire savoir qu'il s'agit d'un grand honneur de recevoir un personnage aussi important dans notre province. Il est bon de savoir que l'empire nous estime au point de t'envoyer à nous.
C'est en effet une bien belle journée dans notre province qui n'est pas que pluvieuse. Notre territoire est en effet plus humide que Ruvia mais vous verrez que ce n'est pas désagréable et en véritié il est loin de pleuvoir autant que le pensent les nouveaux arrivants. Sans cela nos récoltes seraient désastreuses, et ne parlons pas de nos vignobles. Même si pour ces derniers il ne s'agit que de répondre à une demande locale, rares sont nos vins qui s'exportent. Ceux qui font référence à des grands vins dans cette région sont de bien fieffés menteurs. Mais cela nous rappelle nos origines et nous permet d'apporter une touche ruvienne à cette région.

Quelques flatteries enrobées d'une remarque visant son petit trait d'esprit lors de son discours, le curiate semblait avoir été attentif à ses propos mais il n'avait pas été de ceux qui avaient gloussés apparemment. Le Procurator fit un léger hochement de tête pour saluer les compliments qu'on venait de lui offrir, qui même s'ils n'étaient pas sincères, devaient tout de même être notés. Il semblait fier de sa province, vantant les qualités et pointant les défauts de l'Oncmélie sans concessions. Les curiates qui formaient le cercle autour de Caïus et de l'Edile sourrièrent doucement en voyant un de leur chef de file montrer de l'aplomb dans sa prise de parole. Ce dernier poursuivit après un petit temps, le sourire toujours accroché aux lèvres.

La ville se porte bien et ne cesse de prospérer. Mais de futurs problèmes peuvent apparraitre avec l'accroissement de la population. Je ne vais m'exprimer que sur les sujets qui touchent à ma fonction. Je pense qu'un aqueduc peut être une solution à l'approvisionnement en eau pure, les montagnes ne sont pas très loin et les coûts peuvent donc être maitrisés.
Et concernant la sécurité de notre coté, la cohorte urbaine est plus que capable. Cependant je pense que quelques vigiles peuvent nous être utiles afin d'éviter les départs de feu et assurer la sécurité la nuit dans les rues les plus mal famées.

Voilà qui avait le mérite d'être direct et d'entrer dans le vif du sujet. Le patricien avait des idées et des ambitions. En entendant les mots de l'Edile Firmius, le Feles fronça légèrement les sourcils, revêtant son masque sévère et attentif aux propos de son interlocuteur. L'homme parlait sans détour mais pourtant Caïus ne put s'empêcher de faire remarquer en désignant le fleuve qui réflétait les pâles rayons du soleil à l'horizon.

Un aqueduc ? Ne penses-tu pas que la Neropola suffit pour les besoins en eau de la ville ?

Caïus arqua un sourcil légèrement sceptique à l'intention de Servius. Il n'y avait aucune malice, ni dans l'oeil, ni dans le ton du Feles, tout juste cherchait-il à avoir des arguments et une démonstration plus convaincante qu'une simple idée évoquée au détour du forum. S'il avait pris la peine de souffler la suggestion à l'oreille du Procurator, ce n'était sûrement pas pour faire la conversation. Une autre interrogation évidente fut livré par le Feles.

Et puisque tu évoques le coût d'un pareil ouvrage, en as-tu déjà parlé au Questeur ? Où même fait la proposition à tes pairs avant que je prenne mes fonctions ?

Les curiates autour des deux hommes se taisaient pour à peine réagir à l'échange, se contentant de tourner la tête vers l'un puis l'autre en attendant les réponses aux questions. Du coin de l'oeil, Caïus remarqua que les autres groupes de curiates qui s'étaient rassemblés sur les marches de la Curie les observaient de loin. Nul doute que cette discussion ferait naître nombre de commentaires, même parmi ceux qui n'en connaissaient pas la teneur.