La Légende des Chevaucheurs de Truie [Quintilius]

Enfin à l'intérieur. Le temple de Paa était sinistre et les pierres moussues succédaient aux poutres vermoulues dans une pénombre effrayante. Les murmures des flamines étaient accompagnés de l'odeur lancinante d'un encens de piètre qualité qui vous piquait la gorge et les yeux. Le trio avança lentement, observant la poussière et les toiles d'araignée qui flottaient dans l'air.

Tâchons de ne plus nous faire remarquer désormais.

Le patricien trébucha et se prit une gamelle remarquable dans un fracas qui fit s'interrompre le groupe de dévôts qui se retourna comme un seul homme. Titus reprit contenance bien vite pour souffler.

A partir de maintenant.

Le pénule se tourna vers Pupu et plaça son index sur la bouche. Elle n'émit aucun grognement mais il lut dans son regard que la truie avait bien compris la consigne. Titus reprit la parole en montrant une petite porte sur la droite du temple.

Cette porte permet probablement d'accéder au soubassement du temple. Là où le clergé de Paa entasse tous ses noirs secrets. Objets magiques, trésors cachés, esclaves et prisonniers. Songes-y, Quintilius ; je mettrais ma main au feu que nous y trouverons Condylome... nous touchons au but. Frappe-moi et dis-leur que j'ai essayé de te tripoter les nichons. Ainsi, ils m'emmèneront en bas pour me faire prisonnier. Ensuite... il ne te restera plus qu'à trouver un moyen de nous libérer, Condylome et moi.

Quintilius haussa les épaules et leva sa main, prêt à donner un violent revers en pleine figure de son camarade. Après tout, c'était lui qui demandait et c'était lui le chef. Puis immédiatemment, anticipant la douleur ou réalisant que son plan avait des failles, il se ravisa.

En fait, non, attends, on va faire autrement. Accorde-moi une minute, il faut que je réfléchisse. Dis à Pupu de me lécher les genoux, ça m'aide à me concentrer.

Il arqua un sourcil en observant son camarade avant de baisser les yeux vers Pupu qui poussa un petit "grouik" incertain. Même s'il avait toute confiance en l'intellect du jeune patricien, il ne savait pas comment demander à Pupu de lui lécher les genoux. Encore frustré de n'avoir pu donner la gifle qu'il avait préparé, il se grattait le crin de cheval qui lui servait de perruque en réfléchissant à la façon d'amener la chose lorsqu'une voix féminine le fit légèrement sursauter.

Je pensais bien vous retrouver ici... Pourquoi êtes-vous déguisés en prostituées ?

Quintilius jeta un regard vers la jeune femme qu'il avait quitté quelques heures plus tôt, puis il tourna un regard interloqué vers un Titus qui semblait tout aussi interdit que lui. Il fit une série d'aller et retour entre les deux, puis il sentit qu'il devait faire quelque chose, intervenir, réagir ... Bam ! La baffe que n'avait pas pris Titus, c'est la jeune femme qui la mangea. La tête de la plébéienne dodelina sous l'impact et ses yeux convergèrent tandis qu'elle vacillait sur ses jambes. Alors qu'elle s'écroulait, Quintilius la recueillit dans ses bras et la souleva avant qu'elle ne finisse allongée sur le sol poussiéreux. Il regarda Titus avec un air d'enfant pris la main dans le pot de confiture. Il tordit ses lèvres avant de déclarer à mi-voix.

J'ai paniqué !

Il observa un instant Pupu qui avait pris la liberté de s'éloigner pour vagabonder dans le temple en bonne touriste qu'elle était. Quintilius fut frappé à son tour d'une épiphanie. Peu habitué au coup de génie cérébrale, il vit tout blanc pendant un instant et dut papillonner des yeux pour reprendre pleine conscience. Il siffla vers la truie qui revint au petit trot vers les deux hommes. Il posa le corps évanoui de la jeune femme sur le dos de Pupu et expliqua son idée à Titus.

Pupu va faire diversion ! Quand qui vont voir une donzelle sur un cochon, y vont croire qu'c'est Vehna ou son ... comment qu'on dit ? ... Avatar, et on pourra en profiter pour r'trouver le p'tit esclave !

Il donna une claque sur les fesses de Calpurnia pour la faire avancer, confiant dans sa tentative de visite divine dans un temple dédié au Dieu de la Mort. Pour cela, il aurait fallu que la truie n'eut pas interprété la claque comme une invitation à hurler en se lançant dans une course effrénée.

GROUUUUIIIIIK ! GRRROOOOOUUUUUIIIIKKK !!

Aussi étrangement qu'il y paraissait, le corps inconscient resta en travers du dos de l'animal qui galopait en cercle autour de l'autel où les flamines tentaient de prier. Jugeant qu'il devait faire quelque chose, Quintilius prit sa voix de Quintilia pour lancer à la cantonade.

Vehna ! C'est Vehna descendu de son Palais Céleste !

Les couinements de la truie s'étaient mis à résonner dans tout le temple. Comme Pupu courait dans tous les sens, renversant bancs, lutrins et encensoirs sur son passage, les prêtres de Paa s'étaient retournés pour contempler la scène d'un air hébété. La clameur lancée par Quintilia, supposée fournir une explication convenable à cette séquence absurde, ne fit qu'ajouter un peu plus de flou à la situation. Merula observait la scène, guettant la bonne occasion ; celle-ci ne tarda pas à se présenter, comme Pupu s'élançait droit vers les prêtres de Paa et que ceux-ci se dispersaient à grands cris apeurés. « Allons-y, vite ! » glissa Merula à Quintilius, et il entraîna le pénule avec lui jusqu'à la porte. Ils l'atteignirent en quelques enjambées, sans perdre un instant à s'assurer qu'on ne les regardait pas. Le temps d'ouvrir la porte, de se faufiler dans l'ouverture, il referma derrière eux, et ce fut bientôt le noir complet.

« Mince. J'avais pas pensé qu'on serait dans le noir », chuchota-t-il d'une voix pas vraiment rassurée. Ses mains tâtonnèrent autour de lui, comme pour essayer de se repérer dans l'espace en attendant que ses yeux s'habituassent à l'obscurité. Il ne trouva que Quintilius, du moins ce bide y ressemblait beaucoup. « Condylome ? Condyloooooome, tu es là ? » appela-t-il, n'osant élever la voix trop fort.

D'abord ne répondit qu'un silence ténébreux et glaçant. Outre le tintamarre qui continuait de retentir dans l'autre salle, atténué par la lourde porte, tout était calme dans le noir.

Alors résonnèrent des pas.

« Quin... quinquin... Quintilius, c'est toi qui fait du bruit ? » murmura Merula, de plus en plus inquiet.

Calpurnia cavalait, cavalait, cavalait. Sur son dos, le corps inerte de la jeune femme ondulait comme une flamme de bougie au bout de sa mèche, mais ne tombait pas. Profitant de l'aubaine, Titus tira son compagnon par le bras et l'emmena vers la porte qu'il avait désigné quelques instants plus tôt. Sans perdre de temps, ils pénétrèrent dans la pénombre que dissimulait l'huis.

Mince. J'avais pas pensé qu'on serait dans le noir.

La tuile, Quintilius non plus n'avait pas songé à ce menu détail somme toute bien handicapant. Il chercha un mur à tâtons et tomba bien rapidement sur la pierre nue et légèrement moite. Il longea la pierre en cherchant une torche ou un flambeau accroché au mur. La voix remplie d'anxiété de Merula retentissait dans son dos alors qu'il touchait un anneau métallique dans lequel était passé un bâton dont le bout sentait l'huile brûlée.

Condylome ? Condyloooooome, tu es là ?

Derrière la porte, les cris de Pupu et le bruit des sabots sur le sol poussiéreux du temple continuaient de retentir en continu, suivi d'une série de vociférations outrées probablement émises par les flamines de Paa. Tant que ça gueulait, c'est que son amie à quatre pattes et à la queue tirebouchonnéecontinuait de créer la diversion qui leur permettrait de remplir leur mission. Quelle mission ? Là était toute la question. Continuant à tâtonner à l'aveugle autour de la torche, il cherchait un briquet à amadou ou une pierre pour créer l'étincelle qui leur permettrait de voir où il mettait les pieds. Il se saisit de la torche avant d'avancer en gardant sa main le long du mur qu'il caressait de haut en bas.

Quin... quinquin... Quintilius, c'est toi qui fait du bruit ?

Il n'avait pas remarqué tout de suite qu'il s'était tant éloigné de son camarade. La voix chuchotée semblait venir de l'autre bout du couloir qu'il avait longé, à plusieurs dizaines de coudées de lui.

Ouais ... J'cherche d'quoi allumer la torche.

Et comme un signe de Kotha elle-même, il tomba sur une petite pierre ronde qui pendait au bout d'une ficelle. Il s'en saisit et la cogna contre le mur. L'étincelle tant désiré s'embrasa et il vit au loin Merula qui se tenait aux côtés d'un homme enchaîné, une cagoule de cuir clouté sur le visage et une singulière paire de bretelles qui se croisait au-dessus de son ventre. Sous le nombril, le gaillard portait sa tenue de naissance, laissant apparaître un service trois pièces à demi-dissimulés sous des poils bruns. Fait le plus étrange, Titus lui tripotait le ventre avec anxiété. Le pénule s'approcha, les yeux arrondis par la surprise.

Bah ... Qu'est qu'tu fous ? C'pas Condylome ça !

« Qu'est-ce que c'est que cet embrouillamini ? » s'écria Merula, plus étonné qu'inquiet de se retrouver nez à nez avec un inconnu masqué avec le sifflet à l'air. « Mais t'es qui, toi ?
- Ah, je suis bien aise de vous voir, héhé ! » répondit l'homme au masque. Il avait une voix légèrement haut perchée et la diction un peu hésitante, comme un notable surpris dans une activité peu avouable. « Hem, je ne veux pas être désobligeant, mais ça m'arrangerait que mon identité reste secrète...
- D'accord, l'ami, mais peut-on au moins savoir ce que tu fais ici, la bite à l'air ?
- Et bien, hem, il se trouve, héhé, que ce lieu est fréquenté pour des raisons, hmm, qui tiennent à l'assouvissement de certains fantasmes, m'voyez... »

Merula haussa un sourcil interloqué et échangea un regard avec Quintilius, avant de reporter son attention sur l'homme au masque.

« Tu veux dire que des gens viennent ici, dans les sous-sols du temple de Paa, pour se faire astiquer la balustre dans le noir ?
- Quelques habitués, oui. Des gens riches. Le clergé ne tient pas à ce que ça s'ébruite, mais ils veulent refaire la façade du temple et l'argent ne pousse pas comme les topinambours...
- Cette cité est décidément pleine de mystères.
- Je ne veux pas être impoli, hem, mais peux-tu retirer ta main ?
- Ah oui, pardon », répondit Merula en retirant précipitamment sa main. « N'y vois aucun signe, c'est juste que ça me détendait de serrer quelque chose.
- Pas d'offense, héhé. On m'a souvent dit que j'avais la peau douce.
- Il est vrai. Belle panse. »

Merula tapota le ventre dodu avant de reporter son attention sur Quintilius.

« J'ai l'impression que nous perdons notre temps ici, Quintilius. On devrait remonter et récupérer Pupu avant que les autres imbéciles ne lui fassent du mal. Je crois bien que Condylome n'a jamais mis les pieds ici...
- Condylome ? » s'exclama l'inconnu, « avez-vous bien dit Condylome ?
- Oui, Condylome. Pourquoi, tu le connais ?
- Si je le connais ! » s'écria l'homme, « il est venu ici hier soir, avec deux hommes horribles et une créature démoniaque qui ont semé la panique dans le temple. Les prêtres ont réussi à le maîtriser, mais les autres se sont enfuis en dérobant une statuette d'une grande valeur.
- Un criminel en puissance, visiblement.
- Condylome, un criminel ? Non, non ! Il s'est tout de suite désolidarisé du crime. D'après lui, il avait été forcé d'y prendre part par son maître, qui à l'en croire est un narcissique doublé d'un triple idiot, affublé d'une brute épaisse malodorante qui sent le cochon. » Il y avait maintenant dans sa voix une ferveur onirique. « Les prêtres l'ont enfermé ici, et comme j'étais dans les parages à la recherche d'un peu de compagnie, je lui ai fait, hem, un brin de causette. J'ai tout de suite vu que c'était un garçon sensible. Il m'a dit qu'il était malheureux avec son maître, qu'il voulait s'enfuir et changer de vie, repartir de zéro. Je l'ai longuement écouté, et nous avons passé ensemble une nuit merveilleuse. Au petit matin, je l'ai aidé à s'enfuir. Les prêtres n'étaient pas contents, d'ailleurs c'est pour ça qu'ils m'ont attaché... »

Le trouble envahissait Merula à mesure que l'homme dénouait peu à peu les fils de l'intrigue. Il ne pouvait dire quel sentiment prédominait en cet instant. Il aurait dû ressentir un certain soulagement à savoir que Condylome s'en était sorti, et de la satisfaction d'avoir pu reconstituer dans les grandes lignes le fil des événements de cette nuit. Mais il était triste, choqué et déçu par la trahison de son plus vieux et plus proche serviteur... Condylome, Condylome, comme tes mots et tes actes me font mal, songeait Merula, et les pores de sa peau suintaient l'amertume.

Quintilius partageait l'étonnement de son comparse. Ce sinistre inconnu au visage couvert et au service trois pièces visible, au sens de la décence aussi inversé que ce que le commun des mortels cachait aux yeux des autres, était un individu des plus perturbant. Les explications qu'il donna sur sa présence furent encore plus tordues que son apparence. À l'entendre, quelques amateurs de pratiques déviantes venaient se retrouver dans cette sombre chambre à l'arrière du temple pour se livrer à leurs fantasmagories sordides à base de chaînes, de cuir clouté et de fouets, à en croire la collection qui décorait le mur derrière l'encagoulé. Le pénule n'aurait su dire si le plus perturbant était ce type, le décor, ses révélations ou de voir Titus l'écouter en lui pelotant les quelques bourrelets qui ornaient sa bedaine. Le jeune patricien se tourna vers lui, l'air légèrement déçu.

J'ai l'impression que nous perdons notre temps ici, Quintilius. On devrait remonter et récupérer Pupu avant que les autres imbéciles ne lui fassent du mal. Je crois bien que Condylome n'a jamais mis les pieds ici...

Et voilà que le gaillard qui se baladait le zgeg à l'air le contredisait dans la seconde. Pour la première fois depuis qu'ils avaient émergés dans cette chambre, ils entendaient enfin parler de ce foutu esclave qui jouait les disparus. À croire leur compagnon d'infortune, après lui avoir dégorgé le poireau, il l'aurait aidé à se sauver de cette cave qui sentait le fion et le stupre, alors qu'il était accusé à tort du vol d'une statuette. Cette nuit avait décidément été des plus aventureuses pour tout le monde et à chaque nouvelle étape, les péripéties semblaient de plus en plus rocambolesques. Il se gratta le crin de cheval qui lui servait de perruque, surpris d'avoir oublié sa tenue de Quintilia. La vision de cette cave des déviances et de ce nudiste à cagoules semblait l'avoir perturbé plus qu'il ne l'avait cru. Il chopa le type par ses bretelles croisées en cuir, le souleva pour le mettre sur la pointe des pieds et le secoua comme un prunier.

OÙ S'QU'IL EST ? OÙ S'QU'IL EST CONDYLOME !! PARLES !

Tellement perturbé, qu'il s'interrompit dans sa vindicte pour sortir de sous sa robe la statuette en or, vomi par Pupu un peu plus tôt dans la journée.

Eh mais hé ! C'pas ça l'truc qu'y z'ont volés les voleurs ?

Il laissa le pauvre gars retomber sur la plante des pieds avant de déclarer.

On a r'trouvé les voleurs pas loin d'un pont où qu'y a un mec qu'a été balancé dans la flotte. Sale histoire. Pas vrai, Titus ?

Secoué par la pogne brute du pénule, l'inconnu ne tarda pas à virer cramoisi ; sa cagoule dissimulait les dégâts, mais on voyait ses yeux tourner hagards. « Ah, pitié, pitié, je vais tout dire ! Inutile de me violenter, je vous assure ! Condylome m'a dit qu'il comptait se rendre dans une maison de Corculla pour récupérer ses affaires, et profiter de l'état d'ébriété de ses compagnons pour filer en douce avant leur réveil.
- Une maison à Corculla ?
- Oui, apparemment, ils étaient hébergés chez un sympathique métèque qui élève des volailles dans sa demeure. Gallus Gallus, je crois que c'est ainsi qu'il se nomme.
- Ah, il se pourrait bien qu'on l'ait déjà croisé, celui-là.
- Seulement, je dois vous prévenir si vous comptez vous y rendre, les prêtres sont aussi au courant... Voyez-vous, héhé, quand Condylome a fui par ma faute, ils étaient quelque peu rancuniers à mon égard, et disons que, sous la torture, je n'ai pu tenir ma langue... ils vont probablement aller fouiller là-bas.
- Ils l'ont déjà fait. On y était quand ils ont déboulé. Et ils ont trouvé à qui parler ! Ma foi, nous leur avons mis une belle dérouillée. » Merula esquissa un sourire empreint de fierté. Il avait rapidement oublié que c'était Quintilius qui avait fait tout le boulot. « Bon, et Condylome, il ne t'a pas dit où il comptait aller ensuite ?
- Qu'en sais-je, mes pauvres amis ? Je lui ai dit de fuir, loin, loin de la tyrannie de son méchant maître et de l'éleveur de cochons qui le terrifient tant. A cette heure-ci, il est probablement sur la route. »

Ces dernières révélations ne faisaient qu'accabler un peu plus le pauvre Merula. Son vieux domestique, témoin et compagnon privilégié de ses quatre cent coups, ne l'aimait pas et l'avait fui. Il avait l'impression que son cœur était percé de mille plaies ouvertes, dont s'écoulait son sang mêlé de larmes de chagrin. Condylome, mon Condylome, pourquoi me faire ça à moi qui suis si gentil ?

« Allons nous-en », dit-il à Quintilius. « Condylome a probablement déjà quitté la ville.
- Dites, si vous sortez, soyez gentils, vous pouvez demander aux prêtres de m'apporter de quoi couvrir mes bijoux de famille ? Ce n'est pas que je sois pudique, héhé, mais frileux, oui, un peu.
- Navré, nous n'avons pas le temps. »

Ils remontèrent le couloir jusqu'à la porte donnant sur la grande salle. Ce faisant, Merula pestait à voix haute : « Quelle ingratitude ! Me faire ça, à moi ! Moi qui l'aimait comme une mère... enfin, je veux dire, comme un genre d'ami, quoi. Disons, bon, comme un esclave... » De retour dans la grande salle, c'est un étrange spectacle qui se révélait à eux : au beau milieu du temple, Pupu, débarrassée de sa cavalière inanimée, paradait sur un piédestal auparavant ornée d'une statue - laquelle gisait, couchée et brisée, un peu plus loin. Tout autour, les prêtres s'étaient agenouillés en prières.

« Balance la statuette dans le tas », suggéra Merula au pénule. « On récupère Pupu, et on file en vitesse avant d'avoir la moitié de la ville sur le dos. »

Grouik ?

Après sa cavalcade épique, chevauchée par cette étrange bonne femme inconsciente, Pupu s'était retrouvé acculée contre un mur du temple poussiéreux. Le premier homme à s'être approché avait tâté de ses sabots et elle avait envoyé une ruade magnifique dans le bas-ventre de ce dernier. Sa cavalière avait été éjecté de son dos au même instant, ousculant deux autres individus en toge noire. Seulement, elle dut s'avouer vaincue lorsque les autres prêtres fondirent sur elle comme une horde de guerriers submergeant le dernier carré de l'héroïne porcine.

Pourtant, nulle effusion de sang, nul trépas légendaire en vendant chèrement sa peau ne vint conclure cette fresque digne des Palais Célestes. La jungle de bras qui s'emmêla autour de son jarret la souleva du sol et la transporta, mamelons vers le ciel et ses pattes dodues s'agitant mollement, dans un ensemble de chants pieux. Les flamines paraissaient extatiques, comme habités d'une joie divine, tandis que la truie se retrouvait bientôt perchés sur une colonne de marbre plus épaisse que haute. Pupu fit cliqueter ses sabots sur la pierre froide, observant sans vraiment comprendre la bande d'individus étranges qui se mettaient à genoux tout autour d'elle en entonnant des cantiques et en brulant de l'encens en dansant autour d'elle.

Grgrougrouik ?

Elle n'avait jamais vraiment bien compris les humains. Ils étaient souvent gentils et donnaient plein de trucs délicieux à manger, surtout Quintilius. Ils faisaient des bruits étranges, bien différents de ses grognements qu'ils ignoraient la plupart du temps. Mais elle devait bien admettre que ceux-là étaient sacrément grattinés. C'était bien la première fois qu'on s'agenouillait face à elle et qu'on s'agitait en hurlant autour d'elle. En plus, ce machin sur lequel on l'avait hissé, était beaucoup trop étroit pour qu'elle puisse s'allonger sur le flanc et piquer un petit somme bien mérité après sa course à travers les piliers qui constellaient le temple. Point de doute, ils étaient très bizarre ces types. Elle laissa son regard vagabonder dans le temple, cherchant Quintilius et Titus. Elle l'aimait bien, Titus. Il était gentil et il sentait le pamplemousse et la fraise. Et elle n'était pas prête d'oublier la nuit précédente, où ils s'étaient endormis l'un contre l'autre, dans une étreinte chaleureuse avant que Titus ne tomba du lit. C'était un homme bon qui savait traiter les cochonnes avec les égards qui leur était dû.

Elle les vit soudain, émergeant d'une petite porte sur le côté du temple, toujours déguisés comme des femmes. L'espace d'un instant elle aperçut un gros monsieur tout nu qui referma la porte derrière eux. Pupu se mit à agiter la queue, ravie de retrouver ses camarades d'aventure. Autour d'elle, une sorte de transe était en train de saisir les flamines qui priaient de plus en plus fort en collant leur front sur le sol. Quintilius s'approcha alors que Titus se dirigeait vers la grande porte qui marquait l'entrée. Le pénule s'approcha à pas de loup, observant sans vraiment comprendre, le groupe de flamines qui se roulaient à moitié par terre face à sa truie. Pupu s'approcha du bord du piédestal, redressant ses oreilles sur sa tête en la secouant de haut en bas avec entrain.

Grouik !

Le pénule posa son index en travers de ses lèvres, indiquant à Pupu qu'il fallait faire le moins de bruit possible. Elle avança vers lui, posant sa tête sur l'épaule de son camarade avant qu'il ne l'emporte dans ses bras. Il posa la statuette dorée qu'elle avait vomi dans l'après-midi à sa place et s'éloigna alors que les chants dévôts s'intensifiaient. À pas feutrés, il zigzagua entre les flamines agenouillés qui beuglaient leurs prières. La truie observait par-dessus l'épaule de son ami le spectacle étrange de ces bons hommes chantant à tue-tête. Avant de passer la porte du temple, Quintilius se tourna à son tour et lança avec un large sourire.

Par le con d'Aïka ! L'cochon s'est changé en or !

Les prêtres redressèrent la tête et rivalisèrent dans leurs exclamations de surprise et dans les explications miraculeuses. Le pénule reposa Pupu sur le parvis et laissa échapper un rire gras en réponse à la connerie de cette bande de débiles en toge. Son rire s'estompa bien vite, tandis qu'il emboitait le pas de Titus, suivi de près par la truie. Il y avait encore beaucoup à faire, les recherches n'étaient pas finies. Ils retrouveraient Condylome. Cette légende n'en était qu'à son premier chapitre.