La mort vient tous nous chercher - Gaukka le voyageur

Auréolé de la mèche de cheveux rouges royaux qui faisait office de laisser-passer sur l'ensemble des terres Aonghusa, Gaukka avait erré pendant quelques jours dans les plaines. Il avait pris le temps d'honorer les Dias et les Tuas face aux nombreux autels que le peuple de l'Insoumise avait dressé un peu partout sur leur territoire. Il avait même prit quelques instants pour prier sur les rives du Loch Seann, attendant en vain d'apercevoir le légendaire Tuinncù. De toutes les merveilles dont il avait déjà été témoin, la bête de la Dia de l'Eau restait invisible à son regard. Lui qui avait vu des animaux exotiques et des curiosités minérales un peu partout dans le monde connu, il espérait bien un jour être le témoin privilégié de l'apparition de ce monstre mythique.

Son voyage perpétuel se poursuivit à travers la forêt Blanche, prêt à reprendre la route vers ses contrées natales. Le dernier Coinmeanh Righrean avait eu lieu entre les pierres du Sagartachd, sous le regard bienveillant des Dias et de Ruigsin, il lui faudrait donc en faire part à son Vergobret afin que le Seanadh prépare l'accueil des différentes délégations. La nuit couvrait le ciel de son manteau bleuté alors qu'il rejoignit un petit campement éphémère de marchands qui s'étaient établis dans une petite clairière. Les quelques charrettes avaient été placés en cercle et au centre, des foyers avaient été allumés, autant pour réchauffer les voyageurs que pour éloigner les bêtes affamées qu'on disaient hanter les futaies. On faisait toujours bon accueil à un druide et, comme souvent, un des marchands reconnut la grande silhouette du Voyageur. Avec un respect presque cérémoniel, Gaukka fut installé près d'un feu et se vit offrir une écuelle laquée dans laquelle un ragoût fumait.

Lorsqu'il errait dans les terres libres, les nuits se ressemblaient. On l'installait légèrement à part avec déférence, le laissant se restaurer paisiblement, puis un de ses hôtes se risquaient à lui demander le récit d'un de ses voyages et le druide se lançait dans la description d'un pays lointain qui faisait travailler l'imagination de son auditoire et suscitait quelques commentaires amusés et émerveillés. Cette fois pourtant, les choses furent un peu différentes. Un nouvel attelage rejoignit le camp de fortune et un robuste gaillard à la chevelure longue s'approcha et vint s'asseoir à ses côtés après un bref salut. L'épée, large et longue, qui dormait dans un fourreau de peau finement tannée, signifiait le rang de l'inconnu. Ce dernier entama la conversation avec un ton convivial.

Que le feu de Lochran nous réchauffe le corps en cette nuit qui s’annonce fraîche. Si tu veux bien je partagerai ton feu en échange du repas de cette nuit. Quelques marchands semblent inquiets, ils parlent d’une bête qui aurait perdu la raison dans les parages, en sais -tu plus sur cette histoire ?

Gaukka releva légèrement la tête. Les flammes du feu qui brûlait à ses pieds, plongeait son visage dans les ombres de sa large capuche. Il avala la bouchée qu'il était en train de mastiquer lentement puis posa sa gamelle sur ses cuisses en gardant dissimulé son visage stigmatisé par les flammes. Il répondit en haussant doucement les épaules.

Hélas, je ne suis qu'un humble voyageur, Guerrier. Je suis arrivé hier et serai reparti demain.

Gaukka se saisit d'un petit morceau de carotte qui baignait dans le jus de viande qui remplissait son assiette avant de la porter à sa bouche. Il poursuivit après avoir croquer le morceau de racine.

Mais les bêtes attaquent rarement les hommes sans raison. C'est plutôt l'inverse à dire vrai.

Un petit sourire étira ses lèvres sous la capuche. Il redressa un peu plus le visage vers son interlocuteur, dévoilant quelques boursoufflures au regard de celui-ci.

Tu chasses cet animal ? Sommes-nous sur tes terres, Guerrier ?

Le Guerrier s'assit près du druide en le regardant avec insistance. Alors qu'il jouait avec son anneau, symbole de son passage à la vie adulte, il déclara calmement, un petit sourire ourlant ses lèvres.

Druide je te connais, ton visage m’est familier. Nous nous sommes vus alors que je n’étais qu’un enfant. Tu parcourais déjà le monde, te revoici donc à nouveau sur les terres de la Reine Morgana. C’est à présent que tu me fais face que je réalise que le temps s’en va, non pas que tu sois si vieux, mais je me remémore nombres de choses de ce temps-là.

Je louerai Tehach pour cette nuit, gageons que nous rencontrer à nouveau ici peut être interprété comme un signe dont j’ignore encore la nature. Et pour te répondre, ce sont les terres de mon père que nous foulerons bientôt, oui...

Gaukka dodelina de la tête en rendant le sourire au jeune homme. Des enfants devenus adultes, il en avait rencontré des dizaines, voir même des centaines. Il y avait toujours de jeunes oreilles attentitves pour entendre les récits de voyage du vagabond. Parfois, un enfant un peu plus assoiffé de contes et de découvertes ou un autre turbulent et moqueur marquait l'esprit du Voyageur mais il devait admettre que ce jeune Aonghusa faisait parti de la masse de personnes qui le reconnaissait sans qu'il ne puisse retrouver son nom ou l'endroit précis où il s'était rencontré. Un vieil homme s'approcha du duo et tendit une gamelle fumante au Guerrier avant de s'incruster dans la conversation sans préambule.

Salutation voyageur. Il ne chasse rien, il m’escorte et ne doit pas s’éloigner de moi…

Sous la capuche qui dissimulait son visage à demi-brûlé, le druide ne put retenir un petit sourire en entendant un marchand parler à un noble représentant de la caste dirigeante comme à un vulgaire mercenaire. Il avait connu des Guerriers bien plus prompts à rappeler leur rang à des gens prononçant de bien moins vindicatives paroles. Le jeune Guerrier était apparemment plus tolérent ou encore trop jeune pour fanfaronner de son port d'épée puisqu'il releva à peine les quelques informations que livrait le nouvel arrivant à propos d'un homme qui s'enrichissait et d'un ours. Deux informations presques anodines et qui semblaient n'avoir aucun lien entre elle.

C’est quand même intriguant non ? Si personne ne l’a vu, comment peut on savoir qu’il s’agisse bien là d’un ours ? Qu’en penses-tu druide, on dit qu’une rumeur qui ne meurt pas n’est pas une rumeur après tout.

Gaukka rompit le petit quignon de pain à la mie brune qu'on lui avait offert et sauça son écuelle en silence. Une fois la mie bien imbibée, il l'amena devant ses lèvres crevassées par le feu et suspendit son geste pour répondre enfin.

Comme je te l'ai dit plus tôt, un animal n'attaque jamais sans raison. Un ours encore moins. Quand à attaquer des hommes, on touche à l'improbable. Derrière leur aspect massif et intimidant, ce sont de sacrés froussards en plus d'être un peu fainéants. Ils préfèrent bien souvent manger des fruits ou quelques petites bêtes boiteuses que de courir le risque de se confronter avec des lames.

Il ingurgita le pain et mastiqua paisiblement en relevant le visage. Les flammes, qui dansaient sur les quelques branches sèches au coeur du foyer délimité par des pierres placées en cercle, révélèrent son menton et sa lèvre inférieure, ainsi que les boursoufflures blanches qui y serpentaient. Il ne ressentait plus de honte à exposer la morsure de Lochran mais parfois c'étaient les autres qui avait du mal à appréhender ce spectacle, aussi préférait-il garder son visage caché dans les ombres de sa capuche. Il avala sa bouchée avant de continuer.

J'ajouterai même que les ours n'aiment pas traîner prêt des routes bruyantes et populeuses que les Plaines de votre peuple ont tracés. Ils préfèrent plutôt s'enfoncer dans les futaies les plus épaisses, au pied du Fumhaireantìr.

Il leva son index et son majeur en direction du Guerrier avant de poursuivre.

Deux possibilités. Soit cet ours est une femelle avec ses petits et elle a cru qu'ils étaient en danger ... Soit cette rumeur est lancée pour couvrir des attaques bien humaines. Tu disais que nous étions près de tes terres ... Milles excuses, Guerrier, je ne me rappelle pas ton prénom ... Mais si un ours était dans la région, tu aurais constaté des dégâts dans tes champs ou des traces sur tes arbres.

Il trempa un nouveau morceau de pain dans la sauce et poursuivit son repas en attendant l'avis du Guerrier et du marchand sur sa démonstration.

Le druide enfourna la mie gorgée de jus de viande et se mit à mastiquer lentement. L'Aonghusa resta quelques instants immobile, regardant son écuelle sans y toucher, avant de répondre à Gaukka, un petit sourire étirant ses lèvres.

Belhiane, c’est ainsi que je me nomme Druide. Me donneras-tu ton nom en échange ? J’ai écouté tes sages paroles et gageons que le temps nous aidera à lever le brouillard qui persiste autour de cette histoire. Et pour te répondre, je n’ai rien remarqué, car je ne suis plus retourné sur mes terres depuis quelques semaines déjà.

Le grand gaillard releva la tête pour observer le dénommé Belhiane par-dessous le bord de sa capuche. Il hocha la tête en guise de salut après avoir avalé sa bouchée.

Gaukka. On m'appelle aussi le Voyageur.

Le crépitement du feu habilla le silence qui se fit entre les chariots. Le marchand se remplissait l'estomac et le druide continua à en faire de même. Le guerrier, lui, semblait très intéressé par le collier au bout duquel une touffe de cheveux aux reflets d'airain était liée.

Et toi, qu’est-ce qui t’amène sur les plaines ? Tu as été convié semble-t-il autour d’un sujet important, tout du moins c’est ce que suggère ce que tu portes.

Il tint sa gamelle dans la main gauche, tandis que la droite, recouverte de boursoufflures et de crevasses, saiti délicatement le précieux laisser-passer offert par Morgana quelques jours plus tôt. Il se redressa, déployant sa longue carcasse et laissant apparaître le bas de son visage à demi-brûlé qui semblait danser avec les flammes qui réchauffaient le petit groupe.

Tu fais erreur, jeune Guerrier. Je n'ai pas été convié, j'ai juste eu l'honneur de rencontrer ta Banrigh. J'aurai aimé que cela se fasse dans des circonstances plus heureuses.

Le druide déposa son écuelle à ses pieds avant de se tourner vers le marchand pour incliner doucement le chef.

Merci pour ce repas, l'ami. Que les Dias te rendent ta générosité cent fois.

L'homme lui rendit son petit salut avant de s'en retourner à sa propre pitance. Gaukka se tourna un peu plus vers Belhiane, jouant avec la mèche royale du bout des doigts.

Il y a malheureusement de grands dangers qui nous guettent, depuis l'Est. Bien plus grand qu'un ours ou quelques brigands. Une armée, puissante et impitoyable, arrive et je devais prévenir la Reine Morgana, tout comme les dirigeants Pluincéid, Cléirigh et Broìn. L'Insoumise m'a offert ce pendentif afin de m'aider à circuler dans les Plaines et poursuivre ma mission.

Il referma sa large main autour de la mèche, crispa légèrement ses doigts. Les doutes l'assaillaient toujours. Est-ce que cela suffirait ? Est-ce que les Peuples Libres pourraient s'unir pour combattre et survivre ?Est-ce qu'il n'était pas déjà trop tard ? Non. Il ne devait pas douter, il ne devait pas flancher. S'il devait arpenter le monde entier pour trouver une solution, il le ferait. Il devait réussir. Les paroles suivantes furent prononcés avec un calme froid et prophétique.

Pour le moment, ce n'est qu'une menace pernicieuse, qu'on pense lointaine. Mais bientôt, je ne doute pas que des survivants fuaynt la mort et la ruine atteindront les rives de l'Ueir et les contreforts du Fumhaireantìr. Seulement, il faudra être prêt avant.

Le regard du druide s'était perdu dans les flammes à mesure qu'il annonçait ces faits sinistres. Rien de ce qu'il venait de confier au jeune guerrier n'était secret mais il avait parfaitement conscience que tout ceci pouvait déstabiliser un homme. Le marchand avait cessé de se sustenter et regarder le druide avec des yeux ronds comme des soucoupes. Une nouvelle bourrasque s'infiltra entre les chariots pour gonfler un peu plus la capuche du druide, révélant les brûlures qui couvraient la partie droite de son visage. Aux propos inquiétants s'ajoutait la vision désagréable de la morsure de Lochran qui déformait les traits du sage.