Fausse piste [Gaukka le Voyageur][Terminé]

     Voilà des heures qu'ils courraient après le vent.
Magetobrigos se l'admettait difficilement, mais il avait perdu la trace de sa proie. De tout temps, jamais il n'avait apprécié la défaite, abandonner n'avait jamais fait partie de son vocabulaire : le surnom qui lui collait au cuir était assez éloquent pour le prouver aux yeux de tous. Autour de lui, ses hommes s'étaient enfermés dans un mutisme crispé ; sans doute, redoutaient-ils ses humeurs qui, il fallait l'avouer, n'était pas au beau fixe. Seuls les claquements fougueux des trotteurs et les jappements faiblards des limiers venaient briser l'ambiance morose s'étant abattue sur le groupe de chasseur.

     Pourtant, cette improvisée vénerie avait commencé sous les meilleurs des auspices.
Sur les sentes du retour après une expédition de routine aux frontières de l'Est, le Roi des collines et sa troupe avait fait halte dans le petit Val de Cenyd. Situé à une demi-journée de chevauchée du Gleann'an'Rìgh à peine, les montures avaient été rudement exploité les jours passés et demandaient repos ; l'arrêt était nécessaire et justifié. Ils avaient été plus que bien accueillis par les gens du val à leur arrivée au matin. Cottro, l'Eorl des lieux, était une ancienne connaissance et il n'avait ni renié sur la corma, ni sur les mets. Ensembles, ils avaient festoyé pour le simple plaisir de se retrouver.
C'est à la fin de ce banquet, qu'un bouvier paniqué s'était présenté dégoulinant de sueur aux portes de la demeure. Son troupeau de broutteur s'était fait saigner à l'aube par un plantigrade affamé que le printemps avait tiré de sa torpeur. Cette nouvelle avait fait dressé les esgourdes à tout ses soldures car tous partageaient le goût de la traque. Mais dans le Val de Cenyd, on ne possédait point montures, ni corniaud préparé à la remontée. Le Sanglier avait alors saisit l'occasion de s'attirer les bons liens de Cottro en lui proposant de s'occuper de ce problème. Le Roi faisait d'une pierre deux coups : il rendait l'Eorl local redevable d'un service tout en s'octroyant l'ivresse d'une belle poursuite.

     Ayant à peine pris le temps de se saluer, Magetobrigos quitta la demeure de Cottro.
Allouant une mule de bât au bouvier portant le nom de Bilic afin qu'il les guide, ce dernier prétextait ne pas en avoir besoin. Le temps pressait, aussi Bilic dut t'il subir les moqueries frivoles de ses hommes qui se gosèrent allègrement en voyant le vacher aussi raide en selle.
Bien qu'il faillit tomber une ou deux fois, le brave tint bon et remplit son rôle, fier d'avoir pu prêter main-forte à telle assemblée.
Les chiens reniflèrent les différentes traces, fouillant du museau les cadavres éventrés des vaches gisant dans là bas du vallon. C'est alors que débuta la réelle course.

     Si dans un premier temps, les guerriers étaient convaincus d'être sur le bon chemin, ils déchantèrent après une heure de remonte infructueuse. Une deuxième doucha leurs espérances et alors qu'arrivait la troisième à grand pas, l'espoir n'était plus permis.
Magetrobrigos le savait. Mais il rageait intérieurement et refusait encore la réalité.
C'est alors, que son vieux limier Vurup marqua un arrêt puissant. L'animal n'était pas du genre à feinter pour la frime, moins encore à courrir après les lièvres ; c'était un vieux de la vieille qui savait économiser ses forces pour les belles occasions.
Dans la poitrine du Sanglier, renaquit la flamme.

« Ho ! Ho ! Lo lo lo ! Va outre ! Remonte ! Va outre mon beau ! » Brailla le Roi à grands cris, brisant la torpeur, ranimant l'optimisme des porteurs de fer.
Sans demander plus, ils se jetèrent sur la piste sans attendre. Passant un petit col, ils filèrent droit à travers un bosquet éparses avant de bifurquer aval. La piste plongeait en direction du fond du val. Une colline de plus et l'on pourrait distinguer les monts de la Vallée du Roi.
Poussée par les aboiements et le goût de la victoire, Magetrobrigos reconnut néanmoins l'endroit, plus bas se trouvait un petit lac qui ne portait point nom. Peut-être l'ours y avait t'il fait arrêt, cherchant à se reposer entre les pierres qui bordaient l'endroit ?
Ses questions ne trouveraient point réponse, car quand ils arrivèrent au niveau du loch, aucun rustaud à l'horizon. À la place, se trouvait un homme nu, les mollets dans les flots.

     Intrigué, Magetrobrigos ralenti l'allure et fit avancer au pas sa rosse. Quelque chose clochait, l'inconnu semblait croître à mesure qu'on approchait de lui. Était ce là un des géants venus des sommets ? Le doute continua de grandir, car une fois assez proche, on pouvait clairement distinguer de curieuses zébrures sur son cuir : son flanc droit tout entier semblait avoir était mangé par un mal atroce.
Il put sentir ses soldures se raidirent et porter la main à leurs épées, brandir leurs javelots, enrouler leurs longes autour de leurs poings. Mais le Roi des collines lui, souhaitait en savoir plus ; dans son esprit, la traque ne pouvait toujours pas se finir ainsi.
Avançant sans peur, les chiens le devancèrent et ne retinrent leurs gueules qu'une fois houspillés. Se portant à la hauteur du baigneur, l'homme pouvait quasiment le toiser yeux dans les yeux alors qu'il se trouvait lui en selle et lui debout.
C'était bel et bien un géant, mais il était loin d'être un spior.

« Holà rustaud. Nous remontons la trace d'un vieux mathan, l'aurais tu surpris par ici ? Mes cabots l'ont remonté jusqu'à là, mais c'est sur toi que nous tombons. Qui es-tu donc ? »

Le Roi s'exprimait comme à son habitude : royalement.

     Une crispation de surprise fendit la trogne placide du Sanglier.
Il était assez rare que cela arrive, Magetrobrigos portait la réputation d'un homme sans sourire à qui il était difficile d'arracher une émotion marquée. Ce mince événement était d'autant plus marquant qu'il se déroulait hors d'une joute armée, hors d'un fastueux banquet, hors d'une glorieuse journée ; en dehors de tout ce qui aurait put en temps normal l'égayer.
Quelques rires s'élevèrent alors des gorges chaudes des guerriers : l'étranger aurait pu prendre cela pour vaine moquerie, mais c'était là loin d'être le cas.
Comme à son habitude, il réagit de la manière la plus pragmatique, triant le bon grain de l'ivraie dans les nouvelles annoncées. L'urgence primait, le temps de la surprise était passé.
Mettant un terme à la marade par quelques coups de langue sonores, il fit pivoter sa fidèle rosse pour distribuer quelques ordres clinquants.

« Taurio, Onalisus, Vinicari, filez sud-ouest avec les ambactes et vos limiers, prenez les bêtes de remonte, en cravachant vous rattraperez la piste. Ne revenez pas sans le trophée, il serait mal convenant de ne rien présenter à Cottro en échange de son hospitalité. Et il ne sera pas dit que je fasse honte à la coutume ou-da ! »

     Les interpellés ne se firent pas mander et se mirent en route dans un concert braillard, alpaguant les chiens, lançant les montures aux galops ; ils appréciaient l'hallali approchant.
Magetrobrigos les regarda un instant s'en aller aval, il ressentit une pointe de déception à ne pouvoir continuer à leur côté ; abandonner ainsi la chasse lui était difficile, mais nécessaire.
Son escorte se voyait lourdement diminuée, mais il gardait avec lui ses principaux héros et compagnon de toujours, des soldures qui étaient bien plus que cela : il était les compagnons d'une vie. Epos, Carancatrix et Vercombiogos le Malin était des hommes que certains qualifieraient de tueurs efficaces, d'autres des guerriers talentueux ; pour lui, l'important résidait dans leur loyauté.
Le Sanglier quitta alors sa selle en balançant le pied d'un geste vif. Rebondissant lestement sur le sol argileux de la petite plage, il s'avança de quelques pas assurés avant de s'adosser à rocher pointant du sol. La différence de taille se fit alors net, clair comme de l'eau de roche : le vagabond le dépassait de presque deux têtes. La situation semblait cocasse, mais il n'en avait que faire.

« Point de crainte, car tu n'as là commis aucuns impair. L'eau dans laquelle tu te laves, n'ai pour celle-ci que de l'eau. Quoiqu'il soit possible qu'un Spior avisé y ai placé quelques charmes pour te retenir en ces lieux druide, car c'est ce que tu es n'est ce pas ? Le Voyageur. On m'a conté à ton sujet. » Rajustant sa position, il fit apparaître le torque royal de Dùnlodunum de façon ostentatoire. Son ton se voulait enjouée, du moins autant que faire ce pouvait.

« Je suis Magetobrigos, fils de Magatos, Roi de ce pays et par le fait, celui que tu recherches. Pardonne mon ignorance quant à ton rang. Rhabille-toi nous parlerons de ces importantes nouvelles qu'il me tarde maintenant d'ouïr.»
Le cadre était peu formel, mais suffirait, le Sanglier était réellement heureux de rencontrer ce fameux Gaukka. Le Vergobret lui en avait transmis assez à son sujet pour savoir qu'il était intéressant de s'étendre en palabres avec tel homme : la discutions vaudrait sans douter bien plus qu'une chasse à l'ours mal engagé.

     Retrouvant de sa contenance, les salutations passées, le Sanglier patienta le temps nécessaire, scrutant le Voyageur qui se rhabillait. Son regard s'égara sur les stries et les boursouflures de sa peau, avec une curiosité presque malsaine, il ne réussit pas à s'en détacher correctement. Il n'y avait point de gêne dans cette nudité affichée ; chez les Cléirigh et par extension tous les peuples libres du Nord, elle était omniprésente aussi bien dans la vie quotidienne que dans les temps de fête. De lignage, purement, guerrier, Magetrobrigos possédait lui aussi nombres de cicatrices qu'il arborait fièrement, tel des trophées. Mais les siennes étaient d'essence humaine : engendrée par la violence et la haine, causée par le fer et l'acier. Les blessures qu'arborait le druide n'avaient elles rien de commun, au contraire elles semblaient être l'œuvre du divin. Comment un homme pouvait t'il survivre à une telle affliction ? Certains dans les vallons y verraient sans douter une terrible malédiction, d'autres y devineraient une pure bénédiction. Le Roi des collines lui, n'y voyait que la souffrance et tentait d'imaginer ce que le saronide avait dut endurer.

« Le mathan aura bien de la chance d'échapper à mes guerriers, ils sont du genre tenace. Mais sachant son rôle dans notre rencontre, nous lui réserverons un honneur encore plus grand. » Clama le Sanglier tandis qu'il prenait place aux côtés du druide. Un instant, il fut tiraillé par l'idée de mettre à mort un divin messager ; mais la pensée fut vite chassée, car s'il offensait Tehach dans cette entreprise, Neart et Cogadh eux, y seraient grandement honorés.
La balance lui semblait suffisamment équitable pour être mené à terme. Le sujet était ainsi clos.

     Tendant la main pour saisir la pomme, il fit claquer deux doigts en direction de ses soldures qui se mirent en branlent. Epos s'occupa des montures, cherchant une prise assez solide pour les y attacher. Carancatrix sortit d'un baluchon les quelques vivres de réserve, d'ont, ils disposaient : de la viande salée, un pain de méteil légèrement ranci et quelques fruits à coque. Vercombrigos quant à lui, détacha les trois outres de corma et un petit barillet à robinet qui contenait le fameux vin d'Altitona. Ils vinrent prendre place, présentant leurs flancs droits et la pierre plate vierge se transforma en tablée improvisé.
Magetrobrigos d'un signe, enjoignant Gaukka à se servir à son tour. Les Cléirigh avaient de tout temps eu une réputation d'hôte accueillant, quelles que soient les circonstances. Alors qu'il se délectait du fruit sucré, il raccrocha à la question.

« L'Empire Castanien, fit t'il rouler dans sa bouche un instant. Voilà un titre bien rogue. J'en sais ce que la rumeur voguant jusqu'aux vallons voulut bien me partager : il s'étend loin à l'Est, au-delà de nos frontières, ses habitants y vénèrent des divinités différentes et leurs coutumes n'ont pas grand communs avec les nôtres. Qu'as-tu à m'apprendre de plus à leurs sujets Gaukka qui valent que tu es pris les chemins de ma halle ? »

     C'est avec une attention profonde que Magetrobrigos écouta le récit du Voyageur.
À dire vrai, les noms de ces différentes cités ne lui disaient strictement rien. Le grand port de Nerva, la Cité-Rubis de Skov : elles lui évoquaient des visions lointaines, des images chimériques qui se confondaient sans peine avec ses songes les plus flous. Il était Roi du pays des collines, il dominait les vals et les vallons, aujourd'hui, il pouvait se vanter d'en connaître chacun des recoins. Bien sûr, les terres des peuples limitrophes avaient un goût de commun sans qu'elles n'aillent jusqu'à lui dévoiler leurs secrets les plus intimes. Mais au-delà s'étendait le reste du monde, et il était vaste, bien trop vaste pour être connu et appréhender dans sa totalité ; même le fameux savant lui faisant face n'avait pu en délimiter les contours.
Ses soldures s'étaient retranché dans un silence contemplatif : eux aussi profitaient du tableau fantasmagorique que dressait Gaukka à leurs esgourdes. Mâchouillant un morceau de viande salée, le Sanglier ne perdit pourtant point le fil de la conversation ; derrière la narration druidique, il décela la menace.

« Les Ghotaï ? Questionna-t-il sans détour. Tu as rencontré ce peuple d'homme chevaux, druide ? »

     Il avait entendu nombreuses légendes sur les demi-hommes des terres lointaines. On les disait affublé d'un corps de cheval et d'un buste d'homme, on les disait féroces et brutaux, on les disait mangeurs de chaire et profanateur de cadavre. Aussi, la surprise fut grande quand Gaukka les cita, Magetrobrigos avait toujours souhaité en savoir plus sur leurs sujets.
Néanmoins, il se reprit rapidement, tempérant sa curiosité, trop conscient du malaise qui avait saisit le Voyageur à l'annonce d'une cité réduite à néant par le feu.

« Te trouvais-tu dans cette cité Gaukka ? Qu'elle était t'elle ? Et comment ce peut t'il qu'une ville prospère soit détruite en quelques instants ? Ces Ghotaï disposent t'il de puissants sorciers das leurs rangs ? »

     Le Sanglier avait eu le groin creux : le danger semblait on ne peut plus réel.
Très vite, les mines des faciès s'étaient muer en un granit froid sans émotion ; les mastications s'étaient faites lentes, les déglutitions, difficiles. Magetobrigos et ses soldures se trouvaient comme charmer par les dires du Voyageur qui devait sans contester, tisser quelques charmes de langages rendant son récit percutant. Son regard se voulait pénétrant, sa voix profonde, nul ne pouvait sincères dicter de la véracité de ses dires.

La masse d'informations se voulait importante et délicate, chacune des annonces de Gaukka levait moult autres questions , néanmoins le Roi savait que le temps n'était pas à l'approfondissement de certains futiles détails. Quelque chose dans l'attitude du Voyageur dénotait une appréhension particulière, une anxiété latente nécessitant que l'on agisse vite. Pour sûr que le discours touchait Magetobrigos dans le fondement de son être ; de tout temps, il fut proche des mystiques de son peuple et accordait grande importance à leurs conseils et autres avisement. Même si Gaukka ne faisait pas partie du peuple Cléirigh, il restait un serviteur des Dias, des Tuas et des Spiors qui dirigeaient se monde, ses origines importaient alors peu. Aurait-il été Broin, que cela n'y aurait rien changé. Du moins, le pensait-il en cet instant.

Durant une cour lapse de temps, le Roi, c'était enfermé dans un silence pesant que son soldure le plus caquetant prit malin plaisir à briser.

« Qu'ils viennent ces traîne-misère à face de mulet, la Dùnlodunum n'ai jamais tombé et ne tombera jamais, Beinn lui-même veillent sur ses pierres. » Brava Carancatrix, le ton revanchard.Son intervention dut motiver ses semblables qui y allèrent de leurs propres commentaires.
« Pour sûr que nous, nous construisons de roche et que point elle ne brûle. » Commenta bêtement Epos qui n'avait jamais était connu pour la vivacité de son esprit.
« Tu es plus couillon qu'un bidet Epos et toi Carancatrix, crois tu que les pierres de Dùnlodunum nous serons d'un grand secours si tout Cnuiclarann se trouve dévasté par ces rossards venus du lointain ? » Questionna Vercombiogos le Malin à ses confrères, le ton insolent.

La rixe verbale était sur le point d'exploser, mais le Sanglier y mit un terme par un grognement sourd dont il était familier. Manifestement, Magetrobrigos avait décidé de changer de décor.
Il toisa à nouveau Gaukka et lui posa une question qui, si bête se trouvait être, restait néanmoins d'importance capitale.

« Druide, sais-tu monter ? »  Questionna-t-il d'une voix blanche en désignant une des rosses de remonte restante. « Où souhaites-tu que l'un de nous te prenne en selle ? J'en serais honoré. Mais nous ne pouvons rester ici plus longtemps. Il nous faut nous rendre à Dùnlodunum.»