Nuntius
Messages : 98 Date d'inscription : 01/03/2020
| Sujet: Citoyenneté, droit et justice Mar 31 Mar - 22:38 | |
| CITOYENNETÉ, DROIT ET JUSTICE
I. CITOYENNETÉ RUVIENNE Que signifie être Ruvien ? Cette question appelle une multiplicité de réponses, que nous ne développerons pas ici, pour une raison fort simple : on s'en fout.
Bon, en fait, on ne s'en fout pas complètement. Disons plutôt que la question est trop abstraite. Puisque l'empire ruvien recouvre l'essentiel du monde connu, il fédère des peuples multiples, et bien que la culture ruvienne se soit imposée chez les peuples soumis, ce qui est vrai à Ruvia ne l'est pas toujours dans un bled situé à soixante jours de marche. De Ruvia aux provinces les plus reculées de l'empire - telles Oncmelia Minor - les Ruviens sont différents.
Mais ces différences ne tiennent pas qu'à l'éloignement géographique. Au sein d'une même cité, les citoyens - eux-mêmes divisés en patriciens et plebéiens - côtoient les esclaves et les affranchis. Tous ces gens vivent ensemble, et pourtant ! Les conditions de leur existence, les rêves qu'ils poursuivent, leurs espoirs et leurs craintes sont aussi diverses que le monde est vaste. Et au sein même de ces castes, que dire de la situation des femmes, à qui l'on dénie la plupart des droits reconnus aux hommes, même à celles qui ont le privilège d'être bien nées ?
En bref, il n'y a pas juste les Ruviens et les autres ; il n'y a pas juste ceux qui sont dans l'empire et ceux qui sont en-dehors. A l'intérieur même des frontières, les habitants sont regroupés en catégories, distingués selon des critères bien précis. Un statut leur est imposé dès leur naissance, et, sauf quelques rares exceptions, ce statut leur collera à la peau jusqu'à la mort. Il conditionnera qui sont les maîtres et les serviteurs, qui sont les décideurs et les exécutants, qui sont les forts et qui sont les faibles. De toutes les lois impériales, cette classification est la plus implacable.
Citoyens : les citoyens ruviens sont tous les hommes nés libres, c'est-à-dire de parents non esclaves, qu'ils soient nés à Ruvia ou dans une province impériale telle qu'Oncmelia Minor. Et là, vous me direz qu'il suffisait de répondre ça à la question "qu'est-ce qu'être ruvien ?", et que c'était pas la peine de blablater pour faire l'intéressant. C'est pas faux.
Intéressons-nous tout de même à ce qu'implique la condition de citoyen. La citoyenneté ruvienne confère des droits à ceux qui la détiennent, comme celui d'accéder aux tribunaux, et notamment de témoigner, le droit d'épouser la fille d'un citoyen ou encore de participer aux rites religieux. Elle garantit aussi le droit de propriété : le citoyen peut en appeler aux autorités lorsqu'il est fait atteinte à ses biens, ou lorsqu'il s'estime floué par un contrat commercial (contrairement au marchand de passage non citoyen). Par ailleurs, les testaments dressés par des citoyens sont reconnus et protégés juridiquement, alors que rien ne garantit l'exécution du testament d'un non-citoyen.
Ainsi présentés, les droits semblent être les mêmes pour tous les citoyens. Rien ne saurait être plus faux ; la société ruvienne demeure profondément inégalitaire, même au sein du corps citoyen.
Autorité du pater familias : si le droit ruvien fixe un âge minimum pour le mariage (15 ans chez les garçons, 13 ans chez les filles), il n'existe pas d'âge de "majorité". Chez les Ruviens, l'autorité paternelle concentre entre les mains du père le droit de disposer des biens de toute la famille, y compris ceux de ses fils - même quand ces derniers partent vivre sous un autre toit. L'autorité paternelle ne prend fin qu'à la mort du père, ou lorsque le père décide lui-même d'en libérer ses fils. Ainsi, on a vu des hommes demeurer une vie entière sous la tutelle d'un vieillard ; il est toutefois fréquent que les pères de famille décident d'eux-mêmes de libérer leurs fils une fois qu'ils les estiment prêts à gérer leur propre patrimoine.
La situation des femmes : le terme de "citoyenne" est usité pour les femmes dont le père est citoyen. Leur situation demeure particulière, puisque si elles disposent de droits citoyens, elles ne peuvent pas les exercer seules : une femme ne peut porter une action en justice, et doit à cet effet se faire représenter par son père ou son époux. Elle ne peut pas davantage acheter ou vendre un bien sans l'accord de ce dernier. Pour autant, le témoignage d'une femme est recevable devant un tribunal. Par ailleurs, les femmes peuvent hériter - bien que leurs biens soient gérés par le père ou l'époux - et les atteintes à leurs biens sont réprimées comme il en va pour les hommes. Les femmes sont par ailleurs autorisées à prendre part à certains rites religieux. Le temple de Tuodé leur permet même de devenir religieuses (voir « Religion ruvienne »). En cas de décès de leur époux, et si leurs enfants sont trop jeunes pour assurer le rôle de chef de famille, certaines veuves jouissent d'une relative liberté et peuvent diriger leur maison selon leur bon plaisir. A condition de maintenir à distance les vautours de leur entourage plus ou moins proche, oncles, cousins, beaux-frères qui tenteraient de s'imposer comme tuteurs, voire comme nouveaux maris. Cette liberté ne doit pas être surestimée et ces femmes doivent souvent batailler pour s'imposer. Si la place des femmes est peu enviable dans la société ruvienne, certaines d'entre elles ont pourtant su jouer un grand rôle ; bien que reléguées dans l'ombre du pouvoir, qu'elles soient mère, sœur, épouse ou fille d'un puissant, elles agissent souvent en inspiratrices. Cultivées, ambitieuses, elles se montrent parfois aussi retorses, si ce n'est plus, que les hommes qui vivent autour d'elles.
L'Infamia frappant certains métiers : les métiers liés au divertissement et au spectacle, tels les acteurs, danseurs et gladiateurs, mais aussi les prostituées et les proxénètes sont frappés d'Infamia. Les citoyens qui les exercent perdent tous les droits liés à la citoyenneté.
Confiscation des droits politiques par la classe patricienne : le droit de participer à la vie politique, notamment en siégeant au Sénat - ou la Curia dans les provinces - ou en exerçant une magistrature, est strictement réservé à une élite. Ce sont les patriciens, ou honoratii, caste regroupant les grandes familles qui monopolisent ces prérogatives, tandis que les plebéiens en sont privés (voir « Institutions politiques locales »). Esclaves : le statut d'esclave s'obtient par différentes manières. Des hommes libres y sont réduits de leur vivant, soit qu'ils aient été vaincus à la guerre, soit qu'ils aient dû s'y résoudre pour cause d'endettement, ou encore en punition d'un crime. Plus rare est le cas de l'homme ou la femme libre qui, choisissant d'épouser un esclave dont il ou elle n'est pas le maître, embrasse sa condition et se range lui aussi sous la servitude du maître de son conjoint. Des propriétaires peu scrupuleux ont parfois recours à cette règle pour neutraliser un concurrent naïf : une de leurs jeunes serves s'en va séduire l'idiot, qui l'épouse en ignorant sa condition et devient ainsi esclave.
Si certains deviennent esclaves au cours de leur vie, d'autres le sont dès leur naissance. Le statut est en effet héréditaire : quiconque naît d'au moins un parent esclave est lui-même esclave. En pratique, c'est surtout la mère - dont la filiation est plus difficile à ignorer - qui transmet le statut ; les riches citoyennes évitent de clamer sous les toits que leur rejeton est le fruit des œuvres d'un barbare asservi, et préfèrent prétendre qu'il est du sang de leur mari.
Affranchis : Esclave relevé de sa servitude, pour récompense d'un service rendu ou générosité du maître ou quelque cause que ce soit, l'affranchi ne devient pourtant pas un citoyen à part entière. Son statut reste hybride entre le libre et le non-libre ; s'il n'a plus de maître, il n'acquiert pas automatiquement la citoyenneté ruvienne. En revanche, ses futurs enfants, qui naîtront libres, seront citoyens.
II. DROIT RUVIEN
La "loi" est un terme vague et imprécis. Il n'y a pas "une loi", il y a "des lois", parfois écrites, parfois non écrites, parfois claires et précises, parfois imbitables même pour ceux qui en sont à l'origine. Surtout, il n'existe pas de code juridique général prévoyant une réponse légale à toutes les situations possibles et imaginables.
Le droit ruvien, s'il fait la fierté des jurisconsultes pour sa technicité, est une espèce de bricolage un peu bordélique enrobé de joli papier doré.
Les lois votées au Sénat ruvien à l'initiative de l'Empereur répondent toujours à des cas particuliers selon les urgences du moment. Elles régissent surtout l'organisation politique et religieuse sans chercher à réguler les rapports entre personnes privées ; en d'autres termes, l'Empereur créé les lois qui l'intéressent et se fiche bien des querelles de voisinage de deux bouviers qui s'écharpent sur la délimitation de leur terrain. Les lois votées au Sénat peuvent porter sur les finances, sur l'armée, et tout ce qui intéresse l'empire au sens global. Parfois, mais c'est rare, elles peuvent viser directement un particulier ; c'est le cas lorsqu'un individu est accusé de haute trahison, et que ledit individu n'est pas le clodo du coin.
Mais alors, comment régir toute la complexité de la vie en société ? Comme tous les peuples, les Ruviens ont intérêt à fixer des règles afin de réprimer les mécanismes ancestraux de vengeance privée (le traditionnel œil pour œil, dent pour dent n'étant pas de nature à favoriser le développement harmonieux d'une civilisation). Ainsi, depuis la nuit des temps des tribunaux sont établis pour juger, avec une neutralité relative, les litiges entre particuliers. Aux premiers temps, ce rôle était dévolu aux prêtres, et la conduite des tribunaux reste aujourd'hui encore empreinte d'une forte dimension religieuse - ceux qui jugent recherchent la sagesse divine avant de prononcer une peine. Qu'est-ce qu'une juste punition ? Des années, des siècles de jugements ont fait émerger progressivement des règles naturelles, qui se sont imposées d'elles-mêmes sous la forme d'une coutume orale. L'on considère volontiers qu'une sanction rendue jadis pour des faits similaires devrait être reprise à l'identique, car si la décision fut rendue en accord avec les dieux, comment ne pas la reprendre, sinon considérer que les dieux avaient tort ?
L'inconvénient de ces règles non écrites, c'est qu'il faut s'en souvenir. Ainsi se sont développés les jurisconsultes, corps de métier d'experts se transmettant le savoir de la bonne justice. Les plus grands s'en remettent à leur savoir, à commencer par les magistrats en charge des tribunaux ; ces derniers sont des patriciens élus, souvent peu connaisseurs du droit, et préfèrent s'entourer d'une armée de jurisconsultes plutôt que d'encourir la réprobation divine. Dans les faits, néanmoins, les magistrats demeurent libres de prononcer la sanction qu'ils veulent.
La confiscation du savoir juridique par les jurisconsultes n'est pas exempte de critiques. De grands penseurs et écrivains, soucieux de rendre accessibles les lois au grand public, ont parfois tenté de constituer des bases écrites. Ces tentatives ont toujours échoué, soit que leurs auteurs aient renoncé devant l'ampleur de la tâche, soit que leurs compilations n'aient pas trouvé grand succès chez les lecteurs. Une exception notable reste le code de Publicola qui pose par écrit un certain nombre de ces règles anciennes et a connu une diffusion remarquable au sein de l'empire ; il reste cependant incomplet et les magistrats peuvent choisir de ne pas s'y référer.
Les règles inscrites dans le code de Publicola ne sont pas aussi impératives que leur rédaction peut nous le faire croire. Elles sont anciennes et tous les magistrats ne les appliquent pas à la lettre. Elles nous éclairent avant tout sur les mœurs et les mentalités des Ruviens, leur conception de ce qui est juste... dans les faits, cependant, la loi est rarement la même pour tous, et deux affaires similaires peuvent se solder par des verdicts bien différents.
III - LA LOI EN ONCMELIA MINOR
N'oublions pas que nous nous trouvons ici en Oncmélie Mineure, province isolée dans le nord de l'empire, bien loin de la capitale. En conséquence, le droit ruvien n'est pas forcément appliqué de la même manière ici que dans le centre de l'empire.
Comme les autres provinces impériales, Oncmelia Minor reprend les préceptes du droit ruvien. Les citoyens possèdent la citoyenneté ruvienne ; ainsi les lois du Sénat ruvien, de même que la coutume orale impériale, sont censées s'appliquer dans les provinces. En pratique, l'éloignement géographique conduit les magistrats à s'en détacher, même si nombre de jurisconsultes ayant étudié à la capitale s'efforcent de transmettre ce savoir aux quatre coins de l'empire. Le procurateur impérial, qui codirige la Curia et est nommé par l'empereur, peut aussi tenter de favoriser cette transmission - encore faut-il qu'il soit lui-même un fin connaisseur du droit.
De facto, les tribunaux oncmeliens dirigés par les préteurs se créent leur propre coutume, tandis que la Curia, pendant local du Sénat, édicte ses propres "lois", ici appelées décrets. Comme à Ruvia, les décrets de la Curia régissent avant tout les intérêts de la province, tandis que les rapports privés se régulent par la pratique et les décisions des tribunaux. Le code de Publicola reste cependant une référence utile.
Une autre source de droit émerge au sein des corpora, regroupements de métiers dont les membres fixent entre eux les bonnes pratiques et s'auto-réglemente. Les corpora défendent ainsi les intérêts des marchands établis tout en régissant la concurrence interne. La Curia n'intervient généralement pas, observant une reconnaissance tacite des règles créées par les corpora. En pratique, nombre de patriciens ont leurs clients et obligés, leurs parents parfois, au sein des corpora (voir Edelmia).
IV - DÉROULEMENT D'UN PROCÈS
Qu'elle ait à trancher un litige entre voisins ou une sordide affaire de meurtre, la justice ruvienne procède à l'identique. Il n'existe pas de magistrat chargé d'instruire les affaires et de mener les accusations au nom des pouvoirs publics ; tout procès porté devant le tribunal part toujours d'une initiative privée, émanant d'un citoyen comme les autres.
Ainsi, à l'origine de toute affaire judiciaire, un citoyen qu'on appellera l'accusateur portera l'action en justice et l'exercera jusqu'à la fin. Bien souvent, cet accusateur n'est nul autre que celui qui se prétend victime ; toutefois, ce n'est pas obligatoire. Il arrive qu'une victime renonce à engager les poursuites - pour des raisons qui lui appartiennent - et qu'un autre citoyen, par altruisme ou par calcul, décide de porter l'accusation à sa place. Certains hommes réputés pour leur talent oratoire s'en sont d'ailleurs fait une spécialité ; de célèbres procès ont parfois faire naître de brillantes carrières, en offrant à d'illustres inconnus une tribune, leur permettant par la suite de se lancer en politique. L'exercice n'est pourtant pas sans risque : les Ruviens tiennent la calomnie en horreur, et l'accusateur qui mène une action injuste est durement sanctionné. A cet égard, l'accusé est toujours placé sur un pied d'égalité avec son accusateur ; il dispose des mêmes armes que son adversaire pour assurer sa défense.
De ce duel entre l'accusateur et l'accusé, un magistrat, le préteur, est chargé de veiller à la régularité des débats. Le préteur est le garant de la bonne conduite de l'institution judiciaire ; il interviendra du début à la fin de l'affaire. Pour autant, le préteur n'est pas juge ; il guide les travaux du tribunal, mais il ne décide pas du verdict. C'est néanmoins lui qui, à l'avance, fixe la sanction encourue.
Une affaire judiciaire suit quatre étapes : postulatio, delatio, anquisitio, instantia.
I - Postulatio : l'accusateur s'adresse au préteur et demande la permission de citer celui qu'il veut poursuivre. Il doit prêter serment de ce qu'il agit de bonne foi et s'engage à ne pas renoncer avant la fin de l'action. Le préteur examine la demande, l'admet (le procès aura lieu) ou la rejette (absence de caractère sérieux ou demande mal fondée).
II - Delatio : le préteur rédige un document récapitulant, de façon exhaustive et précise, les griefs invoqués ainsi que la ou les personnes accusées. Ce document dresse notamment une liste de questions dont la réponse ne peut être que oui ou non, et qui constitueront la base du verdict à rendre le jour du procès.
Il établit également, dès ce moment, la sanction qui sera appliquée à l'accusé s'il est reconnu coupable - mais également la sanction applicable à l'accusateur s'il a calomnié l'accusé.
La date du procès et les noms des parties prenantes sont rendus publics par voie d'affichage et par les trois clameurs portées par un crieur public les jours de marché en vue de la prochaine session du tribunal. Ainsi informé, l'accusé pourra se présenter au préteur afin de connaître le détail des faits qui lui sont reprochés. Les sessions de justice ayant lieu de une à deux fois par mois, l'accusé disposera d'au moins vingt jours pour préparer sa défense.
Il n'existe pas de détention préventive, ce qui peut inciter un coupable à prendre la fuite pendant ce laps de temps - mais cela lui interdira tout retour au sein de la cité. La victime qui craint de voir s'échapper l'accusé peut prendre l'initiative de l'enfermer par ses propres moyens ; elle doit cependant recevoir l'autorisation du préteur (faute de quoi elle devra le relâcher) et veiller à ce que l'accusé soit nourri et en bonne santé.
III - Anquisitio : dans l'attente du procès, accusateur et accusé sont invités à réunir des témoignages et des pièces établissant leur version des faits. Tous modes de preuve sont recevables ; cependant ils ne peuvent compter que sur leurs propres moyens pour les réunir, de même qu'ils ne peuvent forcer un témoin à se présenter à l'audience le jour J ; toutefois, en cas de refus d'un témoin dont le témoignage pourrait s'avérer déterminant, un acte du préteur pourra l'obliger à comparaître - uniquement si le préteur l'estime nécessaire.
IV - Instantia : le jour de la session du tribunal, un collège de citoyens convoqué par le préteur se réunit pour statuer sur toutes les affaires du jour. Leur nombre varie selon le nombre d'affaires à juger et leur complexité. Ces citoyens ont l'obligation de se présenter au tribunal et doivent prêter serment d'impartialité. Pour chaque affaire, accusateur et accusé désignent un nombre égal parmi ceux présents, et les citoyens retenus seront les juges chargés d'établir le verdict.
Entouré de ses greffiers et huissiers, le préteur domine l'assemblée du haut d'une estrade, en bas de laquelle sont réunis les jurés. Face à eux, des bancs sur-lesquels prennent place, d'une part l'accusateur, de l'autre l'accusé. Parfois, l'un ou l'autre, ou les deux, se font assister ou représenter d'un ami - ou d'un homme dont ils auront payé les services - qui tentera, par son verbe fleuri, de faire pencher la balance en leur faveur.
La parole revient en premier lieu à l'accusateur - ou son représentant - qui expose l'objet de sa plainte, disposant pour cela d'un laps de temps strictement délimité par l'écoulement d'une clepsydre. L'accusé - ou son représentant - y répond ensuite, disposant de la même contrainte de temps.
A la suite des deux plaidoiries, c'est une discussion libre qui prend place entre les deux parties ; du fait de la passion des débats, cette phase s'apparente souvent à un pugilat verbal. L'intérêt est souvent de forcer l'adversaire à répondre sur le vif, sans lui laisser le temps de préparer et de travestir la vérité ; les silences et les hésitations seront librement interprétés par les juges.
Les plaidoyers prennent alors fin ; ce n'est qu'à ce moment, et jamais avant, que sont produites les preuves matérielles ainsi que les divers témoins. Accusateur et accusé demeurent réduits au silence tandis que l'ensemble de ces éléments viennent corroborer ou infirmer ce qu'ils ont dit plus tôt. Les parties ne pouvant orienter les témoins, il arrive parfois qu'un témoignage ne produise pas l'effet attendu ; les juges tirent de tous ces éléments des conclusions qui leur sont propres.
L'audience touche à sa fin alors que le préteur lit à haute voix les questions listées dans le document établi lors de la phase de delatio. Chaque question est suivie d'un vote des juges ; lorsque la majorité des votes porte sur le oui, l'accusé est reconnu coupable des faits avancés dans la question ; lorsque la majorité porte sur le non, l'accusé en est reconnu innocent. A l'issue des votes, le verdict est repris par le préteur, qui prononce les sentences prévues dans l'acte de delatio. Le préteur veille à leur stricte application.
Lorsque sont prononcées des amendes ou des confiscations de biens - qu'elles soient à l'encontre de l'accusé reconnu coupable ou de l'accusateur calomniateur - un tiers revient au Trésor de la cité, les deux tiers restants allant à la partie ayant obtenu gain de cause.
Les peines étant fixées à l'avance sur la seule foi de l'acte d'accusation et ne pouvant être adaptées au moment de l'instance, il est fréquent que les sanctions soient perçues comme trop lourdes ou trop clémentes ; le préteur décide en effet de la sanction bien avant le jugement, sans avoir entendu les témoins ni pris connaissance des preuves, et sans savoir si l'accusé sera reconnu coupable. Les Anciens considéraient néanmoins que séparer la sanction du verdict était une garantie de bonne justice, puisqu'on évitait de conférer un pouvoir trop grand aux juges comme au préteur.
V - LE CODE DE PUBLICOLA L'empereur Publicola, soucieux de laisser à la postérité l'image d'un grand législateur - en lieu et place de celle du pervers débauché qu'il fut - confia à de brillants légistes la mission de compiler toutes les sources écrites et non écrites en vue d'établir un recueil unique et intemporel du droit ruvien. Basé sur la coutume, les lois sénatoriales et même la jurisprudence des tribunaux, le code de Publicola posait les ambitions révolutionnaires de son inspirateur, avec un droit d'application uniforme dans tout l'empire. Il fixait notamment des montants précis d'amendes pour chaque catégorie de crime, ce qui devait pallier l'arbitraire des préteurs.
S'il est vrai que le code n'eut jamais le succès attendu par l'empereur, il n'en demeure pas moins le texte juridique le plus connu et le plus diffusé à ce jour. Nombre de magistrats continuent de s'y référer, sans pour autant lui accorder plus de valeur qu'il n'en a ; le montant des amendes, notamment, n'est guère suivi à la lettre et continue d'être fixé selon le bon vouloir des préteurs - il est vrai que le texte est vieux et n'a guère été mis à jour des nombreuses réformes monétaires ayant bouleversé les valeurs.
Les règles inscrites dans le code de Publicola ne sont pas aussi impératives que leur rédaction peut nous le faire croire. Elles sont anciennes et tous les magistrats ne les appliquent pas à la lettre. Elles nous éclairent avant tout sur les mœurs et les mentalités des Ruviens, leur conception de ce qui est juste... dans les faits, cependant, la loi est rarement la même pour tous, et deux affaires similaires peuvent se solder par des verdicts bien différents.
- TITRE I - DE LA PUISSANCE PATERNELLE:
Le pater familias détient seul la puissance paternelle qu'il exerce sur son épouse, ses descendants même adultes, et ses esclaves, ainsi qu'à quiconque se place sous sa puissance.
Les fils adultes quittant la maison familiale demeurent soumis à la puissance paternelle tant que le pater familias ne les en a pas libérés.
La fille non mariée ou l'enfant mineur reniés par le pater familias et exclus de sa maison deviennent choses sans maître ; tout citoyen peut en revendiquer la propriété.
Le pater familias dispose des propriétés acquises par et pour ceux qui se placent sous sa domination. Il peut en autoriser la jouissance aux membres de sa maisonnée mais en conserve seul le droit de vendre, donner ou détruire. Cette prérogative s'étend aux résidences de ses fils adultes qu'il n'a pas libérés de sa domination.
L'esclave affranchi qui demeure au sein de la maison reste soumis à la puissance paternelle.
Lorsque le pater familias consent à donner sa fille en mariage, celle-ci se place sous la puissance paternelle de l'époux ou du pater familias de l'époux.
Le pater familias désirant vendre ou tuer ses enfants ou son épouse doit préalablement consulter le conseil de famille. L'avis du conseil n'a pas force obligatoire.
A la mort du pater familias, la puissance paternelle est transmise au premier descendant en ligne agnatique directe. A défaut, elle est transmise aux collatéraux (frère le plus âgé ou à défaut l'oncle, le neveu...). Toutefois, les descendants vivant en leur propre domicile à la mort du pater familias échappent à la domination de l'héritier et sont admis à fonder leur propre maisonnée, où ils détiendront la puissance paternelle.
Le pater familias est responsable du fait de ceux placés sous sa domination. Il dédommagera les victimes d'actes nuisibles commis par les siens, soit par compensation financière, soit en reniant l'auteur des faits et en le livrant à la vengeance de la victime.
- TITRE II - DES SUCCESSIONS:
DES SUCCESSIONS SANS TESTAMENT
Si une personne meurt sans testament, le descendant agnatique le plus proche hérite de ses biens comme de ses dettes.
Les biens hérités par succession deviennent la propriété de l'héritier ; néanmoins, le pater familias de l'héritier exerce ses droits sur ces biens.
Les femmes peuvent hériter, mais l'administration de leurs biens est confiée à leur pater familias, leur époux ou le pater familias de ce dernier.
Les fous peuvent hériter, mais l'administration de leurs biens est confiée à leur tuteur.
L'enfant du défunt qui est encore dans le sein de sa mère est admis à la succession, à moins qu'il ne naisse après les dix mois de la mort de son père.
DES SUCCESSIONS PAR TESTAMENT
Ce que l'on aura ordonné par testament quant à son argent, ou pour la conservation de son bien, doit être exactement exécuté.
Le citoyen, héritier par testament, peut recourir aux autorités civiles pour faire assurer l'exécution conforme du testament.
Le testament peut librement prévoir la répartition des biens entre différents héritiers.
Sont réputées non écrites les dispositions testamentaires en faveur de personnes frappées d'infamia, notamment les acteurs, danseurs et gladiateurs, mais aussi les prostituées et les proxénètes.
- TITRE III - DE LA PROPRIETE:
Les choses vendues et livrées ne sont acquises à l'acheteur que s'il a payé le prix au vendeur ou satisfait ce dernier par la remise d'un gage ou la parole d'un autre débiteur.
Il appartient à celui qui conteste à autrui sa propriété d'en démontrer l'usurpation.
Quiconque perd un objet, et le trouve en possession de quelqu'un d'autre, produira des témoins pour identifier sa propriété. Celui aux mains duquel est trouvé l'objet produira le marchand qui le lui a vendu ainsi que les témoins l'ayant vu acheter. S'il est prouvé que le marchand est un voleur, la sanction sera le quintuple de la valeur du bien ; l'objet volé sera rendu au véritable propriétaire, tandis que celui qui l'a acheté retrouvera l'argent de la vente sur les biens du marchand.
En l'absence de témoignage prouvant la vente, est réputé propriétaire le citoyen qui jouit de la possession des choses depuis plus d'un an, deux ans pour les terrains et maisons. La preuve en est faite par témoignage.
Si quelqu'un revendique faussement un bien, la sanction du dommage est le triple de la valeur du bien.
Quiconque place son bien chez un tiers pour mise en lieu sûr, et que là, que ce soit par des voleurs ou des cambrioleurs, ses biens disparaissent en même temps que ceux du dépositaire, celui-ci, responsable de la perte du fait de sa négligence, doit compenser le propriétaire pour tout ce qui lui a été confié. C'est au dépositaire de rechercher les biens volés et de les récupérer.
Si l'eau pluviale d'une propriété cause des dommages à un autre propriétaire, ce dernier peut en appeler au tribunal.
Les fruits issus de l'arbre d'autrui appartiennent au propriétaire du terrain où ils tombent.
- TITRE IV - DU MARIAGE:
Pourra prendre épouse le garçon âgé de quinze ans.
Pourra prendre époux la fille âgée de treize ans.
Celui qui prend épouse recevra du père de celle-ci la dot, destinée à l'entretien des enfants futurs.
Lorsqu'un homme prend une femme pour épouse, mais ne consomme pas cette union, elle n'est pas considérée comme son épouse.
Peut être répudiée par son mari, l'épouse qui a quitté le lit familial pendant trois nuits.
Est proscrit le mariage entre patriciens et plebéiens.
Celui qui s'unit par mariage avec l'esclave d'un autre, en sera réduit avec elle à la condition d'esclave.
- TITRE V - DES ATTEINTES AUX PERSONNES ET AUX BIENS:
Celui qui a mordu un citoyen subira une pénalité de 100 as, ou de 20 s'il a mordu un esclave ; s'il a mordu un étranger, qu'il soit vilipendé. Si le mal s'empare de la plaie, qu'il soit fouetté à la discrétion du préteur ; si la victime décède, qu'il soit frappé de la peine d'exil, sauf à démontrer que la mort ait une autre cause.
Si quelqu'un casse les os d'un autre à la main ou grâce à une massue, que la peine soit de 25 deniers, si c'est un esclave, 5, s'il a fait un simple mal, 50 as.
Quiconque aura blessé quelqu’un à tête, de telle sorte que le sang ait coulé jusqu’à terre, sera condamné à payer 60 deniers.
Si le cerveau a été mis à découvert, et que trois esquilles du crâne aient été détachées, le coupable sera condamné à payer 100 deniers.
Celui qui a tué un homme libre, qu'il soit condamné à l'exil ; s'il a tué un esclave, il paiera au maître le double de sa valeur.
Celui qui s'est emparé du bien d'autrui par la ruse ou par la force sera condamné à payer le double de sa valeur.
Si quelqu’un commet de nuit un vol, et qu’il soit tué, que celui qui le tue n’encoure aucune peine.
Si le vol se fait de jour, et si le voleur est pris en flagrant délit, qu’il soit fustigé, et livré à celui qu’il aura volé, pour lui rendre tous les services d’un esclave.
Si le vol se fait de jour, et que le voleur est tué, que celui qui le tue s'acquitte des dépenses funéraires.
Celui qui aura soustrait un esclave, mâle ou femelle à la possession de son maître en paiera la valeur au propriétaire, et de plus sera condamné à lui payer 100 deniers.
Celui qui aura mis le feu à un bâtiment sera enchaîné, battu et jeté au feu, s'il a agi sciemment. Si c'est par négligence, il devra réparer le dommage ; s'il n'est pas solvable, il devra subir un léger châtiment.
Celui qui a calomnié autrui devant les tribunaux, qu'il soit condamné à verser 100 deniers, 300 si l'accusation portait sur une cause majeure.
Est frappé de l'Infamia celui qui porte sciemment faux témoignage.
Quiconque aura donné un breuvage à une femme pour la rendre stérile, sera condamné à payer 100 deniers.
Celui qui presse la main ou le doigt d’une femme de condition libre, il sera condamné à payer 10 deniers. S’il lui a pressé le bras, il sera condamné à payer 30 deniers. S’il a porté sa main au dessus du coude, il sera condamné à payer 50 deniers. S’il lui a pressé le sein, il sera condamné à payer 80 deniers.
Quiconque aura abusé, par violence, d’une femme de condition libre, sera condamné à payer 200 deniers.
Quiconque, sans la permission du maître, aura monté un cheval, et s’en sera servi, sera condamné à payer 50 deniers. Il en sera de même à l’égard de celui qui aura monté une jument.
Celui qui aura jeté un maléfice à autrui sera mis à mort.
Celui qui urine dans les espaces publics, qu'on lui porte un entonnoir dans la bouche et qu'on le gave d'urine de brebis jusqu'à ce qu'un médecin juge qu'il ne pourra en boire davantage ; si la commission était pressante, qu'il soit seulement mis à l'amende de trente as. Celui qui aura uriné pour réprimer un maléfice, qu'il n'endure aucune peine.
- TITRE VI - DES CONTRATS:
Celui qui s'est engagé à faire quelque chose pour autrui y est tenu.
Si l'engagement avait une contrepartie, et que l'obligé n'a pas accompli ce qu'il s'était engagé à faire, alors celui qui devait en bénéficier est libéré de son propre engagement.
Si l'engagement était sans contrepartie, et que l'obligé n'a pas accompli ce qu'il s'était engagé à faire, alors celui qui devait en bénéficier peut réclamer une juste compensation.
Si par des machinations, des mises en scène favorisant la tromperie, par mensonge ou simple réticence, on a incité un homme à prendre un engagement qu'il n'aurait pas pris autrement, alors cet engagement peut être annulé.
- TITRE VII - DES INTERDITS:
L'enfant né difforme sera tué.
Quiconque se sera uni dans une liaison abominable à son frère ou sa sœur sera frappé d'Infamia et condamné à l'exil.
écrit par Primo Sicinius Scorpa
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