In Maidjan [Caïus Protero Feles]

L'Aube s'en vint et avec elle chasse les brides de la nocte qui s'étend encore dans les recoins retords de ce monde ; pourtant, à la lisière de ces bois, aucune lumière ne semble vouloir percer entre les troncs. Marbhnamar se veut égale à elle-même : véritable plaie ouverte, suintant et refoulant, qui gêne la vue de l'âme et de l'esprit. Les malcroyants la croit oubliée, désertée de toutes traces divines ; ces faibles pensent même qu'en son sein, bat un cœur de ténèbres rependant ses miasmes bien au-delà des terres souillés qui symbolise ses frontières. Mais il n'en est rien. Ces vaines fadaises son une nouvelle fois le lot des faibles, des aveugles et des ignorants. Comment le sais-je ? Simple. Car je sais tout.

Ces bois, sont mes bois, mon royaume, le mien.

La multitude de troncs noueux qui s'élèvent vers le firmament forment autant de colonnes soutenant les frondaisons de mon palais sans âge. L'humus de la forêt ne pourrait être moins bon dallage que les marbres tapissant les sols des luxueuses demeures ruviennes. La vie et la mort s'y côtoie, foisonne et fusionne sans cesse, propageant inlassablement l'œuvre de Walda, le Père-de-tout.

Dans cette matinée brumeuse, je me tenais droit et figé aux vents. Mon esprit s'égayait à transpercer les murailles opaques de cette réalité ; il voyageait à sa guise sans chercher à s'alourdir de quelconques attaches. Éclaireur de l'ether, je n'étais en cet instant, qu'une statue de chaire mortelle soumis aux charmes de mon âme éternelle. Cette dernière avait pris le pas sur moi, m'obligeant à être l'esclave de mon propre être. Contraint et forcé, j'étais néanmoins habitué à l'exercice : tout autre que moi, y aurait laissé la vie. Mais moi, Faidh des Sintuama, ne succombait plus à l'appel des Dieux. Car c'est de cela d'on, il s'agissait maintenant.

Voyageant dans les sillons de la Sève du monde, j'entrevoyais les limites du savoir et du sachoir à travers mon errance mystique. De facétieuses prophéties se révélaient à ma vue, elles étaient aussi nombreuses que les feuilles dans les arbres, que le sable sur les plages. Toutes semblaient plus réelles que la précédence, plusieurs affichaient même visage, ne différent que par certains infimes détails. Mon savoir millénaire pouvait se comparer à celui du traducteur éclairé en plus du juge, car il me fallait choisir, peser pour et contres avant de trancher.

Aujourd'hui, j'appris, mais point plus qu'il ne me fallait entrevoir pour mon entretien à venir. Car l'on venait en aval du Sentier Gris et j'attendais, patiemment, que mon invité ce présent à moi.
Seul à la lisière des deux mondes, quelques chandelles de suif chatoyantes à mes pieds, mes plus fidèles séides se trouvaient dans les futaies, invisibles. Je les congédiais moi-même, car leurs présences m'exacerbaient. Semblable à des sangsues, je sentais la peur dans leurs caboches faiblardes. Ô, ils ne craignaient pas pour leurs existences, non, mais pour la mienne.

On prochait et on venait.

C'est la forêt elle-même qui me le susurra sur un ton aussi langoureux qu'acérer, tels mauvaises caresses sur une branche d'aiguilles de pins sinueux. Un contact aussi doux qu'agressant, car, comme toutes les offrandes de ce monde : il était nécessaire de payer un prix pour les acquérir.
Je me tenais à l'ombre grandissante d'un Chêne gris, emblématique gardien de ces lieux, cet arbre était aussi majestueux que dangereux. Nombreux sont les malheureux qui retournèrent à l'humus après un court repos entre ses racines ; savaient-ils pourquoi ? Sûrement point. Ce savoir était réservé à ceux connaissant les secrets de Marbhnamar et il ne m'appartient pas de les divulger en cet instant.

Celui qui se dessina en amont, était l'attendu. À son annonce, un sourire creux se dessina sur mon faciès ravagé, sous les ombres de mes mises, je me réjouissais de la peur que je pouvais aisément détecter sur les traits des ruviens. Néanmoins, leur chef lui, n'avait pas peur.
D'un geste lent, précis et contrôlé, j'ottais ma frusque sanguinolante et me dévoila nu à mes invités. Je portais les récentes traces d'un rituel qui m'avait retenu une dizaine de jours dans les boyaux de Tùr Àrsadhi ; mon cuir se trouvait décoré d'une myriade de peintures sacrées que j'avais tracé dans le sang et la merde de mon nécessaire sacrifice.

« Procurator, comme je te vois, tu me vois. Tu me cherchais et me voici, une nouvelle fois, nos routes se croisent. Sois à nouveau, le bienvenu. »

Je penchais à peine la tête, simulacre de courbette que je n'adressais réellement qu'aux Dieux de mon royaume. Mais j'avais notion du protocole de ceux qui se pensaient mettre des terres et des mers à l'extérieur des lisières de Marbhnamar.

« Tu viens avec nombreuses questions, j'en possède les réponses. Mais avant, conte moi, conte moi comment se porte ton Celui-qui-te-précède ? Conte moi comment se porte ton fils ? »

Une nouvelle fois, j'étirais mon sourire sans lèvres, dévoilant mes dents ruinées et les trous de mon faciès ; rien ne m'était plus appréciable que de lire le malaise qui se dessinait sur le visage des mes hôtes.

« Terentius, Teren...tiusss »

Le sifflement qui perça mes lèvres parcheminées raisonna un long instant dans l'air lourd de la forêt ; je me délectais de ce prénom avec la même joie qu'un nouveau-née tétant à la mamelle nourricière d'une mère trop avare de lait. Avec une lenteur malsaine, j'imprimais ces quelques lettres dans le tissu de trame infini qui constellait mon esprit sans âge. Nombreux furent ceux qui portèrent ce nom, de bons et de mauvais hommes pour sûr, mais de quelle essence serait donc celui ci ? Les possibilités semblaient aussi nombreuses que les galeries des verts qui grouillaient sous terre, restaient à savoir laquelle choisir. Je le savais.

Le Procurator se mouvait avec l'aisance de celui sachant sacher, la peur l'avait quitté. Se tenant tel un chef huppé au milieu d'une horde de galinasse armée à couteau tiré, manifestement, il ne redoutait plus les dieux. Une erreur qu'il n'était jamais bon de faire, pis encore quand vous vous trouviez dans le dernier royaume sombre de cette terre. Ici, une magie plus vieille que celle du Sud et du Nord avait court, ici, résidait les milliers d'esprits confinés des servants du réel savoir éthérique. Walda, lui, était partout.
De mon promontoire, j'observais l'illusion naïve qui se jouait à mes pieds ; la fraîcheur qui dénotait de cette assemblée avait quelque chose de rafraîchissante à mes yeux, car, voilà longtemps qu'aucun des puissants de ce monde ne s'était présenté ainsi devant moi. Mais ce n'était pas la stature, ou le titre du Feles qui m'apportait quelques réconforts, non, c'était son destin. S'il avait aperçu une seule once de la suite, se trouverait t'il ainsi couronné de certitude a mes pieds ?

Lentement, aussi semblable que pouvait l'être un mort toujours déambulant, je me rapprochais de mon interlocuteur particulier. Mes mouvements secs, saccadés, pouvaient sembler gauches, mais mon pas sûr me donnait l'aspect d'un antique prédateur forestier. La menace d'une mort imminente ne m'effrayait point, car j'avais apperçu ma fin et elle ne se déroulait pas en ce lieu.
Prenant permission, je saisis les oisillons dodues que m'avait apporté le Ruvien, entre mes mains osseuses, elles furent gagnées d'une vigueur renaissance, pialliante d'effroi.

Sous les cris aigus, je reprenais place devant mon autel et m'agenouilla. Dextres et senestres, comblée, quelques psalmodies que je ne peux révéler s'échappèrent de mes lippes. D'un geste vif, j'arrachais une première tête d'un coup de dent. D'un requiem macabre, je détachais la seconde et la roche sacrée, fut baignée de sang.
Un long instant passa, tandis que silencieux, mais parcourus de soubresauts, j'observais les lignes de Sèves qui s'écoulaient. À l'Ouest, une corneille croassa.

« Nombreux sentiers se croisent et s'enchevêtrent, mais tu le sais déjà Procurator. Ici, ils m'apparaissent sans paresse et me content maintes et maintes choses...Machinalement, je suçotai un des moignons sanglants avant de reprendre.Oh. Que voici curieuse trame entre les rames Procurator. Du Nord, viendra le Sans-Peau, Bénis du Furieux, messager de mauvais augure qu'il te faudra écouter. Vaines choses face au reste, et il me faut une nouvelle fois te prévenir, es tu prêt à ourdir suite ? »

Un rire guttural naquit dans mon glissoir fané, grossit, s'amplifia et se réverbéra entre les troncs et les cimes de la petite clairière de Marbhnamar. Je ne réussis pas à le contrôler, l'ironie qui se révélait à moi alla jusqu'à me faire hurler ; un son ancestral, crieur et crissant, que fuyait la vermine des fourrées et fit s'envoler les bravaches noctules des ramilles. Les différents fatums des êtres mortels regorgeaient d'entrelacs surprenants, plus encore quand se rejoignaient des trames d'horizons aussi différents que l'était celle de l'eau et du feu.
Je me calmais après de longues minutes qui semèrent sans douter doutes et mal-être chez mes hôtes attroupés. J'en aurais pleuré, mais plus aucune larme n'empruntaient les canaux asséchés de mes yeux voilés.

« Oh, Procurator. Procurator. Partage ma liesse, ne te prive point, bientôt, tu comprendras, pour sûr ! Celui-qui-arrive est un saronide, dresseur de nemeton, chuteur de rocher, depuis des siècles, ton peuple et le sien entretiennent sang et larmes entre eux et pourtant, il arrivera comme émissaire qu'il te faudra entendre ! Oui, entendre et écouter Procurator, toi, le Maître des Maîtres, dresse l'esgourde aux paroles de ce fouleur de sentier en haillon, car il vient te prévenir du péril qui menace ta province, ses habitants et ta descendance. »

Véritable arachnide décharné, je me tenais maintenant jambes pliés et écartés au-dessus de mon autel augurique ; bougeant nerveusement d'un pied à l'autre, je continuais à interpréter les signes et qu'ils étaient nombreux en ce funeste jour.

« Rejette-le, renvoi le chez lui, et Terentius ne sera point plus en sûreté en Oncmélie qu'il ne pourrait l'être ici, dans ces bois. »

Je tournais un rapide coup d'œil fou en direction du Feles, lui affichant mon sourire le plus décharné, une flamme dansante dans mes mires presque mortes.

« Oui Procurator, garde toi de l'ire des tiens. Je n'en dirais pas plus à son sujet, car les dieux lui laissent cette charge - c'était bien évidemment faux, je savais tout. Tout. Mais...À nouveau, un croassement filant se fit entendre. Une corneille s'invita dans la clairière. C'était à vrai dire un maigrelet corbeau qui se posa sur une branche au-dessus du sacrifice et qui semblait pointer avec insistance, les grives sans vie. L'oiseau, était albinos et son regard de rubis ne laissait aucun doute sur sa parenté. Un instant, je m'entretenais avec lui par la voix secrète du Fàidh...Oh, Procurator, repris-je sur un ton caverneux. Ton voyage n'aura pas était vint. La Messagère elle-même envoie son séide. Il semblerait qu'ou qu'il soit. Terentius, jamais en sécurité ne sera ! »

Et j'éclatais à nouveau du même rire hérissant, car j'avais vu. J'avais vu.

Un rire guttural naquit dans mon glissoir fané, grossit, s'amplifia et se réverbéra entre les troncs et les cimes de la petite clairière de Marbhnamar. Je ne réussis pas à le contrôler, l'ironie qui se révélait à moi alla jusqu'à me faire hurler ; un son ancestral, crieur et crissant, que fuyait la vermine des fourrées et fit s'envoler les bravaches noctules des ramilles. Les différents fatums des êtres mortels regorgeaient d'entrelacs surprenants, plus encore quand se rejoignaient des trames d'horizons aussi différents que l'était celle de l'eau et du feu.
Je me calmais après de longues minutes qui semèrent sans douter doutes et mal-être chez mes hôtes attroupés. J'en aurais pleuré, mais plus aucune larme n'empruntaient les canaux asséchés de mes yeux voilés.

« Oh, Procurator. Procurator. Partage ma liesse, ne te prive point, bientôt, tu comprendras, pour sûr ! Celui-qui-arrive est un saronide, dresseur de nemeton, chuteur de rocher, depuis des siècles, ton peuple et le sien entretiennent sang et larmes entre eux et pourtant, il arrivera comme émissaire qu'il te faudra entendre ! Oui, entendre et écouter Procurator, toi, le Maître des Maîtres, dresse l'esgourde aux paroles de ce fouleur de sentier en haillon, car il vient te prévenir du péril qui menace ta province, ses habitants et ta descendance. »

Véritable arachnide décharné, je me tenais maintenant jambes pliés et écartés au-dessus de mon autel augurique ; bougeant nerveusement d'un pied à l'autre, je continuais à interpréter les signes et qu'ils étaient nombreux en ce funeste jour.

« Rejette-le, renvoi le chez lui, et Terentius ne sera point plus en sûreté en Oncmélie qu'il ne pourrait l'être ici, dans ces bois. »

Je tournais un rapide coup d'œil fou en direction du Feles, lui affichant mon sourire le plus décharné, une flamme dansante dans mes mires presque mortes.

« Oui Procurator, garde toi de l'ire des tiens. Je n'en dirais pas plus à son sujet, car les dieux lui laissent cette charge - c'était bien évidemment faux, je savais tout. Tout. Mais...À nouveau, un croassement filant se fit entendre. Une corneille s'invita dans la clairière. C'était à vrai dire un maigrelet corbeau qui se posa sur une branche au-dessus du sacrifice et qui semblait pointer avec insistance, les grives sans vie. L'oiseau, était albinos et son regard de rubis ne laissait aucun doute sur sa parenté. Un instant, je m'entretenais avec lui par la voix secrète du Fàidh...Oh, Procurator, repris-je sur un ton caverneux. Ton voyage n'aura pas était vain. La Messagère elle-même envoie son séide. Il semblerait qu'ou qu'il soit. Terentius, jamais en sécurité ne sera ! »

Et j'éclatais à nouveau du même rire hérissant, car j'avais vu. J'avais vu.

« Ton peuple ? Crois tu qu'il sera seul impacté par futur qui s'annonce ?»

Le questionnais-je la criarde toujours aux lippes. Ma vision m'avait mené sur une sente encore jamais empruntée ; la Messagère elle-même en était venu à moi pour m'en confier le secret et c'était là chose bien rare de mémoire de Faidh. À travers son récit, j'entrapercevais une réalité dur et cruelle pour les hommes au delà des frontières de mon royaume et, je ne pouvais le cacher, cela me plaisait.

Que les peuples oppresseurs se déchirent entre eux, que la Sève inonde les sillons de leurs champs, que leurs marmailles trépassent et que leurs anciens se meurent, cela ne serait que justice ! L'exercice était difficile, car j'avais vu et je me devais de révéler mon message sous peine d'encourir la colère de Walda. Mais rien, rien ne m'empêchait de dévoiler tous les détails du message qu'on m'avait confié. Égoïstement, sans aucune honte, j'enfouissais en moi mots et images, trésors sans coûts d'on à jamais je serais le gardien.

Mon visage perdit instantanément sa joie malsaine, reprenant un aspect grave, mes orbites enfoncées lointainement à l'intérieur de leurs cavités. Dans un souffle rauque, grinçant, je m'exprimais en contemplant les branches qui avaient supporté l'oiseau.

« Crois-tu qu'il me plait d'accabler ainsi un esprit déjà tant tourmenté Procurator ? Je ne suis que le passeur, Celui-qui-transmet. Peu nombreux sont les hommes à qui le destin se révèle ainsi clairement. Vois-y bénédiction, véritable don que t'accordes ainsi mes Dieux...»

Sous le Chêne Gris, la brume, c'était lentement épaissit. La clairière qui auparavant n'avait pas grand chose de menaçante, se vêtit de ténèbres menaçantes. L'onde opaque vibrait d'une puissance mystique et je la savais venue des profondeurs du monde. Au-delà, derrière moi, s'éveillèrent dans les arbres de petites lueurs rougeâtres. Une dizaine de paires, semblables à des yeux tremblotants s'attachant à des corps longiligne géants ; s'ils ne semblaient pas menaçant, on distinguait à peine leurs présences, cachés à la lisière du visible et de l'invisible.
Je me retournais en direction de mon hôte, la face toujours sévère.

« Ruvia. Le danger viendra de Ruvia. Cendre et sang, mort et souffrance, voici ce qui m'a été révélé. Les pavés de l'antique cité, teint des chaires de ses habitants, deux camps s'affrontant, lutte violente, fratricide et sanglante. Si loin se trouve t'elle et pourtant, il te faudra faire face Procurator. Sur deux fronts tiraillés, tu seras. Prends garde. »

A mesure que j'énonçais ses prophétiques paroles, la brume m'envahissait comme un serpent cherchant à me dévorer. Les géants qui l'habitaient se rapprochèrent avec elle et furent bientôt à un jet de pierre.

« Nous nous rencontrerons une nouvelle fois Procurator et il te faut savoir que, quand ce temps sera venu, il te faudra t'acquitter d'un prix plus élevé que tu ne l'imagines. Deux grives ne suffiront loin plus à combler le sacrifice que te demanderons mes Dieux. »