L'édile se jette à l'eau. (PV Marius)

3ème jour de Primo Seminare

Depuis que Servius avait été élu au poste d'Edile  il n'avait de cesse de contrôler les équipements et les hommes dont il avait la charge. Quand il ne lisait pas avec attention les rapports des cohortes urbaines il sillonnait la ville pour examiner les diverses infrastructures de la ville. Ainsi les bâtiments publics, les canalisations et les égouts sont actuellement soumis à des inspections pointilleuses de la part du nouveau magistrat.  Le travail ne lui faisait pas peur, après tout Servius était  habitué à gérer ses domaines et avait  effectué rigoureusement sa tache de questeur l'année précédente. Sa magistrature précédente l’inquiétait plus, il s'agissait de la première année  ou il ne pourrait garder tous les jours l’œil sur les comptes de tous ses domaines. Fort heureusement sa femme, secondée par un fidèle affranchi du nom de  Correos Tacitus, avait pu suppléer efficacement à l’absence du dominus.

Après une matinée consacrée à des règlements de petits conflits et à la perception d'amendes Servius se consacra à ses autres devoirs d’édile. Et cet après-midi ce furent  les égouts qui eurent droit à la présence de l'auguste patricien.  Accompagné de ses deux licteurs, d'un scribe de quelques ouvriers et ingénieurs, la Cloaca du Bassium eu droit à une vérification en règle. Servius n'y plongea évidemment pas mais descendit quand même sous terre pour voir de ses yeux ce petit chef d’œuvre d’ingénierie ruvienne. Il exigea des rapports détaillés des lieux qu'il ne pouvait décemment pas voir, les esclaves qui pataugeaient dans le liquide nauséabond tenaient des torches et se devaient de décrire avec exactitude le moindre défaut. Servius pût ainsi comparer l'état de la Cloaca par rapport aux anciens rapports que le scribe lui tendait au fur et à mesure. Les ingénieurs eux fournissaient toutes les informations pratiques dontle magistrat avait besoin pour comprendre au mieux le fonctionnement de l'endroit. L’édile était plutôt satisfait de l'état de la cloaca, même si quelques menus travaux seraient nécessaires.

La petite troupe chargée de l'inspection  fût heureuse à la fin d’après midi lorsque l'édile leur donna congé. Mais le scribe et les licteurs eux n'en avaient pas terminé, mais cela ne les étonna guère, habitués qu'ils étaient au longue journées de travail que Servius leur imposait. Le magistrat guida les trois hommes un peu à l’extérieur de la ville, sur les rives de la Nera. L'édile fût salué par de nombreux clients qui avaient des commerces dans cette partie de la ville. Servius s'attarda un peu pour échanger quelques mots et se tenir au courant de ce qui se passait dans le bassium et qui aurait pût échapper aux cohortes urbaines ou à la vigilance de son personnel.

Enfin sur les bords de la Nera, Servius regarda le grand fleuve couler tranquillement sous ses yeux. Ensuite, son regard se porta sur les navires à quai: quelques navires de pêche, de commerce, mais aussi quelques navires militaires qui n'étaient pas en patrouille. Enfin son regard se porta sur les quelques pompes à bras qui longeaient le fleuve. Ces pompes, en bois, permettaient l’approvisionnement en eau d'une partie de la ville, même si d'autres pompes existaient en ville et étaient liées aux citernes enterrées.  Cependant, depuis ses voyages à travers l'Empire une idée ne cessait de trotter dans l'esprit de Servius.  Il se tourna vers son scribe et lui posa une simple question:

Que pense tu de l'eau Lucius?

De l'eau? Je ne comprends pas

Et bien te semble t'elle bonne? Penses-tu trouver dans ces pompes la meilleur eau de la région?

Oh non édile, tout le monde dis que la meilleur eau se trouve dans les montagnes et moi je peux vous l'affirmer!

Exactement Lucius, exactement...


Ces derniers mots furent prononcés avec un sourire et Servius donna congé aux hommes une fois sa villa atteinte. Avant de profiter de sa cena le magistrat pris une tablette couverte de cire noire  et y grava sur le recto un petit message:

Servius Tuccius Firmius à Marius Tullius Barbatus,

Je te donne le salut!

Permets moi de te féliciter encore une fois pour ton élection à la questure, c'était un honneur pour moi de laisser la place à un homme compétent. J'aurai besoin de te voir afin de discuter d'un projet concernant le bien de notre cité, l'avis d'un questeur aussi émérite me serait utile. Fait moi savoir rapidement tes dispositions.

Vale.

L'édile relu sa lettre, grimaça quelque peu devant des tournures qu'il trouvait trop mielleuses mais estima que la lettre pouvait quand même être envoyée. Après cette dernière tache effectuée Servius pris enfin le temps d'aller manger avec sa famille. La lettre fût envoyée le lendemain matin en direction dudit  Marius Tullius Barbatus.

Ce fut donc grâce au concours de son père, Rufus Tullius Usurius, que le jeune trentenaire venait de reprendre la magistrature du trésor depuis maintenant quelques semaines. Marius s'en trouvait satisfait et naturellement honoré après que ce mandat lui ait échappé l'année précédente. Mais force est de constater que son prédécesseur avait tenu les comptes d'Edelmia d'une main de maître, le patricien à la barbe soigneusement entretenue n'avait forte heureusement pas à âprement œuvrer pour rétablir l'équilibre des dépenses et des recettes. Une bonne chose en soi alors qu'il reprenait possession des bureaux du questeur au sein du Forum. Bien entendu, désireux de s'entourer d'hommes de confiance, il remercia d'anciens collaborateurs mais de façon bien avisée avant de réorganiser son office.

En ce troisième jour de Primo Seminare, Marius Tullius Barbatus s'en retrouvait, une bonne partie de la journée, à éplucher les comptes-rendus de ses scribes et proches conseillers avant de se décider à regagner son domus fraîchement offert par le chef de la famille Tullius. Et l'homme n'avait nullement fait dans la demi-mesure, laissant son fils aîné et héritier jouir d'une vaste et faste villa composée de deux étages, d'une terrasse offrant une vue imprenable sur la cité et le fleuve Nera et d'un parc arborait où laissait s'exprimer une richesse florale à en faire pâlir bien des Sénateurs.

Prenant le temps de se reposer dans un patio à l'agréable vue verdoyante et qui commençait à se colorer de nombreuses teintes chaudes, le ruvien observait sa domesticité s'afférer de ci de là pour entretenir cet écrin avant de se décider à délaisser son divan, non sans chiper un fruit laissé orphelin dans une coupelle. Envoyant un esclave sortir ses fidèles compagnons quadrupèdes de leur luxueux chenil, il se sentit revigoré en les voyants bondir tous les quatre vers lui alors qu'il patientait dans les jardins. Manquant de basculer en arrière, il gratifia chacun des cane corso de caresses franches et vigoureuses alors que l'esclave semblait plus loin bien heureux de ne plus avoir à faire à ces molosses difficilement contrôlables.

Jusqu'aux aurores, Marius s'en donna à cœur joie à se dépenser en compagnie de ces canidés, guettant l'heure du dîner avant d'être finalement interpellé par une esclave quelque peu hésitante. L'informant alors qu'une tablette avait été reçu le matin même, elle conduisit son maître à l'intérieur de la domus, empruntant l'atrium avant de l'installer dans le triclinium où l'y attendait sur un lit la fameuse correspondance. S'installant à son aise, ces molosses s'allongeant en bas du lit pour former un rempart autour de leur maître, Marius consulta la missive qui venait d'un ruvien qu'il connaissait depuis quelques temps déjà. Ce n'était autre que le nouvellement nommé Édile Tuccius. Ce dernier semblait requérir sa présence. Si le contenu dénotait d'une légère touche mielleuse cela ne semblait guère affecter le questeur qui s'interrogeait déjà sur l'objet de cette future entrevue, la tablette étant dénuée de toute précision à ce sujet.

Ne manquant pas de gronder sa domesticité pour ce retard de transmission d'une lettre aussi importante, il acheva son repas, passant un instant par les latrinæ avant que le dominus ne se recluse au sein de son tablinum pour répondre à son compère magistrat. Conscient de ne pas pouvoir faire attendre plus que de raison ce haut magistrat, il annonça sa venue prochaine au domicile de ce dernier et renvoya expressément une tablette gravée par ses soins chez l'édile Tuccius. Au 4ème jour de Primo Seminare, alors que le soleil pointait à son zénith malgré la couche nuageuse, Marius se décida à quitter son domus pour celui de son homologue en charge de l'administration civil de la cité d'Edelmia. Pour l'occasion, le magistrat et sénateur ruvien avait soigné plus qu'à l'habitude son apparence. Un esclave habilla en effet son maître fraîchement lavé et oint d’huile parfumée d’une tunique propre s’arrêtant au mollet avant de le draper d’une somptueuse toge, opération longue et délicate qui permet de donner aux vêtements une allure digne et élégante. Il compléta ensuite l’habit d’élégants calcei, apportant à Marius une allure racée. Ce fut alors sous l'escorte d'un de ces licteur, assigné à la prise de ses fonctions, qu'il se présenta aux portes du domaine de Servius Tuccius Firmius non sans se faire annoncer, comme le veut le protocole, par la domesticité de l'illustre patron de ce domus. Si Marius n'avait pas d'appréhension particulière, il savait toutefois avoir à faire à un personnage influent et devait donc s'interdire de toute erreur dans son verbiage.

Le questeur avait répondu, pas aussi rapidement que Servius l’espérait, mais dans un délai convenable. Ainsi son successeur à la questure avait fixé le rendez vous lors du prandium. Choix plutôt logique pour des hommes occupés qui ne voulaient pas voir leur journée de travail désorganisé. Même si à cette heure le repas serait léger, Servius avait prévu d’accueillir comme il se doit le questeur. Mais n'ayant pas le temps de s'en occuper lui même c'est sa femme, c'est Appia qui se chargea d'organiser quelque peu la venu de Marius. La ruvienne choisi de rester dans la sobriété mais de montrer par quelques petites touches de luxe que l'invité était plus que le bienvenu. Ainsi un des meilleurs vin importés fût sortie de l'amphore et des verreries produites par l'un des clients de la famille furent misent en avant. Ces dernières, de différentes couleurs, étaient finement gravées. Furent préparé pour le repas: un bon pain blanc encore chaud, des pommes et des cerises en guise de fruit, une bouillie de pois avec de l'artichaut et un peu de fromage. Pour le petit plaisir sucré Appia avait fait préparer quelques pâtisseries au miel.


Servius quitta plus tôt ses fonctions afin de se rafraîchir rapidement aux thermes, quitter son pallium et mettre sa toge prétexte. Il arriva en sa domus en avance et vit avec plaisir que sa femme avait tout préparé à la perfection. La domus était resplendissante et on pouvait voir à travers le triclinium une partie du vaste jardin qui se trouvait derrière la demeure. Invisible de la rue c'était pourtant un petit paradis vert dans une ville qui pouvait être malodorante surtout en été. Quelques statues et une fontaine venait agrémenter ce jardin. Servius n'avait pas voulu faire trop de folie dans cette demeure, l'eau étant précieuse et surtout payante. Mais dans sa villa se trouvant se trouvant plus en amont de la Néra , Servius y avait développé un jardin plus aux goûts de sa femme.


Servius et Appia discutèrent un peu et partagèrent quelques informations sur le questeur. Même si l'origine de la richesse de la famille Tullius était peu honorable, leur moralité semblait convenable ainsi que leurs opinions politiques. Servius avait aussi entendu dire que le Marius était un vétéran des légions et il se jura d'évoquer avec lui ce sujet pendant le repas. Mais le jeune couple ne put trop échangé puisqu'un esclave vint annoncer la venu de Marius. Quelques ordres furent donnés aux esclaves pour les derniers préparatifs et qu'ils se tiennent prêt à accueillir leur convive Servius et son épouse attendirent donc dans l'atrium la venu du questeur. Lorsque la porte s'ouvrit, laissant passer le brouhaha de la rue, l’édile se dirigea vers son invité :

Salut à toi Marius Tullius Barbattus,

Je suis heureux de t'accueillir en ma demeure, je crois que tu connais ma femme, Appia, qui était aussi présente au banquet organisé pour la venue de notre procurator. Par ailleurs nous serons plus tranquille en cette demeure pour discuter.

Comme la majeur partie des sénateurs les plus fortunés, Marius comme son homologue Servius, possédait une demeure en ville, leur domus, ainsi qu'une résidence de campagne, leur villa. En de grandes occasions, ces influents ruviens préféraient recevoir dans leur plus vaste propriété, mais pour des affaires courantes, comme en ce 4ème jour de Primo Séminar, l'usage préconisait une réception dans un cadre plus humble comme l'était les domus et il était plus judicieux de s'inviter lors du prandium, ainsi, une certaine forme de convivialité serait instaurée, propice aux échanges.

Marius Tullius Barbatus n'eut guère longtemps à patienter avant qu'un esclave ne vienne répondre à la porte de la riche demeure de l'édile. Une fois la janua franchie, on le laissa un instant seul à patienter dans l'ostrium, sans doute afin de prévenir les maîtres de lieux. C'était l'occasion pour le questeur de commencer à observer l'environnement de son hôte et sans doute, les goûts et qualités de l'épouse du sénateur Tuccius en matière de décoration et de bon entretien de la maisonnée. Mains religieusement jointes dans son dos, le patricien laissait donc traîner silencieusement son regard du sol au plafond avant de voir réapparaître l'esclave l'invitant alors à le suivre jusqu'à l'atrium, prenant alors soin de refermer la porte d'où s'élever le brouahah de la vie citoyenne et quotidienne au sein d'une cité aussi prospère que pouvait l'être Edelmia.

La quiétude des lieux retrouvée, Marius vit s'avancer à son endroit son semblable, qui pour la petite histoire était né la même année que lui. Ne manquant nullement de bienséance, ce dernier s'exprima, souhaitant la bienvenu au ruvien non sans présenter brièvement son épouse. Marius avisa le couple dans le respect des protocoles patriciens avant de s'éclaircir la gorge et de regagner une posture humble, respectueuse et solennel.

- Salut à toi, Servius Tuccius Firmius et à ta femme Appia que je reconnais bien volontiers. Tu étais d'une admirable prestance durant ce banquet. Servius doit certainement faire nombre d'envieux à ton égare Dit-il en croisant le regard de la ruvienne, un peu de flatterie ne faisait pas de mal, sachant qu'une femme appréciait toujours cela, qu'on soit ou non sincère, avant de reporter son attention vers l'édile. Je suis heureux que tu m'accueille en ton domus pour le prandium. J'y vois une grande marque de respect. Je gage que nous jouirons de tout la quiétude nécessaire pour aborder l'objet de ma visite qui m'est encore inconnue. Par ailleurs, je me permet de te féliciter de vive voix pour ta nomination à la magistrature de l'édilité. Point de flatterie pour le pater familia, cela aurait été lui faire offense et Marius n'était nullement venu en ce lieu pour faire le lèche botte de quelque nature que ce soit.

Menton légèrement relevé, sans la moindre marque condescendante, seulement de respect et dignité, mains jointes dans son dos, le questeur d'Edelmia attendit alors que son hôte et sa femme s'évertue à poursuivre le protocole de réception d'un patricien de bonne famille, qui se présentait sans femme à ses bras, encore célibataire à ses trente printemps.

Les politesses exprimées par Marius n'avaient pas l'air d'être des formules creuses, le questeur semblait heureux d'être invité en cette domus. Peut être voyait il là une réussite de plus pour son début de cursus honorum ? Une preuve de son intégration dans les réseaux d'influence de la cité ? Il manquait tout de même un mariage à Marius pour qu'il puisse créer une alliance solide avec une autre famille, ou camp politique. Sans oublier qu'un mariage était aussi un devoir civique, si l'homme voulait voir sa carrière avancer il devrait penser à trouver une épouse, richement dotée de préférence. Sauf si Marius disposait d'amis influents qui pouvaient le soutenir.... Mais le questeur ne se doutait pas qu'Appia était peu sensible à la flatterie. Cette dernière venait d'une très riche famille de la cité de Valta et avait été éduquée en conséquence. Son éducation et son intelligence la protégeait des compliments faciles. De fait elle sourit poliment à son invité et attendit que son époux reprenne la parole.

Ce respect est bien mérité Marius, un homme qui s'engage dans les légions puis dans la vie politique mérite amplement mon attention. Et avec l'arrivée d'un nouveau procurator, nous magistrats de cette cité devrions rester soudés. Cet homme ne peut pas diriger cette province sans nous, et sans nos précieux conseils.

Mais je ne t'ai pas fait venir pour cela. Nous serons mieux installés dans le triclinium pour aborder ce genre de sujet.


Servius guida son invité en direction d'une piece décorrée de nombreuses mosaïques et fresques representant des scénes de repas, des mets delicieux ainsi que quelques scènes de chasse. Au milieu de cette pièce étaient installés trois lits entourant une table. Servius et Appia prirent le lit de gauche tendit que le lit central, celui reservé aux invités d'honneur, n'attendait que Marius. Les quelques mets composant le repas du midi étaient deja installés sur la table et 3 esclaves se tenaient prêt à répondre aux besoins de chacun des patriciens. Une fois tous le monde installé l'Edile demanda aux esclaves de servir de l'eau dans les verres.

Marius, si je t'ai fais venir ici c'est pour te parler du contenu de nos verres. Nous avons de la chance il n'existe aucune ville d'importance en amont d'Edelmia. Mais la ville s'aggrandit, nous avons réussit à tenir les taneurs et bouchers en aval de la cité mais je crains que cela ne soit pas suffisant. Avec les égouts qui se déversent directement dans la Nera, les potentielles pollutions qui peuvent survenir en amont, je ne suis pas sur que nous puissions garder une eau d'une grande qualité... Et maintenant c'est au questeur que je m'adresse, que pensez vous d'une solution toute ruvienne, que pensez vous d'un aqueduc?

En réponse à sa flatterie, l'épouse de l'édile n'esquissa qu'un sourire poli, gage d'un certain rang ou tout du moins d'une éducation bien plus poussée que le commun des patriciens. Marius l'avisa un dernier instant du regard non sans prendre la réaction d'Appia avec intérêt. En un sens, chaque mot, chaque attitude serait révélateur et riche d'enseignement en cette journée placée sous le signe de la découverte et des affaires. Car oui, Marius avait été invité bel et bien pour parler affaire mais Servius, en magistrat de premier ordre, savait également devoir s'attirer la sympathie d'un semblable avec qui il espérait certainement collaborer dans l'exercice de ses fonctions.

Naturellement, évoquer ce passé commun de légionnaire ne pouvait que rendre l'atmosphère bien plus complice. Tullius inclina de fait légèrement la tête sur le coté de manière entendue. Nul doute donc que l'édile venait de marquer quelques précieux points.

- Tu me fais honneur Servius et je sais tes paroles sincères, toi qui as également servi dans la légion. Nous avons ce passé commun que nos semblables n'ont pas forcément.

La seconde partie du monologue du pater familla avait eu pour mérite de faire légèrement froncer les traits du visage du questeur qui ne pouvait qu'approuver une telle situation vis à vis de ce ruvien étranger à la province d'Oncmelie Minor et s'accaparant une très haute fonction.

- J'approuve ton point de vue.

Mais on ne lui laissa nullement de temps de deviser sur ce sujet politique que son homologue en charge de l'administration de la cité d'Edelmia le convia à reprendre le pas et changer de sujet par la même occasion. Chaque chose en son temps finalement et Servius était bien le chef d'orchestre de ce prandium, il fallait donc lui laisser son rôle de chef d'orchestre du debut à la fin et pour Marius, rester à sa place d'invité.

Guidé par son hôte jusqu'au triclium, Marius Tullius Barbatus ne bouda son plaisir de laisser balader son regard en direction des mosaïques et fresques avant que ce dernier ne prenne place, à la suite de ses hôtes, sur le lit central, conventionnellement réservé à l'invité. S'y installant après avoir laisser virevolter un instant ses tissus pour ne point se retrouver gêner au moment de poser son séant sur l'assise, le questeur avisa du regard les mets proposés sur la table basse avant de s'emparer de sa coupe d'eau et écouter religieusement le politicien de sa génération qui lui faisait face.

De but en blanc, Servius exposa finalement l'objet de la sollicitation qui avait vu Marius fouler son domus en ce jour. Il s'agissait donc d'une affaire d'infrastructure, d'un projet d'assainissement des eaux de la cité par le biais d'une œuvre tel qu'un aqueduc. L'édile exposait les faits, tenants et aboutissants, laissant évidemment Marius tirer les conclusions des risques d'une absence de considération d'un tel problème sur la qualité de l'eau. Le sujet était sérieux et d'importance, seulement...

- Je pense qu'il s'agit d'un projet somme toute judicieuse si je te réponds en tant que citoyen, mais fort coûteuse si je dois te répondre sous l'égide de mon mandat... une dépense colossale à n'en point douter pour une œuvre titanesque qui certes aura ses effets par la suite. Ce qui me préoccupe donc en qualité de questeur est évidement l'équilibre des dépenses et tu le sais mieux que personne.

Il humidifia sa gorge, se prêtant à la dégustation de quelques mets avant de reporter son attention vers l'édile.

- Si tu ne vois pas d'autres options à envisager, il faudra je le crains faire quelques gros sacrifices sur d'autres postes de dépenses afin de pérenniser nos comptes... mais lesquelles ? A moins que tu ne te présentes devant la Curie pour voter un nouveau budget et de surcroît, les convaincre de ton entreprisepour le bien d'Edelmia et de sa région.

Marius ne mettait pas au pied du mur l'édile mais il le confrontait à un dilemme. Son projet était ce qu'il était, seulement tout magistrat tenait à son mandat et accepter de creuser le déficit dans les comptes de la cité signerait la fin politique du questeur qui n'en était pas à son premier mandat d'ailleurs.

Servius n'étais pas du genre à tourner autour du pôt, c'est pourquoi il annonça de but en blanc les raisons pour lequelles il avait souhaité s'entretenir avec le questeur. Ce dernier fût tout aussi direct, ce qui plut particulierement à l'Edile. Fort heureusement Servius avait déjà envisagé quelques reponses aux éventuelles questions financieres. Aprés tout l'argent, nerf de la guerre, ne l'est il pas à fortiori pour tous les projets? C'est donc préparé que Servius fît sa reponse. Dans un premier temps l'Edile completa son argumentaire sur la necessité d'un aqueduc.

Il est vrai qu'il s'agit là d'une dépense plus qu'importante mais nécessaire. Et pas seulement pour assurer un apport en eau pure à notre ville La construction de cette aqueduc sera une vrai démonstration de la puissance de l'empire, les populations insoumises, nos voisins de l'Est ne pourrons qu'être admiratifs face à ce monument. Mais pensons aussi aux citoyens ruviens qui pourrons admirer avec fierté ce monument, non seulement imposant mais utile. Une preuve de l'ingenierie ruvienne à la frontière de l'empire, un véritable symbole n'est ce pas?


Servius laissa quelques instants au questeur avant de passer à un argumentaire moin sentimental et plus pragmatique, et qui répondrai plus directement aux questions de celui-ci.

Ce projet prendra sûrement quelques années, donc autant de temps pour amortir les coûts. Nous pouvons y réflechir et il faut savoir que les taxes sur le racordement à l'eau pourront en financer une partie. Nous pouvons aussi relier cet aqueduc à une serie de moulins à aube, ce qui pourrait nous permettre de moudre une grande quantité de grain à moindre coût. Mais vous vous en doutez cela ne sera pas suffisant.


L'edile fît encore une courte pause, mais cette fois ci en souriant, avant de lancer son dernier argument.

Vous vous demandez peut être pourquoi je vous ai parlé du sentiment de fierté d'appartenir à la culture ruvienne. Et bien comme pour beaucoup de projets je pense que nous pouvons compter sur les grands de cette cité. En effet en plus de vouloir paraitre comme des bienfaiteurs les plus riches pourront aussi se présenter comme des défenseurs de notre culture. Qui plus est l'arrivée d'un nouveau procurator pourrai nous être utile pour ce projet. Non seulement de nombreux patriciens voudront peut être se distinguer en promettant d'importantes sommes, mais le le procurator pourrait lui même se prêter au jeu. En effet ce serait un bon moyen de s'attirer les faveurs de ses nouveaux administrés et de montrer à Ruvia son énergie à développer la province.

Mais je parle et ne vous laisse même pas répondre!

Et ce fût maintenant à sa femme d'ajouter d'un air taquin:

Et tu empêches notre invité de déguster son vin.

Entre ces deux illustres hommes semblait s'instaurer un franc-parlé de circonstance. Était-ce dû à leur commune génération ? Ni trop jeune, ni trop vieux et assez pour avoir vécu déjà bien des péripéties dans leur vie et s'être forger une certaine expérience ? Qui sait s'ils se montreraient précurseurs d'un nouveau courant d'idées et d'actes politique, représentant une sorte de "transition" entre une société ancienne et révolue et une société nouvelle et opportuniste. Rien ne pouvait l'affirmer, mais une chose était certaine suite au plaidoyer de l'édile, cette homme voulait tirer profite d'une avancée technologique et logistique pour en concrétiser une oeuvre architecturale et ô combien symbolique.

A bien y réfléchir, l'argumentaire du patricien se tenait et ce dernier semblait déjà avoir prévu la réaction du questeur, gage qu'il avait fort bien préparé cette entrevue ce qui lui donnait vraisemblablement toute crédibilité pour son projet comme pour la haute fonction qu'il occupait depuis peu. Usant à la fois d'une sensibilité émotionnel et pragmatique, rien ne semblait faire défaut dans l'argumentaire de Servius Tuccius Firmius. Choisissant avec intelligence de laisser son interlocuteur peser chacun de ses mots, s'offrant de courtes pauses entre chaque argument, l'hôte de Marius força ce dernier à délaisser sa coupe de ses mains pour laisser ses doigts s'occuper à lisser sa barbe, geste qui indiquait clairement que le questeur se montrait pensif et réceptif.

S'il avisa d'un léger sourire la courte intervention d'Appia, son attention se reporta bien vite sur l'individu dont la voix avait raisonné de longue minutes durant au coeur de l'atrium. Reprenant sa coupe de vin, il déversa une petite partie du liquide carmen dans sa bouche, laissant alors de longues secondes l'alcool de vigne dégager ses saveurs, ses notes tanins et boisées, chatouillant les papilles du questeur en fin connaisseur. Cela permettait également à Marius de réfléchir et peser les mots qui allaient prochainement sortir de sa bouche. Déglutissant finalement, il laissa un instant son regard se perdre dans sa coupe pour contempler la robe qu'offrait ce vin avant de relever le menton vers son homologue magistrat.

- Vous n'êtes décidément pas sans ressources, Servius. Je dois dire qu'il est difficile à chaud de vous donner tord sur cette entreprise. Si vous menez à bien un tel projet, je gage que votre avenir politique ne s'arrêtera pas à l'édile. Ce qui veut dire... que vous vous ferez certainement des ennemis qui craindrons pour leur place confortable. Certes, il s'agit là d'une oeuvre qui prendra plusieurs années à voir le jour, mais si vos objectif se concrétisent, je gage que vous recevrez bien des louanges. M'associer à une telle oeuvre me sera certainement bénéfique, en tout cas si je vous accorde les crédits du trésor à la bonne réalisation de ce projet hors norme.

Il prit un instant pour laisser Servius prendre actes des éléments autant concrets que subliminaux avant de reprendre.

- Vous l'imaginez certainement, je ne peux accepter à ce jour puisque aucun gage de certitude n'est encore affiché devant mes yeux. Par contre je vous encourage à réunir toutes les conditions qui permettrons la mise en oeuvre de ce projet dont je l'admet, en être sensible et favorable. Il va me falloir être convaincu dans les chiffres, de fait, nous pouvons nous associer pour trouver les moyens de financement nécessaire. Une taxe sur le raccordement devra être voté par la Curie, trouvons ensemble un taux raisonnable et ensuite convaincre l'assemblée. Œuvrez également pour trouver des mécènes, ce qui nous permettra de chiffrer d'éventuelles donation. Bref, plébiscité devant le plus grand nombre les multiples avantages de ce projet d'aqueduc et après que tous les éléments soient réunis, nous pourrons dès lors ratifier ce projet de dépense.

Il lui adressa un léger sourire entendu à la commissure de ses lèvres. Servius aura fort à faire ces prochaines semaines à n'en point douter.

- Nous ne sommes pas si différent vous et moi et si ce monument peut servir nos causes communes, j'y vois une occasion à saisir pour renforcer notre entente. Evidemment, je me tiendrais à votre disposition si le besoin de me consulter se fait sentir, comme vous l'avez dit. Deux têtes valent mieux qu'une après tout...

Marius était donc favorable à ce projet, à la condition évidement de ne pas ruiner la cité d'Edelmia et que toutes les assurances financières soient prises en amont, laissant par ailleurs suggérer qu'une entente intéressée pourrait naître entre eux deux.

Les sommes qui devront être engagées pour financer un aqueduc nécessiteront un vote à la curie, le soutien du questeur pour cette affaire pourrait alors s’avérer décisif. Cela même si le financement était en grande partie pris en charge par les patriciens de l'Edelmia. Et fort heureusement le soutien de Marius semblait acquis. Les quelques conditions que posait le questeur étaient des plus raisonnables, et démontraient sinon l'intelligence, du moins l'intégrité de celui ci.

Les derniers mots du questeur firent sourire Servius. Il est vrai que les deux hommes se ressemblaient, non seulement par l'âge mais aussi par leurs valeurs et objectifs. Cependant l'édile ne pouvait s’empêcher de se sentir plus légitime de par ses origines.

Je suis heureux de voir que nous sommes tombés d'accord. Concernant les taxes je pense qu'une redevance annuelle serait plus facile à mettre en place, même si il sera difficile de lutter contre les raccordement sauvages, comme c'est déjà le cas actuellement. Enfin oublions ces petites tracasseries et pensons plutôt à la nouvelle ère qu’inaugurera cet aqueduc.

Si j'ai encore besoin de vous, je n'hésiterai pas à vous faire mander, mais j’espère que nous pourrons nous voir pour des raisons moins officielles. Peut être pour parler du futur de nos carrières respectives, il me semble nécessaire que j'accorde mon soutien au poste de questeur à un homme en accord avec mes projets. Et peut être pourrais-je aussi le soutenir pour d'autres postes par la suite.

Servius acheva cette phrase avec un sourire sibyllin. Puis après un échange de regards avec son épouse l'édile repris la parole :

Mais passons, on m'a dit que vous possédiez un ludus. J'aimerai beaucoup savoir si vos gladiateurs combattrons prochainement. C'est un spectacle auquel j'ai pris goût lors de mon passage à Ruvia.

Il semblait bien que l'affaire soit entendue entre les deux patriciens. Si les conditions de ce projet d'envergure restaient à l'étude tout portait à croire que les deux magistrats étaient en passe de s'accorder en vu d'une alliance commune qui servirait les intérêts de chacun et ceux communs à la cité d'Edelmia. Servius semblait être un homme d'honneur et ce n'était guère une surprise sachant qu'il avait servit dans la Légion tout comme Marius. Servant à son invité quelques autres amabilités, l'édile venait donc de s'offrir un soutien non négligeable et il laissa sous entendre qu'il se porterait en allié à l'endroit du questeur dans ses possibles desseins politique. Si Marius prenait avec des pincettes ce gage de confiance, il n'en restait pas moins honoré et le fit savoir à son interlocuteur par un léger sourire en coin entendu.

La conversation se détourna alors du sujet principal puisqu'un accord venait d'être entérinée. Servius semblait s'être bien renseigner sur son interlocuteur, enfin dans les grandes lignes car il se devait d'apporter une légère correction quand au sujet du ludus.

- Je me dois de t'apporter une courte rectification. Je ne suis point propriétaire du ludus dont tu fais référence, j'en suis mécène. Notre sang de patricien nous interdit de nous en accaparer de telles activités. Mais en qualité de mécène, j'ai en effet mon mot à dire et je suis au fait de tout ce qui s'y passe. Je peux en tout cas t'assurer que les gladiateurs dont je finance le ludus seront bien présent aux prochains jeu qui seront organisés et certains d'entre eux combattrons avec des canis pugnax de mon élevage personnel, je t'invite à bien les observer durant les combats.

Sur ces mots, les deux hommes continuèrent quelques échanges d'amabilités, tout ce qu'il y avait de plus banal. L'important venait d'être dit et le restant du déroulement du prandium n'avait pas a faire l'objet de plus d'intérêt.