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 Jentaculum [Honoria]

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Primo Sicinius Scorpa

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MessageSujet: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeLun 4 Mai - 19:07


L'an trois cent quatre-vingt dix-neuf,
En la deuxième journée de Primo Seminare,
Le matin précédant le banquet des Duumvirs...


« Tu es en retard.
- Pardon, père, je suis désolé.
- Les lève-tard n'ont pas leur place sous mon toit, souviens-t'en. Que t'ai-je déjà dit à ce propos ?
- Que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt...
- Et ?
- Et que les débauchés qui se traînent au lit jusqu'à mi-journée ne sont qu'un ramassis de fainéants qui deviendront au mieux des incapables, au pire des acteurs et des prostituées.
- Bien. Va t'asseoir. »


Le jeune Gaius, huit ans, se glissa dans l'embrasure de la porte du petit salon où l'on servait le jentaculum, le premier repas de la journée. Son père, le préteur Scorpa, le suivit du coin de son bon œil, la commissure des lèvres tordue d'une légère moue de dépit. Honteux, Gaius s'allongea sur le lit à manger resté vacant entre ceux qu'occupaient ses sœurs Galla et Honoria. Son frère aîné Scorpa le Jeune esquissait un sourire railleur, comme à chaque fois que l'ire de son père visait quelqu'un d'autre que lui. Son autre frère, Manius, était plus compatissant. Chacun savait que le préteur pouvait faire preuve d'une grande sévérité, et l'on se félicitait, dans ces moments-là, de n'écoper que d'un bref rappel à l'ordre.

Il est vrai que Scorpa père, lui, dormait peu. Si ses journées étaient rythmées par une activité administrative intense, entre la rédaction de billets de delatio et la préparation des futures audiences, ses soirées et ses nuits, Scorpa les consacrait à l'étude. Attablé à son bureau, à peine éclairé par la morne lumière d'une bougie, le préteur se perdait dans les méandres de vieux grimoires, revisitant à loisir les mythes fondateurs et les théories des Anciens. Ces veillées se poursuivaient parfois jusqu'aux premières lueurs de l'aube, lorsqu'il daignait enfin rejoindre la couche de Flavia son épouse. Celle-ci s'était habituée au fil des années à ses absences, tout comme il y avait longtemps qu'elle s'était faite à l'idée qu'il ne la touchait plus. Une fois au lit, Scorpa n'y demeurait que peu de temps ; contrairement aux couche-tard qui compensaient leur nuit décalée, le pater familias parvenait toujours à être l'un des premiers levés dans la maisonnée. Le sommeil lui était une perte de temps, comparable à celui que l'on passe à exécuter d'autres besoins naturels ; la vie est si courte et il y a tant à faire !

S'il sacrifiait son sommeil, Scorpa se montrait pourtant attaché à la tradition du repas familial qu'il prenait toujours avec les siens. C'était, en somme, l'un des rares moments de détente qu'il s'offrait - une détente à laquelle il était sans doute le seul à goûter. Pour ses enfants, l'exercice s'apparentait davantage à une épreuve de survie qu'à un moment de convivialité et de partage.

« Comme je le disais avant d'être interrompu, cette divergence des Anciens sur les machines hydrauliques est réellement passionnante », déclara Scorpa, son bras gauche accoudé sur un oreiller tandis que sa main droite s'emparait d'une grappe de raisins. « Javos recommande l'utilisation de trois grandes roues à aube verticale, dont l'axe serait maintenu par un support en pierre. Herménégildoricius n'est pas de cet avis, car aucun support en pierre ni aucune construction humaine ne saurait supporter trois roues d'un tel diamètre. Comme il l'a souvent écrit, si l'inventivité des ingénieurs est sans limites, la technologie n'en est pas exempte, hélas ! »

Cela faisait bien vingt bonnes minutes qu'il les bassinait avec le sujet, s'extasiant tout seul de ses dernières lectures, sans paraître remarquer le profond ennui dans lequel étaient plongés son épouse et ses enfants.

« Mais laissons là quelque temps les sujets frivoles. Honoria, j'ai une tâche à te confier. Une tâche d'une grande importance, et j'attends de toi que tu te montres à la hauteur. »

Son œil inquisiteur darda sa fille aînée, tandis que l'autre, comme d'habitude, partait en biais - l'autre œil, pas l'autre fille.

« J'ai requis les services du maître-peintre Occula. Le réalisme de ses portraits est réputé et je l'ai missionné pour réaliser le tien. Tu devras prendre la pose, au moins le temps qu'il puisse saisir tes traits. »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeMar 5 Mai - 13:45


Un autre regard compatissant suivit l’installation du petit Gaius sur son lit à manger. Celui de sa sœur aînée, Honoria.  Elle croisa un bref instant ses yeux tristes, esquissa un petit sourire et un clin d’œil pour le distraire de son chagrin et reprit son écoute attentive, presque religieuse, du discours assommant de son père. Un rapide coup d’œil circulaire à l’assemblée occupée à manger, mastiquant en silence tout en regardant dans le vide, confirme une fois de plus ce qu’elle constate tous les jours depuis si longtemps : personne ne l’écoute et tout le monde s’en fiche. Leur père aime s’écouter parler et pour avoir la paix, il vaut mieux le laisser discourir tout seul dans son coin, en songeant à ses propres affaires. Le tout, c’est d’avoir l’air un minimum intéressé par ce qu’il dit, se contenter de hocher la tête, de ci de là, tout en restant silencieux. Et mine de rien, c’est un exercice auquel elle semble être la seule à se plier.

Flavia, sa mère, a fait mine de s’y intéresser à peu près une minute avant de plonger son regard dans son verre d’eau, comme si elle s’apprêtait à faire de la divination. Son frère cadet n’a pas passé le cap de la demi-seconde. Il se goinfre littéralement de fruits, remplissant ses joues à la manière des rongeurs, comme si on allait lui voler tout ce qui se trouve dans son assiette. Quant aux plus jeunes…Honoria a fort à faire. Comme tous les jeunes gens face à un discours ennuyeux, ils cherchent la distraction par tous les moyens et la jeune femme n’a de cesse de lancer des avertissements silencieux à ses cadets, afin qu’ils se tiennent tranquilles. Garder une ligne svelte et élégante n’est pas difficile, quand on vit sous ce toit. Il suffit d’être à peu près la seule à veiller sur l’équilibre fragile de cette famille. Ménager la chèvre et le chou relève presque du miracle. Eviter que la chèvre ne se transforme en manticore et éviter que les choux ne se fassent dévorer. En l’occurrence, donc, éviter que son père ne se fâche et éviter que les petits ne soient grondés à cause de leur nature jeune et vive. Le moyen de manger à son aise, dans ces conditions…

Ce repas est semblable à tous les autres. Terriblement ennuyeux et triste. Pourtant, elle écoute son père, même si pour elle, tout cela n’a absolument aucun intérêt. Elle n’a de toute façon pas le droit de donner son avis et si elle le faisait, il se contenterait de balayer l’air d’un revers de la main, aussi pertinent que soit cet avis, d’ailleurs. Le Prêteur n’accordait aucune importance à l’être qui lui accordait tant. En vain. Son frère cadet, lui, n’avait aucun avis sur le sujet. Il se contentait de gigoter sur son lit, tout en mâchant méthodiquement et en faisant un bruit abominable. Quelle famille. Elle se réjouissait que tout ceci soit fini afin de se réfugier ailleurs, loin de tout cela, pour reprendre son activité favorite, la pratique de la lyre, dans laquelle elle excelle.

Pourtant, il y a un petit événement, ce matin. Le Prêteur s’adresse directement à sa fille aînée. Comme elle l’écoutait, elle ne fut pas surprise du changement de sujet, comme le furent tous les autres membres de la famille qui se regardèrent d’un air assez étonné, voire inquiet. Honoria redressa la tête et la pencha sur le côté, cachant une fois de plus sa contrariété d’être considérée comme un réservoir à déceptions. Elle a toujours été à la hauteur, il est le seul à ne s’en être jamais aperçu.

- Oui Père ?

Elle soutient son regard sans ciller, mais la suite lui fit hausser un sourcil d’incompréhension. Un bref regard à sa mère, qui ne la regardait pas, pour une fois, puis elle demanda, d’une voix douce :

- Un portrait ? Dans quel but ?

La déception s’affiche sur son visage. Elle s’attendait à bien plus que cela. Rester assise et prendre la pose ne requiert pas d’aptitudes particulières, hormis être patiente. Elle sera donc à la hauteur, à n’en pas douter.

- Notre demeure manque donc de décoration ?

Sa mère redresse la tête brusquement avant de regarder son époux. Honoria a un petit sourire tranquille, pour cacher cette nouvelle déception. Un peu d’humour n’a jamais tué personne. Si ?
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeMer 6 Mai - 8:47


Scorpa ne releva pas l'ironie dans l'interrogation de sa fille. Il n'avait jamais été très doué pour déceler ce qu'elle avait en tête. Là où Honoria dissimulait son amertume sous un sourire de façade, le préteur ne voyait qu'un autre signe de candeur, sans rien deviner de la nature véritable de son trouble. Il s'émut de cette innocence qu'il trouvait touchante, car c'était là une vertu qu'il trouvait fort louable chez les jeunes filles.

« Je suis un homme important aujourd'hui, ma fille. » Cette phrase ressortait souvent dans sa bouche depuis qu'il était devenu préteur. Il adorait s'entendre la dire. « Je suis un homme important, et tu es ma fille aînée, Honoria, et tu n'es pas encore mariée, bien que tu aies largement l'âge requis. Voilà pourquoi Occula fera ton portrait. Ce n'est pas à cette demeure qu'il est destiné, mais à celle de ton futur époux. »

Le regard de Scorpa ne lâchait pas sa fille alors que celle-ci prenait conscience de ce qu'impliquaient ces paroles. Tout autour, la fratrie réagissait en silence. Les frères et sœur d'Honoria la toisaient avec une curiosité nouvelle, comme s'ils découvraient subitement leur aînée sous un nouveau jour. Le regard de leur mère la couvait d'un voile de tristesse. Quoi de plus normal ? Elle savait mieux que quiconque ce que ces choses impliquaient, et elle devait se préparer à voir son enfant quitter prochainement le foyer, son premier enfant... c'était pourtant une chose qu'elle savait devoir se produire un jour, mais que n'aurait-elle pas donné pour un peu plus de temps, juste un peu, une année, quelques mois...

Les yeux désaccordés du père ne laissaient rien transparaître d'une semblable tristesse. C'était, après tout, l'évolution logique des choses, la suite de la bonne marche du monde. Honoria épouserait un homme influent à la Curie, à qui elle donnerait de nombreux enfants, perpétuant une alliance profitable aux Sicinii. Ce n'était pas seulement dans l'intérêt de sa carrière à lui ; il construisait aussi l'avenir de ses fils, qui exerceraient un jour de grandes responsabilités. Chacun devait jouer le rôle qui lui était dévolu.
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeMer 6 Mai - 14:08


- Mon futur ép…

Les mots s’étranglèrent dans sa gorge, elle ne parvenait même pas à les prononcer. Les grands yeux ronds d’Honoria se fichent, horrifiés, dans ceux de son père, avant de venir se perdre dans ceux de sa mère.

- Est-ce donc chose décidée ? Qui ?

Si elle avait eu quelque appétit, il n’en allait plus de même désormais. Elle est incapable de manger quoi que ce soit. Les fruits retombent dans l’assiette, qu’elle repousse du plat de la main avant de regarder ses frères et sœur. Surtout sa sœur. Elle qui se pensait, très naïvement, être épargnée des désirs matrimoniaux initiés par un père absent, la voilà projetée en avant sur un terrain dont elle refusait jusque là d’entendre parler. Se marier…Avoir des enfants…Faire son devoir…Puis rester là, à dépérir sur pieds, en espérant un peu d’amour et de joie qui ne viennent jamais, en dépit d’efforts quotidiens…Il n’en est pas question. Une boule affreuse se forma dans la gorge de la jeune femme.

C’est sans compter sur son penchant naturel qui la pousse vers les femmes. Ses premiers émois, elle les a vécus aux thermes, et ici, sous ce toit, dans la plus totale et la plus parfaite discrétion. L’exemple même donné par une mère malheureuse et une vie de famille propre à dégoûter quiconque de cet état, n’ont fait que l’encourager dans cette voie, y trouvant un réconfort, une tendresse et une douceur que personne d’autre n’a pu lui apporter. Qu’en sera-t-il une fois mariée ? Imaginer ce…cette…enfin ça dans son corps, uniquement pour donner des enfants à un homme qui n’en aura rien à faire d’elle…Quelle horreur. Mais quelle horreur.

Son frère cadet la regarde avant d’éclater de rire. Un rire gras qui la tire de ses douloureuses réflexions au milieu d’un silence lourd.

- Faudra demander au peintre d’augmenter le volume ici et là parce que c’est pas très engageant, au naturel, Père.

La réaction ne se fait guère attendre. La pomme qui trônait jusqu’à il y a peu sur l’assiette d’Honoria vient s’écraser sur le front du jeune homme qui, humilié, simule une douleur atroce en hurlant comme un goret qu’on égorge tout en dissimulant son œil gauche à l’aide de ses deux mains.

- Pèèèèèèère !!!!!

Honoria inspire profondément, avant de gronder :

- Tu l’as pas volée celle-là !

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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeVen 8 Mai - 14:46


C'était peu dire que Scorpa avait une sainte horreur du désordre. Le commentaire grivois émis par son fils l'avait déjà fait grincer des dents ; la pomme jetée par Honoria à la figure de son cadet faillit lui donner une attaque.

« Honoria, non ! Arrêtez, arrêtez, tous les deux ! » s'écria leur mère, tout en se précipitant vers son fils qui continuait à geindre. « Primonet, mon chéri, montre-moi, tu n'as rien ?
- Elle m'a défiguré, mère ! »
se plaignait Scorpa le Jeune, qui gardait solidement ses deux mains plaquées sur son œil gauche. « Elle m'a éborgné, cette grosse conne !
- Mais enlève tes mains, que je puisse voir »
, insistait la mère, cherchant à lutter contre la poigne de son fils. « Je t'ai dit de les enlever !
- Je ne peux pas, mère, ça saigne ! Je ne veux pas que tu voies ça...
- Je n'ai pas l'impression que...
- SILENCE ! »
rugit Scorpa père, et mère et fils se figèrent sur place - Scorpa le Jeune cessa machinalement de couvrir son œil gauche, qui n'avait strictement rien. Et le pater familias de pointer sur ses ouailles un index accusateur : « qu'est-ce que c'est que ces manières ? Où donc vous croyez-vous, chez les Plincèdes ? »

Scorpa le Jeune ouvrit la bouche pour protester, mais le regard de son père l'en dissuada. Aussi se contenta-t-il, tandis que sa mère compatissante lui caressait les cheveux, de jeter à sa sœur une œillade assassine.

« Vous allez monter tout de suite dans vos chambres respectives », reprit Scorpa père. « Et dans le calme. Honoria, je te ferai appeler quand le maître sera là ; ne t'avise pas de sortir avant. Sache que ton attitude me déçoit énormément. »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeVen 8 Mai - 20:02


Les bras croisés sur sa poitrine, la jeune femme fixe son cadet sans la moindre bonté, le regard dur et le visage parfaitement inflexible. Voir sa mère se précipiter vers lui afin de vérifier que son visage – très commun au demeurant – n’ait pas été blessé tout en lui donnant un petit surnom ridicule lui fait esquisser un fin sourire de moquerie parfaitement assumé. Elle lève, en sus, ostensiblement les yeux au plafond tout en secouant sa tête.

- Tu devrais vérifier que son œil n’a pas roulé sous le lit, Mère, on ne sait jamais. C’est fragile, à cet âge-là.

Manius partit dans un éclat de rire franc, de voir son frère totalement ridiculisé par sa sœur. Quant aux deux autres, ils semblent attendre la tempête, jetant des regards inquiets à leur père qui ne tarde pas à se faire entendre. Comme de coutume, la voix impérieuse fige à peu près tout le monde, sauf Honoria qui n’a pas bougé d’un seul millimètre, elle ne regarde même pas son père, elle fixe son cadet, encore quelques secondes, soutenant son regard assassin avec un air de défi, avant de regarder son père, blême d’une rage qu’elle a de plus en plus de mal à contenir.

Et comme de coutume, encore, la balance a totalement penché en faveur de cet insolent héritier, qui bénéficie de tout parce qu’il a eu le bonheur imbécile de naître avec un service trois pièces. C’est profondément injuste et Honoria, malgré tout son calme, malgré toute son éducation, malgré l’œil menaçant de son père, n’en peut tout simplement plus. On lui annonce qu’elle va devoir épouser un homme dont elle ignore tout, on l’insulte et en plus on l’accable de reproches ? Alors qu’elle est elle-même proche de l’implosion ? La déception énoncée par son père est la petite cerise pourrie surmontant un gros gâteau de rancœur. C’en est trop. La répartie fuse, aussi vite qu’elle est pensée, sans aucun filtre, dite avec toute la franchise d’un cœur un peu trop souvent blessé.

- Hé bien, Père, ce ne sera jamais qu’une déception s’ajoutant à toutes celles qui suivent la première : celle ne pas avoir été un garçon.

L’assiette pleine de fruits fait un vol gracieux jusqu’au sol. Un geste d’humeur bruyant qui fit sursauter sa mère.

Toute pâle, Honoria se lève, ne salue personne et sort de la pièce, drapée dans un simple tissu vert, tout en s’écriant, le menton haut :

- Que ces noces arrivent vite. Que je puisse m’en aller d’ici.

Elle est sincère en prononçant ces mots-là. Elle passera sous un autre joug, bien sûr, mais au moins, elle sera chez elle. A peu près. Et pourra faire ce qu’elle veut. A peu près. Gaïus a tout entendu et tout vu, il regarde son assiette et puis regarde son autre sœur avant de commencer à pleurer :

- Je veux pas qu’Honoria elle s’en aille. Quand elle est pas là, Primo il est méchant avec nous…


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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeSam 9 Mai - 15:28


Scorpa fulminait. Serrant les dents à s'en décrocher la mâchoire, le sang lui battant aux tempes, il suivait du regard ses deux rejetons lors qu'ils quittaient la pièce. Il n'entendit pas les chuchotements de ses autres enfants, occupé qu'il était à ruminer l'impertinence d'Honoria et l'idiotie de son héritier.

« Ne sois pas trop dur avec elle », tempéra Flavia avec douceur. « Je suis certaine qu'elle regrette déjà...
- Fais silence, femme »
, trancha sèchement Scorpa. « Et passe-moi les olives. »

Quels forfaits avait-il pu commettre pour que les dieux l'affublent d'une telle portée ? Parfois, il se demandait si ce n'était pas le sang de Corvus, son affreux beau-père, qui avait corrompu les siens. Hélas ! Il devait se rendre à l'évidence, et considérer ses propres manquements. Ma progéniture, mon échec, songea-t-il en mangeant en silence. Car il était coupable. Il leur avait toujours tout donné, parce que son enfance à lui avait été dure et qu'il n'avait pas eu le cœur à leur infliger la même chose. Ses enfants avaient profité d'une existence facile, dans une maison confortable. Accaparé par ses activités, il n'avait que trop peu assumé ses responsabilité de père ; trop longtemps il s'était reposé sur une épouse trop molle et sur des précepteurs trop coulants, sans prendre personnellement les choses en main. Oui, il était responsable de leur laisser aller.
Et il allait s'efforcer d'y remédier.


*  *  *


À l'âge de treize ans, Manius avait acquis la parfaite maîtrise de l'invisibilité. Ce pouvoir lui avait été conféré par les dieux, et il en usait et abusait chaque jour pour se préserver des multiples dangers qui hantaient la Villa Sicinii.

La conscience de ce don exceptionnel lui était venue progressivement, à mesure que, grandissant, les injonctions des précepteurs, les colères de son père et même les regards des domestiques avaient peu à peu cessé de le viser lui, se concentrant exclusivement sur ses frères et soeurs. Enfant, le regard des autres le terrifiait. Il se rappelait celui, dépité, de son père, quand on l'assaillait de questions dont il ne comprenait pas le sens et qu'il attendait, silencieux, que cessent de le dévisager des armées d'inconnus aux sourires moqueurs. Dans ces moments, il baissait la tête et fermait les yeux, priant pour se retrouver seul une fois qu'il les rouvrirait. Les dieux avaient fini par exaucer ses prières.

Désormais, ses allées et venues dans la maison ne semblaient déranger personne. Même les esclaves qu'il croisait au hasard de ses pérégrinations ne faisaient plus attention à lui. Son père ne le regardait et ne lui adressait jamais la parole, pas même lors des repas. Il était libre de faire ce que bon lui semblait, libre d'inventer, dans sa solitude, tout ce que son imagination pouvait façonner : dans l'empire de ses rêves, personne ne pouvait le juger ni lui faire de mal. De temps en temps néanmoins, Manius acceptait de réapparaître dans le monde des vivants. Il ne le faisait que pour l'affection de quelques personnes bien réelles, et de ce nombre était sa grande sœur Honoria.

« Honoria ? », murmura-t-il timidement, de sa petite voix qu'il était si peu habitué à lever, tandis qu'il toquait doucement à la porte de sa chambre. « C'est moi », crut-il devoir ajouter, sans pour autant préciser davantage - pourrait-elle vraiment le confondre avec quelqu'un d'autre ?
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeSam 9 Mai - 20:12


Elle a réintégré sa chambre dans un bruissement de tempête. Marchant de long en large dans la petite pièce, les mains nouées dans le dos, elle regardait obstinément le sol, le front plissé, les yeux voilés d’une colère absolument inédite. Elle est en colère contre tout et contre tout le monde. La voilà une fois de plus dans cette pièce, à ronger son frein en silence, à cause de ce prétentieux cadet qu’elle commence à ne plus supporter. Sûr de sa toute-puissance, cet idiot de Primo n’a pas deux sous de jugeotte, et encore moins de suite dans les idées. C’est lui l’héritier, c’est lui le sujet important, l’objet de toutes les attentions, et il se conduit comme le dernier des imbéciles. Et elle…elle qui a toujours tout fait pour s’attirer les bonnes grâces, un sourire, ou même un regard gentil de son père, n’a droit qu’à des reproches, des remontrances, des humiliations.

Elle pensait sincèrement ce qu’elle a dit tout à l’heure en quittant l’assemblée familiale. Une fois mariée, elle n’aura plus à supporter les humeurs de son père, les moqueries de son frère, la lâcheté de sa mère. Elle sera maîtresse chez elle et entendra bien faire ce qui lui plaît, quand cela lui plaît et avec qui il lui plaît. Mais en attendant ce jour béni…elle doit bien continuer de vivre ici, avec des règles absurdes et des gens qui ne la comprennent plus. Même celle qui aurait pu un tant soit peu lui apporter un soutien n’est plus que l’ombre d’elle-même, une fleur fanée sur pied, sans parfum, morne. Morte. Sa mère a donné tout son amour à Primo, presque rien aux autres. A défaut sans doute d’en recevoir de son époux. Quel triste exemple, que ce couple-là. A vous dégouter à jamais de toute idée de mariage. Il est évident qu’on ne peut aimer quelqu’un qui ne vous épouse que pour votre nom ou votre dot. Elle n’aimera donc probablement jamais l’homme qu’on lui destine.

Domptant ses émotions du mieux qu’elle le peut, elle s’assoit sur son lit, avant de prendre sa lyre et d’en pincer les cordes, sans la moindre conviction. L’enchaînement de notes est mécanique, sans aucune âme, d’une tristesse infinie. Tout ce qu’elle ne peut pas dire, elle le dit comme ça, en jouant. La lyre est l’extension de son cœur, l’objet le plus cher à ses yeux. Elle en prend grand soin et refuse d’ailleurs que qui que ce soit y touche à part elle. Les notes s’arrêtent pourtant, subitement, alors qu’une voix se fait entendre derrière la porte. Honoria soupire et dit :

- Entre, Manius.

Elle dépose l’instrument sur son lit et tapote le drap pour qu’il vienne s’installer à ses côtés, esquissant un sourire triste.

- Je suis désolée pour tout à l’heure. C’est juste que…Primo m’a mise en colère. Et j’en ai assez de ne jamais m’exprimer comme j’en ai envie… Et ce mariage…Je n’en veux pas.

Lorsqu’il sera assis, elle le prendra dans ses bras, comme elle le fait toujours, passant une main tranquille dans ses cheveux. La vie sera terrible pour lui, quand elle ne sera plus là. Personne ne le voit jamais. Personne ne lui prête jamais la moindre attention. Personne ne l’aime. A part elle. Si elle pouvait l’emmener, elle le ferait, sans la moindre hésitation. En soupirant, elle dit enfin :

- Manius, mon chéri, il faut que tu arrêtes de manger les fleurs d’hibiscus qui ornent le jardin. Tout ce qui est joli n’est pas comestible. Tu comprends ? Si jamais Père te voit manger les fleurs, il est bien capable du pire…Je t’en supplie, cesse donc de faire cela.

Elle se recule et le regarde avec un sourire gentil, prenant son visage entre ses mains :

- Pourquoi es-tu venu ? Tu sais qu’il n’aime pas quand on se retrouve dans nos chambres…Et il peut arriver ici à tout instant.
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeLun 11 Mai - 2:01


Le gamin se laissa d'abord enlacer, lui-même gardant les bras raides le long du corps ; il était toujours un peu crispé lorsqu'on lui témoignait de l'affection. Puis la pensée lui vint que, peut être, c'était là l'une des dernières fois qu'ils seraient seuls tous les deux. Alors il se blottit contre sa sœur. J'ai pas envie que tu partes, pensa-t-il très fort, mais les dieux n'exauçaient pas toujours ses prières, et il savait qu'Honoria n'était pas heureuse ici. Manius savait qu'elle avait envie de partir. Pourtant, elle disait qu'elle ne voulait pas du mariage... pourquoi est-ce qu'elle n'en voulait pas, si ça lui permettait de s'en aller ? Manius l'ignorait. Peut-être qu'elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait. Il se rappela ce qu'avait dit un jour son grand frère, à propos des garçons et des filles : d'après lui, les filles se posaient toujours un tas de questions que les garçons n'avaient pas besoin de se poser, parce que les garçons réfléchissaient plus vite et étaient plus intelligents. Pourtant, Manius était persuadé que sa sœur était bien plus intelligente que chacun de ses frères...

« Je le ferais plus, c'est pas bon » , assura Manius en hochant la tête. « C'est Primo Minor qui m'a dit que les fleurs d'hibiscus rendaient plus intelligent, et que si je mangeais toutes celles du jardin, Père finirait par m'aimer. »

Il avait bien compris que c'était là encore un vilain tour que lui avait joué son aîné. Un jour, il arrêterait de tomber dans le panneau à chaque fois. Mais il s'était déjà juré la même chose quand Primo Minor lui avait assuré qu'il devait aller se baigner dans la partie des thermes réservée aux femmes.
Quoiqu'il en soit, ce n'était pas pour parler de ça qu'il était venu.

« Je sais, moi, à qui Père te destine » déclara Manius, les yeux pétillants de malice, ne pouvant réprimer un élan de fierté. « Il ne fait jamais attention quand je suis là et que je peux l'entendre, et j'ai entendu plein de choses. » Se faisant mystérieux, il ajouta  : « je te dis le secret si tu m'en racontes un à toi. »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeLun 11 Mai - 9:51


La mesquinerie de son cadet lui fait, une fois de plus, froncer les sourcils. Lui qui bénéficie de tout et de l’attention de tous, en plus d’une quasi-totale impunité, en profite pour se divertir de la plus odieuse des façons, en s’en prenant à son frère qu’il sait totalement vulnérable et abandonné. Manius est gentil, doux et patient. Il est simple d’esprit, certes, elle ne le nie pas, mais cette simplicité le rend sincère et affectueux. Quand il aime, il aime vraiment et quand il déteste, c’est tout aussi vrai. Honoria l’a toujours protégé et cela ne cessera jamais vraiment, même quand elle aura quitté le domicile familial. Elle gardera toujours un œil sur lui.

- Rien ne pourra te faire aimer de Père, Manius. La seule personne qu’il aime, c’est lui-même. Nous n’avons jamais compté. Il faut que tu t’en rendes compte, c’est essentiel, tout comme il faut que je m’en fasse une raison. Il n’y a aucun amour ici, hormis celui que je te donne. Et que tu me donnes en retour. Même Mère ne se rappelle plus comment on fait pour aimer.

C’est dit d’une voix douce, tout en gardant les mains de son frère dans les siennes. Elle en a pensé chaque mot. Elle sait que rien ne pourra faire en sorte que son père soit fier d’elle. Rien du tout. Enfin, si. Qu’elle se taise. Qu’elle épouse un homme et lui fasse plein d’enfants. Qu’elle devienne comme sa mère. Une statue qui parle. Une coquille vide. Elle en serre les doigts de Manius plus fort, envahie par une tristesse indicible.

- Tu es le seul qui sache tout sur moi dans cette maison, Manius. Tu es le maître des secrets.

Oui, il sait tout. Il sait tout de ses penchants, il sait tout de ses désirs, il sait tout de ses envies coupables, et de toute sa frustration de ne jamais pouvoir réellement les assouvir. Il sait tout et n’a jamais rien dit à personne. Et pour cela, elle a une confiance absolue en son silence. Un peu mortifiée de n’avoir rien à lui confier, elle serra sa main, tête basse.

- Je n’ai pas de secrets à te confier… Enfin…si…mais ce n’est pas mon secret, c’est celui de Primo. Je connais sa cachette secrète, la cachette à biscuits au miel. C’est bien meilleur que les fleurs d’hibiscus.

Elle a un sourire taquin et murmure à son oreille :

- Il la cache dans le jardin, dans un pot en terre cuite, dissimulé derrière les petits parterres de fleurs jaunes. Je l’y ai surpris plus d’une fois. Et il n’est pas fin, du tout, quand il s’agit de se déplacer en silence, comme toi.

Pleine d’espoir, elle regarde son jeune frère et murmure, un peu inquiète :

- Est-ce que ça compte ? Est-ce que tu peux tout me dire, maintenant, Manius ? Je suis terrifiée à l’idée d’épouser quelqu’un que je ne connais pas…

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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeSam 16 Mai - 1:08


« Tu triches, Honoria », dit Manius en esquissant un sourire espiègle. « J'avais dit un secret à toi ; en plus, la cachette, je la connaissais déjà. Je suis le maître des secrets, c'est toi qui l'a dit ! » Tout fier de lui, il se mit à rouler des épaules, un peu comme son grand frère quand il roulait des mécaniques ; sauf que quand Manius le faisait, le résultat était un dandinement un peu grotesque. Croisant le regard d'Honoria, il s'interrompit, constatant qu'elle n'était sans doute pas d'humeur à jouer, et son sourire se figea. « Mais ça compte quand même, hein ! » assura-t-il, parce qu'il avait bien trop bon cœur pour torturer sa sœur. « Je vais te raconter ce que j'ai entendu. »

Manius sauta au bas du lit, et se mit à faire les cent pas dans la chambre. Quoiqu'on le dise effacé et solitaire, c'était un curieux. Il aimait fouiner quand on le laissait faire, comme la fois où il était tombé sur les poèmes que composait Honoria - si c'en était vraiment, car Manius ne lisait pas très bien, mais c'était ce qu'elle avait affirmé alors. Au vrai, s'il avait la bougeotte, c'était peut-être parce qu'il cherchait à se donner une contenance ; la révélation qu'il s'apprêtait à faire ne plairait pas à sa sœur.

« Père va te donner à Quintus Fannius Propertius », déclara-t-il enfin.

Il laissa Honoria prendre la mesure de cette nouvelle, car ce nom ne lui était pas inconnu. Propertius était un vieil ami de leur père. Il avait compté dans les rangs des Optimates à l'époque où Scorpa et Corvus œuvraient main dans la main, et il avait soutenu le récent retour de Père en politique. Un second couteau en somme, mais dont la loyauté n'avait jamais fait défaut, ce qui était suffisamment rare pour être relevé. Comme tout ce qui plaisait à Père, Propertius était un homme du passé, et le passé lui avait laissé bien peu de choses : c'était toujours un patricien aisé, mais sa carrière était largement derrière lui. Et s'il n'y avait que ça... lorsqu'il venait leur rendre visite à la Villa Sicinii, Propertius faisait à son insu l'objet de toutes les moqueries de la part des enfants de Scorpa : le malheureux souffrait de problèmes intestinaux qui déclenchaient chez lui de remarquables flatulences. Un jour, lors que Propertius s'était illustré d'odorante manière lors d'un repas dans le triclinium, Primo Minor l'avait affublé du sobriquet de Fetidus. C'était resté un sujet de plaisanterie pour la fratrie, qui les faisait encore beaucoup rire.
Nul doute qu'Honoria, elle, rirait jaune.

« J'ai entendu Père le dire lui-même », expliqua Manius en se rapprochant de sa sœur, la voix calme, le regard compatissant. « C'était hier, il parlait avec Asellio, le palefrenier, et moi j'étais là, je jouais aux osselets dans l'atrium. J'ai entendu Père qui disait que Propertius lui avait fait un prix, qu'ils avaient trouvé un accord. Asellio était tout étonné. Il lui a demandé s'il était bien sûr de lui, parce qu'il s'agissait quand même de son aînée, et qu'il allait peut-être regretter. Père a haussé les épaules, il a juste répondu que Propertius s'occuperait de la discipliner - de te discipliner - parce que lui, il n'avait jamais rien réussi avec toi. »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeSam 16 Mai - 14:35


Finalement, elle aurait sans doute préféré ne pas savoir. Propertius Fetidus. La nouvelle lui encombre la gorge tout autant que son indignation.  Elle ouvre de grands yeux horrifiés sur son frère avant de se lever et d’aller à la fenêtre, soudain en manque d’air. Parmi tous les hommes disponibles, il a fallu qu’il pose son choix sur le pire de tous. Laid et plus d’une indélicatesse rare, répandant des effluves malodorants en toutes circonstances, cet homme avait en outre le double de son âge. Les deux mains posées sur son visage, la jeune femme accuse le choc.

- Père en a parlé…avec le palefrenier ?

Voilà qui est plutôt surprenant. Ce genre de question ne se discute pas vraiment avec les serviteurs. Ne se discutent pas tout court, d’ailleurs. Une fois que le choix est posé, on ne revient pas dessus. Que son père se laisse aller à badiner de la sorte avec le palefrenier lui traverse l’esprit, tout autant que les mots prononcés par son frère.

- Es-tu certain qu’il parlait de moi, Manius ? Père ne s’abaisserait jamais à discuter de son choix avec nos esclaves.

Elle ne relève pas le dernier point, celui de la discipline, qui lui fait aussi mal que la dénomination complète de son futur époux. Disciplinée, elle l’est. Elle est d’ailleurs, probablement, celle qui respecte le plus cette discipline de fer qu’il impose à tout le monde. Et il chargerait un autre que lui de « finir le travail » ? Honoria sent de grosses larmes couler sur ses joues. Oui, peut-être bien qu’il parlait d’elle finalement. Son père ne l’a jamais vue que comme une marchandise, après tout, et il ne l’a jamais vraiment caché. Essuyant ses larmes du bout des doigts, elle murmure alors, à destination de son frère :

- Père a fait mander un peintre pour dresser un portrait de moi. Fetidus sait, lui, à quoi je ressemble, cela n’a aucun sens, Manius.

Elle revient prendre place sur son lit, le cœur gros, et prend la main de son frère, pour serrer ses doigts très forts.

- Je ne peux pas épouser cet homme-là, je préfère encore m’enfuir et aller me cacher chez les Sevinii.

Impossible de cacher plus longtemps son chagrin. Elle finit par se blottir contre lui, les yeux fermés, avant de pleurer en silence. S’il décide de faire cela, elle s’enfuira, c’est une certitude. Et si elle ne peut pas fuir, elle prendra une potion de sommeil éternel. Jamais elle ne laissera un homme tel que celui-là la toucher. Jamais.

- Je ne peux pas Manius. Il est dégoutant.

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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeSam 16 Mai - 17:04


Manius eut aimé se tromper. Il était sûr de lui, hélas ! Il savait très bien ce qu'il avait entendu, et, n'en déplaise à certains, il n'était pas un imbécile. Un instant, l'idée qu'Honoria mette en doute ses conclusions le blessa ; elle n'allait quand même pas s'y mettre aussi ! Et puis Honoria vint se serrer contre lui, et sa détresse émut Manius. A coups de tapes dans le dos, il tenta de la réconforter maladroitement, ignorant la bonne manière de s'y prendre. Il était rare qu'il ait besoin de le faire : d'ordinaire, c'était elle qui prenait soin des autres.

« Au moins, il n'a pas l'air méchant », hasarda Manius. « Il est vieux et moche, mais tu aurais ta maison à toi. S'il puait moins, il serait peut-être plus supportable, non ? Il y a peut-être une potion magique qui guérit ça. »

Si cela pouvait suffire à réconforter sa sœur, Manius ne demandait qu'à se mettre en quête du fameux remède. Quelle aventure ce serait ! Lui qui ne quittait jamais la maison, la perspective de sortir d'Edelmia l'excitait et l'effrayait tout à la fois. On disait qu'à Telioprate, des sorciers vendaient toutes sortes de choses magiques, et que des créatures de la forêt de Quenicum leur apportaient des ingrédients secrets. Il se voyait sur la route, Manius l'aventurier solitaire et courageux, cherchant au péril de sa vie la potion qui guérirait l'anus de Propertius. Puis il songea que cela ne suffirait pas à en faire un prince charmant : tout au plus allait-il transformer un vieux moisi pétomane en vieux moisi tout court. Non, non, bien sûr que ça ne va pas suffire. Que c'était injuste ! Honoria méritait tellement mieux.
De toute façon, même un prince charmant ne saurait jamais la satisfaire.

Des coups frappés à la volée sur la porte le firent sursauter. Manius savait qu'il attirerait des ennuis à sa sœur si on le découvrait ici. Desserrant leur étreinte, il alla se dissimuler sous le lit afin qu'Honoria puisse répondre.

« Le maître Occula est arrivé, Domina ! » héla par derrière la porte la voix d'un esclave. « Il t'attend au jardin. »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeSam 16 Mai - 19:20


Le mouvement de Manius, tressautant sous la surprise, la fit se redresser avant de lui indiquer d’un geste vif d’aller se cacher sous le lit. Si jamais son père le surprend ici…Ce sera pire encore. Elle essuie ses joues du revers de sa main et se lève, en murmurant à son frère.

- Attends quelques instants puis va-t’en. Et…Merci Manius.

Elle ouvrit la porte et suivit l’esclave pour se rendre au jardin où l’attendait effectivement l’artiste qui fronça les sourcils en la voyant. Le moyen de rendre un portrait flatteur avec des yeux rougis ! Il fit asseoir Honoria près d’un charmant bosquet d’hibiscus sans fleurs et donna des conseils afin que les esclaves apprêtent au mieux leur maîtresse.

Honoria, elle, est là sans être là. Elle n’écoute rien, elle regarde ailleurs, elle ne cherche même pas un soutien, ou un regard ami, puisqu’elle sait qu’il n’y en a pas. Elle garde le visage définitivement fermé et vide de toute expression alors que les esclaves essayent d’arranger sa coiffure, d’agrandir son regard par l’application d’un khôl, de la rendre encore plus séduisante par un jeu subtil de voilage. Elle ne put s’empêcher de dire, entre ses dents serrées :

- Hâtez-vous de rendre la pouliche séduisante, qu’on en finisse.

Elle n’a pas regardé une seule fois qui est présent. Si ça se trouve, toute sa famille est là. Sa mère, son père, toute sa fratrie…Elle inspire, tout en serrant les poings sur sa tunique, à deux doigts d’exploser de colère et de chagrin en même temps. L’idée de s’enfuir lui paraît bien douce. Le souvenir de ce marchand également. Fuir avec cet inconnu sur les routes, échapper à ce destin affreux, toute cette perspective, pourtant peu engageante lui semble bien plus acceptable que ce qu’elle est en train de vivre pour le moment. Fetidus…Mais quelle horreur.
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeDim 17 Mai - 20:54


Maître Occula était un homme singulier. Très grand, il était aussi très mince, et son cou était d'une taille anormalement longue. De fait, lorsqu'il se déplaçait avec sa démarche de canard, sa tête semblait léviter au-dessus de son corps. Ces proportions étranges faisaient sourire à Edelmia : lui qui était si doué pour représenter les autres, c'était un comble de voir à quel point la nature l'avait raté !

L'artiste avait l'œil vif. Son regard était agité, frénétique, comme s'il ne supportait pas de rester fixe ; ses pupilles se déplaçaient constamment de gauche à droite, et il lorgnait tout avec une curiosité extrême, ne voulant pas manquer le plus petit détail. Il s'attarda un instant sur un bosquet d'hibiscus dépourvu de fleurs et trouva cela étrange. Mais lorsqu'Honoria se présenta, son regard ne quitta plus son sujet, la contemplant avec un flegme tout professionnel. Il s'étonna de la trouver si effacée, si morose, mais ne fit pas de commentaire. Du moins jusqu'à ce qu'elle laisse éclater franchement sa mauvaise humeur. Il étira imperceptiblement les lèvres, et son regard interrogateur s'en alla trouver Scorpa ; lequel, naturellement, était furieux.

« Accorde-nous un instant, maître peintre », lança Scorpa à l'artiste et, tandis que celui-ci s'éloignait, le préteur s'avança à grandes enjambées jusqu'à sa fille. D'un simple hochement de tête, il congédia les esclaves qui l'apprêtaient. Seul à seule, père et fille se dévisagèrent quelques instants en silence, avant qu'il ne reprenne la parole dans un calme qui n'avait rien de bien rassurant. « Je suis un homme patient. Quinze années passées à attendre le moment propice pour revenir dans l'arène politique me l'ont enseigné. Mais ma patience a ses limites, Honoria. » Tout en parlant, il reprenait le travail des domestiques, arrangeant les plis de sa tunique, étudiant sa coiffure avec le soin d'un joaillier façonnant un bijou. Ou d'un éleveur soignant une pouliche avant un concours. « Nous avons tous un rôle à jouer pour cette famille. Dois-je te châtier pour te voir jouer le tien ? Allons, ma fille ! Est-ce si difficile de faire simplement ce que je te demande ? »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeLun 18 Mai - 13:45


Il est tout à fat probable qu’en temps ordinaires Honoria aurait rentré la tête dans les épaules, attendant que l’orage passe et qu’il s’en aille. Il n’en va pas de même cette fois. Lorsqu’elle voit son père marcher dans sa direction à grandes enjambées, elle ne détourne pas les yeux une seule seconde, lui décochant un regard d’une froideur telle qu’il en aurait certainement effrayé les esclaves, elle qui est toujours si douce et si gentille. Alors qu’il parle, elle ne regarde plus, elle regarde ailleurs, blasée au-delà de toute expression.

- Je sais père, c’est une musique que j’ai assez entendue pour en connaître toute la partition, les portées et les fausses notes.

Les mains de son père sur elle, appliquées à la rendre jolie et présentable, la font frissonner. Elle a un mouvement de recul, peu habituée à de tels égards de sa part. Elle en aurait probablement apprécié la teneur en d’autres circonstances mais pas là. Là, la jeune femme a atteint sa limite et a supporté en matière de rejet, d’humiliation et d’espoir déçu tout ce qui est humainement supportable. Elle n’a pas l’intention de se taire et se lève, le plus tranquillement du monde, pour faire face à son père. Accrochant son regard vairon à l’œil fixe de son géniteur, elle dit, dans un souffle :

- Je joue ce rôle depuis que je suis née. Et j’ai toujours, tu entends ? toujours ! fait ce que tu me demandais, même quand ça ne me plaisait pas, même quand cela me faisait de la peine, même quand je finissais par en pleurer toute la nuit dans mon lit sans seulement une seule personne pour venir me consoler. Parce que j’aurais fait n’importe quoi pour avoir la moitié du quart du tiers de la plus petite attention que tu accordes à Primo, qui n’est en rien digne de te succéder. Il est vaniteux, sot, imbécile et ne pense à qu’à trousser nos esclaves, il n’a pas la plus petite idée de ce qui l’attend, persuadé qu’il vivra en prince sur sa couche la tête disparue au milieu de paires de seins. Pendant des années, j’ai attendu une parole sincèrement gentille. Que tu viennes me voir jouer. Que tu me racontes. Que tu me parles. Rien de tout cela ne s’est jamais produit. Parce que je suis une femme. Parce que tu refuses de voir au-delà de cette triste réalité.

Elle a pleuré, il pourra le voir sans la moindre difficulté. Regardant soudain ailleurs, elle ajoute :

- Même là, tu n’en as strictement rien à faire de ce que je dis.

Honoria préféra s’asseoir et remit de l’ordre elle-même dans ses vêtements, ses cheveux, en ajoutant enfin :

- Ce que j’ai dit tout à l’heure est parfaitement sincère. Que ces noces arrivent vite, je suis fatiguée de dépenser une énergie considérable à vouloir être parfaite sans que cela ne soit jamais le cas et sans que je ne puisse t‘apporter le moindre petit sujet de fierté. Une fois partie, tu seras débarrassé de ma présence et tout rentrera dans l’ordre. Ainsi…tout le monde sera content. Finissons-en.
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeVen 22 Mai - 10:40


Il aurait dû faire preuve de fermeté, la réduire au silence et punir l'outrage. Mais tout le temps où elle vida son sac, Scorpa demeura coi, lèvres closes, battant des paupières à chaque fois qu'elle lui assénait un nouveau reproche. Son visage restait fermé, comme imperméable à l'émotion ; intérieurement pourtant, il accusait le coup.

Était-ce vraiment ainsi qu'elle le voyait ? Un être froid et sans affect, sans égards ? Sa première pensée fut de trouver qu'un tel jugement était bien sévère, et au demeurant injuste. Allons ! Il était un bon père, il le savait. Trop bon, peut-être, surtout quand il se rappelait comment avait été le sien, de père. Fils du Flamine de Tidé, de son géniteur Scorpa ne se remémorait que les absences. Oui, l'enfance d'Honoria avait été autrement plus agréable que la sienne, mais la jeune fille était trop aveuglée par ses caprices pour s'en apercevoir. Sa colère n'était qu'une effronterie d'adolescente, et il reconnaissait bien là les hystéries passagères si communes à son sexe.
Et pourtant ! Oui, pourtant, cela le touchait d'être à ce point mal jugé. Et cela le touchait, que la chair de sa chair lui témoignât si grande rancune. Car il l'aimait, sa fille, il l'aimait à sa manière, tout en pudeur et retenue ; il était simplement incapable d'y mettre les mots, parce que ces choses ne se disaient pas.

« Je ne sais pas faire ces choses-là, Honoria », confia-t-il d'une voix étonnamment douce, presque sur le ton de l'excuse. « Crois-tu que ton grand-père, Marcus Sicinius Scorpa, me témoigna jamais la plus petite once de fierté ? Il se montrait bien plus avare d'attentions que moi ; rien d'autre ne comptait à ses yeux que son sacerdoce. » Il passa machinalement la main dans sa barbe fine, comme pour se donner une contenance, alors qu'Honoria s'asseyait dans l'herbe et que lui restait debout, et qu'il se sentait idiot à se tenir là immobile. « Tout ce que j'ai accompli dans la vie, je l'ai fait pour glorifier le nom de nos ancêtres. Aucun d'entre eux ne s'est jamais manifesté du fond des enfers pour m'en remercier. Dans la vie, Honoria, nous faisons ce que nous devons faire. J'ai joué mon rôle, et personne ne m'a témoigné la moindre reconnaissance. D'ailleurs, m'en avez-vous témoigné, avec tes frères et sœurs ? » Ces derniers mots étaient empreints d'amertume, alors qu'il descendait sur elle un regard dur. « Tu n'as, finalement, toi aussi que des reproches à la bouche. »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeDim 24 Mai - 14:26


- Père, tu tentes de te dédouaner en énonçant un parallèle avec ton propre père. La logique aurait voulu que, justement, tu agisses à l’opposé de sa conduite puisqu’il semble qu’elle t’ait causé de la peine.

Elle lève les yeux vers lui et ajoute, résignée :

- Rien d’autre que ta personne ne compte à tes yeux, père. As-tu regardé Mère ces dernières semaines, ces derniers mois ? As-tu vu à quel point elle est triste ? As-tu remarqué les progrès de Manius ? Les gestes horribles de Primo ? Les petits mots que laissent parfois ma sœur dans tes habits ? La terreur de Gaïus quand tu ouvres la bouche ?

Elle regarde ailleurs, cherchant le peintre, blasée au-delà de toute expression.

- Je t’ai témoigné bien plus que de la reconnaissance, Père. Je t’ai témoigné mon affection, tant de fois…Je ne compte plus le nombre de soirs où j’attendais un sourire ou, à tout le moins, une parole gentille. Même pas un merci, non, mais une parole gentille. Quelque chose qui m’aurait permis de croire que je ne suis pas qu’une marchandise qu’on accorde au plus offrant. Tous ces soirs à guetter tes pas, à te regarder travailler, jusqu’à ce que tu me surprennes et me renvoies au lit d’un air si sévère que j’en pleurais. Toutes ces journées à essayer de te ressembler. A essayer d’être meilleure. A tenter d’être parfaite. Tout cela…Tout cela n’a servi à rien.

La jeune femme ne dit plus rien. Elle ne le regarde même plus. Tout ceci ne sert strictement à rien, elle le sait. Il l’a dit lui-même, il ne sait pas faire ces choses-là. Elle devine ce regard dur posé sur elle, elle devine ce qu’il doit penser en cet instant. Honoria n’est rien en cette demeure si ce n’est un moyen pour son père d’atteindre ses objectifs. Elle le sait. Elle aurait juste aimé…elle aurait juste aimé se tromper.

- J’épouserai celui que tu as choisi. De cette façon, je jouerai le rôle qui m’est dévolu depuis ma naissance et tu seras satisfait. Enfin satisfait.

Elle inspire profondément tout en replaçant les plis de sa tunique, éteinte et tête basse. Il n’y a malheureusement rien de plus à dire. C’est déjà un petit miracle qu’il ne se soit pas fâché plus que cela. Autant ne pas tenter la chance jusqu’au bout et en rester là. Elle aura au moins pu lui dire ce qu’elle a sur le cœur ce qui est déjà, en soi, un exploit.

- A qui me donnes-tu, Père ? Puis-je au moins connaître son nom ?
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeLun 25 Mai - 23:20


A mesure qu'Honoria égrenait ses reproches, la bouche grimaçante de Scorpa se tordait comme un serpent atteint de convulsions. Sentant monter en lui une colère sourde, il réalisait son erreur : il avait voulu faire preuve d'écoute, croyant l'amadouer et ce faisant, il avait manqué de fermeté. Honoria s'était aussitôt engouffrée dans la brèche. Et maintenant il était là, silencieux, à s'entendre dire qu'il était égoïste, froid et insensible. Elle le sermonnait ! Sa propre fille ! Il aurait dû la gifler. Oh oui, il aurait dû.

Et en même temps, à quoi bon ? Il était en colère, certes, mais pour un mauvais motif. Ce qui le troublait et l'enrageait, ce n'était pas l'insolence d'Honoria : c'était de savoir qu'elle avait raison. Peut-être fallait-il lui concéder cette victoire ? Admettre que l'audace dont elle faisait preuve en cet instant, la prestance avec laquelle elle se dressait devant lui, c'était cela qu'il attendait d'un digne héritier ; et que si pour des raisons naturelles Honoria n'endosserait jamais ce rôle, il eut aimé que Primo Minor en prenne de la graine.
Mais là aussi, à quoi bon...

Sa mâchoire se désserra lentement, les plis de son front s'atténuèrent doucement, la hargne dans ses yeux s'estompa peu à peu. Son regard cherchait celui d'Honoria, lequel fuyait le sien. Elle s'était calmée d'elle-même, et c'était comme s'il avait suffi qu'elle vide son sac pour se résigner à ce que rien ne change. Que rien ne change, c'était là ce que souhaitait Scorpa en toutes choses.

Ses mains s'en vinrent enlacer les joues d'Honoria. Sans violence, il la força à se tourner vers lui et affronter son regard oblique, et il lui parla de nouveau, la voix basse, comme sur le ton de la confidence.

« Un jour, tu éleveras tes propres enfants. Tu voudras pour eux ce qu'il y a de meilleur, et ce jour, tu jugeras moins sévèrement ton vieux père, car tu le comprendras un peu plus. En attendant, ma fille, c'est la dernière fois que tu me demandes des comptes sur la manière dont j'entends diriger cette famille. »

Sa main gauche quitta le visage d'Honoria pour corriger le pli de sa tunique. La droite arrangea une mèche de cheveux qu'un léger souffle de vent rendait rebelle. Scorpa ne tolérait absolument rien qui soit rebelle.

« Si je te donnais le nom de ton promis, qu'en ferais-tu ? Pourquoi le connaître à l'avance te le rendrait-il plus agréable ? »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeMar 26 Mai - 20:54


Lorsque les mains de son père viennent se poser sur son visage, elle en ressent un frisson. Il ne s’agit pas de peur. Il s’agit d’incompréhension. Il aurait du se mettre en colère ou à tout le moins la tancer sévèrement. Il n’en est rien. Au lieu de cela, il l’oblige à le regarder ce qui, en soi, est déjà un exercice redoutable, bien plus redoutable que de devoir l’écouter. Avec le temps elle avait appris à trouver le parfait juste milieu. Elle regarde le dessus de l’arrête de son nez, ce qui donne l’illusion à son interlocuteur visuellement défaillant qu’elle le regarde fixement. Une astuce découverte avec les années et beaucoup, beaucoup, beaucoup de pratique.

- Ce jour-là, Père, je viendrai te voir et nous aurons alors une vraie conversation entre parents. En attendant…

Honoria ressent un vif malaise à cette étreinte. Non, décidément, son attitude est totalement inhabituelle.

- …Je ne dirai plus rien.

Elle le laisse agir pourtant, elle le laisse replacer une mèche de cheveux, un pli de sa tunique, avec l’affreuse impression d’être une friandise dont on s’apprête à faire la réclame. A la question de son père, elle a la réponse la plus honnête qui soit :

- Cela ne me le rendra pas plus agréable…mais je pourrai commencer à m’y habituer.

En espérant toutefois qu’il ne s’agit pas de cet infâme Fetidus. Bien sûr, elle sait que son frère ne comprend pas toujours tout, qu’il n’est pas fiable sur les informations qu’il donne et qu’il interprète toujours ce qu’il entend à sa façon. Honoria sait que son père ne parlerait jamais de ce mariage avec son palefrenier. Alors…Qu’en est-il ?

- S’il te plaît, Père…C’est bien le moins que je connaisse le nom que je porterai bientôt.

Elle le regarde à nouveau et cette fois, Scorpa y verra une peur. Une peur qu’elle tente de maîtriser de son mieux mais qu’elle ne pourra certainement pas cacher à un homme tel que lui. Honoria est terrifiée, il n’y a pas d’autres mots pour décrire son état d’esprit en ce moment même. Une terreur qui pâlit son teint. Et qui lui fait serrer les poings sur sa tunique.
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeDim 31 Mai - 16:59


A la réponse qu'elle lui fit, Scorpa émit un soupir résigné. Dans les yeux d'Honoria, outre la peur, le préteur devinait les aspirations d'une jeunesse qu'il n'avait jamais comprise. Primo Minor aussi faisait preuve de cette légèreté insolente ; non content de devoir lui dire ce qu'il devait faire, il fallait sans cesse lui expliquer pourquoi. Pour autant que Scorpa s'en souvienne, de son temps à lui, les jeunes ne se permettaient pas de discuter les choix de leurs aînés. Certes son père à lui ne l'avait pas élevé, mais son tuteur s'en était chargé avec une grande fermeté. Qu'est-ce qui avait bien pu changer depuis ? Peut-être était-ce encore l'un des symptômes de la déliquescence des valeurs qu'il observait avec regret et inquiétude...

« Soit », dit-il lorsqu'il jugea qu'elle avait suffisamment attendu. Il détacha d'elle son regard, et se mit à faire les cent pas dans le jardin. « Puisque tu tiens à savoir, tu sauras. A l'heure actuelle, j'étudie encore plusieurs possibilités. J'avais d'abord proposé ta main à Geminus, pour son fils. » Vieillard édenté dont le postérieur cirait les bancs de la Curie depuis plus de cinquante ans, Geminus avait deux fils. L'aîné, Aulus, était un grand maigrichon vaniteux qui préférait les hommes. « Mais le vieil imbécile a déjà promis Aulus à une autre. Je voulais qu'il rompe cet accord en notre faveur, mais Geminus prétend qu'il ne peut revenir sur sa parole - en cela, il a la mémoire bien courte... enfin, il était embêté de me faire défaut, aussi m'a-t-il proposé son second fils, Appius. » Appius servait dans la Légion, et s'il se faisait rare à Edelmia, les jeunes patriciennes se rappelaient avec émoi son allure et la grâce de ses traits. Même Scorpa reconnaissait qu'il était beau comme un dieu et qu'il semblait fort comme un lion. « Cependant, je ne peux admettre qu'on nous traite comme un second choix. J'ai donc refusé Appius. »

Scorpa marqua une pause, laissant Honoria digérer l'information - et l'apprécier à sa manière. Puis, reprenant : « Il y a d'autres pistes : Messilianus m'a déjà fait savoir qu'il était intéressé. » Encore jeune et plutôt bel homme, Messilianus était promis à une belle ascension. C'était aussi un goujat notoire, dont Scorpa lui-même doutait de la fidélité. Le mariage avec Honoria le rendrait-il plus fiable ? Rien n'était moins sûr. « J'envisage de sonder Marius Tullius Barbatus, le Questeur ; il est jeune, mais son passé militaire séduit aussi bien les conservateurs que les bellicistes, et les Curiates ont déjà renouvelé trois fois sa magistrature. Mieux vaudrait l'avoir dans nos rangs que de laisser les Populares en faire l'un de leurs futurs champions. » Scorpa se gratta le menton, pensif. « Propertius aussi s'est proposé, pas plus tard qu'hier quand il est venu négocier l'achat d'une de nos juments. Mais la carrière de ce vieux débris est finie depuis longtemps, et je dois trouver un moyen poli de lui refuser. D'ailleurs, je préférerais un gendre qui n'enfume pas notre triclinium à chacune de ses visites. »

Ignorant ce que Manius lui avait raconté, Scorpa ignorait tout du soulagement qu'Honoria devait ressentir en cet instant. Las, elle en apprenait finalement bien peu. Elle avait espéré connaître aujourd'hui le nom de l'homme dont elle partagerait l'existence pour le restant de ses jours, et Scorpa n'avait rien de plus à lui livrer que quelques suppositions.

« Je dois encore sonder d'autres partis potentiels. C'est la raison pour-laquelle je fais faire ton portrait, et je ne choisirai pas à la légère. Par le passé, il m'est arrivé de me fourvoyer : ta propre mère est une bonne épouse, mais notre mariage fut une mauvaise alliance, car mon beau-père Corvus n'était pas l'allié que j'espérais ; notre mésentente mit fin à sa carrière et faillit ruiner la mienne. » Il avait balancé cela en toute légèreté, comme s'il ne voyait aucun inconvénient à dénigrer le grand-père d'Honoria devant elle. « Je ne referai pas cette erreur. Pas maintenant, alors que les Acilii et les Sevinii cherchent à mener l'Oncmélie à la ruine. Leurs idées populistes agitent la plèbe et se répandent comme un venin dans la Curie. » Son visage se fit plus grave que jamais. « Tu es la fille du préteur Scorpa », énonça-t-il comme si c'était une chose qu'il lui apprenait - il aimait surtout parler de lui à la troisième personne. « Je ne te mentirai pas, ton mariage est d'une importance capitale. Tu es d'une importance capitale. Il n'est pas seulement questions de mes propres intérêts, Honoria. Sache que ce n'est pas pour mon plaisir que je suis retourné dans l'arène. Je dois sauver l'Oncmélie du déclin moral dans-lequel l'entraînent nos ennemis ; c'est là mon devoir, et je n'y parviendrai qu'en me faisant élire au Tribunat consulaire l'an prochain. Ton époux, quel qu'il soit, devra m'y aider. Tu devras m'y aider. »
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeMar 2 Juin - 10:45


Honoria écoute son père avec la plus grande attention, évidemment. Et à chaque nom prononcé, elle pince les lèvres. Elle les connait tous, au moins de nom, par leur réputation.

Aulus et Appius sont comme les deux facettes d’une pièce. L’une qui resplendit et l’autre toujours plongée dans l’ombre, tour à tour. Le premier est une fable à lui tout seul, tant il ne cache même plus son goût pour les hommes. Aux thermes, les discussions vont bon train concernant la vie intime de ce grand homme tout maigre, sujet de supputations sans fin. Appius par contre fait l’unanimité, même si sa beauté laisse Honoria dans la plus parfaite des indifférences. On peut être beau et courageux, certes, cela ne signifie pas pour autant que l’on est intelligent. Or, la beauté est éphémère et la bêtise, elle, est une chose que l’on doit supporter à vie. Honoria préfèrerait un homme intelligent à ses côtés et non un sot qui parle d’armes à longueur de temps tout en lançant des œillades langoureuses. Ce côté séducteur est terriblement déplaisant et totalement vain en ce qui concerne Honoria. Elle y est insensible.

Messilianus est lui aussi une autre fable, coureur de femmes aux cuisses légères et aux mœurs condamnables. Il ne fait aucun doute que la jeune femme ne saurait jamais le retenir sous son toit. Parce que ce genre de vice ne se guérit pas par le mariage et qu’une fois de plus, Honoria n’aura pas les arguments pour le convaincre de rester.

Propertius est donc effectivement dans les rangs mais il semble, au grand soulagement de la jeune femme, que son père tende à refuser la proposition.

Il reste donc Marius Tullius Barbatus. Elle ne l’a jamais vu, elle ne sait pas grand-chose sur lui à part qu’il est relativement discret et jeune en effet. Sa réputation est pour l’instant sans tâche.

L’un dans l’autre, il n’y a pas de quoi se réjouir hormis peut-être le fait que Propertius ne soit plus du tout à l’ordre du jour. Elle replace un petit pan de sa tunique, distraitement, tout en écoutant toujours son père. Les hommes sont brutaux. Sans aucune finesse. Et plus ils ont servi dans l’armée, moins ils sont délicats. Honoria leur préfère largement les femmes, douces et tendres, et avec lesquelles elle peut au moins avoir une vraie conversation posée et tranquille, chose totalement impossible à obtenir en compagnie d’un homme. Quand ils ne parlent pas de politique ou de guerre, ils parlent de fesses ou de seins, se fendant parfois de rires gras et de plaisanteries graveleuses totalement ignobles.
Cela étant, pour obtenir un héritier, il faudra bien en passer par cette déplaisante étape qu’elle redoute entre toutes. Quitte à se consoler par après auprès de l’une ou l’autre de ses complices amies. Non, décidément, il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Pas du tout même.

- Bien, je sais au moins à quoi m’en tenir.

Son père à présent parti dans une justification politique de son mariage, elle a le temps de se reprendre et d’analyser la situation sous un jour nouveau. Elle connait les contradicteurs de son père, elle entend beaucoup de choses et cet état latent de crise maintenue sous la cendre pourra éventuellement lui servir un jour ou l’autre, elle le sait très bien. Tout est question à présent de reprendre le contrôle d’elle-même et de voir les choses sous un angle positif.

Mariée, Honoria ne sera plus sous la coupe de son père mais sous celle de son époux. Elle fera ce qu’il faudra pour ce dernier ne soit pas un rustre, un goujat ou un imbécile. Les noces étant inévitables, autant choisir le moins mauvais parti. A défaut d’avoir une affection peut-être obtiendra-t-elle un respect qui lui permettra de s’élever aux côtés de l’homme intelligent qui ne la verra pas comme une menace mais comme une alliée de premier ordre. Il doit bien exister à Edelmia un homme tel que celui-là. Il le faut. Et elle espère sincèrement que, pour une fois, son père aura les deux yeux correctement alignés afin d’éviter une erreur de casting qui aurait des conséquences totalement désastreuses pour tout le monde.

- Je ferai comme j’ai toujours fait. Je ferai ce qu’il faut pour que tu obtiennes satisfaction.

Elle inspire longuement avant d’enfin regarder son père et murmure :

- Prends garde à toi, Père. Tu te poses en champion de la force morale et tu penses être le seul à pouvoir sauver l’Oncmélie. Tout le monde n’est pas de ton avis. Même si nous ne sommes pas d’accord sur tout…j’aimerais garder mon père en vie encore un peu.
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MessageSujet: Re: Jentaculum [Honoria]   Jentaculum [Honoria] I_icon_minitimeSam 6 Juin - 15:13


Comme Honoria lui confiait se faire du souci pour lui, Scorpa se senti subitement envahir d'un inhabituel élan de chaleur. Sa fille s'inquiétait pour lui ! En temps normal, il se serait vexé ; il n'aimait guère qu'on le mette en garde, comme s'il n'était pas suffisamment lucide pour mesurer les risques auxquels il s'exposait. Mais il ne pouvait en vouloir à Honoria : c'était son naturel féminin qui s'exprimait, si prompt à la peur, et au bout du compte, c'était une touchante preuve d'affection. Elle l'aimait. Sa fille l'aimait ! En dépit des apparences, Scorpa n'avait pas un cœur de pierre, et en son for intérieur, cette idée le rendait toute chose. Il avait grand-peine, hélas, à extérioriser cela, et comme il ressentait l'envie de la réconforter, il se trouvait démuni. Peut-être qu'un autre l'aurait enlacée affectueusement et l'aurait embrassée sur les deux joues, mais le préteur demeura stoïque, gardant les bras raides le long du corps ; il l'avait bien dit, il ne savait pas faire ces choses-là. Il se contenta donc de mots, croyant à tort être plus habile sur ce plan-là :

« Ma vie n'est nullement menacée, rassure-toi. Mes rivaux à la Curie n'ont pas fini de m'entendre, tu peux me croire. » Il esquissa un fin sourire, alors qu'il considérait l'incident clos, sans se demander un instant si Honoria n'aurait pas souhaité qu'ils poursuivent ce si rare échange. Au vrai, tout cela avait mis Scorpa fort mal à l'aise, et il avait hâte de passer à autre chose. « Maintenant que j'ai répondu à tes questions, puis-je compter sur toi pour ne plus faire de scandale devant le maître-peintre Occula ? »

Comme il attendait la réponse de sa fille, le pas pressant de son valet Hémigomphe se fit entendre. Tout en approchant d'eux, Hémigomphe émit une toux discrète pour attirer l'attention de son maître.

« Pardonne-moi de t'interrompre, Dominus, mais j'ai pensé qu'il fallait t'en aviser au plus tôt. Le nouveau Procurateur impérial est arrivé à Edelmia aujourd'hui. »

Toute légèreté déserta les traits du préteur, alors que celui-ci tournait à peu près ses deux yeux vers son serviteur.

« Comment ça, aujourd'hui ? Quand exactement ?
- Il y a à peu près une heure, Dominus.
- Une heure ? Comment se fait-il que je l'apprenne seulement maintenant ?
- Le Tribun Ravilla vient de faire passer le message. Il invite les patriciens à un Convivium en sa demeure, ce soir, en l'honneur du Procurateur.
- Ravilla ? Par les dieux, pour qui est-ce qu'il se prend, celui-là ? »


Si Hémigomphe avait été l'égal de Scorpa, sans doute eut-il pu lui rétorquer que Ravilla se prenait tout simplement pour ce qu'il était : l'actuel Tribun consulaire d'Oncmélie mineure, et donc l'homme le mieux placé pour accueillir un Procurateur impérial. Las, Hémigomphe connaissait suffisamment son maître pour aborder ces questions avec le tact nécessaire.

« Il semble que le Tribun ait accueilli le Procurateur devant le Forum, avec un comité d'accueil restreint.
- Ce gomphidé m'a sciemment tenu à l'écart »
, gronda Scorpa, le front bouillant de colère contenue. Il se tourna vers Honoria. « Après ta séance avec le maître-peintre, tu veilleras à te préparer pour ce soir. Nous irons à la soirée du Tribun, si déplaisante que soit sa compagnie. » Il regarda autour de lui. « D'ailleurs, où est passé le maître-peintre ?
- Il n'est pas loin, Dominus, probablement quelque part dans le jardin. Il a dit qu'il partait se soulager. 
- Se soulager ? »
Scorpa ouvrit de grands yeux. « Par Valta ! J'espère qu'il n'a pas confondu la remise à outils avec les lat...
- Oh, misère ! »
s'exclama Hémigomphe, réalisant que quelque chose de terrible allait arriver, et le valet s'élança au pas de course à travers le jardin.
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