Edelmia vous salue [Terminé]

IIe journée de Primo Seminare, 399

Lorsque le Tribun donnait soirée en son Domus, mieux valait ne pas briller de son absence, plus encore lorsqu'on était l'un des magistrat de la cité d'Edelmia. Marius Tullius Barbatus avait donc répondu favorablement à l'invitation qu'on lui envoya, se parant de ses plus riches atours non sans porter son dévolu sur des tissus plus amples qui permettait une meilleur liberté de mouvement. Il se murmurait que la réception allait être l'occasion pour le nouveau Procurator de faire son apparition, alors, il s'agissait d'être doublement présent pour juger ce nouveau personnage qui entrait sur la scène politique locale. Le paterfamilias , Publis Acilius Ravilla, faisait bonne figure, irréprochable sur lui comme sur son sens de la courtoisie auprès de chaque convive qui venait au compte goutte gonfler l'assemblée. En ruvien et patricien avisé, Marius s'exécuta aux salutations d'usage face à son hôte d'un soir avant de se fondre dans la foule, cherchant quelques cercles de connaissances entre deux picorages de mets éparpillé de ci de la dans la vaste salle.

S'il était curieux de se faire une opinion sur l'homme envoyé par les plus hautes instance de l'Empire ruvien sur cette province qu'était Oncmélia Minor, le beau brun célibataire de la trentaine à la barbe soigneusement entretenue, voyait là l'occasion de prendre le pouls chez ses amis patriciens quant à la situation politique actuelle, mais aussi, sa simple présence, comme certainement celle de l'édile, du préteur et des censeurs, serait le signe, le symbole fort qu'en apparence Edelmia jouissait d'une forte cohésion, sans la moindre crise patricienne qui aurait pu laisser la région en proie à de graves bouleversements.

Marius se plu alors à déambuler de groupe en groupe, saluant ces semblables venu en masse et dont le flot ne cessait d’accroître. Pour sûre qu'une telle soirée devait être fort coûteuse pour le paterfamilias aux bonnes mœurs. Il fut d'ailleurs bien heureux en tant que questeur à ne pas avoir été sollicité par ce dernier pour atténuer ces dépenses en demandant l'effort du trésor de la cité. En tout état de cause, les apparences étaient ce qu'elles étaient, les sourires et amabilités étaient légions et personne ne semblaient exprimer la moindre critique ni la moindre préoccupation quant à la provenance de ce nouveau politicien qui allait œuvrer au sein d'une grande magistrature. Mais... cela restait évidemment en suspens, le temps que ce dernier n'apparaisse et s'exprime, après quoi qui sait si des critiques s'élèveraient dans les rang en cas de discours malhabile. Une incertitude de moindre mesure, il fallait bien l'avouer car nommer depuis la haute hiérarchie de l'empire donnait tout de même de certains gages d'assurance avant même une quelconque représentation publique.

La porte de la nouvelle demeure des Proterii résonna des coups de l'esclave du Tribun Consulaire qui servirait de guide au jeune couple. La pluie qui avait accompagné leur voyage pendant des jours entiers avait cessé peu de temps après la première rencontre entre les deux diumvirs et depuis, les nuages avaient peu à peu cédé la place à un soleil timide. Même le puissant Aurin avait des difficultés à percer l'épaisseur des nuages qui stagnaient au-dessus de la province d'Oncmélie. Dans l'atrium, Caïus ajustait le pan de sa palla pourpre qu'il avait revêtu par-dessus sa stola blanche. Même sans la toge prétexte, il avait fait le choix d'arborer les couleurs de la magistrature et de Ruvia. Il devait être identifiable et remarquable, même au coeur de la foule de convives qui ne manquerait pas de s'être précipitée chez les Acilii.

L'esclave, un petit homme au crâne chauve et au nez épaté, s'inclina lorsqu'il sortit du vestibule pour se présenter face à Caïus.

Ave Procurator. Je me nomme Orbo. Mon dominus, Publius Acilius Ravilla m'a chargé de vous escorter, toi et ta femme, jusqu'à sa domus.
Je suis prêt. Ma femme ne devrait pas tarder.

Une affirmation qui pouvait être catalogué comme optimiste. Attendre que son épouse soit prête à sortir était devenu une habitude pour le Feles et bien des fois, il avait pesté contre elle dans des circonstances similaires. Il ne comptait plus le nombre de réceptions où les époux étaient arrivés parmi les denriers car elle avait longuement hésité entre deux paires de boucles d'oreilles ou sur le port d'une étole sur les épaules ou sur sa tête. Caïus s'appuya contre une colonne, prêt à patienter encore un long moment. Rien ne servait de la presser, elle se serait appliqué à prendre encore plus de temps, rien que pour rabattre son caquet.

L'attente ne fut pas si longue lorsqu'elle apparut depuis le couloir qui menait aux cubiculae. Sous sa palla en bleur de Valta, sa stola blanche aux bords brodés d'argent faisait ressortir le gris de ses yeux. Une ceinture venait cintrer le tout sous sa poitrine. Elle avait choisi de garder les cheveux lâchés sans porter trop de bijoux et de maquillages, offrant sa beauté la plus pure à l'oeil déjà conquis de son époux. Par tous les Dieux des palais Célestes, qu'elle était belle. Cette apparition lui fit l'effet que Rakka avait décoché une flèche de plus dans son coeur qui cognait à tout rompre dans sa poitrine. Un sourire amoureux apparut sur le visage d'ordinaire fermé du Procurator et il tendit sa main pour y accueillir celle de Laelia. Il passa discrètement sa langue sur sa lèvre inférieure, ravalant ses envies de la dévêtir pour l'honorer comme il se devait. Il cligna des yeux pour chasser ses envies lubriques du moment avant de se tourner vers leur guide du soir.

Nous te suivons, Orbo.

À peine sortis, le couple fut accompagné par quatre licteurs qui patientaient devant la domus. Le petit groupe marcha pendant quelques minutes à travers le Bassium, longeant le Forum jusqu'à arriver devant la demeure de leur hôte. À peine entre dans le vestibule, Orbo chuchota quelques mots à l'oreille d'un autre esclave qui s'engouffra dans la demeure pour prévenir son maître. Quelques notes de musique parvenaient aux oreilles de Caïus, ainsi que le bourdonnement des convives qui devisaient entre eux en goûtant les mets qui avaient été mis à leur disposition. L'attente ne fut pas longue avant que leur guide ne les invita à pénétrer plus avant et à rejoindre le convivium.

La silhouette du Tribun Consulaire fut la première qui s'approcha du jeune couple. La voix de Publius résonna, faisant s'estomper les conversations et se tourner les têtes vers Caïus et Laelia.

Procurator, Edelmia vous salue !

Il abandonna un court instant la compagnie de Laelia pour faire un pas en avant et étreindre l'avant-bras du Tribun. Ses lèvres marquèrent un sourire aimable tandis qu'il répondait à la salutation.

Ave, Tribun Publius. Nous te remercions pour ton invitation !

Il se tourna vers la nièce de l'Empereur et l'invita à s'approcher d'un geste de la main.

Laisse-moi te présenter mon épouse, Laelia Antia Protera, fille de Lucilius Antius Victor et nièce de notre bien-aimé Imperator.

C'était maintenant à sa magnifique épouse d'entrer en scène et de charmer le pater familias de la maison Acilii et d'éblouir le reste des invités. Il balaya rapidement la pièce du regard pour constater qu'elle était déjà au centre de toutes les attentions, peut-être même plus que lui.

« Ave Tribun Consulaire ».

La musique battait un rythme doux qui ne parvenait pourtant à couvrir les chuchotis de l’assemblée. Pourtant les yeux de l’épouse ne faillirent pas. Droite et digne, le cœur au bord des lèvres, elle offrait à la foule amassée ce qui se voulait de mieux dans tout l’empire. N’y avait-il plus belle figure que celle de la femme sûre, puissante et assurée, portant dans son giron l’espoir ? Certes pas. Même Caïus dans ses atours ne parvenait à éclipser le deuxième soleil de cette soirée. Il en irait donc ainsi : quand le ciel ne trouverait jamais la clémence, ils brilleraient côte à côte. Cette foule pouvait bien demeurer curieuse, ou bien les envier ; ils s’imposaient à l’instant comme l’aurait fait l’empereur en personne. Et si par malchance elle portait le sexe faible, le sang des Julii coulait dans ses veines. Aussi sûrement que ses ancêtres avaient régné, elle le ferait sur cette terre maudite.

Publius lui faisait face avec la stature attendue de tout homme qui se respectait. En vérité, il ne lui avait paru d’homme plus solennel présentement. Il portait en lui la sagesse de l’âge. De prime abord, le tribun consulaire semblait vertueux, assez pour que le Feles – loin d’être le plus aimable -, l’eut trouvé fort à son goût. Sans pour autant se précipiter dans un jugement trop élogieux, le patricien Acilia faisait un bel effet à Laelia qui lui accorda même un bref sourire. Le monde pendu à ses lèvres pouvait bien attendre encore une seconde ou deux !

« La chaleur de ton hospitalité compense bien largement la rudesse du temps en Oncmélie ». La voix à la fois douce et forte, n’avait pas cillé. De même qu’il ne s’agissait qu’une demie-flatterie ; elle qui craignait de n’avoir à faire qu’à de rustres personnages, elle se trouvait comblée par les mêmes travers qu’à la capitale. A croire que le lieu importait bien moins que le rang. « Et puis vois. Je te porte mon époux de manière plus présentable qu’à notre arrivée ; puissiez-vous œuvrer ensemble pour la grandeur de la Province et de l’Empire ».

L'arrivée d'un nouveau procurator était forcement source de curiosité et il va sans dire que de nombreux vautours se tenaient à l’affût profiter du changement. Mais le danger pourrait venir du procurator même, s'agissait il d'une sangsue venu s'enrichir sur le dos des provinciaux? Un homme qu'on avait exilé loin de la capitale et qui ne souhaitait qu'y retourner?  Un arriviste qui souhaitait faire sensation? Un aventurier en manque de sensation forte? Il fallait espérer que l'homme soit fidèle aux valeurs ruviennes et puissent aussi bien mettre au pas les fauteurs de trouble que mater les barbares qui souhaitaient s'en prendre à la province.

C'est donc avec grand plaisir que Servius reçu l'invitation l'invitant au banquet organisé pour la venu du nouveau procurator.  Évidement que l'édile d'Edelmia serait présent à ce banquet, il se devait d'y être  pour de très nombreuses raisons. En tant que patricien, et à fortiori magistrat, c'était son devoir d'accueillir le représentant de  l'empereur. Il s'agissait aussi d'un moyen de connaître les intentions du nouvel arrivant et de pouvoir le jauger. Et puis ce genre de banquet était aussi la pour étaler sa puissance face à ces adversaires politiques.

Entre Appia et Servius il n’eut pas de grand débat pour savoir comment se présenter à la Domus Acilia.  Servius mis une toge blanche bordée de bleu de Valta.  Sa femme quand elle portait une robe tout de bleu de Valta. Quelques bijoux finement ouvragés complétaient sa tenue. Une broche en argent massif retenait l'épaisse chevelure noire  typiquement ruvienne.  Le couple se dirigea à pied vers la réception escorté par quelques gros bras, vétérans des légions ou gladiateurs.


Arrivé sur place l'édile et son épouse saluèrent de nombreux soutiens et amis. Aucune animosité ne semblait ressortir de la haute société d'Edelmia mais c'était trompeur. Avec l'arrivé du nouveau procurator les diverses animosités c'étaient calmées, le calme avant la tempete en quelque sorte. Qui sait peut être que le procurator arriverait à liguer contre lui l'élite de la province? L'inverse était tout aussi probable...

L'attente ne se fît pas trop longue et le procurator fît son apparition au coté de sa ravissante épouse. Et comme tous les membres de cette auguste assemblé il salua les quelques mots qui leurs furent lancés. Cette dernière s’avérait être vraiment la nièce de l'empereur, les rumeurs étaient donc vrai. Le rang du procurator était donc plus qu'important dans la capitale. Maintenant à savoir pourquoi l'envoyer ici, dans les  confins de l'empire, loin du doux soleil de Ruvia. L'empereur s’intéressait il à cette province pour une raison particulière ? Ou bien Caïus avait il fait un faux pas dans la capitale ?

Quoique il en soit l'édile ne se dirigea pas de suite vers le nouveau couple dirigeant, et laissa les hauts magistrats parler avant lui. Servius voulait d'abord voir comment le procurator et son épouse se comporterait avant de s'adresser à eux. Après le banquet il échangerait avec sa femme leurs différentes impressions. En attendant ils continuaient de naviguer entre les patriciens et à entretenir leur influence.

« Le vert te sied, mon époux », remarquait Flavia tandis qu'ils approchaient de la Domus Acilii et que la rumeur de la fête leur parvenait jusque dans la rue. « Tu devrais en porter plus souvent », fit-elle remarquer tout en époussetant la tunique du préteur. « C'est quand même mieux que tes teintes sombres habituelles... »

Le préteur ne répondit pas. Il avait cédé à ce caprice de son épouse, parce que la couleur de sa tunique l'indifférait tout autant que la soirée à laquelle ils se rendaient. Je n'aurais pas dû venir, serinait Scorpa en son for intérieur, maudissant les usages sociaux qui l'astreignaient à prendre part à cette mascarade. Il n'avait jamais aimé faire des ronds de jambe, et si nécessité faisait loi, il ne se prêtait à l'exercice qu'à contrecœur. C'était de notoriété publique que le préteur et le Tribun consulaire n'étaient pas de grands amis ; le premier ne croyait qu'au maintien de l'ordre établi, quand le second n'était qu'un démagogue qui avait atteint sa position à force de flatteries et de mensonges. Quant à la perspective de devoir cajoler le nouveau procurateur impérial, un inconnu bombardé à cette place par une autorité lointaine, elle n'était pas pour dérider l'amer Scorpa...

S'il n'était pris par les fonctions de préteur qu'il exerçait depuis un mois, Scorpa eut pu consacrer une thèse sur cette absurdité qui poussait les patriciens à transporter la politique de la Curie jusqu'en leurs propres demeures. La Curie pouvait se montrer pareille à un champ de bataille ; on s'y invectivait vertement, pris dans la passion frénétique des débats. Quel chef de guerre inviterait son ennemi à poursuivre la lutte sous son toit, en y conviant sa femme et ses enfants ? Absurde.
Au moins à la Curie savait-on à peu près distinguer ses amis de ses ennemis. Dans les réceptions mondaines, les patriciens se sentaient obligés de taire leurs différents, feignant une cordialité dont nul n'était dupe. On partageait les amuses-gueules avec son voisin, oubliant que, le matin-même encore, on vouait ce dernier aux gémonies. Cette incongruité, chacun en avait pleinement conscience, mais nul ne s'avisait à l'exprimer à voix haute. Sans doute était-ce la crainte de se sentir responsable d'un malaise général ; c'était comme renifler un pet et renoncer à identifier le coupable, car ces choses ne se font pas.

Parvenus à l'entrée de la Domus, Scorpa marqua un temps d'arrêt. Son épouse lui prit le bras, et lorsqu'il rencontra son regard, elle lui sourit. Scorpa la gratifia en retour d'une tentative de rictus qu'on eut pris pour une grimace, et ses yeux désaccordés s'en vinrent trouver les deux aînés de leurs enfants. « Qu'attendons-nous, père ? » s'impatientait Scorpa le Jeune, qui, contrairement à son père, appréciait un peu trop ces réceptions mondaines. Le préteur le dévisagea sans répondre, puis son regard s'attarda quelques secondes sur sa fille, avant qu'il n'adresse aux siens quelques recommandations toutes simples : « pas de scandale ce soir. On fait preuve de respect pour nos hôtes. Ne touchez pas à tous les plats, ne vous approchez pas des musiciens et des comédiens. Je ne veux aucune-fausse-note. »

Le murmure des conversations, la mélodie des cithares et l'écho des tambourins s'amplifia lorsqu'ils pénétrèrent dans le convivium. Il y avait déjà foule. Scorpa balaya du regard l'assemblée, repérant assez vite le Tribun en compagnie de ses invités d'honneur. Il ne s'imposerait pas au milieu de leur conversation, comme s'il cherchait absolument à se faire voir en leur compagnie ; sa présence ici ce soir était bien assez. Sa présence leur était bien trop d'honneur, même s'ils ne le reconnaîtraient pas.

L’élégante silhouette drapée de bleu suit docilement, sans dire un mot, le couple formé par ses parents. A ses côtés ? Son jeune frère, impatient de faire ses armes au milieu de tous ces requins aux dents trop blanches et aux manières trop étudiées pour être dignes de confiance. Honoria sait que la soirée va être longue. Très longue. Entre les incessantes remontrances de son père depuis l’annonce de cet événement et les turbulentes pitreries de son frère qui ne tenait plus en place, Honoria sait qu’elle va devoir rester debout, silencieuse, à regarder voler les mouches, à sourire et à se contenter d’être belle. A minima, ne pas faire honte à son père sous peine d’en subir les foudres. A maxima, tenter de prendre un peu de distance, s’égarer et écouter, son activité favorite. Regarder les gens, les voir interagir, les écouter parler, dans l’ombre.  Enfin…si bien sûr son frère ne se comporte pas comme le petit sauvageon qu’il se révèle être parfois, dans l’agitation des moments importants.

Honoria Sicinia observe un bref instant le couple formé par ses parents. Jamais couple ne fut plus mal accordé que celui-là et pourtant ils se complètent, d’une certaine façon. Là où son père brille par sa rigidité morale et son penchant pour l’autoritarisme, sa mère fait preuve de souplesse et d’une gentillesse à toute épreuve, y compris lorsque son époux est à peine aimable envers elle. N’est-elle pas, en ce moment où ils sont sur le point d’entrer dans Domus Acilii, en train de le complimenter sur sa prestance ? N’est-elle pas en train de le regarder avec tendresse ? Et fidèle à lui-même, le Prêteur se contente d’esquisser un sourire étrange, forcé, qui avait du lui demander un effort considérable. La jeune femme eut de la peine pour sa mère, l’espace d’une seconde.

Quoiqu’il en soit, elle n’eut pas vraiment l’occasion d’approfondir ses réflexions à ce sujet. Son père venait de se retourner pour les fixer – du moins autant que cela lui est possible – avec toute la froideur dont il use à chaque fois qu’il assoit son autorité sur la famille. C’est à peine si son regard se posa sur elle. Honoria sait très bien qu’elle ne compte pas. Seul son frère a une réelle importance. Elle n’est ici, après tout, que pour servir de faire valoir, et rien d’autre. Et contrairement à son frère, elle ne trépigne pas d’impatience d’entrer là-dedans. Elle a au moins ceci en commun avec son père : les grandes réceptions l’embarrassent beaucoup. Elle préfère, et de loin, se retirer et observer, apprendre en écoutant, ce qui se révèle souvent, très souvent même, infiniment plus utile que des heures de palabres.

Elle attendit que son père se soit retourné pour lever les yeux au ciel en secouant très légèrement la tête. S’il y avait quelqu’un à surveiller ce soir, ce ne serait certainement pas elle. Elle sait se tenir, contrairement à d’autres qui sont comme des chevaux prêts à se lancer dans la course, piaffant d’impatience. Ne pas approcher les musiciens sera, par contre, des plus difficiles pour Honoria. Elle adore la musique. Puis…Son père n’aura pas les yeux partout, déjà qu’il aura du mal à les garder droits devant lui, alors…

- Oui, Père.

Elle entra alors en retenant un soupir. Il y a foule, en effet. Et parmi toute cette foule, il se trouve tellement de visages inconnus qu’Honoria ne put faire autrement que de tous les regarder, de la manière la plus tranquille du monde, esquissant un sourire ravissant à défaut d’être sincère. Quitte à être exposée autant être à son avantage. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Honoria sait parfaitement se mettre en valeur. Le bleu lui va très bien au teint et a cette faculté de faire ressortir l’étrange éclat de son regard vairon. Un regard qui se pose maintenant sur son Père. Le voir au milieu de ses pairs est probablement une des choses que la jeune femme préfère. C’est dans ces moments-là qu’elle peut prendre la mesure de toute sa personnalité et de toute son influence. C’est dans ces moments-là qu’elle peut voir son père sous un angle nouveau, à travers un autre prisme que celui de la paternité totalitaire et absolue. Elle se penche un instant, discrète, vers son frère et murmure :

- Cesse donc de gigoter comme cela, tout le monde te regarde.

Cela eut son petit effet. Le garçon cessa de gesticuler, inquiet de savoir qu’on pourrait éventuellement se moquer de sa prestance. Amusée par ce petit mensonge, Honoria se redressa et continua de balayer l’assemblée du regard, repérant là bas les musiciens.

A mesure que le questeur passait de groupe en groupe, saluant comme il se devait ses semblables, la réception s'offrait la parure des plus illustres magistrats d'Edelmia. La soirée semblait tenir toutes ses promesses et bientôt la fine fleur, le gratin patricien de la cité se réunissait au domus du Tribun. Comme nombre d'invités l'attendait, la présence du nouveau procurateur retint l'attention de chacun et son attitude semblait déjà décrypté par bon nombre de convive. Lui et sa femme faisaient une entrée remarquée et sans fausse note, mais nul doute que certains détracteurs, tels des vautours se repaîtreraient de diffuser très bientôt de fausses rumeurs. Marius quand à lui, gardait une certaine mesure et se montrait bien prudent à ne tirer aucune conclusion hâtive. Si le procurator étranger était à craindre, il ne voulait encore se positionner contre ou en sa faveur, attendant de se forger sa propre opinion lorsque ce dernier aurait engager ses premières mesures. Pour l'heure donc, le questeur s'offrait un bain de foule et mesurait le degré de sympathie que lui exprimait les curiens.

S'offrant une coupe de vin, il déambulait donc telle une brise dans la vaste salle avant de se figer à l'arriver du prêteur lourdement accompagnée par les membres de sa famille. Cet homme n'appréciait gère ce genre de petite "sauterie", cela allait s'en dire et comment lui en vouloir? Un tel regroupement de patriciens était source de complots et les apparences étaient souvent trompeuses, alors comment apprécier une soirée où les faux-semblants étaient légion. Marius s'en accommodait volontiers mais lui aussi n'était épargné par les "mauvaises langues" diffusant leur venin. Le premier reproche qu'on lui faisait d'ailleurs était à son âge, il n'avait trouvé femme. Cela dérangeait et laissait de fausses rumeurs alimenter la controverse.

Mais voilà, comment ne pas poser son attention sur la fille du Primo Sicinius Scorpa ? Libre, belle et source d'une juteuse dote, Honoria Sicinia était sans doute une créature bien convoité dans les travées du Forum. Mais évidemment, son père n'était pas un homme à céder ce qui lui appartenait au premier venu, il attendait certainement un parti à la hauteur de sa haute position. L’élégante silhouette drapée de bleu se tenait donc légèrement en retrait de son père, comme le voulait la bienséance, ce qui laissait là l'opportunité au questeur de scruter discrètement les atours et atouts de la jeune femme. S'il se plaisait à deviner ses courbes, ses hanches et ses seins jusqu'à ces mamelons, Marius s'interdit de trop appuyer son regard peu chaste au risque d'être prit en flagrant délit. Mais, une conclusion semblait naître et s'imposer dans son esprit : Il était tant d'honorer sa famille et trouver un bon parti. Lissant sa barbe à hauteur de menton, il restait perplexe, n'osant trop croiser le regard vairon de la jeune femme et encore moins celui de son père... en tout cas, pas dans l'immédiat. La soirée n'était qu'à ces débuts, l'échiquier patricien se formait à peine au sein de cet accueillant domus.

   Depuis la lisière des coulisses de la mascarade se jouant en sa demeure, Ottavia se laissa aller à soupir de soulagement. En fière Domina des Acilii, la charge d'orchestrer un telle représentation lui revenait comme un présent aussi corrompu qu'enchanteur, et la confiance tacite de son aïeux en son aisance ne faisait que renforcer son arrogante ivresse. Cet enivrement émotionnel donnait à la jeune veuve un entrain factice, retenu sur ses traits éreintés par une mince couche de fard. La comédie mondaine se tramant sous son regard verdoyant valait bien la peine de souffrir un peu du manque de sommeil.
   Tout le beau linge Edelmien avait répondu à la sollicitation et chacun pouvait aisément entrevoir que le convivium donné en la Domus du Duumvir, visant à unifier la paire tout juste rassemblée, serait le théâtre idéal pour se montrer. Hôtes de l'arène des dupes, le lignage Acilius n'était guère exempt de ces formalités. Cela avait d'ailleurs quelque chose de grotesque -sensation que la Tendre avait du mal à négliger- que la venue d'un seul homme puisse ainsi mettre en branle toute une institution et son jeu de pouvoir. Le timbre pénétrant de Ravilla l'arracha à ses ondoyantes pensées, tandis que l'on honorait l'arrivée du couple Ruvien de solennelles salutations.
   Aucune des éminences de l'assemblée ne résista à poser les yeux sur ces inconnus que l'Empire leur dépêchait, étrangers du propre troupeau sur lequel ils étaient sommés de régner. Le brouhaha des murmures s'éleva comment un vent soudain, entrecoupé par les grâces du nouveau Procurator et des sagesses de celle l'accompagnant. S'amorça alors le ballet grossier que l'Acilia pressentait. Les plus maladroits laissèrent à peine le temps aux époux Protero de jauger l'assistance qu'ils s'approchaient déjà, tels des volatiles voraces au dessus d'un canot de pêcheurs, pour les assaillir de leurs révérences sournoises.
   Bien que l’événement ne lui inspira guère plus qu'une certaine curiosité, Ottavia ne pouvait s'empêcher d'éprouver quelque pitié pour ces deux âmes prises à partie par les vautours de leur terre d'exil. Se mêlant lentement à la foule qui paradait vers l'épicentre félin, elle attendit que son père la remarque et la fasse héler pour s'approcher.

« Eh merde, il est là lui aussi... »

Lucius Sevinius observait d’un peu plus loin son vieux rival s’en prendre verbalement à toute sa marmaille, qu’il avait décidé de ramener pour l’occasion. Une touche d’amusement lui piqua les naseaux lorsqu’il remarqua que le préteur s’était mis au vert, lui qui avait pour habitude de se parer d’atours plus mortifères. Aussi se demandait-il si le caprice venait de sa chère épouse, ou de l’un de ses arrogants enfants qu’il venait exhiber à toute la société edelmienne et son nouveau procurator.

Le censeur Lucius se tenait dans un coin légèrement plus reculé, en compagnie de quelques de ses amis et alliés politiques. Tous observaient comme lui les vautours optimates s’inviter dans la Domus du tribun Publius, pourtant farouchement opposé à tous ces godelureaux amoureux de la rigueur et de la stagnation. L’un des amis de Galba lui répondit avec un fin sourire :

« Sait-on si l’envoyé de l’empereur est un homme de notre trempe ? »

Galba observait l’entrée de la domus d’où surgissait à l’instant l’homme que tout le monde attendait pour le convivium. Ce qui le frappa d’abord, c’était la relative jeunesse de Caïus Protero. Le piège vicieux de l’imagination l’avait fait entrevoir un homme plus vieux, peut-être parce que l’importance de la tâche qu’il mènerait ici requérait une plus grande expérience que celle d’un jeune homme ? Néanmoins, à mesure que le procurator se rapprochait de ses globes pénétrants, Galba constatait que ce qu’il avait pris pour de la jeunesse n’en était pas tout à fait. Oh, Caïus Protero avait peut-être tout juste l’âge de se présenter à la préture, néanmoins une certaine force de caractère irradiait du visage du nouveau venu. Son ventripotent observateur conclut ses observations en un soupir léger et discret, avant de clore :

« Le temps seul nous dira si Feles est un ami du peuple. En attendant, il me tarde de goûter ce que notre cher ami Publius a sorti de ses celliers. Lucullus ? Va donc me chercher quelque chose à manger. »

L’esclave, qui s’était jusqu’ici tenu à l’écart adossé contre le mur derrière le groupe de curiates, s’éclipsa en effectuant un révérence servile du chef. Puis les mirettes de Galba dérivèrent sur la magnifique femme que le procurator avait décidé de ramener de la capitale. Intéressé par la fraîcheur qui exhalait de cette envoûtante épouse, Lucius ne put s’empêcher d’étirer ses lippes charnues en un sourire torve.

« Voyez, mes amis. Une raison supplémentaire pour que le procurator Feles soit dans notre camp. »

Certains curiates approuvèrent le trait d’esprit d’un discret ricanement. Galba, fier de sa petite pique, jeta un regard en coin vers Primo Sicinius, des fois qu’il l’aurait lui aussi remarqué, engoncé dans sa toge comme un loukoum trop gras. Puis ses yeux furetèrent plus avant, cherchant une autre silhouette plus féminine, et qui l’appellerait à des pensées plus heureuses. Une femme qui en cet endroit était chez elle de plein droit.

Ravilla, où donc se trouve ton enfant ?

La domus Acilli était comble. Les visages étaient tournés vers les époux Proterii et Laelia avait su capté l'attention des curieux en dévoilant sa beauté et sa verve en plus de son giron arrondi par l'enfant qu'elle portait. Le Feles essaya de mémoriser les visages des patriciens les plus entourés. Qui disait compagnons autour d'un homme, disait que celui-ci avait de l'influence sur les curiates l'entouraient. Dans un premier temps, il n'y eut que des regards à l'encontre du Procurator et de sa jeune épouse, les invités se jaugeant autant qu'ils les jaugeaient. Dans ce genre de banquet formel, le premier qui se présenterait à Caïus et Laelia passerait pour un ambitieux ou un lèche-botte.

Un homme s'avança, une jeune femme accrochée à son bras. L'individu avait lorgné sur les Proterii dès leur arrivée et il avait suffit que le regard du Feles rencontra le sien pour qu'il avança, un sourire aimable sur le visage. Il coupa presque la parole au Tribun, ne prenant même pas le temps de le saluer et se présenta, ainsi que son épouse.

Ave, Procurator. Je suis l'avocat Primus Cassius Murena et voici mon épouse, Cornelia Iustia Cassia. Soyez les bienvenus en Edelmia.

Un avocat. Un simple avocat qui voulait probablement se faire bien voir en étant le premier à se présenter à l'envoyé de l'Imperator. Il n'était pas plus ambitieux que lèche-botte, probablement les deux de façon égale. Caïus arqua un sourcil, un peu interloqué par le manque de politesse envers son hôte, un Diumvir de la Curie, un homme bien plus important que ce Murena qui imposait sa présence. Il était temps de faire preuve de sens politique. Un sourire aimable élargit les lèvres du Procurator qui hocha la tête lentement.

Ave, avocat. Je te remercie pour ton accueil.

Il détourna son regard du couple, leur signifiant explicitement qu'il leur avait déjà accordé assez d'importance pour la soirée. Il n'était pas des figures de la Curie qu'il devait connaître et reconnaître et Caïus aurait préféré qu'un censeur ou un préteur soit le premier visage qu'il est à mémoriser. Il n'eut pas à feindre d'entendre son nom prononcé au loin ou que Laelia l'attira vers lui pour fausser compagnie à l'avocat. Le Tribun semblait avoir compris le jeu de son Diumvir et vint à sa rescousse en l'interpelant.

Procurator, laisse-moi te présenter ma fille, Ottavia Acilia Caelia. C'est elle qui s'est chargée de l'organisation de cette soirée.

La jeune femme arborant une blondeur assez rare chez les ruviens de la capitale s'avança. Elle était élégante et aux traits réguliers, le port de tête noble et la silhouette fine, une belle femme en somme. À en croire les propos de Publius elle était la Domina de la demeure. Il ne fallait pas être un érudit de premier ordre pour comprendre que le Tribun était veuf et que sa fille aînée avait donc pris les rênes de la domus. Un sourire, plus franc et plus sincère que celui qu'il avait servi à l'avocat, illumina le visage sévère du Feles.

C'est un honneur de te rencontrer. Merci d'avoir organisé ce beau convivium en notre honneur. Je te présente mon épouse, Laelia Antia Protera.

Il saisit délicatement la main de Laelia pour la faire passer un pas devant lui. Il ajouta, après avoir une nouvelle fois balayé la foule qui commençait à s'avancer vers eux.

Tu rends honneur à Tuodé elle-même, tant cette domus est bien tenue. C'est un plaisir que d'y être reçu.

Le faste de la soirée était bien maigre à ses yeux. Et quoique cette interlude montrait un visage plus civilisé de la région, elle n’éclipsait en rien l’opulence qu’elle avait pu connaître à la capitale. Le même sourire aimable s’ancrait parfaitement sur son visage alors qu’elle jaugeait d’une brève œillade l’ensemble de la foule. Voilà donc l’élite patricienne d’Oncmélie ; pas mécontente du déplacement, elle savait parfaitement le rôle qu’elle avait à jouer ce soir-là. Il était commode d’avoir offert l’opportunité aux Proterii de sonder leurs pairs. Ci-fait les époux pourraient aviser au mieux pour asseoir leur place. Car si elle fût donnée de bien mauvaise manière, et d’une grâce imposée par quelques sénateurs ambitieux, ils étaient à présent de leur fait de s’installer au cœur de la région avec justesse et distinction. Il pouvait bien agiter son titre, Caïus avait bien fort à faire pour en assumer la pleine responsabilité et au fond d’elle – aussi sûr que leur fils bougeait -, elle avait le sentiment intestin que la tâche serait plus ardue qu’ils n’auraient bien voulu. Là, à l’autre bout du monde, ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes, espérant dès lors que le mauvais temps ne rendait pas les quelques autochtones aussi mornes et laids.

Fièrement présentée, la fille du tribun consulaire était d’une beauté simple mais délicate. La mâchoire presque aussi serrée, la grimace plus forcée que complaisante à présent, elle s’assura d’une main sur le bras de son époux qu’il ne s’attarde point de trop sur son joli minois. Puisque si elle ne trouvait aucun attrait aux femmes, elle ne pouvait nier l’évidence. Aussi il fût peu étonnant que Publius Acilia l’exhiba comme son plus beau trophée. Et à sa charmante apparence s’ajoutait visiblement les talents d’une bonne domina. La soirée devait être l’une des plus belle d’Edelmia, et si elle ne pouvait faire jeu égal avec les conviviums de Ruvia, Laelia concédait également qu’elle se déroula sans accroc. Tous jouaient leur rôle à la perfection, et l’on s’assurait sûrement que chacun y trouve son compte. Optimates comme Populares se mêlaient sans que l’on ne distingua pour le moment les uns des autres. Et aussi vrai que Ottavia Acilia était le joyau de Publius, Laelia Antia Protera était celui de son époux qui, tout dévoué, la félicita avec courtoisie.

« Il est vrai. Et j’aime à croire qu’une domus est à l’image de celle qui la tient ». Tentant de demeurer égale, elle laissa ses doigts libres caresser avec orgueil son giron. « Peut-être accepterais-tu de m’accompagner dans la décennale ? J’aimerai rencontrer la plèbe, et une amie ne serait point de trop pour me montrer le charme de la ville ». Elle lança un regard entendu au Chat ; ils règneraient bientôt sur toute l’Oncmélie.

Par Aïka, quelle belle soirée, s'exclamait un Titus Sevinius Merula ravi. A quelque distance du groupe formé par les hôtes et invités d'honneur, le fils du Censeur Galba passait un fort agréable moment. Tout en avalant langoureusement une grappe de raisins grain après grain, le palais encore enchanté du grand cru dont il venait de descendre une coupette, le jeune patricien gratifiait l'assemblée d'oeillades appuyées. S'il adorait ces réceptions, ce n'était pas uniquement pour la qualité de la nourriture et de la boisson ; il aimait l'ingéniosité avec laquelle les belles épouses et filles des grands de ce monde rivalisaient de charme et de splendeur. Leurs tailles de guêpe se serraient dans de fines robes colorées, leurs regards candides sous leurs paupières fardées distillaient mille promesses. Rêveur, Merula se plaisait à deviner le goût de leurs joues roses et de leurs lèvres rouges.

Au milieu de la salle, l'épouse du Procurateur faisait office de curiosité exotique. Comment ne pas avoir un regard pour ses formes voluptueuses, sublimées par l'enfant qui grandissait en son sein ? Ottavia Acilia, que son père le Tribun présentait au Procurateur, captait tout autant l'attention : en dépit de son teint d'un blanc immaculé, Merula devinait sa peau chaude comme les blés sous le soleil d'Aestas, et comme les blés, elle était blonde, et belle à croquer.

C'est pourtant une toute autre femme qui devait retenir l'attention de Merula ce soir. Elle se tenait en retrait, cachée derrière un vieux grincheux et sa rombière, flanquée d'un grand dadais à l'air ahuri. Si mal accompagnée, la belle vous faisait l'effet d'une rose ayant poussé sur le fumier. Des belles lèvres pulpeuses sur un visage ovale, la chevelure blonde arrangée en une coiffure des plus élaborées... ce n'est qu'en croisant son regard que Merula découvrit ses yeux vairons, et cette particularité, qui n'enlevait rien à la beauté de la jeune femme, le laissa tout chamboulé.

Honoria reste debout derrière son père, digne et silencieuse, comme toujours. Elle a hâte que tout ceci se termine alors qu’elle vient à peine d’entrer. Ces réceptions ne sont rien de plus que des démonstrations de force, elle le sait. Tout comme elle sait également que c’est précisément lors de ce genre d’événement que se dessinent les alliances. Un soupir léger s’exhale alors de sa poitrine.

Un regard sur la droite, elle croise rapidement le regard d’un homme portant la barbe, plutôt grand. Un homme qu’elle ne connaît pas. Cela dure un instant, déjà elle regarde ailleurs. Sur la gauche. Et là aussi, elle croise le regard d’un homme qui, lui, ne lui est pas étranger. Elle a déjà eu l’occasion de le croiser aux thermes, dans les rues, une amie ou l’autre glissant alors à son oreille des récits si sulfureux qu’elle en demeurait rouge d’embarras. Oui, sa réputation précède Merula et si l’homme est chamboulé, Honoria, elle, préfère rapidement regarder ailleurs, pour dissimuler son embarras.

Elle semble soudain mal à l’aise et se penche vers son frère pour murmurer :

- Père est occupé. Je préfère m’éloigner un peu, il n’a pas besoin de nous, visiblement, et il y a trop de monde, je ne me sens pas très à l’aise.

Elle regarde son cadet d’un air doux et s’éloigne déjà, se faufilant parmi la foule tout en saluant poliment, cherchant un endroit tranquille qui lui permettra de se soustraire à ces regards indiscrets. Si son père la cherche, elle pourra toujours prétexter un léger malaise de femme ou n’importe quoi d’autre qui instaurera une légère indisposition dans l’esprit de Primo Sicinius Scorpa. Son père n’étant pas des plus expressifs, il préfèrera ne rien savoir de ce qui indispose une dame, prenant sans doute tout cela pour de petits caprices de femme avec lesquels il faut bien composer. Autant en profiter pour faire ce qu’elle veut. Pour une fois.