Arrivée en Oncmelia Minor (Pv Laelia) [Terminé]

2e jour de Primo Seminare 399

Les hauteurs enneigées des Montis Ermeticae se découpaient dans le dos de la longue colonne de légionnaires en marche. Arpentant depuis plusieurs jours la Via Oncmelia, le nouveau Procurator caracolait en tête des deux cohortes de renforts de la Legio VI Aquila. Juché sur le dos de son cheval alezan, sa cape battant la mesure de la marche de la noble monture, Caïus plissa les yeux pour apercevoir la silhouette d’Edelmia à l’horizon. Plus que quelques heures et il pourrait prendre ses nouvelles fonctions et profiter d’une véritable cubicula au lieu de la tente qui l’avait abrité pendant des nuits.

Chaque matin il maugréait contre cette promotion empoisonnée, prononcée par un Sénat trop heureux d’éloigner un des plus proches de l’Empereur Paetius. Sous son armure et son casque à la crête blanche, il ne pouvait s’empêcher de penser à toutes les opportunités que Pavinius et ses co-conspirateurs s’étaient offertes en se débarrassant de lui ainsi. Seulement, nul n’aurait pu refuser pareil honneur, surtout après un tel plébiscite de la part du Sénat. Même mis au placard au fin fond de l’Empire, le Procurator avait accédé à cette fonction avec une énorme légitimité, du moins aux yeux de la population. Le héros de Ruvia, le Feles de l’Empereur, aimé de la plèbe et respecté par les patriciens de la capitale, voilà ce que retenait la populace lorsque l’annonce de sa nomination avait été évoquée par le crieur public sur le forum.

La pluie tombait perpétuellement depuis des jours. Un crachin froid et détestable qui s’insinuait dans les interstices de l’armure pour venir tremper sa stola et la coller contre sa peau. Les paragnathides battaient faiblement contre ses joues en chassant les quelques gouttes qui cherchaient à se cramponner à son visage tandis qu’il quittait la tête de la colonne pour se diriger vers le train de bagages à l’arrière du convoi. Les larges chariots avançaient au pas paisible des boeufs et des mules qui les tiraient. Caïus dépassa le chariot qui transportait ses biens personnels pour rejoindre le suivant.

La pluie clapotait sur la toile tendue lorsque le Procurator mit le pied à terre et confia les rênes à un aide de camp qui le suivait comme son ombre. Il fit quelques foulées rapides pour monter sur le marche-pied et souleva la bâche afin de monter à bord. À l’intérieur, la petite Octavia jouait avec des cubes en bois au faces de couleurs différentes et tentait, malgré les cahots, de faire une pyramide. À ses côtés, la ravissante et jeune épouse de Caïus, Laelia, portait un regard tendre sur leur progéniture. Le ventre rebondi, à l’image de ses joues, elle portait dans son giron le prochain membre de la maison Protero. Les augures avaient été formels, ce serait un fils qui viendrait égayer la demeure du couple dans les prochaines semaines.

Caïus approcha de son épouse et déposa un tendre baiser sur son front avant de s’asseoir quelques instants à côté d’elle. Il savait que la jeune femme goûtait bien peu ce voyage, loin de sa ville natale et dans sa condition. Octavia s’approcha de son père qui la fit grimper sur ses genoux avec un petit sourire. Il ôta son casque qu’il tendit à l’enfançonne. La petite fille parut hypnotisée, comme à chaque fois, par la crête blanche qui ornait son casque et elle se mit à l'ébouriffer avec un rire jovial. Il s’adressa à Laelia après s’être assuré de tenir fermement sa fille contre lui.

Nous y sommes bientôt. Deux heures, trois maximum. Tu pourras prendre un bain et profiter d’un vrai lit.

Il redoutait déjà la répartie. Laelia avait un caractère bien trempé et sa grossesse n’avait fait qu’exacerber certains mauvais côtés. Il sourit plus franchement, cherchant ouvertement à apaiser sa bien-aimée.

La pluie. Son ploc régulier venait irritait chaque fois un peu plus la jeune femme, comme si chaque gouttelette plantait un couteau dans son cœur. Et le froid de l’air humide formait le linceul de son amertume. Pas un rayon n’avait percé depuis des jours, et la lassitude se mêlait à d’affreuses nausées. Tentant de garder bonne contenance, elle faisait la même chose depuis des lustres : du matin au soir et du soir au matin elle surveillait l’enfant qui voyageait en sa compagnie. Il était bien difficile d’expliquer à la petite les raisons de ce tumulte ; loin de ce qu’elle avait toujours connu, Octavia se retrouvait perdue au milieu d’une cohorte qui n’avait guère d’attrait et de patience envers les gens de son âge. Seule, elle s’ennuyait toute la journée auprès d’une génitrice pas plus optimiste. La petite – qui ressemblait chaque jour un peu plus à son père -, jouait de tout et de rien, dormait la plupart du temps, et pleurait parfois. Un véritable crève-cœur que de voir le visage polisson se noyer de larmes. Sa famille lui manquait, et sans maison, sans ami, elle regrettait Ruvia.

Elle n’était point seule. Car de toute les tragédies, c’était pour Laelia la pire. Arrachée malgré elle des lieux qui avaient bercé son enfance, elle n’avait eu d’autres choix que de s’exiler. C’était ainsi qu’elle le vivait, et les mots doux et les caresses chaudes du brave Caïus n’avaient eu raison de sa grogne intérieure. Humiliée, elle lui avait à peine offert quelques mots depuis leur départ. La nièce de l’empereur bien que consciente qu’il ne s’agissait pas là de sa propre volonté, lui en voulait profondément. Pire encore, elle en voulait à la terre entière. La ruvienne quittait non seulement la capitale dans laquelle elle avait ses habitudes, mais surtout son confort. Anxieuse, presqu’apeurée, elle redoutait cette nouvelle vie qui l’attendait. Jamais elle n’avait vécu en province, et jamais elle n’aurait imaginé un jour y vivre. Et si elle tentait par quelques essais infructueux de se réconforter, l’inconnu la terrorisait. Elle n’avait jamais été très à l’aise avec les découvertes, et ce voyage confirmait ce qu’elle avait finalement toujours su. Il était bien plus aisé de contrôler un royaume que l’on maîtrisait déjà que de s’essayer à régner sur un monde que l’on ne connaissait guère.

Son ventre se déforma alors que se rappelait à elle le petit être qu’elle couvait encore. Une main délicate caressa le tissu arrondi. Les chemins chaotiques qui menaient aux confins de l’Empire avait rendu sa grossesse bien moins supportable qu’elle ne l’aurait voulu. Le lit de fortune faisait souffrir son dos et elle ne parvenait à vraiment se reposer convenablement. Lorsque la toile laissa passer Feles, elle somnolait presque ; une brève œillade n’aurait pu être plus froide que l’air qui s’engouffra alors. Sans un mot elle l’observa s’installer en attirant à lui sa fille chérie. Laelia pouvait bien lui reprocher des choses, mais il avait toujours été un bon père et un mari respectable. Quoiqu’ayant peu l’habitude de s’étendre, il avait fait preuve depuis le début du voyage d’une grande patience. Si elle n’avait été aussi butée, peut-être lui aurait-elle déjà pardonné le crime dont il n’était pas coupable. Malheureusement pour le brave Protero, il n’avait pas épousé une fleur sans épine.

« Dans une maison qui ne sera jamais la mienne ».
Le ton était sans appel. Un léger silence s’installa alors que la mère souriait à l’enfant, tranchant avec ses paroles prononcées à la volée. « Attendais-tu de moi que je me réjouisse ? Prie donc pour que ton fils survive quand je serais obligée de vêler comme le font les animaux. Car ne te trompe pas Caïus : ici les ruviens sont plus proches des bêtes que des hommes ».

Il avait fait mine de ne pas remarquer le regard froid bien que légèrement endormi de Laelia. Elle n'avait jamais caché sa peine de quitter Ruvia et son agitation permanente, ni ses petites habitudes dans la capitale. Il avait cru naïvement qu'il avait trouvé des mots qui lui apporterait le sourire qui avait déserté son joli visage depuis des décennales.

Dans une maison qui ne sera jamais la mienne.

La saillie avait été sèche et sans faux-semblant. Elle sourit à la petite Octavia comme si de rien était avant de poursuivre. Le ton s'était un peu radouci mais la teneur des propos restait du même accabit.

Attendais-tu de moi que je me réjouisse ? Prie donc pour que ton fils survive quand je serais obligée de vêler comme le font les animaux. Car ne te trompe pas Caïus : ici les ruviens sont plus proches des bêtes que des hommes.

Le Feles inspira et expira profondément. Il n'y avait pas une once d'agacement qui apparaissait sur son visage, plutôt de la lassitude et un sentiment d'impuissance face à la détresse de sa jeune épouse. Il avait déjà essayé de trouver les mots justes pour la réconforter et lui donner foi en cette aventure à l'autre bout du monde. Il caressa les cheveux de sa fille doucement en tournant le regard vers le visage contrarié de sa femme.

Je sais très bien que tu n'aimes pas l'idée de vivre ici, mais nous n'avons pas le choix. Nous devons faire avec la volonté du Sénat.

La petite Octavia s'agita sur les genoux de son père, jouant d'une main avec les franges qui ornaient son plastron. Caïus posa son regard sur sa fille avec tendresse. Ce visage poupon l'apaisait et son sourire ravi le rendait plus épris d'elle et de sa mère qu'il n'aurait pu l'expliquer. Il continua à parler avec Laelia en observant Octavia, un petit sourire aux lèvres.

C'est ici qu'elle grandira et nous devons nous efforcer de lui offrir plus que notre déception, Laelia.

Il posa une main sur le giron arrondi de sa femme et caressa légèrement avant de relever le regard vers elle.

C'est ici que notre enfant naîtra et il sentira ta tristesse à chaque instant si nous ne faisons pas bonne figure. Je sais que Ruvia te manque. Elle me manque aussi, mais si nous sommes envoyés ici, c'est justement pour apporter un peu de Ruvia dans cette contrée. À nous de transformer ces bêtes en nobles citoyens. Tu es la nièce de l'Empereur, les femmes voudront te copier et te ressembler. J'ai juré que je rendrais cette province meilleure mais j'ai besoin de toi, mon amour.

Il approcha son visage encore couvert de gouttes de pluie de celui de Laelia, tendant les lèvres afin de lui voler un petit baiser qui fit glousser Octavia de plaisir. Les yeux plongeaient dans ceux de sa femme, il chuchota.

Lorsque j'aurai fait de cette province un exemple de gloire ruvienne, nous retournerons à la capitale. Je te le promets.

Elle ne pouvait ignorer la lassitude qui habillait les traits de son époux. Peut-être avait-elle été trop dure avec lui, tandis qu’il s’était démené à rendre sa vie moins inconfortable. Mais comment ne pas lui en tenir rigueur – même un peu ? Il avait toujours été un homme droit et austère, dont l’habilité politique n’avait d’égal que son dévouement ; une abnégation louable qui lui valait aujourd’hui d’être exilé à l’autre bout de l’empire. N’aurait-il pu se contenter du peu qu’ils avaient ? Là non ! Caïus Protero Feles avait les faveurs de son oncle depuis le premier jour, si bien qu’elle s’étonna encore qu’il ne l’ait pas reconnu comme son fils. Il l’avait certes évoqué, à mi-mot, lors de l’une de ses visites au palais. Mais Paetius était un homme prudent, peut-être trop. Elle lui avait reproché maintes fois mais l’homme mûr à la santé fébrile s’était toujours amusé de son empressement.

Mais maintenant qu’ils se trouvaient là, assis dans le froid, bringuebalés par le pas lancinant des bœufs, elle ne pouvait s’empêcher de se donner raison. Les hommes avaient cette propension à remettre à plus tard ce qui pouvait être fait céans ; c’était d’ailleurs l’une des raisons qui faisait des femmes de bien meilleures gestionnaires. Plutôt que remuer le couteau dans la plaie, elle observait le même silence oppressant. Finalement pouvait-elle blâmer le Procurateur d’être un mâle ? Certes pas. Il valait mieux dès lors se taire que d’ajouter des choses qu’elle finirait par regretter. C’était ainsi depuis leurs noces. Sa colère ne trouvait aucune mesure et bien souvent les éclats de voix avaient abimé les murs de leur domus. Pourtant, elle aurait pu le jurer devant tous les Dieux, elle l’aimât sincèrement. La petite Octavia avait fini de sceller leur amour, et la main douce sur son ventre rebondi lui rappela qu’un autre viendrait apaiser le cœur des amants.

Finalement elle se laissa aller à ses lèvres sous le rire de la petite, trop heureuse de voir ses parents réconciliés. Et ses mots, à peine murmurés, lui parurent plus tendre que du miel. Alors elle s’imagina y croire un instant, juste un, leurs souffles encore entremêlés. Ses yeux gris s’ouvrirent en rompant le charme, plongeant presque aussitôt dans les prunelles de Feles. Ces choses-là, il lui avait promis mille fois déjà. Ce n’était pas de rentrer plus tard qu’elle craignait, c’était surtout d’être un jour partis. Que dirait-on d’eux à la capitale si – bien que triomphant – ils s’en revenaient des années plus tard ? Ils ne seraient que des étrangers dans leur propre foyer et jamais leurs enfants ne jouiraient de la même jeunesse qu’eux. Il était trop tard à présent, trop tard pour récupérer ce qui avait été perdu à jamais.

« Tu sais que je me fiche que l’on m'admire. Il n’y a de toute façon ici que la pluie et le froid ». Elle détourna la tête, préférant regarder au travers de la toile humide. « Ne nous berce pas d’illusions. Tu sais aussi bien que moi pourquoi l’on t’a envoyé ici. Crois-tu seulement que nous pourrons en repartir un jour ? ».
« Nous mourrons tous dans cette maudite province, et si ce n’est de vieillesse alors ce sera de froid ou pire, de maladie ». Elle soupira en grimaçant sous les mouvements vigoureux de l’enfant à naître. « Le Sénat t’écartera toujours de Ruvia. Tu es bien trop dangereux ».

Le temps du baiser, il pensa l'avoir apaisé. Il goûtait la douceur des lèvres de sa jeune épouse avec délice, comme le seul moment de chaleur qu'il connaîtrait de la journée entière. Il rouvrit les yeux après avoir échanger son souffle avec celui de Laelia et vit les grandes prunelles grises de la jeune femme le toiser. La lueur de réconfort qui y était né s'évanouit bien vite tandis que le Procurator se redressait pour repositionner Octavia correctement sur sa cuisse. Elle fronça légèrement les sourcils avant déclarer amèrement.

Tu sais que je me fiche que l’on m'admire. Il n’y a de toute façon ici que la pluie et le froid.

Il aurait été si simple qu'elle fut convaincue et qu'elle tempère sa tristesse après un si court argumentaire. S'il avait bien appris une chose depuis le début de son mariage, c'est qu'elle était aussi belle que têtue. Elle détourna le regard, pas prête de démordre de son agacement.

Ne nous berce pas d’illusions. Tu sais aussi bien que moi pourquoi l’on t’a envoyé ici. Crois-tu seulement que nous pourrons en repartir un jour ? Nous mourrons tous dans cette maudite province, et si ce n’est de vieillesse alors ce sera de froid ou pire, de maladie. Le Sénat t’écartera toujours de Ruvia. Tu es bien trop dangereux.

Elle avait porté la main à son ventre, faisant se tordre les entrailles de Caïus. Même si la naissance d'Octavia s'était passé sans encombres, il ne pouvait s'empêcher de souffrir en voyant les traits de Laelia se tordre sous les assauts de leur second enfant. De lointains et douloureux souvenirs revenaient dans sa mémoire et dès que l'enfant donnait un coup pour manifester sa vigueur, il aurait aimé recevoir la douleur plutôt que de voir Laelia la subir. Il l'aimait, par Hedelma, plus qu'il ne l'aurait jamais cru possible. S'il venait à la perdre ... Il chassa bien vite ses noires pensées en venant saisir délicatement le menton fin de son épouse, l'invitant à croiser son regard de nouveau.

Je ne cherche ni à te mentir, ni à te bercer d'illusions. Aussi vrai que je ferai tout mon possible pour honorer la mission qui m'a été confié, je m'acharnerai à trouver un moyen de rentrer chez nous. Et en attendant, nous ferons de cette province froide et pluvieuse notre "chez nous". Le Sénat m'a envoyé ici sous l'impulsion de cette ordure de Pavinius mais il n'est plus très jeune. Il cèdera bientôt sa place, alors nous verrons.

Ses lèvres s'étirèrent en un fin sourire tandis qu'une lueur complice illuminait le regard qu'il offrait à ALelia. Il poursuivit sur un ton presque badin.

Au pire, il suffira de conquérir ces barbares hirsutes au-delà des frontières et tel mon glorieux ancêtre ou ton propre père, ce sera sous les vivats de la foule que je reviendrais à Ruvia. Caïus Protero Victor ! Il y aurait une certaine prestance tu ne trouves pas ?
Moi je préfère Feles, papa !

La petite voix d'Octavia fit tourner le regard du Procurator vers sa fille. Elle fronçait les sourcils, manifestant son désaccord avec la suggestion de son père. Elle avait beau partagé de nombreux traits avec lui, elle ressemblait à sa mère comme une goutte d'eau lorsqu'il s'agissait d'afficher son mécontentement. Il eut un petit rire avant de déposer un baiser dans les cheveux de la gamine qui se colla contre le plastron de son père avec un sourire qui était revenu aussi vite qu'il était parti. Il tourna de nouveau la tête vers Laelia, posant son menton sur le haut du crâne de sa fille.

Il a beau pleuvoir et faire froid. J'ai mes deux soleils avec moi.

Il saisit la main de sa femme et la serra doucement avant d'ajouter, de nouveau taquin.

Tu n'aimes pas être admiré ? Pourtant je suis sûr que toutes les patriciennes de cette province de ... hum ... de cette province reculée ne pourra qu'admirer ta beauté et ton allure. Les plus bêtes seront jalouses, les plus malignes chercheront tes faveurs. Cela devrait te rappeler Ruvia.

Il releva son menton et chercha à nouer le contact avec les yeux d'Octavia.

Pas vrai qu'elle est belle Maman ?
C'est la plus belle !!

La mine satisfaite, il tourna une nouvelle fois le regard vers son épouse, espérant lui arracher un petit sourire avec la complicité de leur fille.

Tu vois ? C'est l'avis d'une experte.

Un sourire lui échappa malgré tout. Là, il était malin son époux en prenant à témoin la seule créature qui trouvait encore grâce à ses yeux sur cette terre ! D’un geste tendre et aimant, elle caressa la joue de la petite fille de sa main libre. Ses boucles lui tombaient régulièrement sur les épaules, et les yeux en amandes n’auraient pu paraître plus semblable à ceux de son père. Pour sûr, jamais ne pourrait remettre en cause la paternité de l’enfant. Et si elle lui ressemblait trait pour trait, elle n’en avait pas moins hérité – au grand dam de l’ensemble de leur entourage – du caractère farouche des Julii. Alors peut-être était-ce pour cela qu’elle regrettait de ne porter encore que le nom des Proterii ; peste soit son oncle d’avoir tant attendu ! Plutôt que de ruminer plus longtemps, elle chassa d’un battement de cils ces mauvaises pensées.

« Nous ne serons rien de plus que des étrangers Caïus ; et aussi sur qu’il y a des Pavinii au Sénat, il y en aura aussi à la Curie ».
Ses yeux clairs revinrent sans détour sur ceux de son amant. Elle le connaissait assez désormais pour savoir qu’il n’ignorait rien de la tâche qui s’annonçait. Les provinces, outre leur charme pittoresque tout à fait relatif, partageaient toutes ou presque une profonde aversion pour les gens tels qu’eux. Annoncés avant l’heure comme des parvenus, il était bien difficile de se faire une place respectable dans des contrées si fermées. Cela faisait certainement des décennies que les familles patriciennes de la région n’avaient vu de nouveaux arrivants, et plutôt que de s’en réjouir cela ne faisait qu’une concurrence plus rude pour les administrations.
« Je crains de n’apprécier ni les jaloux ni les flatteurs. Quand le premier cachera un couteau, l’autre versera du poison dans nos coupes ». Le regard grave, sa main toujours serrée dans la sienne, elle laissa les mots se suspendre dans l’alcôve peu stable. « Des barbares aux frontières ou des opportunistes, je ne sais lesquels je redoute le plus. Je ne sais pas ce que tu as prévu, mais rien ne me paraît aussi simple que tu le prétends ».

La fatalité sonnait bien plus vraie lorsqu’elle fût prononcée à haute voix. Et enfin après des jours de voyage, elle osait enfin entre-ouvrir son cœur en exposant ses craintes. Comme si une fois la colère passée, il ne restait plus sur la grève que les morceaux brisés de sa confiance. Laelia croyait en son époux, plus que quiconque en ce monde, mais elle ne pouvait nier l’évidence et lui non plus. Elle ne comprenait pas pourquoi il se mentait encore à lui-même et quoiqu’elle aurait aimé le conforté dans un optimisme affligeant, elle n’en n’était pas capable.
« Notre seule chance de rentrer à la maison c’est que le Sénat se rétracte un jour ».

Sa petite victoire du jour se matérialisa sous la forme d'un petit sourire de sa belle épouse. Les efforts combinés de Caïus et de leur fille portaient leurs fruits. Même si l'éclaircie sur le visage de Laelia fut courte, elle fut bien réelle. Bientôt les nuages de l'amertume voilèrent de nouveau son regard tandis qu'elle déclarait.

Nous ne serons rien de plus que des étrangers Caïus ; et aussi sur qu’il y a des Pavinii au Sénat, il y en aura aussi à la Curie.

Les mots de la belle étaient durs mais teintés d'une réalité qui ne prêtait pas à débat. Des assemblées patriciennes, où qu'elles se trouvent, étaient des nids à serpents où chacun tentait d'étouffer son voisin entre ses anneaux. Des regards méfiants, des messes basses dans son dos et des opposants prêts à salir leur honneur pour prendre le dessus sur lui ou sur leurs pairs, il y en aurait plus d'un. Elle poursuivit en serrant la main de Caïus dans la sienne.

Je crains de n’apprécier ni les jaloux ni les flatteurs. Quand le premier cachera un couteau, l’autre versera du poison dans nos coupes. Des barbares aux frontières ou des opportunistes, je ne sais lesquels je redoute le plus. Je ne sais pas ce que tu as prévu, mais rien ne me paraît aussi simple que tu le prétends. Notre seule chance de rentrer à la maison c’est que le Sénat se rétracte un jour.

La démonstration de pessimisme dont faisait preuve sa femme était assez remarquable. Il avait beau chercher les mots qui la réconforteraient, elle semblait s'obstiner à vouloir broyer du noir. Il ne pouvait que reconnaître la véracité des assertions de Laelia, mais s'il s'abandonnait lui aussi au spleen qui la rongeait, ils seraient de plus en plus malheureux dans cette province grise. Il attira la main de sa femme vers ses lèvres et déposa un doux baiser sur ses doigts fins. Il dit doucement, en observant leur fille qui commençait à s'assoupir contre son torse sans s'en rendre compte.

Tout ce que tu évoques là n'est pas si différent de Ruvia. Des jaloux, des flatteurs, des égos. Savoir démêler le vrai du faux et lire entre les lignes de chaque discours ... Ton oncle me disait que c'était le quotidien d'un sénateur.

Ses yeux revinrent se plonger dans ceux de Laelia et il poursuivit.

Je sais que ça ne sera pas simple. Rien n'est jamais simple. Pourtant je suis sûr que tous les deux, nous pouvons réussir à trouver notre place ici. Le Sénat ne se rétractera jamais. Ce sera à moi ... À nous, d'oeuvrer pour qu'il me rappelle à la capitale. En attendant, je pense que nous pouvons apporter quelque chose ici et si de cette promotion-punition j'en tire succès et honneur, même mes opposants ne pourront résister à la pression publique qui demandera mon retour.

Il sentait le poids de sa fille s'alourdir contre sa poitrine tandis qu'Octavia embarquait sur les flots honiriques en compagnie d'Uni. Il passa délicatement un bras sous les jambes de la petite et la fit glisser lentement vers sa couche. Il l'enveloppa d'une couverture bleue et redressa les yeux vers Laelia. Il lui sourit avant de revenir s'asseoir à ses côtés, passant un bras autour des frêles épaules de son épouse. Il la serra doucement contre lui avant de chuchoter.

Et pour y arriver, j'aurai besoin de toi mon amour. Tu es la seule sur qui je peux compter pour l'instant. Tant que je n'ai rencontré ni mon diumvir, ni mes soldats, tu es la seule. Tu es mon roc. Un petit roc, certes, mais tu l'es.

Il ponctua sa taquinerie d'un sourire légèrement moqueur, cherchant à faire naître une nouvelle fois un peu de joie dans le regard de la jeune femme. Ses lèvres reprirent leurs positions, en une moue plus sérieuse et sévère, plus habituelle chez Caïus.

Promets-moi, au moins, d'essayer. Ne juge pas ce bout d'Empire et ses habitants comme ils nous jugeront. Nous valons mieux que ça et nous sommes surement plus malins. Offrons-leur un Procurator et une épouse de Procurator comme ils n'en ont jamais vu. Séduisons-les, gouvernons-les et alors, même Ruvia nous jalousera. Mais encore une fois, il faut que tu mènes cette bataille avec moi.

Les traits légèrement tirés, il avait parlé une fois de plus avec son coeur. Il voulait rester optimiste et que Laelia finisse par le partager. Si Kotha avait fait que leur destin les emmenait en Oncmelia, c'était pour autre chose que les faire dépérir à des milliers de lieues de leur ville natale. Il en était persuadé.

« N’ai-je pas été toujours là ? ».

Radoucie, peut-être exténuée de se battre contre elle-même, Laelia esquissa un sourire timide au coin des lèvres. Et il n’y avait rien eu de plus sincère que cette phrase. Qu’importaient leurs différends, les querelles qui longtemps avaient abimé les murs de leur maison ; elle l’avait toujours soutenu. Bien sûr il demeurait des choses où ils ne tomberaient jamais d’accord, mais face au monde ils les taisaient volontiers. Elle se rappelait avec émoi la jeune fille qu’elle était cinq années plus tôt. Lui, héros triomphant, meilleur parti de toute la capitale qui jamais n’aurait posé les yeux sur elle. Il était beau à cette époque, mais le temps le rendait plus charmant encore. Puis il lui avait offert une fille merveilleuse, qui rythmait leur jour et leur nuit, cristallisant un peu plus les sentiments noués au fil de l’eau. Un petit coup de pieds du turbulent enfant à naître – leur fils à n’en point douter – finit de lui tirer une grimace pleinement satisfaite. Elle avait tout pour être heureuse : Ruvia n’était qu’un lieu, mais sa famille comptait bien davantage.

« Je ne pourrais m’arrêter d’être triste, mais je te promets d’essayer. Tu m’as toujours ouvert ton cœur, et je sais au fond de moi que cet exil te peine tout autant ». Elle parlait à voix basse, de peur de réveiller Octavia qui déjà se roulait sous la couverture. Un soupir lui échappa.
« J’ai confiance en toi depuis le premier jour, et jusqu’à mon dernier je t’appartiendrais ».

Elle déposa sur ses lèvres un tendre baiser, chaste mais emplit de promesses implicites. Elle lui répèterait volontiers jusqu’à son lit de mort, et même dans l’autre monde s’il le fallait ! Peut-être était-ce là sa faiblesse, d’aimer les choses belles, d’aimer ardemment à la manière des artistes dont elle s’entourait. Car au-delà du beau, ils exprimaient par un chant, un poème, une forme taillée dans la pierre, tout ce leur cœur avait besoin. Laelia n’avait jamais eu les mots justes, ni même la manière de s’exprimer comme ces gens simples ; elle avait bien trop à perdre à faire cela. Alors, pour compenser sa médiocrité, elle tentait parfois vainement de se laisser aller à la fougue, à ce feu dévorant qui lui parcourait le corps et l’esprit. Ils étaient à la fois si proches et pourtant si différents les amants Proterii. On ne savait d’ailleurs dire s’ils étaient parfaitement assemblés ou purement antinomique. Le chariot chahuta un peu et ses mains vinrent s’accrocher au bras de Feles. Dans une mi-voix, ses yeux rencontrèrent les siens. Jamais elle n’avait été plus sûre qu’à cet instant.

« Un jour l’on t’appellera Caïus Julius Feles. Et ce jour-là, tous les Pavinii du monde s’agenouilleront devant nous ».

N’ai-je pas été toujours là ?
Toujours.

À voix basse, elle se collait un peu plus contre le corps enarmuré de son époux. Il aurait aimé qu'Eka suspende sa course pendant cet instant, ne profiter que d'elle, n'être qu'avec elle, leur fille non loin qui expirait profondément sous sa petite couverture en laine. Ne penser à rien d'autre qu'à eux et n'avoir à faire face à aucune conséquence. L'épouse du Procurator poursuivait, toujours à mi-voix.

Je ne pourrais m’arrêter d’être triste, mais je te promets d’essayer. Tu m’as toujours ouvert ton cœur, et je sais au fond de moi que cet exil te peine tout autant. J’ai confiance en toi depuis le premier jour, et jusqu’à mon dernier je t’appartiendrais.

Le tendre baiser qui scella les paroles de Laelia fit s'agiter une nuée de papillons dans l'estomac de Caïus. À chaque fois qu'il entendait les mots tendres de sa bien-aimée, son coeur accélérait et son amour pour elle semblait se décupler. Il caressa tendrement la joue de son épouse du bout du pouce. Malgré les quelques disputes tempétueuses qui agitaient parfois leur foyer, il aimait cette femme plus qu'il ne l'aurait jamais cru possible. Elle surenchérit avant qu'il n'est eut le temps de rétorquer le moindre mot.

Un jour l’on t’appellera Caïus Julius Feles. Et ce jour-là, tous les Pavinii du monde s’agenouilleront devant nous.

Un nouveau sourire ourla les lèvres de Caïus avant de les déposer dans un nouveau baiser passionné contre celles de Laelia. Il avait tant à lui dire et pourtant, lorsque leurs souffles se démêlèrent, ce sont des mots simples qui lui échappèrent.

Je t'aime. Par Aika, je t'aime.

Sa main glissa dans la chevelure de la jeune femme, caressant doucement la crinière de Laelia. Les cahots du chariot auraient presque pu briser ce moment d'harmonie parfaite. Il resta silecnieux pendant quelques secondes, songeur. Finalement, le regard assombri, il déclara à voix basse, posant ses yeux sur leur fille qu'il ne voulait pas réveiller.

Si un Pavinius s'agenouille devant moi ... Ce sera pour que je lui tranche la gorge.

Ses mains continuaient le tendre contact avec son épouse alors que son visage se fermait peu à peu. Les images du sénateur ruvien qui le toisait triomphalement après avoir réussi à l'éloigner de Paetius lui revenait en mémoire, laissant un goût de cendres sur sa langue. Il se ressaisit en chassant ses noires pensées, déterminé à se montrer plus positif face aux doutes de sa femme. Il haussa légèrement les sourcils avant d'étirer un peu ses jambes, cherchant à chasser les quelques courbatures qui s'insinuaient dans ses mollets. Il déclara alors, tentant de prendre un ton moins froid que précédemment.

J'imagine que les pontes d'Edelmia voudront nous rencontrer dès ce soir. As-tu déjà choisi une tenue pour éblouir les provinciaux ?

Elle l’avait senti ce moment fugace où ses muscles, malgré lui, s’étaient tendus. Il n’avait guère été très loquace sur les velléités qui poussaient Pavinius à mettre sa famille en exil, mais ce n’était pas difficile d’en imaginer la teneur. Les parvenus, les ambitieux, tous ces sénateurs engrossés par des richesses illusoires, elle les connaissait depuis toujours. Son oncle s’était peut-être trop reposé sur les épaules du servile et loyal Caïus. Pouvait-elle seulement l’en blâmer ? Les hommes comme lui ne naissaient qu’une fois par décennie. Loin des vanités de son rang et des intrigues politiques, il avait toujours su œuvrer avec la même justesse. Laelia n’aurait pu avoir meilleur époux que celui-ci qui, bien au contraire de ses semblables, se soucia vraiment des gens. La réflexion faite lui tira un sourire alors que ses mires se perdaient dans le vague. Elle qui appréciait son rang, ses avantages et en jouissait plus que largement, se retrouvait à présent éprise d’un étrange sentiment coupable. Elle ne détestât pas la plèbe – ce n’était simplement pas son monde. Le départ de Ruvia était finalement – peut-être – l’opportunité qu’elle avait attendu pour, à son tour, faire le bien.

« L’on dit que plus maigre est la renommée et plus l’on se congratule de l’opulence ». La réflexion, d’avantage personnelle que pour son conjoint, lui tira un petit rire. « Si cet adage est vrai, je veux bien arriver nue ! ».
Un coup d’œil taquin finit d’enterrer la douloureuse rancœur. Des décennales loin de celui qui lui apportait son plus grand bonheur l’avait rendu presque nostalgique de l’air complice qui s’était toujours dégagé de leur union. Ils œuvraient ensemble, envers et contre tous.
« Mais pour te répondre tout à fait, ce n’est pas ce que je porterai qui m’inquiète le plus. Ce sera notre première apparition, et nul doute que tous te jaugeront à ce moment-là. N’as-tu rien prévu ? »

Laelia se laissa aller à un petit rire amusé en répondant à son époux.

L’on dit que plus maigre est la renommée et plus l’on se congratule de l’opulence. Si cet adage est vrai, je veux bien arriver nue !

L'éclat de rire de sa bien-aimée sonnait comme le chant des valtéides dans le Palais Céleste de leur père. Douce et mélodieuse, la voix cristalline de la jeune femme fit s'accélérer les battements du coeur du Procurator avant que leurs yeux ne se lient dans un contact taquin et complice. Un sourire franc illumina le regard de Caïus, s'enorgueillissant d'avoir réussi à dérider sa femme. Elle surenchérit.

Mais pour te répondre tout à fait, ce n’est pas ce que je porterai qui m’inquiète le plus. Ce sera notre première apparition, et nul doute que tous te jaugeront à ce moment-là. N’as-tu rien prévu ?
L'idée de te voir nue a toujours été une idée séduisante ... Mais j'aimerai garder ce spectacle pour moi !

Il rit également et fit naître un petit grognement de protestation depuis la couverture qui enveloppait leur fille. Octavia avait failli se réveiller mais finalement son petit corps potelé s'était détendu après s'être légèrement crispé. Il poursuivit en reprenant un ton plus bas.

Oh ils nous jaugeront et nous jugeront, c'est évident. Que nous arrivions habillé d'une serviette ou sur le char de Valta, ils le feront. Je n'ai rien de vraiment prévu pour le moment. J'imagine qu'il faudra identifier les pontes et les postes importants, tenter de se faire un premier avis sur les gens avant de potentiellement les inviter chez nous plus tard pour des entrevues plus privées, sans oreilles indiscrètes autour de nous.

Il marqua un arrêt, juste le temps de déposer un petit baiser sur la tempe de son épouse avant de finir.

C'est ton oncle qui m'a apprit à faire ça. Identifier le problème, isoler les gens puis les faire se confier sur ce qu'ils désirent. Qu'en dis-tu ?

La mère couva un instant du regard le visage poupin emmitouflé. De quoi pouvait bien rêver un enfant envoyé loin de chez soi ? La douceur de sa respiration la rassura néanmoins ; Octavia Protera n’était point de celles à se laisser déstabiliser par quelques désagréments – tant de la route que de la vie. Outre la mélodie lente et profonde du sommeil de l’enfant, le chariot était habité par les rires mi-étouffés des parents et le grincement des roues dans la boue. Peut-être était-ce loin de son habitude, mais elle l’avait juré : elle ferait en sorte d’accompagner au mieux son époux. Et sitôt auraient-ils atteints leurs buts, ils reprendraient la Via Oncmelia en direction du Sud. Il ne lui importait peu de savoir quand exactement ; elle avait pleine confiance en Caïus pour ordonner les affaires au plus preste.

« Nous pourrions nous séparer la tâche. Qui pourrait bien se méfier d’une femme dans ma condition ? », d’un geste presque théâtral, elle souligna les courbes de sa panse plus qu’arrondie. Puis, elle n’osa ajouter qu’elle était bien moins austère qu’il ne l’était. Femme appréciant les belles choses, Laelia avait cette facilité à séduire tant par son charme que sa culture les plus récalcitrants. « Aucun patricien ne saurait me refuser une conversation badine. Et si d’aventure elle devait se muer en amitié, cela nous arrangerait tous deux ».

En somme, la Ruvienne était bien plus encline aux intrigues que Feles. Non pas qu’il n’avait été obligé, par Paetius lui-même, de s’y tremper jusqu’au cou, mais la jeune femme aimât les manigances pour peu qu’elles avaient quelconque intérêts personnels. Cela occupait ses journées, et l’impliquait plus directement dans l’étrange relation d’amour qu’elle entretenait avec Caïus. Puis n’avait-elle été élevée au milieu de toutes ces vipères ? Elle savait parler leur langue, et à défaut d’être écoutée dans les Institutions, elle avait appris que sa voix portait bien mieux dans le couvert des domus. In vino veritas, ces moment prêtaient à la confidence pour qui savait y faire.

« Que dirais-tu de ma palla en bleu de Valta ? Cela serait un bel effort pour montrer notre attachement à l’Oncmélie ». Un rapide sourire taquine conclut qu’il s’agissait plutôt d’un prétexte afin de sortir des malles sa plus belle parure. Et s’il la connaissait assez, il savait que la nièce de l’empereur avait déjà de nombreuses idées ; trop peut-être.

Nous pourrions nous séparer la tâche. Qui pourrait bien se méfier d’une femme dans ma condition ? Aucun patricien ne saurait me refuser une conversation badine. Et si d’aventure elle devait se muer en amitié, cela nous arrangerait tous deux.

Il la serra un peu plus contre lui, un sourire toujours accroché à ses lèvres. Il observa la main de Laelia redessiner le galbe de son giron avec tendresse et posa sa main par-dessus. Dans cet instant de complicité qui lui faisait oublier les cahots de la route et le tanguage de la charette, il ne put retenir quelques mots plein d'ironie.

Quelle petite intriguante tu fais !

Un petit pouffement plus tard, il vola un baiser du bout des lèvres à son épouse. Elle connaissait déjà parfaitement ce monde et y avait grandi sous le regard attentif de son oncle. L'Empereur Paetius lui avait confié que sa nièce était sa petite protégée et qu'il lui avait enseigné les rouages de la vie patricienne malgré son sexe. Caïus savait qu'elle serait sa meilleure alliée dans cette soirée, comme elle l'était depuis les premières heures de leur mariage. Elle poursuivit alors.

Que dirais-tu de ma palla en bleu de Valta ? Cela serait un bel effort pour montrer notre attachement à l’Oncmélie.

Ah cette palla il s'en souvenait bien. Ce bleu profond produit uniquement dans la cité au Nord de la Province et dont chaque famille de Ruvia voulait un échantillon comme preuve de leur richesse. À l'époque il avait pris l'obsession de Laelia pour un caprice, n'imaginant pas une seconde qu'on les enverrait quelques mois plus tard se terrer sous la pluie et la grisaille d'Oncmelia. Il ne comprenait toujours pas ce que cette teinture avait de si exceptionnelle pour qu'elle vale aussi chère. C'était, certes, une très jolie couleur, mais on aurait dit que le moindre pouce de tissu bleu coûtait dix deniers. Il hocha la tête.

Très bonne idée. Je ne doute pas que les convives seront sensibles à ce genre de détail. Entre ta grossesse et cette teinture locale, nul doute que tu seras l'attraction pour bien des flatteurs. Toi qui disais ne pas les aimer, tu vas être servi.

La voix d'un légionnaire retentit, légèrement étouffé par la toile qui recouvrait le chariot.

Procurator ! Le Tribun Laticlave voudrait te parler.

Le moment de complicité et de paix avec son épouse et sa fille touchait malheureusement à sa fin. Il avait pu profiter un peu d'elle, allant même jusqu'à en oublier ses devoirs envers ses hommes. Il expira profondément, peu motivé à l'idée de retrouver l'averse qui continuait de tambouriner au dehors et sa selle devenue de moins en moins confortable au fil des jours.

Le devoir m'appelle. Essaye de te reposer un peu, nous sommes bientôt arrivés.

Il embrassa Laelia, pressant ses lèvres contre celles de la jeune femme avec une passion que même Hedelma ne pouvait qu'approuver. Il enfila de nouveau son casque et boucla sa jugulaire avant de soulever la bâche de protection et de rejoindre ses troupes. Les montagnes rapetissaient derrière la colonne de légionnaires et les chariots du train tandis que face à eux, les bâtiments les plus volumineux de la cité étaient de plus en plus visibles.