A semer le pain aux souris, on attire les rats {Laelia}

4eme jour de Primo Seminare {année Impériale 399}
Domus Acilia

    « Et pourquoi ne pas te prêter à la tâche toi-même ? Puisqu'il s'agit d'agir comme tu ne l'as guère daigné faire jusqu'alors ... » Répliqua la Tendre en se saisissant d'une poignée d'amandes qu'elle englouti aussitôt. « Ces affaires là sont celles des femmes. » Cracha le tribun sans même considérer la proposition. Voilà qui abondait élégamment en le sens de leur adroit partenariat d'existence.
    La voyant à nouveau desserrer les lèvres pour répliquer, il embraya. « Il suffit, Ottavia. Si tu n'es point mon épouse, tu demeures la Domina de cette famille. Je ne fais que te demander d'assurer ton rôle.Tu sais ce qu'il coûte de s'y soustraire. » Les prunelles de la jeune femme se levèrent vers le plafond tandis qu'elle renchérissait « Depuis quand te soucies-tu de l'opinion de la plèbe, Père ? » Sous d'autres gîtes, la provocation l'aurait aussitôt menée à être rabrouée, certainement pire encore. En leur demeure, les Domini Acilii se considéraient d'égal à égal, chacun se révélant d'une présence nécessaire pour l'autre.
    « L'estime du Procurator Protero m'est autrement plus précieuse, ma Fille. » Un sincère délice égaya les traits de l'orateur alors qu'il se redressait lentement sur le lectus qu'il occupait. « Son épouse est certainement déjà au parfum. J'ai fais parvenir un légat à leur Domus avant que nous n'initions le prandium. Au moment où nous nous parlons, un de nos famulus opère négoce auprès de quelques quelques pistorès du Latriae. Tu le comprends bien, il s'agit aussi de pourvoir aux commerces les plus miséreux. »
    L'homme profita d'un petit silence pour s'élever tout à fait, amorçant de fausser compagnie à sa parente « Et bien, je n'ai plus qu'à éblouir le peuple et cette Ruvienne de notre magnanimité. » Souffla t-elle, lasse.

« Hâte toi ».

La patricienne n’avait cessé de pressé son esclave qui, non contente de jouer avec la patience de sa maîtresse, semblait décidé à trainer le pas autant que possible. La journée n’était ni belle ni laide alors que le ciel s’habillait de duveteux nuages. Une légère brise poussait la ruvienne à tenir sa palla bien fermement contre ses bras nus. Elle ne s’était pas encore faite au mauvais climat de la région, et si elle aimait s’en plaindre à son époux chaque soir, c’était la première fois qu’elle l’affrontait au dehors des murs épais de leur domus. Les traits tirés par des nuits agitées, elle regretta tout de même de ne pas remettre à plus tard sa sortie populaire ; Laelia Antia Protera n’agissait guère pour elle-même aujourd’hui. Avec l’abnégation qui caractérisait cette épouse modèle, elle déambulait aussi vite que son giron engrossé lui permettait. Les pavés de la ville, inégaux, avaient au moins pour eux d’être sec. Elle qui ne voyait plus ses pieds, cela aurait été bien plus périlleux de déambuler sans risquer la chute.

« Le crois-tu seulement Naïra ? Peste soit ces gens ! »
« Allons Domina, ne jure pas ainsi dans la rue »

La remontrance de l’esclave eut tôt fait de tirer un sourire à la belle. Naïra l’avait élevé bien plus que sa propre mère. Aussi Laelia tolérait peut-être un peu trop ses égarements. Elle entendait encore Caïus se plaindre de son laxisme à son égard, et quoi que le nouveau procurateur pouvait bien râler, elle ne changeait pas une once de son traitement de faveur. La patricienne demeurait néanmoins maussade ; alors qu’ils tentaient de se faire une place parmi ces rustauds, voilà que les porcelets salissaient de leur groin infâme la main gracieusement tendue. Elle aurait mieux fait de se taire lors du convivium. C’était à se douter que Publius – le malin renard ! – se servirait à son encontre de sa propre idée. Pourtant, lorsqu’il avait dépêché son légat, la nièce de l’Empereur n’avait rien laissé paraître. Une brève acceptation plus tard, elle aboyait déjà sur toute sa maisonnée. Il avait voulu donner le pain, elle donnerait le vin !

« Crois-tu que la foule viendra ? »
« J’en suis persuadée »
« Bien ». La Domina s’approcha de Naïra alors que se dessinait déjà le parvis du forum. Au loin elle apercevait le grand bâtiment de la Curie. Avec un peu de chance, ces messieurs les curiates sortiraient de leur séance assez tôt pour voir le triomphe des Proterii. Elle se languissait presque déjà de la présence du Chat. Tendant une petite bourse cliquetante à l’esclave, elle poursuivit : « Paye chaque crieur de la place. Paye-les généreusement afin que tous annoncent la vertu du nouveau procurateur et de sa femme. Qu’aucun n’ignore que dans leur, l’on donnera à tous du pain et du vin ». Il ne restait plus qu’à atteindre la charmante arrivée d’Ottavia.
La journée n’était ni belle, ni laide pourtant Laelia s’assurait de briller plus fort et plus haut que le soleil.