[TERMINE]Un bon bain et tout ira bien... ou pas.

Voilà quelques jours que Caïus avait prit ses fonctions en Oncmelie. Petit à petit, il commençait à apprivoiser le climat maussade qui régnait chaque jour, bien loin des belles journées chaudes et ensoleillées de la capitale. Entouré d'une poignée de licteurs et après quelques fruits ingurgités sur le pouce, il prit la direction des thermes. Quelques exercices dans le gymnase avant de passer des étuves aux bains glacés, voilà qui lui ferait le plus grand bien avant d'aller affronter un séance à la Curie qui s'annonçait déjà peu intéressante. La nuit avait été agitée, Laelia qui avait remué toute la nuit sous les assauts de l'enfant qui grandissait dans son giron. Le Procurator se demandait si le garnement n'était pas en train de livrer un combat contre quelques chimères tant il faisait faire des bonds à sa mère lorsqu'il cognait contre son ventre. Et Octavia avait bien du mal à apprécier sa nouvelle cubicula et s'était réveillé plusieurs, de gros sanglots innondant ses yeux en amandes. C'est donc un Caïus affichant quelques cernes et un esprit chafouin qui partit de la domus, cueilli par l'air frais matinal.

Par Valta, cette journée commence bien !

Un brin irritable, il jaugea les licteurs qui l'encadraient d'un regard sévère, avant de souffler, presque déçu de n'avoir rien trouvé à redire sur leurs tenues afin d'évacuer sa frustration nocturne. Il avança d'un pas vif, ne souhaitant pas s'attarder trop longtemps dans les rues qui commençaient à accueillir leur agitation quotidienne. Bientôt, il arriva en vue des colonnades qui quadrillaient l'entrée de la large bâtisse. Gardant son allure presque militaire, il gravit les quelques marches qui l'amenèrent dans le grand vestibule. Il s'approcha du petit comptoir derrière lequel une jeune femme rondelette l'accueillit avec un grand sourire. Il tendit quelques sesterces à la citoyenne qui indiqua au Procurator et à ses hommes la direction des vestiaires sans se départir de son sourire.

En quelques minutes, Caïus et ses protecteurs ôtèrent leurs atours et enroulèrent leurs serviettes autour de leurs tailles. Le groupe se dirigea vers les bains, soudain assaillis par l'odeur d'encens qui planaient entre les arches aux décorations soignées. Ils cherchèrent à passer le pédiluve lorsqu'ils tombèrent sur une scène bien curieuse, qui aurait pu attendrir le coeur de père de Caïus, s'il n'avait pas était aussi mal luné. Un petit garçon s'esclaffait aux côtés de sa mère en pataugeant en plein milieu du passage. Un esclave tenta bien d'attirer l'attention de la femme pour lui faire libérer le passage mais elle préféra l'ignorer pour rester faire trempette sur le chemin du Procurator. Elle tourna enfin la tête avant de se redresser, en regardant Caïus, l'air surprise.

Mes excuses, citoyenne. Ce n'est pas le meilleur endroit pour s'asseoir. Tu as des bassins peu profond pour que ton enfant s'amuse sans risques et sans gêner le passage.

Le ton, bien qu'un peu sec restait cordial. Le visage du Procurator, en revanche, trahissait une certaine forme d'impatience. Son regard sévère passa de la mère à l'enfant avec une lueur d'agacement, attendant qu'elle emmène son marmot ailleurs et qu'il puisse enfin se défouler et évacuer les tensions accumulées pendant sa nuit trop courte.

La citoyenne se releva pour planter son regard dans celui de Caïus. Elle avait de grands yeux gris, à l'image de ceux de son épouse. Sa tenue sombre contrastait avec la crinière flamboyante qui la couronnait. Une lueur espiègle dans le regard, elle déclara.

Mes excuses, citoyen, Lucianus Iustius Minor est en effet encore espiègle et nous ne t'avions point entendu arriver. Tout juste ai-je senti un léger courant d'air. Mais ma foi, je t'en prie. Nous n'allions point nous attarder davantage... Attia Silia a donné une réception jusqu'à tard hier et je suis encore lasse. Un bain tonifiant ne pourra que me faire du bien...

Les mâchoires légèrement crispées, Caïus écoutait d'une oreille plutôt distraite les explications de la jeune femme. Que ce soit à Ruvia ou ici, les patriciennes avaient visiblement le même intérêt pour les conviviae. Elle ignorait visiblement à qui elle s'adressait, s'imaginant peut-être que citer le nom de la femme d'un patricien allait l'impressionner un seul instant. Elle prit son enfant par la main en adressant un doux sourire au Procurator, qui gardait un visage de marbre face au minaudage perpétuel de l'inconnue. Alors que le Feles allait reprendre sa route, encadré par ses licteurs, la voix de la femme rousse retentit de nouveau.

Mais à qui ai-je donc l'honneur de parler ? Je ne crois point t'avoir déjà aperçu.

Il ravala son agacement pour arquer un sourcil en direction de la citoyenne qu'il toisa avec sévérité. Aussi vrai qu'il ignorait qui elle était, elle ne le connaissait pas. Elle se serait sans doute confondue en excuse et aurait libéré la voie sur le champ si elle avait réalisé qui il était. Il renifla brièvement, seul signe remarquable de son dédain envers elle, avant de finalement sourire et de lui répondre.

Caïus Protero Feles. Je suis le Procurator d'Oncmelia Minor, nommé par l'Empereur Numerius Julius Paetius. Je suis arrivé de Ruvia il y a quelques jours à peine pour prendre mes fonctions, il est donc logique que tu ne m'es jamais croisé.

Son sourire s'élargit tandis qu'il rebondissait sur la pique à peine dissimulée qu'elle lui avait lancé un peu plus tôt.

Je n'ai pas le loisir de passer des soirées chez le patricien Silius. J'ai fort à faire pour honorer mon titre et mes devoirs.

Le sous-entendu qui voulait qu'elle n'avait probablement que ça à faire était assez évident mais il parlait d'un ton aimable, pouvant se défendre de toutes mauvaises intentions si elle décidait de prendre la mouche. Il poursuivit.

Aujourd'hui encore je dois diriger une séance à la Curie et en effet, j'ai moi aussi grand besoin de me décrasser de ma nuit avant de commencer ma journée. Et toi, qui es-tu, Citoyenne ?

Il tourna le regard vers le petit garçon blond qui lui serrait la main en regardant vers les bassins d'eaux tièdes qui se remplissaient lentement des ruviens venus profiter des thermes.

J'imagine que c'est ton fils. Quel âge a-t-il ?

Sois le bienvenu en Edelmia, Procurator. Je suis Harmonia Alexandria Iustia, la fille du centurion Honorius Alexandrius Falco, et infortunée veuve de l'ancien édile Lucianus Iustius Primus. Je puis comprendre que ta charge ne t'accorde guère de loisirs. Mais songe que les patriciens d'ici aiment traiter certaines affaires au crépuscule...

Voilà que le ton se montrait moins acerbe et moqueur alors qu'elle réalisait enfin à qui elle avait affaire. Elle avançait des noms dont il n'avait jamais entendu parlé, probablement des gloires locales, mais dont la réputation n'avait jamais franchi les limites de la province coincée au Nord des Montis Ermeticae, du moins pas jusqu'à Ruvia. Les édiles changeaient chaque année et Caïus avait à peine retenu le nom complet de celui en place, un certain Servius Tuccius Firmius, alors connaître celui de son prédecesseur, défunt de surcroît, il l'ignorait autant qu'il s'en lavait les mains. Elle avait annoncé sa filiation en relevant légèrement le menton, visiblement très fière de ce que Caïus ne considérait que comme des sous-fifres de provinciaux. Pas de quoi se pavaner selon lui. Elle se permettait en plus de lui donner des conseils, ce qui fit doucement sourire le Procurator. Il lui semblait pourtant avoir été suffisamment clair en évoquant le fait qu'il n'avait pas le temps pour les niaiseries festives tous les trois jours, afin de se faire bien voir de tel ou tel patricien. Sa présence seule suffirait à faire de lui l'hôte de marque d'un convivium, inutile de s'y précipiter comme une veuve en quête d'une gloire passée et qui cherchait à garder les quelques amis que s'était fait son défunt mari. Gardant son sourire figé, il secoua la tête pour signifier qu'il avait pris en compte ses conseils et l'interrogea sur l'identité du petit garçon qui se tenait près d'elle.

Voici mon fils et héritier de Lucianus. Il a cinq ans. Allons, présente-toi au Procurator, Lucianus.
Ave, Procurator. Je suis Lucianus Iustius Minor. Enchanté de te connaître.

Le petit bonhomme s'était légèrement redressé pour saluer Caïus, lui faisant friser l'oeil d'amusement. Cette façon de vouloir imiter les adultes dans leur solennité avait quelque chose de touchant. Sa fille faisait la même chose en s'efforçant d'imiter les gestes et parfois la répartie cinglante de sa mère. Son visage sévère se dérida légèrement lorsqu'il répondit au garçonnet.

Ave Lucianus Iustius Minor. Ravi de faire ta connaissance.

Le petit homme semblait fier de lui et souriait avec tout le naturel dont était capable les enfants. La mater du bambin partageait la fierté de sa progéniture et Caïus porta de nouveau son regard sur elle, les lèvres encore fendues du sourire qu'il avait offert à l'enfant. De surprise et légèrement piquante, elle était devenue douce et aimable. Elle déclara avec un respect qui n'avait pas encore teinté ses paroles jusqu'à présent.

Mon fils et moi sommes loyaux envers l'Empereur, aussi, la porte de ma Domus est bien évidemment ouverte au Procurator et à son épouse quand il le souhaitera. La matrona de la famille Iustius ne saurait manquer à ses devoirs.

Pas folle la matrone. Comment avait-elle formulée cela déjà ? Certains patriciens aimaient traiter de certaines affaires au crépuscule. Une patricienne souhaitant se rapprocher de la plus haute autorité de la province semblait être de ceux-là. Un petit sourire narquois au coin des lèvres, le Procurator répondit à l'invitation d'un oeil amusé.

Je prends note de l'invitation. J'en parlerai à mon épouse et si l'occasion se présente je vous enverrai un esclave pour t'annoncer notre visite.

Il détailla un court instant la jeune femme. Au vue de son attitude et de sa tenue, elle paraissait riche. La complexité de sa coiffure et les bijoux qui tintaient autour de ses bras et de son cou en étaient de parfaits témoins. La curiosité le poussa à poser une question de plus, bien que ses licteurs, même s'ils ne pipaient mot, s'agitaient légèrement pour l'inviter à quitter la patricienne et rejoindre le gymnase.

Tu parais bien jeune pour une veuve. De quoi est mort ton époux ?

La question de Caïus avait fait apparaître une certaine nostalgie sur le visage jusqu'alors lisse et aimable de la citoyenne. Sa voix chevrota légèrement avant qu'elle réussisse à se reprendre.

Eh bien... Alors que la charge de mon époux touchait à sa fin, lui et moi fûmes invités à une soirée chez les Tullius. Une cena comme tant d'autres, où nous mangeâmes très bien et bûmes des meilleurs vins. Cependant, peu avant l'aube, alors que nous dormions, mon époux fut pris de très brusques et violentes coliques. Le temps que le médecin arrivât, il mourut dans mes bras, non sans avoir craché bile sombre. On en conclut à une... maladie fulgurante du foie.

Elle eut un petit rire amère avant de poursuivre sous le regard sévère du Procurator qui écoutait Harmonia poursuivre sa confession.

Il faut être prudent dans nos régimes alimentaires, n'est-ce pas ? Je crains toujours depuis de ne donner à mon fils nourriture qui ne lui conviendrait point, aussi je veille à faire goûter tous nos plats et boissons par un esclave.

Elle ne portait pas d'accusation ouverte, mais le ton sarcastique laissait supposer qu'elle pensait à un empoisonnement. De plus, cette étrange maladie fulgurante, qui emportait un homme dans la force de l'âge, était suspicieuse, même pour quelqu'un qui n'avait aucune compétence en médecine. Il pinça les lèvres avant de déclarer.

En effet, c'est plus sage.

Le regard de Caïus se porta de nouveau vers l'enfant qui semblait être bien peu intéressé par la discussion des adultes. À son âge, les couleurs vivent des mosaïques et des colonnes qui soutenaient le toit était bien plus intéressantes que des bavardages au sujet d'un père dont il ne se souvenait peut-être plus que par les paroles de sa mère. Elle changea de sujet, probablement mal à l'aise à l'évocation de son défunt mari.

Si tu te rends à la Curie, tu y croiseras probablement mon cher beau-frère Primus Cassius Murena, que tu connais peut-être. Il n'aura point manqué la soirée donnée en ton honneur. Il est excellent orateur, charmant, mais il a le petit défaut d'être le genre d'homme qui marcherait à quatre pattes sous un âne pour quelques denarii... Mais hormis cela, il est fort honnête homme ! Je te souhaite encore belle journée, Procurator, en espérant que la pluie ne la gâte point trop !

Murena ? Le cognomen n'était totalement étranger. C'était probablement l'un des patriciens qui étaient venus lui présenter ses hommages lors du convivium organisé par le Tribun Consulaire. Il haussa les sourcils avant de répondre, sincère.

Il me semble l'avoir déjà rencontré en effet, mais je n'ai pas encore mémorisé les visages de chacun de mes pairs.

À entendre les propos de la matrone, elle ne portait guère le dit beau-frère dans son coeur. Elle avait beau lui reconnaître de l'honnêteté c'est sur sa vénalité et sa pingrerie qu'elle avait mis l'accent. Chaque homme avait son prix disait l'adage et bien des citoyens possédaient cet attrait maladif pour la richesse. L'argent faisait tourner les têtes autant que le pouvoir et si un homme cumulait les deux, il pouvait devenir totalement fou. Il y avait déjà eu plusieurs exemples, même à la tête de l'Empire. Il salua à son tour Harmonia.

Belle journée à toi aussi ! Profite de ton fils et du calme qui règne dans les bains aujourd'hui.

Il fit volte-face et s'éloigna, les licteurs dans son sillage. Le petit groupe rejoignit enfin le gymnase où ils pourraient enfin se défouler et chasser les courbatures qui avaient élu domicile dans ses muscles pendant la nuit.